COMPTE RENDU DES ENTRETIENS EN ESPAGNE

Jeudi 26 avril 2007

I. Entretien avec des députés : MM. Antonio Cuevas Delgado, président de la commission industrie, tourisme et commerce, José Ramón Beloki Guerra, premier vice-président, Héctor Esteve Ferrer, deuxième secrétaire, Manuel Mas i Estela, porte-parole, et Mmes Arantza Mendizábal Gorostiaga, porte-parole, et Rosario Velasco García

M. Antonio Cuevas Delgado a exposé les bénéfices que l’Espagne tirerait de l’émergence d’une politique communautaire de l’énergie, plus particulièrement dans le domaine de la régulation et des interconnexions, ces dernières étant vitales pour assurer la sécurité d’approvisionnement du pays. Relevant que l’opinion était favorable à la constitution d’un marché intérieur de l’électricité et du gaz ainsi qu’à la fixation d’objectifs contraignants en matière d’augmentation des énergies renouvelables et d’amélioration de l’efficacité énergétique, il a considéré que la diversification des sources d’approvisionnement énergétiques constituait un défi pour l’ensemble des pays européens, notamment en matière gazière. Il a enfin rappelé que l’Espagne avait décrété un moratoire provisoire, prolongé de facto, sur la construction de nouvelles centrales nucléaires.

S’interrogeant sur la manière la plus efficace de mener une politique européenne de l’énergie permettant de satisfaire à la fois aux trois objectifs du « paquet énergie » - garantir la compétitivité de l’économie, assurer la sécurité d’approvisionnement et préserver l’environnement -, Mme Arantza Mendizábal Gorostiaga a indiqué que l’Espagne, qui approuve ces trois axes, cherche ainsi à augmenter la part de l’électricité d’origine renouvelable, à accroître la compétitivité du secteur par la promotion d’un marché concurrentiel de l’électricité et - bien qu’elle soit déjà le pays d’Europe disposant du plus large éventail d’approvisionnement gazier, qui couvre dix pays - à diversifier encore ses sources d’approvisionnements en gaz, un nouveau terminal de regazéification du gaz naturel liquéfié (GNL) devant notamment venir bientôt s’ajouter aux six unités existantes. Observant néanmoins que l’Espagne, péninsule électrique, éprouvait des difficultés d’approvisionnement en électricité, elle a jugé fondamentale la mise en service d’une nouvelle interconnexion avec la France et salué la décision de l’Union européenne de nommer un coordonnateur européen chargé de faire aboutir ce projet. Elle a par ailleurs estimé que la création, avec le Portugal, du marché ibérique de l’électricité (MIBEL) permettrait de mieux assurer la sécurité d’approvisionnement des deux pays.

S’agissant du développement des énergies renouvelables (ENR), Mme Arantza Mendizábal Gorostiaga a considéré que, si elle avait pris de l’avance dans le secteur de l’éolien grâce à un système avantageux de tarif de rachat de cette électricité, l’Espagne connaissait en revanche du retard dans la promotion des autres types d’ENR, comme la biomasse ou le photovoltaïque, que la prolongation de l’arrêté réglementant les prix de soutien aux ENR devrait permettre de combler en favorisant le développement de ces deux filières. Puis, elle a expliqué que le pays déployait d’importants efforts pour renforcer l’efficacité énergétique, l’élaboration d’un plan portant sur la période 2005-2007 pouvant, selon elle, constituer une source d’inspiration pour la politique communautaire en ce domaine. Elle a enfin mis en exergue l’importance de mener des réflexions prospectives à long terme sur la situation énergétique, rappelant que des comités d’experts travaillaient actuellement à l’élaboration de scénarios énergétiques à l’horizon 2030.

Relevant que l’importance de l’électricité d’origine éolienne dans le mix énergétique pouvait créer des difficultés en raison notamment de l’inégale répartition des installations éoliennes sur le territoire national, M. Hector Esteve Ferrer a indiqué que si le potentiel éolien couvrait largement les besoins en électricité de la province dont il est l’élu, cette situation était loin d’être similaire dans toutes les communautés autonomes espagnoles. Puis il s’est félicité que le nouveau code technique des bâtiments, récemment entré en vigueur, prévoie l’obligation d’équiper les constructions nouvelles en panneaux photovoltaïques, car cela permettra d’accroître la production électrique d’origine solaire.

