M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi en premier lieu de souhaiter la bienvenue aux élèves de la 31e promotion de l’École de guerre qui sont en présents dans nos tribunes. Parmi eux, il y a un Omanais, un Américain et un Ukrainien, que je salue également.

L’avis de la commission des affaires étrangères et de la défense sur ce texte, qui – cela a été rappelé à plusieurs reprises par le rapporteur Dominique de Legge – émane de ses travaux, est forcément favorable.

Depuis 2020, notre commission a alerté, en particulier par la voix de Pascal Allizard, auteur de cette proposition de loi, sur les difficultés de financement de notre industrie de défense.

Nous avions proposé dans la loi de programmation militaire de créer un nouveau livret d’épargne. Réécrit en commission mixte paritaire, le dispositif avait pris la forme d’un fléchage d’une partie des encours de l’épargne réglementée. Réintroduit par un amendement de nos collègues députés dans le dernier projet de loi de finances, il avait même été retenu dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité.

Si nous en rediscutons aujourd’hui, ce n’est donc pas du fait d’un désaccord entre les assemblées ou entre le Parlement et le Gouvernement. C’est parce que le Conseil constitutionnel a considéré que ce dispositif n’avait sa place ni en LPM ni en loi de finances.

L’analyse selon laquelle le dispositif de financement des entreprises de la défense n’avait aucun lien, même indirect, avec le chapitre de la LPM consacré à « l’économie de guerre » laisse songeur. Mais telle a été la décision du Conseil constitutionnel.

Revenons-en au fond. Quel est au juste le problème de financement de notre BITD ? Il comporte deux volets. Le déficit de fonds propres est le mieux documenté.

En un mot, l’écosystème de financement est faible, car les investisseurs connaissent mal le secteur et craignent de s’y intéresser. Mais nos entreprises, surtout les plus petites d’entre elles, rencontrent aussi des difficultés d’accès au crédit.

Parce que le problème n’est pas facile à mesurer, il est nié, à la fois par le secteur bancaire, par la direction générale du Trésor et par la Banque de France. Mais la difficulté n’en est pas moins réelle.

La « frilosité bancaire » à l’égard de la défense est attestée depuis 2020 par la DGA, par les industriels eux-mêmes, par au moins deux rapports de l’Assemblée nationale et du Sénat et, dernièrement, par la Cour des comptes.

Comment y remédier ?

Soit par un produit s’apparentant à l’épargne réglementée, c’est-à-dire liquide et connue pour cela des Français. Ce serait un moyen commode de financer les besoins de court terme des entreprises.

Soit par un produit spécifique soutenant l’investissement en fonds propres par l’acquisition de titres. Cela répondrait à un problème mieux identifié, mais par un placement moins liquide et plus risqué, donc destiné à un public d’épargnants plus choisi et désireux de financer ce secteur.

La première solution, celle du livret A, a déjà été validée deux fois par le Parlement, dans la LPM et dans le PLF. C’est la plus à même de s’attaquer au problème commun à toutes les difficultés de financement, c’est-à-dire à la conformité excessive du monde financier aux critères d’investissement responsable, les fameux critères ESG.

Comme l’a souligné en commission le rapporteur Dominique de Legge, dont je salue le travail et que je remercie de son écoute attentive et de son implication pour trouver des solutions efficientes, aucune norme, aucune taxonomie, aucun écolabel ne mentionne la défense. C’est donc largement du fait d’un halo négatif entourant le secteur que le monde financier rechigne à y investir ou que telle caisse régionale refuse, par crainte pour sa réputation, d’ouvrir un compte à une start-up.

Disons-le très clairement : dans un contexte géopolitique qui ne cesse de se dégrader, cet implicite négatif sape l’effort de redressement de notre outil de défense ! Faire de la BITD une priorité dans l’allocation de l’épargne préférée des Français serait un signal fort à l’attention des acteurs de la finance.

