M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. Le Gouvernement s’oppose globalement à ce texte, pour les raisons que j’ai largement exposées précédemment. Toutefois, il souhaite que la discussion parlementaire soit totalement libre. C’est la raison pour laquelle il s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur cette motion.

M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour explication de vote.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Cette proposition de loi est – c’est le moins que l’on puisse dire – mal conçue et mal rédigée. Par exemple, pourquoi privilégie-t-elle les périodes de congés et des ponts par rapport à celles des jours travaillés ?

Légiférer sur le droit de grève au détour d’une proposition de loi qui prive les parlementaires d’une étude d’impact risque, dans un contexte marqué par un malaise social grandissant, d’attiser encore les tensions sociales. En outre, si l’encadrement de ce droit peut toujours être amélioré, une concertation avec les partenaires sociaux est un préalable à toute modification de notre législation sur ce droit.

Les causes de la dégradation de la qualité des transports collectifs du quotidien sont aujourd’hui connues de tous. Depuis plusieurs décennies, nos réseaux de transport collectif accumulent des retards, des manques de capacité, ainsi que des pannes récurrentes, et ce sont là les points de blocage.

Si les grèves dans les transports sont source de désagréments, elles ne sont en aucun cas à l’origine de la dégradation constatée. D’ailleurs, l’immobilisation vise souvent à dénoncer le manque récurrent de moyens financiers ou de personnel et les efforts importants de productivité demandés aux salariés sans contrepartie salariale à la hauteur.

En outre, il existe un cadre de prévention des conflits et de dialogue social qui permet, en cas de grève dans les transports, de mettre en place un service, certes réduit, mais prévisible.

Ce texte est déséquilibré et crée une « dissonance » : il encadre le droit de grève dans les transports terrestres ; faut-il en conclure qu’il n’y a pas ou plus de services publics dans le secteur aérien ?

Dans une entreprise, la qualité du dialogue social et la volonté de le mettre en œuvre relèvent surtout de la responsabilité des dirigeants. Comment s’assurer que ces derniers n’auront pas tendance, comme cela se fait au basketball, à pousser à la faute les organisations syndicales ?

Voilà pourquoi le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra cette motion. (M. Simon Uzenat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. J’étais voilà quelques jours au technicentre SNCF des Ardoines, à Vitry-sur-Seine, pour discuter de cette proposition de loi avec les cheminots du RER C, et j’ai aussi rencontré des usagers. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est là le travail normal d’un parlementaire ! Et je voudrais bien savoir si les sénateurs qui soutiennent cette proposition de loi ont rencontré des cheminots, des machinistes ou d’autres travailleurs, car ils n’en ont pas fait état dans leurs interventions ! (Vives protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. Mes chers collègues, seul M. Savoldelli a la parole !

Veuillez poursuivre, mon cher collègue.

M. Pascal Savoldelli. Ces travailleurs auraient ainsi pu expliquer leurs conditions de travail : deux cheminots sont décédés, la semaine dernière, dans l’exercice de leurs fonctions ; cinq intérimaires employés par des sous-traitants sont morts l’année dernière ; entre dix-neuf et trente rames du RER C sont immobilisées chaque jour au technicentre parce qu’étant vieillissantes, soit autant de trains supprimés pour les usagers. Cette situation est insupportable pour les Franciliens qui prennent les transports ; elle l’est tout autant pour les cheminots.

Quand ils font grève, les salariés utilisent d’abord un droit d’alerte qui intervient après l’échec de revendications non entendues. Et les usagers ne sont pas dupes quant à la cause de la dégradation des transports en commun. Est-ce la grève qui est responsable quand un RER sur deux est annulé faute d’effectifs ? Est-ce la grève qui est responsable du refus d’augmenter le versement transport et donc du manque d’investissement pour remplacer le matériel vieillissant ? Est-ce la grève qui est responsable de la dégradation des conditions de travail après la casse du statut ? Est-ce la grève qui est responsable de la privatisation et de l’éclatement des réseaux ? (Oui ! sur des travées des groupes Les Républicains et UC.) Est-ce la grève qui est responsable de la réforme de Réseau ferré de France ?