M. José Ramon Beloki Guerra a souligné que le respect des trois objectifs de la politique énergétique européenne constituait une équation compliquée à résoudre, en particulier pour l’Espagne en raison du moratoire provisoire respecté de facto par les entreprises sur la construction de toute nouvelle centrale nucléaire sur le territoire espagno. Indiquant que son groupe politique craignait que le pays ne soit pas, en l’état, en mesure de parvenir à satisfaire tous ces objectifs, il a estimé indispensable de prendre de nouvelles décisions à moyen terme en matière nucléaire, qualifiant à cet égard de très important le travail prospectif mené actuellement sur la situation énergétique espagnole à l’horizon 2030. Puis il a jugé nécessaire de parvenir, avant cette date, à la construction d’un marché européen de l’énergie, considérant que les décisions du Conseil des ministres de l’Union européenne des 8 et 9 mars 2007 devraient être de nature à la favoriser. Enfin, après avoir appelé non seulement l’Espagne, mais l’Union européenne dans son ensemble, à sortir de la situation de dépendance énergétique qui la caractérise actuellement, il a estimé indispensable d’améliorer les interconnexions.

Relevant qu’au contraire de la France, qui a clairement misé sur l’énergie nucléaire, l’Espagne était réticente à cette technologie en raison de l’opposition de son opinion publique, Mme Rosario Velasco García a estimé important le travail que doivent réaliser les responsables politiques pour expliquer objectivement à la population les risques réels de cette énergie.

Qualifiant d’éminemment politiques les questions énergétiques, M. Antonio Cuevas Delgado a estimé que, pour les traiter efficacement, l’Union européenne devait résoudre un certain nombre de problèmes politiques, en matière notamment d’approvisionnement. Puis il a indiqué que la question de la composition du capital des entreprises énergétiques ne le préoccupait pas dès lors qu’était assurée la sécurité de fourniture aux clients : la circulation du capital est une donnée naturelle de l’économie de marché et l’important est de garantir une concurrence suffisante sur le marché de l’électricité pour offrir au consommateur des prix compétitifs et assurer les investissements nécessaires. A cet égard, il a souligné que la tentative d’OPA d’E.ON sur ENDESA intervenait à un moment où il n’existe pas encore de règles claires et respectées par tous les acteurs au niveau européen.

Mme Rosario Velasco García a fait valoir que les consommateurs électro-intensifs négociaient des offres de fourniture avec les producteurs d’électricité et que leur situation ne posait pas, au niveau national, de problème à court terme. Indiquant que le tarif réglementé serait toutefois supprimé définitivement en 2011, y compris pour les consommateurs domestiques, elle a précisé que la Commission nationale de l’énergie aurait pour mission de protéger les intérêts des consommateurs et des utilisateurs du système électrique.

II. Entretien avec MM. Jorge Sanz Oliva, directeur général de la politique énergétique et des mines au ministère de l’industrie, du tourisme et du commerce, Eduardo Ramos García, sous-directeur général de l’énergie électrique, Juan Guía García, sous-directeur général des hydrocarbures, Antonio Torres, responsable des affaires internationales, David Pérez, unité d’appui, et Manuel García, coordinateur du cabinet du directeur général

Après avoir rappelé que les principales sources d’énergie primaire en Espagne étaient le pétrole (50 %), le gaz naturel (20 %), le charbon (12 %, dont les deux tiers sont importés), le nucléaire (10 %) et les énergies renouvelables (8 %), M. Jorge Sanz Oliva a indiqué que le remplacement du charbon par le gaz et le développement des énergies renouvelables étaient deux objectifs fondamentaux pour l’Espagne. Il a souligné que l’augmentation de la production d’électricité était d’autant plus nécessaire que la consommation d’énergie, inférieure à la moyenne européenne, est en hausse permanente, notamment du fait du développement de la climatisation.

