M. Loïc Hervé. Cela fait peur…

M. le président. La parole est à M. Vincent Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Vincent Louault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, les paysans vont mal, et ce n’est pas nouveau. Aujourd’hui, les paysans vont mal dans toute l’Union européenne, et ils manifestent partout.

Surtransposition, non-respect des normes sanitaires d’élevage par certains pays européens, coût de la main-d’œuvre déséquilibré, importations de blé dur russe, entré en Europe par la Turquie… Hélas ! la liste est longue, et même très longue. Le ras-le-bol du monde agricole et sa perte de compétitivité, c’est tout ça !

La colère est légitime face à cette triste réalité.

Balayons déjà devant notre porte entre États membres ! Nous ne sommes pas condamnés à l’impuissance. L’Union européenne peut, en effet, prendre des décisions très fortes, comme elle l’a déjà fait depuis la crise de la vache folle : identification des bovins, abattoirs aux normes, non-désinfection de la viande, filières construites avec des animaux engraissés sans hormones…

Toute filière d’importation doit être construite et contrôlée par l’Europe avant l’arrivée d’un kilo de viande sur le territoire, d’où qu’elle vienne.

Disons-le clairement : le bœuf aux hormones sur le territoire européen n’est pas possible aujourd’hui et ne le sera jamais. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mais certains, chez nous, préfèrent jouer sur une peur, celle d’un hypothétique futur grand remplacement du bœuf français par du bœuf canadien. De manière pernicieuse, une coalition s’est formée pour associer le Ceta au Mercosur. Or le Ceta n’est pas le Mercosur. Nous disons oui au Ceta, mais non au Mercosur !

Qu’est-ce donc que le Ceta, négocié sous François Hollande ? C’est l’export de fromages français, de spiritueux, de vins à haute valeur ajoutée pour nos producteurs et pour les consommateurs canadiens. C’est Alstom, qui a rénové le métro de Montréal et qui équipera demain le Grand Toronto de trains de banlieue, pour 118 millions de dollars. C’est l’importation de minerais stratégiques, qui réduit notre dépendance aux régimes autoritaires et dont notre souveraineté dépend. Qui, dans cet hémicycle, préfère importer des minerais ou du pétrole de la dictature de Poutine plutôt que de nos amis canadiens ?

Quand certains souhaitent fermer les frontières et se replier sur eux-mêmes, assumons d’être ouverts sur le monde et de commercer avec des partenaires de longue date. Renforçons nos liens, dans un contexte géopolitique plus que jamais incertain, avec un pays qui est notre ami, et je dirais même un frère.

Pour conclure, nos collègues communistes sont bien évidemment très malins de sortir du bois avec ce projet en pleine crise agricole et avant les élections européennes. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mais c’est aux collègues qui siègent sur les autres travées que je veux m’adresser directement. Mes chers collègues, c’est le paysan qui vous parle, l’éleveur de vaches limousines ! Après le vote, il y aura ceux qui auront fait le choix de l’émotionnel et de l’opportunisme, en utilisant le Ceta pour souffler sur les braises des souffrances des éleveurs, et il y aura ceux qui auront fait le choix du pragmatisme économique et de la cohérence avec leurs convictions politiques. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K. – Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Cadic. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie le président Marseille et mon groupe Union Centriste de me faire l’honneur de défendre aujourd’hui, devant vous, le choix de la majorité d’entre nous de ratifier le Ceta, cet accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne.

Relevant d’une compétence exclusive de l’Union européenne, cet accord est provisoirement entré en vigueur le 21 septembre 2017.

Près de sept ans plus tard, comme le ministre l’a brillamment rappelé, son bilan se révèle très positif pour l’Union européenne et pour la France : la quasi-totalité du commerce de biens industriels et manufacturés est exonérée de droits de douane, et nos exportations vers le Canada ont progressé d’un tiers.

Ainsi que mon collègue Daniel Fargeot l’a excellemment souligné, tous les secteurs sont gagnants : industrie, filières agricoles et agroalimentaires ou bien encore services. Je n’y reviens pas.

Le Canada est devenu un partenaire majeur pour notre souveraineté énergétique. Il nous facilite l’accès à des minéraux stratégiques présents sur son sol, sans droits de douane.