Tout cela, ce sont des choix politiques et, mes chers collègues qui siégez à droite de l’hémicycle, ce sont les vôtres, car vous les avez votés. Les salariés que vous montrez du doigt au travers de cette proposition de loi ne portent pas cette responsabilité.

Le groupe CRCE-K votera pour cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. – M. Philippe Grosvalet applaudit également.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 9, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 171 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l’adoption 98
Contre 243

Le Sénat n’a pas adopté.

Discussion générale (suite)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Saïd Omar Oili. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Saïd Omar Oili. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons aujourd’hui encore nous prononcer sur la conciliation entre continuité du service public de transport et droit de grève. En effet, ce n’est pas la première fois que notre chambre est saisie de cette question. Depuis quelques années, les propositions de loi sur ce sujet reviennent régulièrement, généralement juste avant ou après un mouvement de grève majeur.

La proposition de loi Retailleau, tendant à assurer l’effectivité du droit au transport, à améliorer les droits des usagers et à répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève, la proposition de loi Tabarot relative à l’encadrement du droit de grève et à la lutte contre ses abus dans les transports, ou encore plus récemment la proposition de loi de notre collègue Vincent Capo-Canellas relative à la prévisibilité de l’organisation des services de la navigation aérienne en cas de mouvement social et à l’adéquation entre l’ampleur de la grève et la réduction du trafic, qui a été promulguée, en sont des exemples.

Une proposition de loi n’est jamais déposée par hasard. Les grèves dans les transports sont aujourd’hui un véritable sujet de préoccupation – à raison d’ailleurs, la SNCF n’ayant pas connu une seule année sans grève depuis 1947. Elles placent bien souvent nos concitoyens dans des situations compliquées.

De plus en plus, la grève s’impose comme la solution privilégiée, voire l’unique solution pour résoudre les conflits sociaux. Il convient de ne pas oublier les nombreuses familles qui subissent les conséquences de ces menaces de grèves à répétition à l’approche de vacances scolaires importantes ou d’un événement majeur. Lorsqu’ils réservent un billet, de nombreux usagers espèrent que leur train ne sera pas supprimé pour cause de grève. À chaque période de vacances, de nombreuses familles ne peuvent se retrouver au moment où elles l’avaient prévu.

Au-delà des déplacements de loisir, les grèves pèsent avant tout sur les trajets du quotidien, en particulier pour les Franciliens. Comment ne pas comprendre l’exaspération et le ras-le-bol qu’expriment sur les réseaux sociaux ou dans les médias nos concitoyens vivant en Île-de-France, qui, alors qu’ils doivent se lever tôt pour effectuer un trajet de quarante-cinq minutes ou une heure, apprennent le matin même qu’une grève est confirmée ?

Par ailleurs, ces grèves tendent à porter préjudice au dialogue social en devenant la réponse à tous les problèmes. Ainsi, des préavis de grève d’une durée illimitée, couramment appelés préavis dormants, sont déposés pour permettre aux agents de participer à une grève en s’appuyant sur un préavis déposé plusieurs mois plus tôt. Ce faisant, la période de négociation à laquelle sont tenues les parties prenantes est contournée, ce qui empêche la prévention des conflits.

Les grèves d’une durée de 59 minutes désorganisent également les services de transports et compliquent la vie des usagers. Elles lèsent bien souvent les plus modestes, qui ne disposent pas d’autre moyen de transport et ne peuvent recourir au télétravail. La continuité du service de transport de voyageurs est donc essentielle à la vie quotidienne des Français et à l’activité économique du pays.

Ces pratiques ont aussi des conséquences sur l’environnement : à force de rencontrer des problèmes sur leur ligne de transports en commun, les Français finissent par s’en détourner au profit de la voiture, qui est plus polluante.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Très bien !

M. Saïd Omar Oili. Aussi, nous sommes d’accord avec le constat à l’origine de cette proposition de loi et avec l’esprit qui en a guidé la rédaction, à savoir aménager le droit de grève pour, d’une part, le proportionner à d’autres droits constitutionnels comme la liberté d’entreprendre ou celle d’aller et venir, d’autre part, limiter certains abus sociaux.

En effet, le texte issu des travaux de la commission circonscrit la limitation du droit de grève aux services publics de transport terrestre régulier de personnes et aux transports maritimes – à cet égard, je salue l’amendement de Didier Mandelli tendant à étendre le dispositif aux transports maritimes réguliers publics pour la desserte des îles françaises, y compris Mayotte.