Il s’est ensuite félicité que le ministère de l’industrie, du tourisme et du commerce ait élaboré des outils de planification permettant de répondre aux trois défis de la politique énergétique que sont la sécurité d’approvisionnement, l’amélioration de la compétitivité et le développement durable. L’évolution de la demande de consommation est ainsi analysée précisément par région afin notamment de prévoir, avec le gestionnaire du réseau de transport (REE), les renforcements du réseau à effectuer en priorité. Les principales difficultés en matière d’approvisionnement résidant dans le développement de ces réseaux, du fait des oppositions locales s’élevant face à la construction de nouvelles infrastructures, l’Espagne pourrait, pour les lever, mettre en place, à l’instar de la France, un Fonds d’amortissement des charges d’électrification. La planification permet également, grâce des systèmes de primes et de garanties de prix, d’orienter les décisions d’investissement dans les capacités de production, et notamment les technologies utilisées.

S’agissant du système d’interruptibilité (ou d’effacement) des grands consommateurs en cas de problème sur le réseau, dont l’intérêt n’est plus à démontrer, M. Jorge Sanz Oliva, après avoir expliqué que la rétribution de ce service était jusqu’à présent assurée par des remises sur la facture d’électricité, a annoncé qu’un marché de l’interruptibilité serait mis en place afin de respecter les contraintes imposées par le cadre européen. Puis, soulignant que l’isolement de l’Espagne dans le maillage électrique européen constituait l’une des préoccupations majeures du ministère, il a indiqué que la création d’une nouvelle interconnexion avec la France était un objectif essentiel car aujourd’hui, la faiblesse des interconnexions impose, pour des raisons de sécurité, une augmentation de la puissance installée à un niveau bien supérieur aux besoins, et donc une hausse significative des prix de l’électricité.

S’agissant des approvisionnements en gaz, il a relevé que si l’utilisation des gazoducs était moins chère que la construction des usines de regazéification, elle augmentait la dépendance vis-à-vis des pays producteurs, notamment de l’Algérie, alors que le transport de GNL par bateau méthanier permet non seulement de diversifier les fournisseurs mais également d’apporter de la flexibilité dans leurs choix. Se félicitant ainsi de l’actuel équilibre espagnol entre ces deux sources de fourniture en gaz, qui offre un bon niveau de sécurité d’approvisionnement, il a cependant jugé nécessaire d’accroître le nombre ou les capacités des sites de stockage de gaz.

Un débat s’est enfin engagé sur le nucléaire, au cours duquel M. Jorge Sanz Oliva, admettant que des opinions diverses traversaient le Gouvernement, a indiqué que le sujet ne serait pas publiquement débattu avant que le problème du renouvellement des centrales actuelles ne se pose.

III. Entretien avec MM. Luis Atienza, président de Red Eléctrica de España (REE), Alberto Carbajo Josa, directeur général des opérations, et Luis Imaz Monforte, directeur du développement du réseau

Présentant la société Red Eléctrica de España (REE), gestionnaire du réseau de transport d’électricité dont la mission générale est d’assurer le bon fonctionnement du système électrique espagnol, M. Luis Atienza a exposé les grands principes régissant son activité : l’indépendance, la transparence de gestion du système, la neutralité dans la prise de décisions, l’engagement sur la question environnementale et l’excellence dans la gestion. L’indépendance est garantie par la composition de l’actionnariat : 70 % des actions, possédées en majorité par des fonds de pension, sont cotées en Bourse, 20 % sont détenues par l’État et 10 % appartiennent à de grandes sociétés espagnoles, lesquelles ne sont cependant pas présentes au conseil d’administration afin d’éviter tout conflit d’intérêt.

M. Luis Atienza a ensuite évoqué la question de la hausse de la demande en électricité, notamment de pointe, qui constitue un défi pour l’appareil productif espagnol mais aussi pour la gestion du réseau. Le premier élément d’équilibre peut être le développement des interconnexions, qui constitue un impératif pour la sécurité d’approvisionnement de l’Espagne. Entre celle-ci et le Portugal, deux nouvelles lignes à haute tension ont ainsi été construites au cours des trois dernières années, mais la péninsule ibérique restera une « île électrique » tant que la nouvelle interconnexion projetée avec la France ne sera pas réalisée. Le second élément d’équilibre est la maîtrise de l’énergie éolienne, qui est intermittente, ce que le système interconnecté doit prendre en compte. A ce titre, la mise en service d’un centre de contrôle des énergies renouvelables a permis d’améliorer la gestion de cette électricité et autorisé une augmentation de la puissance d’origine éolienne.