La chambre de commerce France-Canada rappelle que cet accord a permis de créer un espace économique sûr entre l’Europe et le Canada, avec des règles du jeu transparentes, stables et prévisibles. Au reste, il concrétise l’amitié entre l’Europe et le Canada.

À ce jour, dix-sept États de l’Union européenne ont ratifié l’accord : l’Allemagne, l’Autriche, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la République tchèque, la Slovaquie, la Suède et la Roumanie. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

À écouter nos rapporteurs, il faudrait rejeter le Ceta, en refusant de le ratifier aujourd’hui. Le Sénat n’a pas la capacité de faire tomber le Gouvernement. A-t-il la capacité d’annuler un accord européen déjà ratifié par l’Assemblée nationale et par deux tiers des pays européens ?

M. Didier Marie. À voir !

M. Olivier Cadic. La démocratie, ce n’est pas une minorité qui impose sa volonté !

M. Olivier Cadic. Ne pas ratifier le Ceta aujourd’hui aura surtout pour effet de discréditer notre pays auprès du Canada et de l’affaiblir sur la scène européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDPI.)

Telle est la volonté du groupe CRCE-K, car les communistes sont contre le libre-échange, qui serait, d’après eux, à l’origine d’une « mondialisation malheureuse » pour les peuples. Casser la mécanique européenne fait partie de leur logiciel, comme de celui de l’extrême droite. Ce n’est pas nouveau. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K. – Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)

Le revirement de nos collègues socialistes est plus troublant, car le Ceta a été signé sous la présidence de François Hollande. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

M. Olivier Cadic. Le président Kanner et plusieurs autres de nos collègues socialistes étaient alors ministres. Or pas une virgule n’a été changée dans cet accord entre sa signature par François Hollande et le texte dont nous discutons ce matin ! Qu’ils appellent aujourd’hui au rejet d’un texte signé hier par le gouvernement auquel ils appartenaient ne les grandit pas. (Mêmes mouvements.)

Le président du groupe d’amitié France-Canada est dans leurs rangs.

M. Emmanuel Capus. Quelle honte !

M. Olivier Cadic. Jacques Delors, réveille-toi, ils sont devenus fous ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Emmanuel Capus applaudit.)

À l’image de M. Jourdain, qui faisait de la prose sans le savoir, nos rapporteurs s’essaient au trumpisme. Ceta : un refus de la ratification, pour en finir avec la naïveté coupable de la Commission européenne, ce n’est pas là l’extrait d’un tract anti-européen : c’est le titre édifiant du rapport de la commission des affaires économiques, qui plombe le Ceta ! L’accord devient ici un bouc émissaire, bon pour l’abattoir.

Pour vivre en Angleterre, je connais ces tirades démagogiques et anti-européennes, qui s’appuient sur la désinformation. Ce sont celles des Brexiteurs !

Nos collègues républicains, qui vont s’allier aux communistes (Exclamations sur les travées du groupe CRCE-K.), pensent qu’ils pourront capitaliser sur les tensions du monde agricole lors du prochain scrutin européen. Ce faisant, ils trahissent tous ceux qui bénéficient du Ceta. Ils trahissent également les présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy,…

M. Max Brisson. Et Séguin ?

M. Olivier Cadic. … pour qui le Ceta était issu d’une volonté commune du Québec et de la France, à laquelle se sont ralliés le reste du Canada et celui de l’Union européenne.

Comme la majorité du groupe Union Centriste et dans l’intérêt supérieur de la France, je voterai en faveur de la ratification du Ceta, un accord qui a fait ses preuves. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. Bernard Fialaire et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe CRCE-K de soumettre enfin au Sénat la ratification du Ceta. Enfin !

Voilà cinq ans que nous demandons que cesse ce hold-up démocratique. Questions écrites, résolutions, interpellations… C’est à croire que votre gouvernement a peur du Parlement, monsieur le ministre ! Je n’oserais y penser…

Négocié sous Nicolas Sarkozy, poursuivi sous François Hollande, adulé par Emmanuel Macron : il en aura fallu du temps pour percevoir les effets délétères de ce traité !

Pour nous, le cap a toujours été clair : cela fait dix ans que les écologistes, dont mon collègue Yannick Jadot, se battent contre les aberrations de ce traité. Pourtant, c’est la première fois que notre chambre en est réellement saisie. Quelle hérésie démocratique !