De plus, il restreint la suspension du droit de grève aux seules heures de pointe et limite à sept jours consécutifs et à trente jours par an le recours au dispositif. Il est également proposé que le dispositif ne concerne que certains jours de l’année, comme les jours fériés ou les vacances scolaires.

Par ailleurs, le texte rend caducs les préavis de grève non utilisés et limite la durée des préavis de grève dans les services publics de transports terrestres et maritimes à trente jours.

Nous saluons le travail du rapporteur en vue de mieux circonscrire la limitation du droit de grève dans les transports. Toutefois, si l’intention est bonne, il convient de rappeler le droit, plus spécifiquement le droit de grève.

Dans une décision du 25 juillet 1979, le Conseil constitutionnel a estimé que « la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe de valeur constitutionnelle ».

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Saïd Omar Oili. Le groupe RDPI s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le droit de grève est un droit constitutionnel, comme l’ont rappelé nos collègues communistes et écologistes. Aussi, nous nous attacherons toujours à le défendre, même si son exercice par un salarié traduit un double échec : celui de négociations qui ont eu lieu pour améliorer sa condition et son cadre de travail ; celui d’une aspiration à changer sa vie pour vivre mieux.

Vous vous attardez sur les modalités des actions de grève, sans revenir sur ce qui a conduit à celles-ci ni sur le fait que ce droit fondamental est largement réglementé, ainsi que mes collègues l’ont bien expliqué. Ce texte est naturellement confus. C’est un texte de circonstance, dogmatique et idéologique, dont l’adoption n’aura pas d’autre effet que de semer le trouble. Je vais vous le démontrer.

Premièrement, ce texte est confus, car il mêle les services de transports collectifs privés et publics, en dépit de ce que voulaient ses défenseurs – la majorité en tête –, lorsqu’ils ont adopté, en 2018, la loi pour un nouveau pacte ferroviaire, qui a ouvert les lignes à grande vitesse – TGV et Ouigo – au secteur privé.

Le fait que ce texte porte sur les transports librement organisés constitue l’aveu que cette séparation, cette ouverture à la concurrence à marche forcée, n’est qu’un échec. Son principal effet a été de dégrader la qualité des transports terrestres et de causer une hausse des prix et une baisse de l’offre globale, sauf sur les quelques sillons les plus rentables.

De leur côté, les acteurs sociaux se mobilisent pour défendre la qualité des transports, y compris lorsque l’échec des négociations conduit à la fermeture d’une ligne, qui fracture les territoires peu denses, ou à la disparition des guichets dans les petites gares de nos communes, c’est-à-dire des services de proximité. S’il est seulement question de prohiber la critique de votre œuvre destructrice, il faut le dire !

Deuxièmement, cette proposition de loi est confuse, car – nous l’avons dit et nous le redirons – le droit de grève est déjà largement encadré : le droit à l’information des passagers et l’organisation d’un service minimal par les autorités publiques sont garantis par la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.

En encadrant ce droit, dont l’exercice démontre vos échecs, vous avez pour seul objectif de vous attaquer à un symbole, les cheminots, après vous être payé le scalp de leur statut. Alors que ce droit relève du seul domaine de la loi, qui l’encadre et en définit les modalités d’exercice, vous voulez le rendre réglementaire, tout en légiférant en parallèle pour prohiber des types de grèves qui mériteraient d’être réglementés.

Cette confusion des genres doit cesser. En confondant les pouvoirs réglementaire et législatif, vous faites de ce texte une boîte de Pandore : s’il est adopté, l’exécutif pourra restreindre l’exercice d’une liberté qui démontre ses échecs idéologiques – les vôtres aussi, du reste – pour satisfaire son calendrier ou pour coller avec sa cote de popularité. Le pouvoir de faire la loi et de veiller à la proportionnalité de la limitation du droit de grève doit appartenir aux seuls parlementaires, au nom de l’intérêt général.

