compte rendu intégral

Présidence de M. Alain Marc

vice-président

Secrétaire :

Mme Marie-Pierre Richer.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Finances des départements

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les finances des départements.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que le groupe auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Arnaud Bazin, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Arnaud Bazin, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, François Hollande en avait rêvé, Emmanuel Macron l’a fait !

Souvenons-nous des débats et des intentions qui ont présidé à l’adoption des lois du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) et du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) : sous prétexte de réduire le millefeuille administratif, l’intention de faire disparaître les départements était bien réelle. Mais les gouvernements de gauche durent y renoncer devant l’évidence : les départements sont l’échelon adéquat pour concilier proximité et expertise dans l’exercice de leur cœur de compétences, à savoir les politiques sociales.

M. Arnaud Bazin. Les Français, eux, l’avaient bien compris. Les mauvaises intentions durent céder devant la mobilisation…

Devant ce premier échec, le mot d’ordre a été de « dévitaliser » les départements, pour reprendre le terme employé par notre ancien collègue André Vallini, alors secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale. Un organe est dévitalisé quand on lui coupe son arrivée de sang artériel. Il en est de même pour une collectivité, quand on lui enlève ses ressources financières.

Ce que n’a pas réussi à faire l’exécutif en 2016, Emmanuel Macron y est parvenu, par un effet différé de la suppression de la taxe d’habitation – elle-même bombe à fragmentation démagogique –, qui, non contente de supprimer tout lien financier entre l’usager des services municipaux et la gouvernance municipale, alourdit chaque année de plus de 20 milliards d’euros la dette de l’État.

Mais revenons aux départements : pour compenser la perte de taxe d’habitation des communes, il fut décidé d’attribuer à celles-ci une part du foncier départemental, parachevant la dévitalisation annoncée. Cette décision fut prise à la suite de la publication d’un rapport cosigné par notre ex-collègue Alain Richard, lequel regretta ensuite publiquement, me semble-t-il, que les départements se trouvent dépourvus de tout pouvoir de taux. Comprenne qui pourra !

Les départements n’ont plus de pouvoir de taux, donc plus de maîtrise de leurs recettes. Ils n’ont guère davantage la possibilité de maîtriser leurs dépenses, pour l’essentiel sociales, dont les gouvernements successifs définissent les paramètres.

Déjà, sous François Hollande, il avait été ainsi décidé de relever le revenu de solidarité active (RSA) de 10 %, au-delà des réévaluations automatiques du fait de l’inflation, tout en imposant une baisse de 40 % de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des départements. Dévitalisation, vous disais-je…

La situation, nous la connaissons tous : les départements sont totalement dépendants du produit des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), autrement dit de la situation du marché de l’occasion des logements. Et que l’on n’objecte pas que, sur cette recette, il y a un pouvoir de taux : la quasi-totalité des départements applique le taux plafond, faute de pouvoir faire autrement.

Alors que les départements ne peuvent désormais plus que constater leurs niveaux de recettes, ils voient les gouvernements successifs leur imposer leurs dépenses.

Je pense d’abord aux dispositions de réévaluations salariales – point d’indice, Ségur de la santé – ainsi qu’à la dynamique des dépenses sociales.

Quant à l’aide sociale à l’enfance, elle arrive à saturation en raison de l’afflux des mineurs non accompagnés (MNA), lié à l’incapacité de l’État à maîtriser les flux migratoires. Il nous est ainsi annoncé une augmentation de 11 % du budget de l’asile pour 2024.

L’enveloppe consacrée au RSA est également appelée à augmenter, avec la suppression de l’allocation de solidarité spécifique, ce qui représente un potentiel de 320 000 nouveaux bénéficiaires et un coût supplémentaire de plus de 2 milliards d’euros. La perspective de son attribution automatique, conséquence de la mise en œuvre de la solidarité dite « à la source », pourrait coûter 3,5 milliards d’euros de plus aux départements si l’on retient l’hypothèse, communément admise, d’un taux de non-recours de l’ordre de 30 % à 34 %.