Depuis plus de six ans, ce traité de libre-échange impliquant près de 500 millions de personnes s’applique à 90 %, alors même que dix pays de l’Union européenne, dont la France, ne l’ont pas ratifié. Pire, nous ne savons même pas si un rejet de cet accord entraînera réellement une dénonciation de celui-ci par le Gouvernement. Un tel mépris du Parlement sur un sujet aussi important est inacceptable.

Mais, puisque cet accord s’applique, tirons-en un premier bilan. C’est ce qu’a fait l’Institut Veblen en janvier dernier. La conclusion est sans appel : le Ceta est une catastrophe pour le climat, la santé humaine et la souveraineté des États. Comme tant d’autres accords de libre-échange, il soumet notre économie à une concurrence déloyale, particulièrement en matière agricole, et il inféode la France à la loi des multinationales.

Commençons par le bilan économique. Alors que la Commission européenne nous promettait de vastes débouchés à l’exportation et 700 000 emplois soutenus par les exportations vers le Canada, les données disponibles montrent une tout autre réalité. Selon Eurostat et la direction générale au commerce de la Commission européenne, la part des emplois européens liés aux exportations est globalement stable, à l’échelon tant européen que national. Il en va de même pour la part touchant les PME, alors que les négociateurs leur avaient fait miroiter de vastes marchés. Seuls quelques secteurs tirent leur épingle du jeu à l’export, comme l’industrie automobile, l’industrie pharmaceutique et le nucléaire.

Pour ce qui est des importations, nous achetons deux fois plus d’engrais au Canada qu’avant l’entrée en vigueur de l’accord, et les achats de minerais ont également fortement augmenté. Pourtant, certains parlent encore de « souveraineté »…

Surtout, les importations de pétrole issu de schistes bitumineux, c’est-à-dire issu de sable visqueux, ont augmenté de 50 %. Rappelons que ces hydrocarbures sont trois à quatre fois plus polluants que le pétrole conventionnel, et que leur extraction consomme une quantité astronomique d’eau et de produits chimiques ! (M. Didier Marie approuve.) L’exploitation de cette ressource est une véritable barbarie environnementale : des forêts entières sont rasées ; des lacs, des cours d’eau et des rivières sont pollués à jamais.

En 2020, devant la Convention citoyenne pour le climat, le Président de la République lui-même s’est dit prêt à abandonner le Ceta si celui-ci ne respectait pas l’accord de Paris. Il faut maintenant passer de la parole aux actes ! (M. Guy Benarroche applaudit.)

Sur le volet agricole, cet accord est l’exemple parfait de la concurrence déloyale dénoncée par les agriculteurs. Comme l’indique le rapport Schubert remis en 2017 au Gouvernement, dont les conclusions restent valides, le Canada continue d’autoriser nombre de pratiques interdites ou plus limitées en Europe. Le bétail est ainsi couramment alimenté avec des farines animales, cause possible de la maladie de la vache folle, ou bien avec du maïs et du soja génétiquement modifiés. Les quantités de résidus de pesticides sont également bien supérieures aux seuils autorisés sur notre continent. C’est le cas pour la filière légumineuse, particulièrement touchée par la fin des droits de douane. L’usage des antibiotiques, facteur de croissance, est généralisé, au mépris du bien-être animal et de la lutte contre l’antibiorésistance.

Alors que l’Union européenne et la France mettent en place, à juste titre, des réglementations plus ambitieuses en matière agricole, comment pouvons-nous autoriser de telles importations ?

Monsieur le ministre, vous nous parlerez sans doute des fameuses clauses miroirs. Parlons-en ! Pour l’instant, c’est surtout le Canada qui fait pression pour que nous baissions nos standards. Il a porté plainte devant l’OMC, en 2019, contre les nouvelles règles européennes sur les pesticides et, en 2023, contre l’interdiction des produits contenant deux néonicotinoïdes interdits en Europe. Puis, toujours en 2023, il a demandé un report de l’interdiction d’importation du bétail gavé aux hormones de croissance.

Enfin, une ratification du Ceta entraînerait l’application de son dernier volet, peut-être le plus dangereux, celui de la protection des investissements, qui permet à des multinationales s’estimant lésées par une loi d’attaquer un État devant un tribunal d’arbitrage privé. Ces recours viennent notamment de groupes engagés dans les énergies fossiles, contre des décisions de fermeture de centrales à charbon ou de fermeture de forages d’hydrocarbures. Pire, la menace des amendes peut conduire les États à renoncer à changer leurs lois jusqu’à vingt ans après la sortie de l’accord, en vertu d’une clause de survie.