Troisièmement, ce texte est confus, car la majorité sénatoriale s’en sert pour tenter de se réapproprier le droit aux vacances au nom de l’intérêt général, alors qu’elle ne s’intéresse en réalité qu’au droit au TGV du vendredi soir – je le dis sans ambages. En effet, les 87 % de gares ferroviaires qui ne voient jamais passer un TGV dans nos territoires et les 40 % de nos concitoyens qui ne partent pas en vacances en sont exclus.

Au reste, vous n’avez rien inventé. L’article 24 de la Déclaration universelle des droits de l’homme le proclame : « Toute personne a droit au repos et aux loisirs. » À rebours de ce droit, l’ambition des auteurs de ce texte est de satisfaire un projet politique détestable, celui d’empêcher les professions statutaires et attractives de défendre leurs acquis et de donner vie à leurs aspirations.

Nous avons déjà vu cette ambition s’exprimer au travers de la brutale réforme des retraites, qui a fait disparaître les régimes spéciaux, de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire, qui a détruit le statut de cheminot, ou de la loi relative à l’ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP.

Si certains ont créé, par idéologie, le fantasme de prétendus nantis privilégiés de la SNCF, la réalité est tout autre : le secteur n’est plus attractif et les opérateurs ont du mal à recruter. Pour faire face à ces constats terribles, la seule voie qui vaille – sans mauvais jeu de mots – est celle de la négociation.

Or vous tordez les règles de la négociation, qui ne pourra s’exercer pleinement qu’en dehors des périodes de congés scolaires. Ce faisant, vous faites subir aux seuls usagers des transports du quotidien, oubliés par le Gouvernement depuis trop longtemps, les répercussions de votre échec et de la destruction à marche forcée des symboles publics.

Ce texte est une boîte de Pandore, disais-je, dans laquelle se cache le désir de ne plus subir la négociation et le compromis – car vous ne flancherez pas sur vos positions –, qui vous auraient empêché d’achever la découpe symbolique et idéologique de la SNCF, après celle du secteur aérien, qui a déjà été libéralisé, en autorisant les transporteurs à pratiquer l’emploi à la tâche, comme si le travail avait été féodalisé.

Dans cette boîte de Pandore se cache votre dégoût pour les services publics de transport terrestre et ceux qui les représentent. Pourtant, ces derniers vous ont alertés sur les dangers que comportait votre projet.

Ne disaient-ils pas que le mythe de la libéralisation des lignes à grande vitesse compromettrait notre système ferroviaire ? Ne disaient-ils pas que seul SNCF Voyageurs devrait financer le réseau ferroviaire pour maximiser les profits de ses concurrents étrangers ? Ne disaient-ils pas que l’offre diminuerait dans nos territoires sur les lignes les moins rentables, mes chers collègues ? Ne disaient-ils pas, avant même 2018, que la mise au ban du statut par idéologie ferait perdre de l’attractivité à la profession ? (Mme Raymonde Poncet Monge acquiesce.)

En somme, les organisations représentatives des travailleurs ont décrit tout ce qui se produit actuellement : le développement d’un yield management outrancier, la hausse du prix des billets, la dégradation du réseau, du matériel et des conditions de transport… Ils nous ont alertés sur le fait que tout notre réseau ferré national était au bord du gouffre et qu’il fallait déclarer l’état d’urgence ferroviaire, comme je le propose.

Enfin, ce texte est confus, car il remet sur la table des sujets qui ont déjà été largement discutés. Dès l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), le groupe socialiste s’est opposé à l’allongement du délai de déclaration d’intention individuelle de participer à une grève. Du reste, à quel objectif cela répondrait-il ? Il n’est pas encore possible d’embaucher des cheminots intérimaires, comme le font déjà les compagnies aériennes, ni de louer des trains et leurs équipages à la journée pour casser les grèves.

Du travail à la tâche et une location d’outil de production à la journée, voilà finalement ce qui se cache dans votre boîte de Pandore ! Vous voulez féodaliser le contrat social en permettant d’embaucher des intérimaires précarisés, dépouillés de tout outil pour revendiquer leurs droits, à commencer par des conditions de travail et une rémunération dignes.

Dans les compagnies aériennes low cost, les pilotes indépendants sont déjà payés au vol. Le pas de la féodalisation du travail et de la rémunération à la tâche sera-t-il également franchi pour les transports terrestres ?