Je n’oublierai pas enfin de mentionner l’inflation, redoutable, et la non-indexation de la dotation globale de fonctionnement.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, avouez qu’il y a de quoi s’inquiéter !

Dans le même temps, la remontée des taux d’intérêt a eu des conséquences brutales sur le marché immobilier, donc sur les DMTO, dont la diminution, en 2023, s’est établie autour de 23 % en moyenne et a atteint, voire dépassé, 30 %.

Tout cela se produit alors qu’une crise inédite du logement se développe : effondrement de la construction neuve et retrait du marché de la location des passoires thermiques, retrait non anticipé et mal accompagné.

Dans cette crise du logement, à part la hausse des taux d’intérêt, le Gouvernement porte de lourdes responsabilités : celle d’avoir favorisé le renchérissement des coûts de construction par un empilement de normes que nous n’avons pas les moyens d’assumer, quand elles ne sont tout simplement pas absurdes – il n’est qu’à voir, en la matière, les déboires du diagnostic thermique –, celle d’avoir entraîné la raréfaction du foncier, également due à la folie normative, celle d’avoir contribué à l’appauvrissement des Français, notre productivité étant partout en recul.

Ne plus construire de logements neufs représente presque autant de logements en moins sur le marché de l’occasion, donc autant de DMTO en moins, qu’il faut comptabiliser.

Au bout de tout cela, il convient de faire les comptes des départements.

En 2023 par rapport à 2022, l’épargne nette des départements aura baissé de 51,3 %, quand celle des communes aura progressé de 16,9 %, et la trésorerie brute des départements aura fléchi de 26,7 %, quand celle des communes n’aura diminué que de 2,7 %. Toutes ces données sont extraites d’une note rendue publique par la direction générale des finances publiques (DGFiP) au cours du mois dernier.

En 2024, en cumulant insuffisance des recettes – DMTO, non-indexation de la DGF – et dépenses imposées, ce sont au moins 7,5 milliards d’euros qui vont manquer par rapport à 2021.

Pourtant, les départements se montrent solidaires entre eux, avec une péréquation forte et volontaire ; mais cela ne suffit plus.

Devant le terrible effet de ciseaux que je viens de décrire, l’investissement et l’aide aux communes deviennent la variable d’ajustement. C’est consternant, parce que le département n’est pas que la collectivité du social : il joue un rôle de péréquation, de soutien aux communes, et d’équilibre entre le rural et l’urbain, dans des domaines tels que les routes, la fibre optique, les collèges, dont nous avons plus que jamais besoin.

Alors, monsieur le ministre, il vous faut maintenant répondre précisément à des questions précises, même si nous devrons y revenir dans le cadre de la discussion budgétaire pour 2025, laquelle s’annonce d’ores et déjà tendue.

Tout d’abord, quelle hypothèse de recettes de DMTO retenez-vous pour 2024 ?

Ensuite, quelle hypothèse d’évolution des trois allocations individuelles de solidarité et de l’aide sociale à l’enfance retenez-vous pour cette même année, en sachant que les dépenses sociales représentent plus de 60 % – jusqu’à 68 % parfois – des dépenses de fonctionnement des départements ?

Enfin, pensez-vous sérieusement que le fonds de sauvegarde – 106 millions d’euros pour 14 départements – soit à la bonne échelle, au regard des milliards d’euros de déséquilibre budgétaire dont je viens de parler ?

Pour en revenir au début de mon propos, je ferai donc remarquer que la ficelle est grosse : le Gouvernement, après avoir pris les dernières mesures nécessaires à l’asphyxie des départements, pourra constater que ces derniers ne peuvent plus assurer leur mission et qu’il faudra recentraliser. Mais peut-être cela n’est-il pas totalement étranger au fait que les électeurs départementaux ont le mauvais goût de confier leur destin très majoritairement à des gouvernances de droite et du centre… (M. le ministre délégué rit.)