Pour remédier au problème de l’apport en fonds propres, il faut structurer le secteur et faire évoluer la doctrine de la BEI, afin d’entraîner la communauté des investisseurs.

Le texte a parfois suscité des craintes infondées.

Tout d’abord, la menace pesant sur le financement du logement social est tout simplement inexistante, puisque les encours visés sont ceux qui ne sont pas centralisés à cette fin à la Caisse des dépôts.

Ensuite, un autre risque parfois invoqué est celui de la décollecte, au motif que les épargnants pourraient être réticents à financer la production d’armes.

M. Pascal Savoldelli. Eh bien oui !

M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis. Nous en avons déjà parlé lors de l’examen de la LPM : rien ne permet d’étayer cette crainte,…

M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis. … et l’objet du texte est précisément de banaliser l’idée même d’investir dans la défense.

Mes chers collègues, nous ne pouvons pas laisser la compliance bancaire empêcher davantage notre industrie de la défense de se développer. L’heure est grave. On nous parle d’économie de guerre, de 200 000 emplois directs, de 4 000 PME et ETI sur le territoire national dans nos territoires. Aussi, donnons à notre BITD les moyens de se développer. Faisons de notre défense et de notre sécurité notre priorité !

La commission des affaires étrangères et de la défense soutient donc fermement cette initiative. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi s’adresse aux entreprises de l’industrie de la défense française et cherche à améliorer leur financement au travers du fléchage d’une partie des ressources collectées au titre du livret A et du LDDS vers ces entreprises.

Soyons clairs, si nous partageons l’objectif, l’instrument ne nous semble pas être le plus approprié.

Le Gouvernement est très attentif aux besoins de financement du secteur de la défense. Ils sont importants et croissants. Depuis 2020, plusieurs rapports parlementaires et courriers ou sollicitations majeures d’industriels interpellent sur des difficultés récurrentes de financement rencontrées par l’industrie de défense, en particulier pour les PME et ETI de la BITD.

Face à ces alertes, le Gouvernement a mobilisé les services de l’État pour identifier les freins au financement du secteur. En septembre dernier, des « référents défense » ont été mis en place pour mettre en contact, via le ministère des armées, des banques françaises avec les entreprises de la BITD rencontrant des difficultés pour obtenir un crédit.

Un travail en profondeur a également été mené par la direction générale du Trésor auprès des industriels comme des banques, pour établir un diagnostic des freins existants. Les conclusions de ces travaux sont, me semble-t-il, assez éclairantes.

Les difficultés rencontrées par certaines entreprises de la BITD pour obtenir un crédit bancaire ne sont, dans la plupart des cas, pas liées au fait que l’entreprise appartienne au secteur de la défense. Certaines ont rencontré des difficultés pour obtenir un crédit. Mais, d’après les études dont nous disposons et le travail en profondeur de la direction générale du Trésor, c’est majoritairement pour des raisons économiques, et non par discrimination du fait de leur appartenance au secteur de la défense.

En revanche, il apparaît très clairement que les difficultés sont bien plus importantes pour les PME de la BITD quand il s’agit d’accéder au financement en fonds propres. En tant que ministre déléguée chargée des entreprises, je reconnais là un mal chronique du financement de nos entreprises.

Ainsi que cela a été souligné, le capital investissement français est bien trop peu présent dans le secteur de la défense.

Le cœur du problème semble donc être plutôt là : les banques – certes, il y a toujours des exceptions – suivent majoritairement les PME qui ont des projets, mais les capitaux, eux, ne sont pas aussi facilement disponibles, voire sont indisponibles.

Pour augmenter des capacités de production, pour passer en mode « économie de guerre », il faudra clairement plus de capitaux.

Cette absence de l’investissement privé dans les PME et ETI de la défense s’explique principalement par la grande méconnaissance qu’ont de ce secteur les investisseurs. Ils ne connaissent pas assez bien les dispositifs de contrôle à l’export et surestiment les risques réputationnels liés à cette industrie.