Puis, après avoir estimé que les objectifs de l’Union européenne imposaient aux réseaux, s’agissant de la libéralisation, une augmentation de leurs capacités afin que l’électricité puisse être acheminée de divers centres de production, et, en ce qui concerne l’accroissement des énergies renouvelables (ENR), leur sécurisation, M. Luis Atienza a présenté les trois objectifs de REE pour les prochaines années : le développement et le renforcement du maillage du réseau de transport, qui impose de suivre la croissance de la demande, d’évacuer l’énergie des cycles combinés et des parcs éoliens, d’alimenter les infrastructures des trains à grande vitesse et d’augmenter les interconnexions ; la continuité de la fourniture ; la création de valeur dans les activités de diversification.

MM. Alberto Carbajo Josa et Luis Imaz Monforte ont ensuite expliqué aux membres de la délégation l’organisation de la gestion journalière du réseau de transport, notamment celle des marchés d’ajustement infra journaliers, ainsi le fonctionnement du centre de dispatching national et celui du centre de contrôle des énergies renouvelables.

IV. Présentation sur le développement des énergies renouvelables et sur le plan en faveur de l’efficacité énergétique par Mme Marisa Olano, chef du département des relations internationales à l’Institut pour la diversification et les économies d’énergie (IDAE), et M. Hugo Lucas Porta, du département des relations internationales

Après avoir rappelé que l’Institut pour la diversification et les économies d’énergie (IDAE) est un établissement public à caractère industriel et commercial rattaché au ministère de l’industrie, du tourisme et du commerce, Mme Marisa Olano en a présenté les grandes missions : promotion de l’efficacité énergétique, soutien à la diversification des sources d’énergie et lancement de projets innovants dans ces domaines. Concrètement, l’IDAE apporte un soutien technique et financier aux projets concernant les énergies renouvelables (ENR) et une assistance technique à l’administration publique, mène des actions visant à introduire de nouvelles technologies plus efficaces sur le marché, promeut l’efficacité énergétique, participe à la gestion des programmes communautaires et joue enfin un rôle en matière de diffusion de la technologie espagnole à l’étranger.

Après avoir souligné, pour s’en féliciter, que les ENR ont représenté 18,8 % de la production d’électricité en 2006 (dont 9,7 % pour l’hydraulique et 7,5 % pour les éoliennes), Mme Marisa Olano a expliqué l’importante croissance de la production éolienne ces dernières années au Danemark, en Allemagne et en Espagne par le niveau élevé du tarif de rachat, indiquant à cet égard que les gouvernements allemand et espagnol avaient engagé une coopération visant à améliorer le régime de ces tarifs dans chaque pays.

Puis elle a présenté le plan des ENR pour 2005-2010 défini par le Gouvernement espagnol, dont les objectifs tendent à porter leur part à hauteur de 30,3 % de la consommation brute d’électricité et de 12,1 % de la demande d’énergie primaire, et à élever à 5,83 % la proportion des biocarburants dans la consommation totale d’essence. Les investissements prévus sur cette période s’élèvent à près de 26,6 milliards d’euros. S’agissant de l’énergie éolienne, un objectif ambitieux de 20 155 mégawatts (MW) installés en 2010 est visé.