Monsieur le ministre, je conçois que cela puisse être agaçant ; faut-il pour autant avancer dans la voie de la démolition de notre pays ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l’opportunité de m’exprimer sur le sujet des finances des départements, dans un contexte, vous le savez, particulier pour nos finances publiques et pour nos départements.

Dans la période que nous connaissons, les départements font en effet face, vous l’avez dit, monsieur le sénateur, à une inflexion certaine de leur situation financière, ce qui les place d’ailleurs dans une situation singulière par rapport aux autres niveaux de collectivité.

D’un côté, les dépenses sont dynamiques, notamment les dépenses de fonctionnement, plus particulièrement celles de personnel, qui augmentent de 7,2 % ; il est vrai que les départements, comme l’État et les autres collectivités, sont concernés non seulement par la revalorisation du point d’indice, des salaires du personnel médico-social, mais aussi par l’augmentation des dépenses d’énergie.

De l’autre, les recettes sont en diminution, notamment du fait de la baisse du produit des droits de mutation à titre onéreux. Dans le contexte actuel de ralentissement du marché immobilier, les DMTO diminuent de plus de 20 %. Il s’agit, toutefois, d’une correction qui fait suite à une période de dynamisme exceptionnel, puisque les DMTO ont été multipliés par deux en dix ans, entre 2012 et 2022, et qu’ils ont augmenté de 40 % depuis 2017.

Au total, les recettes réelles de fonctionnement sont en baisse : c’est une spécificité propre à l’échelon départemental. Bien que ces chiffres ne soient pas définitifs et que la situation soit bien sûr hétérogène entre départements, l’État est particulièrement attentif à une telle inflexion.

Dans ce cadre, je prends un premier engagement : celui de poursuivre un dialogue constant avec Départements de France et son président, François Sauvadet. Plusieurs rendez-vous ont déjà été fixés : dès ce mois-ci, puis en mai, lors de la publication définitive des comptes de nos départements, et de nouveau à l’automne, au mois de septembre ou d’octobre.

En parallèle, quinze départements appellent une attention particulière, car ils sont susceptibles d’être les plus affectés. Soyez certains que nous sommes et resterons vigilants. Je me tiens d’ailleurs à la disposition des présidents de département qui souhaiteraient me rencontrer ; certains d’entre eux m’ont déjà sollicité. Nous sommes vigilants, disais-je, car la situation le mérite, mais je veux aussi vous rassurer, mesdames, messieurs les sénateurs, en insistant sur les mécanismes mis en place pour amortir cette inflexion indéniable.

Si les recettes de DMTO sont mises en avant, elles restent une part minoritaire de l’ensemble des recettes et se maintiennent à un niveau supérieur à celui de 2019, qui fut une très bonne année en la matière.

Pour autant, il faut pouvoir soutenir les départements confrontés à des difficultés conjoncturelles en matière de perception de ces prélèvements. Grâce au mécanisme de péréquation, l’écart de recettes par habitant entre le département le mieux loti et celui qui l’est le moins bien diminue de 40 %. S’ajoute une mise en réserve des sommes non distribuées au titre de la péréquation, pour un montant de près de 250 millions d’euros à la fin de l’année 2023.

En plus de cette péréquation, nous avons mis en place un fonds de sauvegarde des départements. Ce fonds de sauvegarde bénéficie d’abord aux collectivités confrontées à une baisse importante du produit des DMTO et touchées par une hausse significative des dépenses liées au revenu de solidarité active, à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et à la prestation de compensation du handicap (PCH).

Ce fonds était initialement doté de 53 millions d’euros. La loi de finances de 2024 a permis son doublement, pour le fixer à 106 millions d’euros, grâce à un abondement de l’État, qui y contribue ainsi à parité avec les départements. Cet effort supplémentaire bénéficiera à quatorze départements dès cette année. Par exemple, la Gironde bénéficiera de 9 millions d’euros, le Val-de-Marne, de 7 millions d’euros ; ce sont des montants non négligeables.