Comme cela a été mentionné, certains font aussi une interprétation très, voire trop extensive des critères ESG, alors que – je le rappelle très clairement – aucune réglementation européenne ou française n’exclut le secteur de la défense ; le Gouvernement y est particulièrement vigilant.

Toutefois, pour reprendre vos termes, monsieur le rapporteur pour avis, il y a un « implicite » et un « halo négatif » qui rendent les financements de plus en plus difficiles. Nous avons par exemple récemment obtenu que les matériels de guerre soumis au contrôle à l’export ne soient pas soumis aux dispositions de la directive sur le devoir de vigilance.

Face à de tels constats, le fléchage de l’épargne réglementée ne nous semble pas être la solution adaptée pour améliorer le financement de l’industrie de défense.

Tout d’abord, parce que flécher les emplois du livret A et du LDDS vers la BITD ne résoudrait pas nécessairement le problème d’accès à des financements en fonds propres, étant donné que les obligations d’emplois concernent des prêts et que, vous le savez, les dépôts des Français, disponibles à tout moment, ne peuvent être immobilisés dans des investissements en fonds propres.

Ensuite, permettez-moi de rappeler à votre sagacité que le bilan des banques est fongible. L’ensemble des ressources des banques financent l’ensemble des emplois, et ces établissements ne sont pas en mesure d’affecter directement un dépôt à des usages spécifiques. Compte tenu du fait que l’industrie de défense est un petit secteur très spécifique, flécher une partie de l’encours de l’épargne réglementée vers elle ne répondrait pas aux besoins de dispositifs sur mesure.

Néanmoins, soyons clairs : ainsi que vous l’avez compris, je pense, le Gouvernement accueille favorablement la volonté du Sénat d’envoyer le signal fort sur les besoins de financement des PME de la défense.

De ce point de vue, nous sommes favorables au principe d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur le diagnostic, sur les solutions envisagées au niveau national et sur notre action à l’échelon européen, et l’article 2 de la proposition de loi issue des travaux en commission est parfaitement légitime.

En revanche, l’article 1er, pour les raisons que je viens d’exposer, ne me semble pas permettre de mieux financer directement les PME de la BITD et me paraît comporter des inconvénients très importants pour les équilibres de l’épargne réglementée.

C’est pourquoi le Gouvernement adoptera une position de sagesse sur cette proposition de loi dans son ensemble, en espérant et en faisant en sorte qu’un travail collaboratif pendant le reste de l’année 2024 permette d’améliorer le texte dans le cadre du débat parlementaire.

Sur le fond, le Gouvernement souhaite poursuivre les efforts pour améliorer l’accès aux financements en fonds propres, qui sont lacunaires.

Le ministre de l’économie entend tout d’abord réunir à l’été, en lien avec le ministre des armées, les acteurs financiers, mais aussi les investisseurs et les industriels de la défense, pour un événement majeur sur le financement du secteur de la défense et l’augmentation des fonds propres de nos PME.

L’objectif sera de lever les préventions des gestionnaires de fonds, mais aussi de lancer un forum permanent entre acteurs financiers de la place et industriels de la défense. Nous pensons que la Caisse des dépôts et consignations, mais également Bpifrance, aura un rôle particulier à jouer en la matière.

Par ailleurs, nous poursuivrons l’action entreprise depuis 2017 à la BEI, pour qu’elle finance plus fortement l’effort de souveraineté européen, qui a déjà pris de l’ampleur sur les projets avec composante duale.

Il convient de saluer le lancement en janvier 2024 par le FEI, bras armé en capital de la BEI, d’un mécanisme de fonds propres dans le domaine de la défense, doté de 175 millions d’euros, même s’il conserve clairement des limitations très, voire trop importantes. Pour que le groupe BEI fasse davantage dans ce secteur, il faudra faire évoluer sa politique de prêts. Vous le savez, cela nécessite un consensus fort de la part de tous les États actionnaires, consensus qui n’existe pas encore aujourd’hui.