M. Hugo Lucas Porta a ensuite détaillé la stratégie d’efficacité énergétique en Espagne pour la période 2004-2012, le potentiel d’économie estimé en fin de période étant de 15 500 ktep/an en termes d’énergie primaire. S’agissant de la période 2005-2007, il a établi la typologie des mesures mises en œuvre afin d’atteindre cet objectif :

– adaptations législatives et réglementaires : une conduite écologique est désormais nécessaire pour obtenir un permis de construire ; à titre d’exemple, le code technique des bâtiments a été révisé afin de rendre obligatoire l’installation de panneaux solaires sur les constructions nouvelles ;

– soutien économique et financier : subventions à l’achat électroménager (aide à l’acquisition d’appareils de classe A égale à 60 % du surcoût par rapport à la classe D, dans la limite de 50 euros) ; aides publiques pour cofinancer les audits énergétiques dans l’industrie (à hauteur de 75 % avec un maximum de 276 audits par an et une priorité accordée à certains secteurs) ; participation, pouvant aller jusqu’à 22 % des coûts, à l’installation dans l’industrie d’équipements permettant des économies de chauffage ou d’éclairage ; financement d’études et de programmes de formation destinés aux responsables et gestionnaires municipaux, et aux agriculteurs en ce qui concerne la consommation des tracteurs ou le recours aux systèmes d’irrigation ;

– mise en place d’expériences pilotes : certains plans de déplacement urbain ont été revus selon les directives de l’IDAE, des études et projets pilotes ont été menés en matière de plans de déplacement des entreprises pour les centres d’activités de plus de 200 employés, et des programmes d’aides à l’achat de véhicules utilisant des carburants alternatifs ont été lancés ;

– diffusion de l’information : des campagnes publicitaires générales et spécifiques ont été menées (notamment dans l’agriculture), même si quelques doutes peuvent être émis sur leur efficacité ;

– définition de comportements exemplaires : un plan d’économie d’énergie et d’efficacité énergétique dans les bâtiments de l’administration centrale a été mis en œuvre ;

– promotion de la recherche et développement : par exemple, financement, jusqu’à 75 % de leur coût, d’études de viabilité pour la cogénération.

M. Hugo Lucas Porta a précisé que ce plan d’action, dont le coût est estimé à 722 millions d’euros - les mesures concernant le transport, la construction et le résidentiel concentrant 77 % des fonds -, est financé à hauteur de 50 % par le tarif électrique, de 35 % par les administrations locales et régionales, de 13 % par l’IDAE et du solde par les autres ministères. Il a estimé important son effet de levier, un volume d’environ 8 milliards d’euros devant ainsi être investi dans le secteur des économies d’énergie pendant la période. En retenant l’hypothèse d’un coût du baril de pétrole à 45 dollars et d’une tonne de CO2 à 10 euros, il a indiqué que le bénéfice net susceptible d’être tiré de sa mise en œuvre pouvait être estimé à 4,3 milliards d’euros.

Aussi, appelant de ses vœux une « culture d’efficacité énergétique » de la société, M. Hugo Lucas Porta a conclu son intervention en notant qu’il s’agissait du plan d’efficacité énergétique le plus ambitieux jamais adopté en Espagne, avec un budget neuf fois supérieur aux précédents, mais que son succès nécessiterait la collaboration active des communautés autonomes et une participation indispensable des entrepreneurs et des citoyens.

Vendredi 27 avril 2007

V. Entretien avec Mme Marina Serrano, secrétaire du conseil de la Comisión Nacional de Energía, M. Alberto de Frutos González, sous-directeur des marchés électriques, et M. Rafael Gómez-Elvira, sous-directeur des affaires européennes

Après avoir rapidement présenté la Comisión Nacional de Energía (CNE), le régulateur énergétique espagnol qui fête cette année ses dix ans d’activité, Mme Marina Serrano a souligné que l’une de ses missions était de contribuer à l’élaboration d’une planification à long terme des besoins en matière de développement des réseaux : après consultation de tous les opérateurs, un plan obligatoire est ainsi soumis aux transporteurs d’électricité et de gaz, qui doivent réaliser les investissements nécessaires. Elle a estimé que le développement d’« autoroutes de l’énergie » permettrait d’obtenir une concurrence réelle sur le marché de l’énergie en Espagne. En revanche, contrairement à la France, aucune procédure n’est définie pour programmer le développement des capacités de production : dans ce secteur, le système de fixation des prix sur les marchés est considéré comme suffisant pour assurer la réalisation des investissements nécessaires.