Toujours en matière de DMTO, il existe depuis 2022 un mécanisme d’assurance individuelle, qui autorise les départements à mettre en réserve une fraction de leur produit de DMTO après délibération. Au 31 janvier 2024, 35 départements avaient mis en réserve un total de 1 milliard d’euros. Je tiens ici à saluer ces 35 départements, qui ont pris leurs responsabilités face au caractère cyclique des recettes départementales assises sur l’évolution des prix de l’immobilier.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, dans une conjoncture difficile liée à des facteurs exogènes, comme le ralentissement du marché immobilier, les mécanismes protecteurs existent et l’État est au rendez-vous.

L’État est aussi au rendez-vous, avec les départements comme avec toutes les autres collectivités, pour compenser, grâce au filet de sécurité, certaines hausses de dépenses liées à l’augmentation des prix de l’énergie, de l’électricité et du chauffage urbain.

Enfin, l’État est encore au rendez-vous pour accompagner les départements avec des mesures ciblées adoptées dans cadre de l’examen du budget pour 2024.

Parmi elles, je citerai le renforcement significatif du budget de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), à hauteur de 150 millions d’euros, afin de mieux couvrir les dépenses d’aide à l’autonomie des départements.

Face à l’enjeu que représente la prise en charge des mineurs non accompagnés, là aussi l’État accompagne les départements, en augmentant de moitié son soutien budgétaire à ce titre, pour lui faire atteindre près de 100 millions d’euros en 2024.

Dans cette période d’inflexion pour les finances des départements, la question des recettes est, je le sais, particulièrement sensible.

J’ai évoqué la situation des DMTO et les mécanismes à l’œuvre pour amortir les effets de leur contraction. Mais il me faut aborder la question de la compensation des différentes et récentes réformes de la fiscalité locale, sujet que vous avez évoqué, monsieur le sénateur, qui a consacré la TVA comme composante essentielle du panier de ressources des départements. Cette taxe représente ainsi désormais plus de 30 % des recettes de fonctionnement des départements.

En 2023, cela équivaut à quelque 22 milliards d’euros de recettes, marquées par un dynamisme de plus de 4 % ; car c’est un prélèvement dynamique. De même, le produit de la taxe spéciale sur les conventions d’assurances (TSCA) qui leur est affecté a crû de près de 7 % en 2023. C’est aussi ce qui permet d’amortir le recul des DMTO.

Surtout, dans le cadre de la réforme de la taxe d’habitation, la loi de finances pour 2020 a introduit un mécanisme de versement d’une fraction de TVA supplémentaire, d’un montant de 250 millions d’euros, à destination des départements exposés à un reste à charge au titre des allocations de solidarité. Il s’agit là d’un levier supplémentaire pour soutenir les départements en difficulté.

Enfin, je veux dire un mot plus général du contexte dans lequel s’inscrit la situation des départements. L’État sera certes toujours aux côtés de ceux-ci, mais nous sommes néanmoins dans un moment où les efforts doivent être partagés : entre l’État, qui a beaucoup protégé et prend ses responsabilités, et les collectivités locales, y compris les départements.

Le premier allié de nos finances publiques est la croissance et, avec elle, l’activité et l’emploi. Or le contexte international et européen est incertain et peu favorable, marqué par la poursuite des chocs géopolitiques au Moyen-Orient et en mer Rouge, de la guerre en Ukraine et par le ralentissement de l’activité chez nos partenaires européens.

Nous avons dû, comme d’autres pays partenaires, vous le savez, revoir nos prévisions de croissance pour 2024. Nous faisons face à des prévisions de recettes en baisse, ce qui nous a conduits à prendre la décision d’annuler 10 milliards d’euros dans le budget de l’État.