Alors, loin des caricatures, monsieur le ministre, et cohérents avec nos convictions – nous sommes opposés non pas aux échanges, mais au libre-échange, à la dérégulation et au libéralisme destructeur –, les écologistes voteront « oui » au Canada, mais résolument « non » au Ceta. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K. – M. Rémi Féraud applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, enfin ! Nous y sommes.

Après de multiples questions écrites et orales posées par des membres de notre groupe, comme par des sénateurs issus de toutes les travées, dont le rapporteur pour avis Laurent Duplomb, après un débat, en 2018, sur le bilan économique et les répercussions du Ceta, inscrit à l’ordre du jour, déjà, sur l’initiative de notre groupe, après une résolution adoptée ici à l’unanimité, en 2021, vous invitant, monsieur le ministre, à poursuivre la ratification, après sept longues années d’attente, le Sénat va enfin pouvoir se prononcer sur le projet de ratification de l’accord commercial entre le Canada et l’Union européenne. Mes chers collègues, cela est déjà une première victoire démocratique pour notre assemblée.

En effet, ce texte n’a pas été inscrit à l’ordre du jour par votre gouvernement, monsieur le ministre, mais, fait inédit, par un groupe politique d’opposition et minoritaire, en l’occurrence le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Nous l’avons fait, car nous refusons ce déni démocratique.

Ce traité, imaginé dans les années 1990, négocié en toute opacité dans le troisième sous-sol de la Commission européenne pendant une décennie, sans que jamais – j’y insiste, monsieur le ministre – le mandat de négociation soit rendu public, devait, après sa mise en application provisoire en 2017, être ratifié par les Parlements nationaux. Dix-sept l’ont déjà fait, dont le Parlement allemand l’an dernier.

Pour notre part, nous n’avons pas eu cette chance. En effet, après l’avoir fait ratifier de justesse, au cœur de l’été 2019, par l’Assemblée nationale, où vous aviez alors une majorité écrasante, vous avez toujours refusé d’inscrire ce texte à l’ordre du jour du Sénat. Vous en êtes d’ailleurs personnellement responsable, car, pendant dix-huit mois, vous avez été ministre chargé des relations avec le Parlement.

Pourquoi ce refus ? Parce que vous aviez peur de perdre le vote, comme aujourd’hui. Voilà la réalité !

Monsieur le ministre, n’ayez pas peur. Le débat argumenté et le vote sont la base de la démocratie. Je sais que vous considérez le Parlement comme un obstacle, et que celui-ci devrait simplement valider vos choix et ne jamais vous contredire. Si vous êtes sûr de gagner, vous allez jusqu’au vote. Si vous pouvez perdre, vous refusez le débat et le vote. Telle est votre conception de la démocratie !

M. Fabien Gay. Après avoir recouru au 49.3 pour imposer la réforme des retraites, refusée par la majorité des Français, après avoir pris des ordonnances tendant à couper 10 milliards d’euros dans les dépenses publiques un mois et demi seulement après le vote du budget par le Parlement, vous avez décidé de ne pas inscrire l’examen de ce projet de loi à l’ordre du jour, alors que l’accord s’applique déjà de façon provisoire.

Chacun connaît notre position sur ce traité. C’est un traité climaticide et obsolète, car le réchauffement climatique nous impose de revoir nos modes de production et de consommation. C’est un traité qui instaure une concurrence déloyale pour nos agriculteurs, car les clauses miroirs, malgré vos mensonges, ne figurent pas dans les 2 344 pages du traité et ne sont aujourd’hui qu’un mirage. C’est un traité qui met en place les tribunaux arbitraux privés, juridictions supranationales devant lesquelles les multinationales pourront faire condamner les États si elles considèrent que les lois ont un impact négatif sur leurs investissements. Enfin, c’est un traité qui aura un impact sanitaire sur nos vies, avec les bœufs nourris aux hormones, le soja dopé aux organismes génétiquement modifiés (OGM) ou encore le gaz de schiste. (M. Emmanuel Capus sexclame.)