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera donc bien évidemment contre cette proposition de loi inutile et malvenue, qui a pour objet de restreindre un droit fondamental et n’a fait l’objet d’aucune concertation préalable avec les partenaires sociaux.

Il votera contre un texte dont l’objectif est le même que d’autres qui lui ont précédé et dont nous avons mesuré l’inefficacité : nuire au contrat social en détruisant les instances de négociation, au détriment des travailleurs.

Il votera contre un texte à contretemps des enjeux auxquels est confronté le secteur des transports terrestres, alors qu’il est impératif de légiférer sur la survie de Fret SNCF, de retravailler le contrat de performance entre SNCF Réseau et l’État et de financer l’introuvable plan à 100 milliards d’euros. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi la proposition de loi de notre collègue Hervé Marseille visant à concilier la continuité du service public de transports avec l’exercice du droit de grève.

Ce texte s’inscrit dans la lignée de la proposition de loi de notre collègue Bruno Retailleau, dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteur, adoptée par notre assemblée le 4 février 2020, qui se trouve toujours sur le bureau de la présidente de l’Assemblée nationale, dans l’attente de son inscription à l’ordre du jour. Y était posé pour la première fois le principe d’un service garanti en cas de grève dans les transports publics, en définissant un niveau de service nécessaire aux besoins de la population et en luttant contre les abus du droit de grève, complétant ainsi utilement la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, qui, certes, avait constitué une avancée importante en matière d’information des usagers, mais n’était pas allée jusqu’à imposer un véritable service minimum.

Aussi, je me réjouis que la proposition de loi d’Hervé Marseille, enrichie en commission par le rapporteur Philippe Tabarot, comporte des mesures similaires et complémentaires à celles qui ont été adoptées par le Sénat en 2020, en particulier la régulation des grèves réalisées les jours d’afflux massifs de voyageurs et la possibilité pour les autorités organisatrices de transports (AOT) d’enjoindre aux entreprises de transport d’assurer un niveau minimal de service.

Comme je l’ai déjà indiqué à cette tribune il y a quatre ans, les grèves à répétition, dont notre pays s’est fait le spécialiste, rendent la vie impossible à nos concitoyens, en particulier aux plus fragiles d’entre eux. Je pense à ceux qui ne peuvent pas se passer d’aller travailler, à ceux qui ne peuvent pas se permettre de prendre des jours de congé, à ceux pour qui il est impossible de télétravailler, à ceux qui n’ont pas les moyens d’assumer des frais d’hébergement ou de garde d’enfant, à ceux qui n’ont pas d’autre solution de transport que le train, le bus ou le métro. Nous devons d’abord penser à ces personnes lorsque nous légiférons.

Si le droit de grève est un droit constitutionnel, il n’est pas un droit absolu et il n’est pas supérieur aux autres droits et principes à valeur constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel, dont nous espérons qu’il reste indépendant, l’a confirmé avec constance au fil de ses décisions, selon lesquelles le droit de grève peut être limité afin d’assurer l’équilibre entre son respect et celui d’autres principes, comme la continuité du service public ou la sauvegarde de l’intérêt général.

Cette jurisprudence a guidé la commission dans ses travaux en vue de renforcer la constitutionnalité de la proposition de loi et de son dispositif principal : la possibilité de suspendre le droit de grève pour des périodes continues de sept jours maximum, dans la limite de trente jours par an, sous peine de sanction disciplinaire, afin de sanctuariser les périodes de grands départs – sans oublier les jeux Olympiques, qui se dérouleront cette année. C’est une juste et nécessaire conciliation entre le droit de grève et la liberté pour nos concitoyens d’aller et venir.

Tout comme le texte de 2020, cette proposition de loi comporte, avec quelques variations, des dispositions visant à lutter contre les détournements trop fréquents du droit de grève, qui pénalisent indûment les usagers.

Tout d’abord, il est nécessaire de mettre fin aux préavis dormants, ces préavis de grève de longue durée, qui demeurent en vigueur même si le conflit a cessé, si bien que des salariés peuvent se mettre en grève à tout moment, en n’ayant à respecter que le délai de prévenance de quarante-huit heures. Il s’agit là d’un dévoiement manifeste de la loi de 2007.