Ces annulations nécessitent un effort de tous les ministères sur l’ensemble de leurs dépenses de fonctionnement, sur la maîtrise de la masse salariale, sur le décalage d’un certain nombre de projets. Contrairement à ce qui est parfois affirmé, l’État prend sa part dans les efforts consentis pour le redressement de nos finances publiques.

En cohérence, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, et je terminerai ainsi mon propos, j’en appelle à une responsabilité partagée : tout doit être mis en œuvre pour assurer le respect de notre trajectoire de finances publiques, notamment sur les dépenses de fonctionnement.

M. Bruno Belin. Il serait temps !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je sais que les élus locaux, dans leur immense majorité, partagent cet esprit de responsabilité. Nous avons tous les finances publiques en partage. Je veux redire la nécessité de ne pas opposer l’État et les collectivités locales dans ce vaste chantier qui nous attend, celui du redressement de nos finances publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Laure Darcos. Monsieur le ministre, 100 millions d’euros ou 30 %, c’est ce que représente pour le département dont je suis élue, l’Essonne, la diminution du montant des droits de mutation à titre onéreux en 2023. À l’échelle nationale, les départements auront perdu 3,9 milliards d’euros entre 2022 et 2023.

Les dépenses relatives aux allocations individuelles de solidarité – APA, PCH et RSA – pèsent pour plus de 18 milliards d’euros, avec un reste à charge de 50 % pour nos collectivités. Songez également que les dépenses au titre de l’aide sociale à l’enfance représentent, à elles seules, près de 10 milliards d’euros.

Les départements doivent en outre assumer les conséquences d’une politique migratoire hors de contrôle, avec notamment l’arrivée de mineurs non accompagnés. La prise en charge de ces derniers leur coûte plus de 2 milliards d’euros, avec une compensation de 6 % seulement.

Leur situation financière est devenue d’autant plus critique que les dépenses supplémentaires imposées par l’État, soit 2,5 milliards d’euros de plus en deux ans, n’ont, une fois encore, pas été compensées.

Jusqu’à présent, vous aviez beau jeu de dire que, pour faire face à ces dépenses nouvelles, les départements pouvaient s’appuyer sur leurs recettes de DMTO supplémentaires, devenues stratégiques. Mais, aujourd’hui, ces dernières ont disparu et les recettes sont revenues à leur niveau d’avant-covid, alors que les dépenses, elles, subsistent.

Non, monsieur le ministre, la crise des finances départementales n’est pas une vue de l’esprit. Depuis la réforme de la taxe d’habitation, les départements ne disposent plus de levier en matière de fiscalité.

L’investissement et l’aide aux communes ne doivent pas devenir la variable d’ajustement de leurs budgets. Nombre de départements mènent en effet des politiques volontaristes de péréquation et d’équilibre entre le monde rural et les territoires urbains. Nous ne voulons pas renoncer à ces politiques vertueuses par nécessité budgétaire.

Oui, nos départements revendiquent une autonomie fiscale pour mener à bien les missions qui leur sont confiées par le législateur.

Monsieur le ministre, ma question est la suivante : quand le Gouvernement va-t-il enfin prendre la mesure de la gravité de la situation et déterminer un panier de ressources permettant aux départements de faire face à leurs charges, comme le demande depuis longtemps le Sénat ? (M. Pierre Jean Rochette applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, nous partageons le constat que vous dressez sur l’inquiétude suscitée par l’évolution des recettes – vous avez cité les DMTO –, d’une part, et celle des dépenses, d’autre part, dont certaines sont dynamiques, à l’image d’un certain nombre de dépenses sociales.

D’une certaine manière, vous en appelez à une nouvelle autonomie fiscale des départements. Or ceux-ci disposent déjà d’un panier de recettes fiscales très importantes, puisque, vous le savez, sur l’ensemble de leurs recettes, les trois quarts sont des recettes fiscales. Les DMTO sont souvent évoqués, mais sachez que, désormais, les départements perçoivent la taxe sur la valeur ajoutée : c’est une bonne nouvelle pour eux ! (Mme Laure Darcos et M. Philippe Grosvalet ironisent.)