L’arrivée d’une nouvelle présidente à la tête de la BEI nous donne l’occasion de porter la modification de la liste d’exclusion et de l’assouplissement des critères d’éligibilité des entreprises. Bruno Le Maire, qui est le gouverneur français pour la BEI, a bien cet élément en tête.

Enfin, le Gouvernement entend aussi mener une revue des dispositifs publics qui soutiennent l’accès aux fonds propres de nos PME et ETI de la défense. Là où il sera nécessaire et utile de les renforcer, nous proposerons de le faire, afin de catalyser plus d’investisseurs privés vers ce secteur primordial.

Sur tous ces travaux, le Gouvernement prend l’engagement clair de revenir vers le Parlement pour un point d’étape exhaustif avant l’été, ce qui n’empêche nullement d’échanger d’ici là. Mais, soyez-en assurés, tous les travaux auront été entamés d’ici à l’été prochain.

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui n’est en réalité pas nouveau, mais sa genèse en dit long sur l’intention de ses auteurs.

Apparu pour la première fois sous forme d’amendement à la loi de programmation militaire, il a été adopté par le Parlement, puis retoqué par le Conseil constitutionnel. Revenu sous forme d’amendement au PLF pour 2024, il a de nouveau été retoqué par le Conseil constitutionnel. Cette double tentative de cavalier législatif n’est pas anodine : c’est le symptôme d’une volonté de passer en douce, par effraction, pour faire main basse sur l’épargne populaire des Français.

Oui, nous assistons aujourd’hui à une tentative de flibusterie sur l’épargne réglementée. Vous souhaitez utiliser les encours non centralisés du livret A et du livret de développement durable et solidaire pour financer la BITD. Pour le dire simplement : financer les marchands de canons en prenant dans les livrets avec lesquels les Français pensaient financer le logement ou le développement durable !

L’industrie de défense est-elle au bord du gouffre ? La loi de programmation militaire adoptée voilà quelques mois prévoit un effort sans précédent, avec 413 milliards d’euros de budget pour les armées d’ici à 2030.

Notons que l’État a des participations dans la BITD, via l’agence des participations de l’État – cela représente tout de même 30 % de son portefeuille –, et que Bpifrance et la Caisse des dépôts ont également déjà des participations dans le secteur.

Notons également qu’il existe de nombreux fonds d’investissement publics ou privés et que l’État a mis en place de nombreux fonds dédiés, comme le régime d’appui à l’innovation duale (Rapid), l’accompagnement spécifique des travaux de recherches et d’innovation défense (Astrid) ou le fonds innovation défense (FID).

Notons enfin la création de l’AID, avec son guichet destiné à structurer la filière innovation défense.

Le résultat ? Une grande dynamique des commandes à l’export : 27 milliards d’euros en 2022, un chiffre inégalé !

Plus structurellement, le secteur de la défense a connu les mêmes évolutions que le reste de la sphère privée du pays : privatisation, financiarisation, recherche accrue du profit. La différence majeure avec les autres activités – chacun pourra le constater – est que le secteur reste biberonné de manière intense par la commande publique, notamment via la direction générale de l’armement.

Alors oui, malgré ce soutien massif, il subsiste, c’est vrai, un problème de financement. Il se situe, pour les entreprises de défense, dans le passage du stade de start-up à celui d’ETI ou de grand groupe. Et c’est ce que la proposition de loi prétend résoudre.

Toutefois, mes chers collègues, s’il y a un problème à ce sujet, c’est parce que l’investissement privé fait défaut. Ce sont les banques qui sont frileuses, principalement parce que l’industrie de défense n’est pas une activité qui entre dans les critères ESG. C’est donc avant tout un problème d’image et d’éthique, qui doit se régler avec les banques.

Pourquoi, si même les banques et les investisseurs privés sont réticents, serait-ce à l’épargne réglementée des Français de combler les trous ?