Désormais, tout préavis de grève sera limité à trente jours et sera déclaré caduc s’il n’a pas été utilisé par au moins deux agents pendant une période de quarante-huit heures. Cela empêchera certains de détourner le droit collectif de grève pour des raisons individuelles.

Enfin, je salue l’article 4 nouveau, qui entend lutter contre les grèves de très courte durée, dites de 59 minutes, qui désorganisent fortement les réseaux de transport. En effet, un conducteur de bus ou de tramway qui a décidé de se mettre en grève pendant une heure au milieu de son service oblige son employeur à le remplacer pour l’intégralité de ce service, sans qu’il soit toujours possible de le réaffecter lorsque sa grève prend fin.

Ainsi, il paraît logique d’étendre aux entreprises chargées d’un service public de transport la possibilité d’imposer à leurs salariés de faire grève du début à la fin de leur service, ce dont profitent déjà les collectivités territoriales grâce à la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

Pour toutes ces raisons et parce que notre mission première est de faire preuve de bon sens, je vous invite, mes chers collègues, au nom du groupe Les Républicains, à vous prononcer en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox.

M. Aymeric Durox. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le droit de grève est un élément fondamental de la démocratie sociale et des droits des travailleurs. Il est reconnu comme un droit constitutionnel central, dont peuvent disposer les travailleurs comme moyen de contestation.

Néanmoins, tous les Français observent, souvent avec dépit et parfois avec colère, une dérive de ce droit. Il nous paraît donc nécessaire de le réglementer pour garantir un équilibre entre les intérêts des syndicalistes et ceux des usagers.

Il nous est proposé d’encadrer le droit de grève de manière à établir des règles claires et équitables pour toutes les parties concernées. Cela peut inclure la définition de périodes de préavis raisonnables, ainsi que la limitation des perturbations excessives, qui nuisent à la continuité du service public.

Il est important de souligner que l’encadrement du droit de grève consiste non pas à restreindre ou à entraver ce droit fondamental, mais plutôt à le rendre plus transparent et prévisible pour toutes les parties impliquées.

Toutefois, cela ne doit pas donner prétexte à encadrement excessif de ce droit fondamental. Nous connaissons la passion du Gouvernement pour les outils permettant d’« emmerder » – je cite le chef de l’État – nos compatriotes. Aussi ne pouvons-nous pas laisser le pouvoir de limitation du droit de grève aux seules mains du conseil des ministres.

C’est pourquoi nous avons défendu en commission un amendement visant à créer des jours d’encadrement pendant les week-ends de grande affluence ou les vacances scolaires, plutôt que de laisser la décision au Gouvernement. La limitation du droit de grève relève de la loi, non du règlement.

Il convient d’articuler intelligemment le droit légitime des travailleurs à faire grève et celui des usagers à circuler librement, car ces derniers sont souvent pris au piège de mouvements de grèves opportunistes, par exemple au seuil des vacances scolaires, ce qui exaspère à juste titre nos compatriotes.

Nous devons demeurer pragmatiques et ne pas flirter avec la répression d’un droit obtenu de haute lutte par les travailleurs.

Ce texte apparaît cohérent pour concilier l’exercice légitime du droit de grève avec le principe de continuité des services publics. Néanmoins, il nous faudra veiller à ce que ces dispositions ne dégradent pas concomitamment le droit des salariés et l’augmentation des durées des jours de grève.

Ce texte présente de nombreux avantages, mais aussi certains inconvénients : en limitant le droit de grève, nous prenons le risque de voir les périodes de grève autorisées s’allonger lorsque les négociations avec le patronat prendront du retard.

La limitation du droit de grève dans les transports publics doit rendre constant le dialogue social, et ce de manière effective. Il est anormal que les grandes entreprises publiques ne connaissent que la confrontation sociale, en lieu et place d’un dialogue de bonne qualité.

En résumé, le principe de garantir la continuité du service public, particulièrement lors des jours de forte affluence, est bénéfique et nous le soutenons. Néanmoins, nous devons demeurer vigilants quant aux droits des travailleurs et à l’expression de leurs revendications légitimes.

Les sénateurs du Rassemblement national sont favorables à ce texte dans son principe, mais il convient d’y inscrire des dispositions précises de limitation du droit de grève, au risque qu’il fasse l’objet d’une censure aussi bien constitutionnelle que sociale.