Afin de créer un marché européen de l’énergie, Mme Marina Serrano a jugé nécessaire d’augmenter le nombre de gazoducs et de renforcer les interconnexions électriques entre la France et l’Espagne, et s’est déclarée favorable à la séparation patrimoniale (« unbundling ») entre le gestionnaire du réseau et les producteurs. Puis, interrogée sur la situation d’ENDESA, elle a expliqué qu’au regard de ses missions en matière de respect des règles concurrentielles - informer les autorités chargées de veiller à la bonne application de ces règles, élaborer un rapport sur les opérations de concentration d’entreprises dans le secteur énergétique et autoriser les opérations de fusions/acquisitions d’entreprises ayant en charge des activités régulées -, la CNE devrait être appelée à donner un avis sur la prise de contrôle de l’entreprise espagnole par ENEL.

VI. Entretien avec MM. Javier Penacho, vice-président de l’Association des entreprises fortement consommatrices d’énergie (AEGE), et Alberto Garcia Alvarez, secrétaire général de l’Association des grands consommateurs d’énergie électrique du secteur des services (GRANCESS)

M. Javier Penacho a tout d’abord expliqué que l’AEGE regroupait des entreprises fortement consommatrices d’énergie qui, relevant notamment des secteurs du ciment, des métaux, de la chimie ou de la sidérurgie et constituant le socle industriel de l’Espagne, représentent 15 % de sa consommation électrique et 10 % de sa consommation de gaz. Indiquant que l’électricité était pour ces entreprises une matière première au coût parfois trois fois supérieur à celui de la main d’œuvre (notamment pour la production de chlore ou d’aluminium), il a fait valoir que l’explosion de son prix en Espagne était, en raison de la dégradation de compétitivité en résultant, de nature à inciter certains industriels à délocaliser leurs activités. Notant en outre que le marché européen de l’électricité, loin d’être unique, était constitué de multiples sous-marchés régionaux aux prix et aux règles très différents, il a, en conséquence, dénoncé les conditions dans lesquelles a été effectuée la libéralisation des marchés énergétiques dans l’Union européenne qui, selon lui, ne permet pas aux clients de choisir librement leur producteur. Il a de plus déploré qu’en Espagne, l’essentiel des nouvelles capacités de production électrique programmées à court terme soient des unités de cycle combiné à gaz (CCG), technologie qui présente certes le mérite d’être opérationnelle très rapidement mais dont les coûts variables de fonctionnement sont les plus élevés en raison de la volatilité des prix du gaz.

M. Javier Penacho a par ailleurs contesté l’alignement systématique des prix de l’électricité sur le coût du dernier kilowattheure produit, qui est le plus cher, jugeant que, dans ces conditions, ils ne pouvaient légitimement être qualifiés de « prix de marché ». Observant que les producteurs d’électricité sont aujourd’hui en situation d’oligopole alors qu’au contraire, les entreprises électro-intensives sont soumises à une concurrence internationale très vive, il a mis en évidence le paradoxe selon lequel il serait plus rentable, pour certaines industries, de constituer leurs propres capacités de production que d’avoir recours au marché de l’électricité, et jugé qu’une telle démarche était contraire à toute logique économique. Il a également critiqué la faiblesse des interconnexions européennes, qui limite considérablement les possibilités offertes aux consommateurs de s’alimenter dans des pays où l’électricité est meilleur marché : à cet égard, il a déploré les difficultés à construire de nouvelles interconnexions, regrettant qu’en Espagne, il soit possible de réaliser de nombreux types d’infrastructures, telles que les routes, mais pas de lignes électriques, alors qu’elles sont pourtant essentielles à l’activité économique.

Enfin, distinguant les consommateurs domestiques, pour qui l’électricité est une nécessité, et les entreprises, notamment électro-intensives, pour qui elle est une matière première, il a considéré que ces deux types de profils de consommation justifiaient une organisation de marché permettant de différencier ces situations, qui ne sauraient, selon lui, être soumises aux mêmes règles, et jugé qu’une visibilité à moyen terme, notamment par des contrats à long terme, devait être garantie aux adhérents de l’AEGE.