On a beaucoup parlé aussi des technologies duales, pour souligner les bénéfices apportés par le secteur de la défense. Mais si, dans les années 1950, la défense était le leader de l’innovation, avec 60 % du total des technologies portées à maturité du pays, le chiffre est tombé à 20 % aujourd’hui. C’est en fait l’inverse qui se passe ; ce sont les technologies civiles qui irriguent le secteur de la défense, dans le domaine des matériaux, de l’intelligence artificielle (IA) et de l’énergie. Dire qu’il y a un besoin vital de soutenir l’innovation défense pour le pays est donc globalement faux.

Rappelons que le livret d’épargne a été créé en 1818 pour reconstruire le pays après les ravages causés par les guerres napoléoniennes. Oui, le boucher de l’Europe à l’époque était français ! On est donc dans un esprit diamétralement inverse à celui de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui : il s’agit historiquement d’un outil financier créé par et pour la paix.

L’objectif principal du livret A, connu de tous, celui pour lequel ce produit reste populaire, c’est de financer le logement social. S’il faut réformer ou ajuster, il faut le faire vers l’augmentation de la recentralisation des encours pour soutenir ce secteur, au vu de la crise du logement que traverse le pays.

S’il y a une ouverture sur les encours, nous estimons bien plus urgent de flécher ceux-ci vers le logement plutôt que vers les marchands de canons.

Enfin, plus grave, le LDDS, qui finance la transition écologique, n’a rien à voir avec la défense et l’armement. Je répète ce que j’ai dit en commission : il s’agit d’un détournement de l’épargne des Français et d’une arnaque pure et simple, qui table sur l’ignorance de la population.

À ce titre, outre la suppression de l’article 1er, nous vous proposerons de renommer le LDDS, en précisant clairement sa nouvelle nature militaire. Vous en conviendrez, il y aurait tromperie sur la marchandise si nous gardions le titre actuel. Nous vous proposerons aussi une clause de revoyure, afin d’examiner le dispositif dans deux ans.

Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vos motivations sont quelque peu confuses. Parmi vos arguments figure en effet le conflit en Ukraine. Si l’enjeu est de soutenir l’effort de guerre ukrainien, alors il faut le dire et instaurer une clause de revoyure au regard de la situation sur place.

Nous en sommes convaincus : l’épargne réglementée des Français doit avoir comme seuls objectifs des objectifs vitaux pour le pays, à savoir loger les Français et faire face à la crise climatique. C’est pourquoi nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dès le 13 juillet 2022, le Président de la République Emmanuel Macron utilisait l’expression d’« économie de guerre ». À l’époque, il était inimaginable d’envisager l’envoi de troupes en Ukraine, comme d’engager la Nation dans l’ultime étape d’une escalade guerrière.

C’est dans ce contexte que se manifeste la volonté des droites, à l’Assemblée nationale et au Sénat, de mobiliser l’épargne des Français et des Françaises en faveur du financement des industries de défense et d’armement.

Dans notre histoire, les gouvernements ont déjà tenté de lancer des emprunts dits « patriotiques ». Financer la guerre au travers de souscriptions populaires est une vieille idée.

Avant la Première Guerre mondiale, le Gouvernement mobilisa l’épargne des capitalistes afin de financer l’effort de défense, au prix, bien évidemment, d’avantages considérables. Les « bons de la Défense nationale » ont permis au ministre des finances de l’époque d’affirmer devant la Chambre des députés, le 18 mars 1915 : l’argent « ne sort pas des coffres-forts ; il sort des plus humbles maisons, des plus petits porte-monnaie. Nous connaissons là nos clients ». Vous en conviendrez, on croirait davantage entendre un marchand de canons qu’un ministre.

Le député Christophe Plassard, auteur d’une proposition de loi identique à celle dont nous discutons, ne dit pas autre chose dans son rapport d’information : « L’économie de guerre inclut nécessairement une mobilisation des forces morales de la Nation. » La formulation est différente, mais la conclusion est la même.

