M. Hervé Gillé. Il est urgent d’attendre…

M. Olivier Jacquin. Pourquoi procrastiner ?

M. Hervé Berville, secrétaire dÉtat. La transposition de la future directive européenne sur les sols sera l’occasion de mettre en œuvre les mesures proposées par ce texte. Les discussions au niveau européen, rendues très actuelles par la crise agricole, sont essentielles pour que nos règles restent en cohérence avec celles de l’Union européenne.

De surcroît, elles permettront une triple avancée. D’abord, nous disposerons d’études d’impact correctement nourries. Le travail scientifique est fondamental, et nous devons progresser dans notre connaissance des mesures envisagées et de leur coût, comme je le vois bien en Bretagne.

Puis, nous pourrons laisser du temps à nos maires, à nos collectivités territoriales, pour mettre en œuvre le ZAN, dont nous avons tant discuté à l’Assemblée nationale et au Sénat – et ce n’est pas vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui allez me contredire sur ce point : nous devons cette assurance aux élus ruraux. C’est bien vous qui avez souligné l’été dernier les difficultés dans sa mise en œuvre. Et c’est sur la base de vos travaux que nous avons préparé un texte pour adapter cet objectif noble et important du zéro artificialisation nette à tous nos territoires.

Je pense que nous gagnerons en efficacité et en cohérence si nous attendons que tous nos territoires, de la Moselle au Doubs, en passant par les Vosges, mettent en œuvre le ZAN. Pour cela, il faut qu’ils disposent des moyens financiers idoines. Attendons leurs retours d’expérience au lieu d’adopter immédiatement un texte de loi, ce qui compliquerait encore le travail de nos élus locaux.

Nous devons leur garantir – et garantir aux serviteurs de l’État – un cadre harmonisé de suivi de la santé de nos sols, en évitant de créer des réglementations qui se basent sur des systèmes de mesures et de pilotage qui diffèrent au sein de l’Union européenne.

Vous l’avez compris, madame la sénatrice, je m’en remettrai, pour reprendre les mots du rapporteur, à la sagesse et à la prudence du Sénat. Conscients que la protection des sols est l’un des piliers de notre capacité à lutter contre le changement climatique et la dégradation de la biodiversité, nous devons collectivement décider de différer l’adoption de cette proposition de loi.

En effet, depuis 2017, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons mis en œuvre un texte de loi sur le ZAN qui, comme vous l’avez vous-même reconnu, pose des difficultés d’application. L’essentiel actuellement est de mettre en œuvre ces belles politiques publiques et de donner les moyens à nos territoires de le faire, notamment grâce au fonds vert, doté de 10,5 milliards d’euros.

Mme Audrey Linkenheld. Vous mélangez tout !

M. Hervé Berville, secrétaire dÉtat. Surtout, nous devons mener ce combat au niveau européen, car c’est là que réside notre capacité de mettre en œuvre des politiques cohérentes, entendues, acceptées et surtout appliquées par tous les territoires. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement, favorable à l’objectif global de ce texte, ne l’est pas à son adoption dans l’immédiat.

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER.)

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les sols ne bénéficient pas de la même attention législative que l’eau ou l’air. C’est un fait. Mieux les préserver est une nécessité. La qualité des sols constitue un enjeu majeur en matière d’environnement et pour la préservation du potentiel agronomique et économique de nos exploitations agricoles. Ce potentiel, nous devons le protéger, le sauvegarder, car un sol en bonne santé est synonyme d’une productivité agricole préservée, de revenus agricoles accrus, pour une compétitivité de la ferme France retrouvée.

Mais l’approche conjoncturelle de ce texte me pose question : le mouvement de contestation et de révolte que nous venons de traverser doit non seulement nous alerter, mais aussi nous amener à apporter des réponses concrètes marquées par une vision cohérente et de long terme. Mieux préserver nos sols est un impératif auquel nous nous devons de souscrire sans pour autant accabler nos agriculteurs et forestiers de nouvelles normes. Ce texte ne doit pas se transformer en l’archétype de ce que le monde agricole dénonce actuellement : une surréglementation, conséquence de nos surtranspositions, voire d’anticipations normatives.

Néanmoins, ne laissons pas échapper cette opportunité de faire du droit un terreau propice à la préservation des sols. Alors qu’en ce moment même l’Union européenne, dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, étudie une directive sur la surveillance et la résilience des sols, pour établir un cadre juridique visant à parvenir à un bon état des sols de l’Union européenne d’ici à 2050, ne laissons pas Bruxelles décider seule de ce que doit être notre politique de reconquête de la qualité de nos sols. Au contraire, servons-nous de ce débat pour alimenter celui de la Commission et mettre fin à nos propres contradictions ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Je pense notamment à l’exemption partielle aux obligations de jachères qui étaient prévues par la politique agricole commune (PAC) pour 2024. Je rappelle que la mise en jachère est justement destinée à régénérer les sols, notamment pour faciliter les futures récoltes – un objectif porté par ce texte. Encore une fois, nous venons d’opposer productivité et transition vers une agri-écologie quand des solutions existent pour les faire converger.