J’invite mes collègues à bien se rappeler que, quel que soit le vote qu’ils exprimeront, celui-ci n’aura été possible que parce que nous avons proposé l’examen de ce texte et que, malgré les multiples pressions pour nous faire reculer, voire échouer, nous avons repris la main collectivement sur l’exécutif, qui voulait, jusqu’il y a encore quelques jours, retirer le texte de l’ordre du jour. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Loïc Hervé. La belle affaire…

M. Fabien Gay. Chers collègues, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, qui n’a que deux niches par an, a fait le choix d’inscrire à l’ordre du jour un texte avec lequel il est en désaccord, prenant le risque – je le redis – que le vote final soit contraire à notre position, à nos combats et à notre vision de la mondialisation.

Nous l’avons fait, car nos institutions comptent deux chambres, dont le Sénat, et parce qu’il est temps que le processus démocratique soit enfin respecté et complet.

Et nous l’avons fait, car il est temps que ces traités de libre-échange qui ne sont débattus qu’à huis clos le soient désormais par la représentation nationale, pour que la voix des Français soit enfin respectée. Quant à nous, nous respecterons le vote de notre assemblée.

J’ai une dernière question, monsieur le ministre : votre gouvernement respectera-t-il le vote du Sénat ? Il se murmure déjà, dans les couloirs feutrés des ministères, que vous envisagez de ne pas transmettre le texte à l’Assemblée nationale pour éviter un nouveau débat. Est-ce vrai ?

M. Didier Marie. Ce n’est pas possible !

Mme Audrey Linkenheld. Quand même pas !

M. Fabien Gay. Mes chers collègues, j’espère que, ensemble, quel que soit notre vote, nous refuserons ce nouveau déni démocratique. J’ose même parler de « coup de force » !

Monsieur le ministre, vous devez vous engager, dès maintenant, avant le vote,…

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Fabien Gay. … à transmettre à l’Assemblée nationale le texte tel qu’il sortira de la séance, de manière que le débat et le vote y aient lieu le plus rapidement possible.

Intervenant dans le cadre de l’espace réservé de notre groupe, j’irai jusqu’à la fin de mon propos.

M. Emmanuel Capus. Et le temps de parole ?

M. Fabien Gay. Ce coup de force, s’il avait lieu, s’apparenterait à un nouveau 4 février 2008, jour où le Congrès a ratifié le traité de Lisbonne, contrevenant ainsi au vote populaire de 2005, défavorable au traité constitutionnel.

Monsieur le ministre, j’ai une dernière chose à vous dire. (Marques dimpatience sur des travées des groupes UC et INDEP.)

M. le président. Il faut conclure.

M. Fabien Gay. Je conclus, monsieur le président.

Monsieur le ministre, vous nous avez accusés d’un coup politique. Mais nous ne sommes pas un club de belote ! (Sourires.) Par conséquent, nous faisons ce pour quoi nos électeurs nous ont élus : un choix politique et un vote.

Mes chers collègues, bon vote à toutes et à tous ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, enfin ! Enfin, nous allons pouvoir nous prononcer sur le Ceta.

En effet, pendant plus de sept ans après sa signature, nous avons assisté à un déni total de démocratie.

En 2017, un Ceta provisoire a été mis en place en France, car le Canada avait exigé que l’on n’attende pas la validation des Parlements nationaux.

En 2019, seule l’Assemblée nationale a voté sur le texte, par cinquante-quatre voix d’avance, et le provisoire a duré… C’est nier le Sénat et nier le bicamérisme. Pourquoi la Haute Assemblée a-t-elle ainsi été privée de vote ? Est-ce parce que son vote dérange ?

Je veux remercier très sincèrement notre collègue Fabien Gay et le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, qui, en 2021, ont mis sous les projecteurs cette situation grotesque en déposant une proposition de résolution. Aujourd’hui, ils vont plus loin, en inscrivant l’examen de ce projet de loi dans le cadre de leur niche parlementaire.

Après six ans, il est possible de tirer un bilan. Celui-ci est très bon pour les uns, fragilisant pour les autres. Il faut donc voir l’intérêt global de la France, mais surtout identifier l’ensemble des enjeux, qu’ils soient économiques, environnementaux, sociétaux ou de santé publique.