Estimant que les 21 entreprises de service membres de la GRANCESS, qui consomment 9,5 gigawattheures (GWh) par an, soit 4 % de l’électricité consommée en Espagne, ne subissent pas les mêmes risques que celles de l’AEGE, M. Alberto Garcia Alvarez a toutefois émis des critiques sur le fonctionnement du marché électrique. Il a ainsi regretté que les sociétés de transport ferroviaire ne soient pas rémunérées pour l’énergie qu’elles renvoient dans le réseau (notamment lorsque fonctionnent les systèmes de freinage) et que les effets perturbateurs ne soient pas intégrés, ce qui ne les encourage pas à améliorer leurs équipements. Après avoir également déploré l’absence d’incitation à la cogénération, il a enfin fortement critiqué la situation oligopolistique du marché électrique dont l’organisation actuelle ne permet pas, selon lui, la fixation d’un prix raisonnable de l’électricité. Ayant illustré son propos en expliquant que la suppression de certains tarifs administrés en 2006 s’était immédiatement traduite, pour ceux qui en bénéficiaient, par une hausse de leurs coûts d’approvisionnement en électricité, il a appelé de ses vœux une action rapide de l’Union européenne pour construire un marché de l’électricité cohérent et concurrentiel, dont le fonctionnement soit efficace pour les consommateurs.

VII. Entretien avec MM. José Gasset Loring, directeur des relations internationales d’Iberdrola, Gonzalo Sáenz de Miera, directeur de la prospective réglementaire, Rodolfo Martínez Campillo, chef de la planification et des offres, Marcos López-Brea, manager des relations internationales, Rodrigo Sousa Suárez, chargé des activités électriques libéralisées, Carlos Gascó, chargé de la prospective, et Mme Leyre La Casta Muñoa, gérante des achats

M. José Gasset Loring a tout d’abord présenté Iberdrola, société centenaire devenue, avec l’acquisition récente de la société Scottish Power, le troisième électricien européen après EDF et E.ON, et disposant d’une capacité installée de 40.000 MW, d’une capitalisation boursière de 67 milliards d’euros et d’un portefeuille de 22 millions de clients dans le monde. De plus, l’entreprise est aujourd’hui, avec une capacité installée de 7 000 MW, l’un des leaders mondiaux en matière d’électricité éolienne, et a pour stratégie de se spécialiser dans le domaine des énergies renouvelables (ENR) afin d’y disposer d’un avantage compétitif.

M. José Gasset Loring a ensuite souligné que les décisions d’investissement de l’entreprise étaient commandées par la prévisibilité des prix, afin d’assurer à ces investissements la rentabilité nécessaire, la stabilité des normes et celle des profits attendus de la vente d’électricité. De ce fait, 90 % du développement d’Iberdrola a lieu dans des pays disposant de systèmes où le tarif de l’électricité issue des ENR, et notamment des éoliennes, est garanti (Espagne, France, Portugal, Grèce et Allemagne), ou dans lesquels des avantages fiscaux favorisent la production des ENR (États-unis et Grèce). Dès lors, en l’état actuel du cadre législatif et réglementaire, Iberdrola serait en mesure d’atteindre ses objectifs d’augmentation de ses capacités de production éolienne, qui sont de l’ordre de 20.000 MW à l’horizon 2010.

Par ailleurs, tout en jugeant que des améliorations pourraient être apportées au fonctionnement du marché avec la réalisation de nouvelles interconnexions entre la France et l’Espagne, il a considéré que les modalités actuelles de fixation des prix sur les marchés étaient pertinentes. Il a conclu sur la nécessité de parvenir, à moyen terme, à ce que les prix de l’électricité soient d’un niveau suffisant pour garantir la rentabilité des investissements.

Mme Leyre La Casta Muñoa a ensuite présenté le fonctionnement des six marchés infra-journaliers de l’électricité qui existent en Espagne pour permettre aux distributeurs de diversifier leurs sources d’approvisionnement et d’acquérir de l’électricité en fonction de leurs besoins.

Enfin, après avoir déclaré ne pas comprendre l’obsession de la direction de la concurrence de la Commission européenne à l’égard de l’unbundling, les interlocuteurs d’Iberdrola ont estimé impératif que l’organisation du secteur de l’électricité garantisse à la fois l’indépendance énergétique, avec un bouquet énergétique diversifié, et la transparence des échanges.