Nous, pacifistes, le savons pourtant : on ne finance pas la paix en investissant dans la guerre. La guerre devient progressivement un marché privilégié, sans véritable maîtrise démocratique. Il nous faut non pas une industrie au service d’une guerre internationale, mais une industrie de défense et de dissuasion. Nous devons répondre aux stricts besoins de défense de notre territoire national, de nos armées et de nos services de renseignement.

Le projet guerrier sous-tendu par la marchandisation et la spéculation sur les ventes d’armes a fait de notre pays le troisième exportateur d’armes au monde, pour un montant de 49,9 milliards d’euros entre 2000 et 2022. Nous proposons de réduire la part du chiffre d’affaires à l’export de nos entreprises de défense à 30 %.

La souveraineté ne se décrète pas ; elle se construit sur un projet politique cohérent. C’est la raison pour laquelle nous proposons la mise en place d’un pôle public de l’armement, en renforçant les prises de participation dans des TPE-PME de la base industrielle et technologique de défense. Cela doit d’abord se faire via le bras financier de l’État, Bpifrance, en augmentant les crédits des fonds récemment créés, afin de permettre la prise d’une participation minoritaire, voire majoritaire si nécessaire.

Nous souhaitons également que la commande publique de la direction générale de l’armement irrigue davantage nos TPE-PME de la défense. Il n’est pas acceptable qu’en 2021, sur les 24 milliards d’euros d’achats du ministère des armées, seuls 11,74 milliards d’euros de commandes publiques aient bénéficié à notre industrie. Pire, les microentreprises et les PME industrielles n’ont capté que 538 millions d’euros.

La sous-traitance en cascade dilue les responsabilités et prive les TPE-PME de la valeur ajoutée ; c’est également vrai dans le secteur de la défense. Quoi de mieux que de produire et de vendre pour financer ses investissements ? L’argument de la frilosité des banques n’a par ailleurs jamais été démontré. Il ne l’a pas été davantage ce soir, non plus que l’impossibilité de mobiliser les fonds non centralisés pour le financement des industries de défense – rien ne confirme cela.

Les membres du groupe CRCE-K se posent en défenseurs de l’épargne populaire, au service de l’intérêt général, du logement et de la politique de la ville. Ils demandent que cette épargne soit de nouveau centralisée, à 100 % moins les coûts de collecte, à la Caisse des dépôts et consignations.

Les missions d’intérêt général doivent être sorties du secteur marchand. Quel parlementaire, quel citoyen, sait dire ce qu’ont financé les 622 milliards d’euros d’encours de prêts accordés aux PME sur les fonds non centralisés ? Si quelqu’un a la réponse, qu’il nous en fasse part, cela nous sera utile ! Cette opacité est incompatible avec l’intérêt général.

Le concours Lépine de la création de produits d’épargne connaît un regain sous l’impulsion du Gouvernement : plan d’épargne avenir climat, plan d’épargne retraite européen annoncé récemment, ou encore détournement de l’épargne populaire du financement de la transition écologique et de l’économie sociale et solidaire.

Ce projet est dangereux et fustigé par le gouverneur de la Banque de France lui-même, selon lequel il porterait « atteinte à l’unicité budgétaire et au choix annuel des priorités qui doit relever du Parlement. Il est préférable d’en rester à ce que l’épargne réglementée, qui est en France et de très loin la plus développée d’Europe, réalise bien ».

En responsabilité, notre groupe votera contre cette proposition de loi, qui nous semble inappropriée et dangereuse. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après bien des péripéties, nous voilà réunis aujourd’hui pour débattre du financement des entreprises de défense de l’industrie française.

Lors de l’examen en séance publique des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030, j’avais exprimé mes réticences, constatant que la création d’un véritable livret d’épargne de souveraineté destiné à financer la base industrielle et technologique de défense avait été remplacée par un fléchage des encours du livret A.