Lorsque la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a été progressivement supprimée, les régions se sont vu confier une part du produit de la TVA. Aucune d’entre elles n’accepterait de revenir en arrière. (M. Bruno Belin proteste.) La TVA est en effet un impôt dynamique, beaucoup plus prévisible que la CVAE. (Non ! sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur de nombreuses travées.)

M. le président. Mes chers collègues, la parole est à M. le ministre délégué et à lui seul !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Au-delà du débat que suscite ma référence à la TVA,…

M. Jean-François Husson. C’est normal, il y a des erreurs et, quand il y a des erreurs, on les corrige !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. J’entends le rapporteur général du budget qui souhaite s’inviter dans le débat ; j’en suis très heureux !

Au-delà de ce débat sur la TVA, disais-je, je souhaite préciser, madame la sénatrice, qu’il existe d’ores et déjà un panier de recettes, puisque la TSCA en fait partie.

La question est de savoir comment accompagner les quatorze départements qui sont dans les situations les plus difficiles. À cet égard, le Gouvernement a mis en place un fonds de solidarité et doublé l’abondement de l’État.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le répétez très souvent ici même, au Sénat : les collectivités sont à ce point différentes les unes des autres qu’il ne saurait y avoir des mesures générales applicables à l’ensemble des départements. Il faut pouvoir cibler les départements le plus en difficulté. D’ailleurs, certains ont mis en réserve une partie de leurs ressources, pour faire face justement au retournement du cycle immobilier. Mais les DMTO ne sont pas les ressources principales des départements.

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le ministre, cela a été rappelé, on constate une contraction forte de l’épargne brute des départements, conséquence de l’inflation soutenue, de la revalorisation du point d’indice, de la chute des recettes de DMTO, de l’insuffisance de la compensation des allocations individuelles de solidarité, des dépenses imprévues, comme celles qui sont liées à l’accueil des MNA, et ce en l’absence, contrairement à ce que je viens d’entendre, de toute autonomie fiscale et même financière des départements.

Je souhaite vous interroger tout particulièrement sur les dépenses de personnel.

Chacun le sait, l’augmentation du point d’indice ne dépend en aucun cas de la volonté des collectivités locales ; c’est l’État qui la fixe. Les revalorisations sectorielles définies dans le cadre du Ségur de la santé, même si elles ne sont pas contestables, altèrent fortement le niveau des dépenses de personnel. L’ajustement des régimes indemnitaires et des avantages sociaux, mis en œuvre pour conserver l’attractivité des employeurs publics, dans un contexte de crise sur le marché de l’emploi, mine également les collectivités locales que sont les départements.

Monsieur le ministre, comment le Gouvernement compte-t-il accompagner les départements, notamment lorsque c’est l’État qui décide de rehausser fortement le point d’indice sans concertation avec les collectivités locales ?

J’évoquerai un second point, le financement de la protection civile, qui devient évidemment essentiel dans un contexte où les départements et les territoires, notamment de montagne, sont exposés aux aléas climatiques.

Des négociations sont actuellement menées à l’échelon européen à propos du statut des sapeurs-pompiers volontaires, qui pourraient être assimilés à des salariés de droit commun. Cela amplifierait encore davantage les conséquences budgétaires que nous subissons déjà aujourd’hui. Comment le Gouvernement, notamment dans le cas de l’accompagnement des départements, qui financent en grande partie les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), envisage-t-il de faire face à une telle augmentation des coûts ?

La contribution au Sdis du département des Hautes-Alpes, dont je suis élu, était de 7 millions d’euros en 2021 ; elle est dorénavant de 8,5 millions d’euros. Vous voyez bien que les départements ne pourront plus assumer durablement cette hausse des charges non maîtrisée.