En matière économique, depuis 2017, les exportations françaises vers le Canada ont augmenté de 33 %, mais les importations ont augmenté de 35 %, pour un effet neutre, voire légèrement négatif sur notre solde commercial avec ce pays, encore loin d’exploiter pleinement tous les quotas octroyés par l’accord, contrairement à l’Europe.

Je veux rester objectif, car les membres du groupe RDSE sont partagés sur le Ceta. Nous ne pouvons négliger le fait que celui-ci est aussi un catalyseur des échanges européo-canadiens dans certains secteurs, comme le textile, la chimie, les produits manufacturés, les biens et services ou encore les vins et spiritueux.

Alors que l’Europe travaille à la diversification de ses sources d’approvisionnement, les industries canadiennes de l’aluminium, du fer, du nickel et du cuivre profitent de la suppression des barrières tarifaires. Il est indéniable que cela permet à l’Union européenne de moins dépendre des marchés russe et chinois.

Parlons maintenant de ce qui fâche.

Les concessions de la Commission européenne sont en complète contradiction avec le Pacte vert. Ainsi, le Ceta s’accommode de ce qui constitue plusieurs sujets de préoccupation majeurs pour notre agriculture : les protéines animales transformées, non autorisées en Europe, les farines animales, non autorisées en Europe, ou encore les 41 substances actives phytosanitaires, non autorisées en Europe.

Une autre concession est l’absence de garantie qu’aucune viande aux hormones ne sera exportée vers l’Union européenne, liée à la défaillance avérée des contrôles sanitaires canadiens, démontrée par deux audits de la Commission européenne, en 2019 et en 2022. Quant à l’interdiction de l’importation d’animaux nourris aux antibiotiques simulateurs de croissance, il faut se contenter, pour toute garantie, d’une attestation sur l’honneur du vétérinaire, sans contrôle lié.

Monsieur le ministre, alors que nous traversons une crise agricole sans précédent et que les clauses miroirs ont été l’une des revendications des filières, notamment celle de la viande, comment pouvez-vous assumer de telles importations quand tout le monde sait que les contrôles sont impossibles ?

Enfin, je rappelle que l’article 44 de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim) interdit la vente de produits agricoles ou de denrées alimentaires qui ne sont pas autorisées à la production ou à la vente en France. Certes, l’interdiction porte sur la vente, et non sur l’importation. Mais comment est-il possible que ces denrées finissent par être vendues en France ?

Comme notre collègue Annick Girardin l’a souligné lors de la séance de questions au Gouvernement du 6 mars dernier, l’article 1.3 du Ceta reconnaît explicitement la zone économique exclusive (ZEE) et le plateau continental du Canada, tels qu’ils sont définis dans le droit interne canadien. Dans la mesure où aucune disposition équivalente n’existe concernant la ZEE et le plateau continental des États membres de l’Union européenne, l’absence de toute réserve ou de déclaration interprétative risquerait, à l’évidence, de constituer un abandon de prétention française légitime dans la zone, pour ce qui est tant de la ZEE que du plateau continental.

Par conséquent, monsieur le ministre, il est urgent de confirmer aujourd’hui devant le Sénat que des travaux sont en cours pour corriger cette défaillance !

Compte tenu du vote intervenu en commission, nous savons qu’une large partie de notre assemblée risque de s’opposer au Ceta. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, même certains de nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui, à une époque, avaient soutenu l’accord, ont changé d’avis.

Nous nous interrogeons : comment agira le Gouvernement ? Sa position risque d’être délicate. Convoquerez-vous une commission mixte paritaire ? Allez-vous envoyer le texte en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, ou assumerez-vous de ne pas l’inscrire à son ordre du jour et, ainsi, de ne rien faire ?

M. Didier Marie. Bonne question !

M. Henri Cabanel. Vous savez bien que, dans un contexte exacerbé de mal-être des agriculteurs et de forte pression sociétale, ce texte ne fera pas l’unanimité.

Il faut avoir le courage de déplaire à certains pour répondre à des enjeux plus élevés, qu’ils soient économiques, environnementaux ou de santé publique.

Le vigneron que je suis, et dont la filière est bénéficiaire, ne peut accepter qu’un accord génère des gagnants et des perdants. Pour notre souveraineté alimentaire, toutes les filières de notre agriculture doivent être solidaires. Pour moi, tout accord doit être gagnant-gagnant, ce qui, à mon avis, n’est pas le cas du Ceta. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE, CRCE-K et GEST.)