Ce choix était critiquable en pleine crise du logement, alors que les Français peinent à accéder à des logements à loyer modéré. Que chacun soit rassuré : en cosignant la proposition de loi de Pascal Allizard, j’ai non pas changé d’avis, mais assoupli ma position, avec comme ligne de conduite la seule promotion d’un lien fort entre la Nation et ses armées.

J’ai souhaité faire mienne, comme la majorité du groupe RDSE, cette citation de Nietzsche : « Atteindre son idéal, c’est le dépasser, même coupé. »

Mes chers collègues, ne sommes-nous pas ici dans la maison de la sagesse ? C’est la raison pour laquelle à rien j’ai préféré un peu, car ce peu permettra peut-être le mieux, à savoir un véritable livret de souveraineté de défense.

En tant que parlementaires, nous devons d’abord apprécier le contexte géopolitique et historique dans lequel les textes sont examinés. Or ce contexte a fortement évolué : avec l’invasion de l’Ukraine, la guerre est revenue aux portes de l’Union européenne.

Nous pouvons le déplorer ou feindre de l’ignorer, mais c’est une tragique réalité. Regretter que la paix par le droit ne soit plus qu’un vœu pieux, en soupesant nos aveuglements depuis la fin de la guerre froide, ne doit pas nous réduire à la procrastination.

Un relatif consensus s’était établi pour constater que notre outil de défense, comme dans bon nombre d’États, était a minima adapté à des temps de paix et de politiques interétatiques laissant place au dialogue et à la diplomatie.

En revanche, entrer dans une économie de guerre suppose, pour les entreprises de la BITD, et en particulier les PME, de disposer des fonds nécessaires, en complément d’un effort budgétaire réel, favorisé par d’importants investissements.

Si l’agression russe a réveillé l’Europe stratégique, la menace doit bousculer notre naïveté, aussi légendaire que nos inerties coupables. Plus que des paroles ou des discours, des financements pérennes rendront crédibles nos positions de fermeté.

C’est pourquoi j’assume la responsabilité de cosigner cette proposition de loi, ainsi que d’approuver les évolutions liées au fléchage sur le livret A. À cet égard, les garanties apportées par la commission des finances et précisées il y a quelques instants par M. le rapporteur me rassurent.

Ensuite, nul ne conteste que les entreprises de la défense, principalement les PME, connaissent des difficultés d’accès au crédit. Ces freins sont liés à la question de l’éthique de la fabrication des armes, laquelle serait, comme l’écrit si bien Pierre-Louis Boyer, « le piège contemporain de l’efficience morale ».

Cette vision morale peut se comprendre. Est-elle cependant acceptable et soutenable face à la montée des périls ? Voilà plusieurs décennies, François Mitterrand regrettait que les missiles soient à l’est et les pacifistes à l’ouest. Devrons-nous nous contenter d’être des professeurs de morale ?

Comment ne pas donner aux industriels comme à notre pays les outils permettant de financer un effort indispensable pour le secteur de la défense ? Nul ne peut oublier en effet que ce dernier crée des emplois, en même temps qu’il est un outil de notre sécurité.

Avec ce texte, nous offrons la possibilité aux épargnants français de donner sens à ce combat pour défendre nos valeurs et nos idéaux, malmenés et menacés par le cynisme et la force brutale de dirigeants dérangés et sans scrupules. Ils savent mieux que quiconque que l’argent est le nerf de la guerre.

En ouvrant ces possibilités de financement, nous ne laissons pas nos sentiments bellicistes l’emporter. Nous faisons simplement preuve, mes chers collègues, de cohérence. En ces temps incertains, c’est essentiel.

C’est donc avec bienveillance que le groupe RDSE se prononcera, à l’unanimité moins une abstention, en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. le rapporteur, ainsi que MM. Pascal Allizard et Alain Chatillon applaudissent également.)