Je l’ai encore répété mardi lors du débat traitant de l’avenir de notre modèle agricole : arrêtons d’opposer nos modèles et faisons des mesures environnementales non pas un obstacle, mais une réponse.

Cette réponse devra être choisie et non subie par nos agriculteurs, car donner le choix, c’est s’assurer de l’acceptabilité par le monde agricole des orientations que nous souhaitons lui imprimer. Incitons les agriculteurs à s’engager par des paiements pour services environnementaux. Valorisons davantage nos exploitations agricoles actives, qui s’engagent à mettre en place des pratiques agronomiques favorables à nos sols, au climat et, par conséquent à l’environnement et à la biodiversité.

Si le dispositif d’écorégime de la PAC est un début, il nous faut l’amender afin de l’améliorer et de l’adapter aux réalités de nos territoires. Il n’est pas concevable qu’un hectare de terre arable dans la Beauce soit valorisé de la même manière qu’un hectare de prairie dans les Hautes-Alpes. Le principe de subsidiarité doit ici, plus que jamais, être respecté.

Adaptons les paiements pour services environnementaux à la seule échelle pertinente, celle de l’exploitation, pour une meilleure valorisation de nos potentiels agricoles, une meilleure protection des sols et une meilleure compréhension des enjeux et besoins locaux, bien différents d’un territoire à un autre.

Néanmoins, parce que l’objectif visé par cette proposition de loi est juste et nécessaire, et parce que nous devons, par ces travaux, montrer la voie à ceux qui sont effectués à Bruxelles, le groupe RDSE s’exprimera, dans sa majorité, en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Saïd Omar Oili.

M. Saïd Omar Oili. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue Nicole Bonnefoy, visant à préserver des sols vivants.

Ce texte part d’un constat très juste : alors qu’ils hébergent 59 % de la biodiversité de notre planète, le sujet de la santé des sols occupe encore une place trop réduite dans les débats publics et dans notre droit. Il s’agit en effet du seul milieu naturel qui ne soit pas couvert par une politique nationale dédiée à sa protection.

Pourtant, il est indéniable que la préservation des sols est une préoccupation majeure pour l’avenir de notre planète et de nos sociétés. Ceux-ci fournissent en effet une multitude de services écosystémiques essentiels, allant de la régulation du climat à la filtration de l’eau, en passant par la production agricole. La qualité des sols détermine également l’avenir de nombreuses espèces et même la faculté pour l’homme de pouvoir continuer à vivre sur cette terre.

L’appauvrissement des sols a en effet des conséquences sur les ressources alimentaires de nos populations. Je prendrai pour exemple un territoire que je connais bien, Mayotte, qui vit une crise de l’eau depuis plusieurs mois, ce qui a des conséquences sur les sols et, de fait, sur les cultures, tout particulièrement pour les populations les plus vulnérables. Il est donc impératif que nous soyons attentifs à la préservation des sols et à leur santé.

Le groupe RDPI accueille favorablement l’ensemble des mesures visant à organiser une gouvernance et une politique nationale dédiées à la protection des sols. Je pense en particulier aux articles 1er et 3, qui consacrent la qualité des sols comme patrimoine commun de la Nation et instaurent un haut-commissaire à la protection et à la résilience des sols auprès du Premier ministre.

L’article 2 vise à mentionner les services écosystémiques des sols dans la loi, ce qui est également une bonne idée. Cela sensibilisera l’ensemble de la société à l’importance de la préservation des sols. En effet, le sol est vu avant tout comme une ressource à aménager, comme un espace d’aménagement, sans prendre en compte les bactéries qu’il abrite, sa richesse ou sa capacité de séquestration du carbone.

Nous devons toutefois nous assurer que cette proposition de loi ne crée pas de contraintes excessives pour nos agriculteurs et nos entreprises, qui dépendent étroitement de l’utilisation des sols et font déjà face à de trop nombreuses injonctions, comme ils nous le répètent chaque semaine dans nos départements. Si la mise en place d’un diagnostic de performance écologique des sols peut être intéressante, elle risque de venir ajouter une norme supplémentaire pour nos agriculteurs qui, bien souvent, procèdent déjà eux-mêmes à l’analyse de leurs sols. Il faudrait donc davantage de temps, pour cadrer un tel diagnostic en concertation avec les agriculteurs.

De plus, je regrette que ce texte sur la protection de nos sols n’intègre pas les spécificités de nos douze territoires ultramarins. Notre île de Mayotte, par exemple, est confrontée à des défis particuliers en matière de préservation des sols, en raison de sa biodiversité unique et de sa vulnérabilité aux changements climatiques. De surcroît, dans nos territoires ultramarins, nous constatons un vrai manque de connaissances qui nous pénalise pour trouver des solutions adaptées et sur mesure. Il faudrait, là encore, davantage de temps pour organiser la concertation avec les acteurs de nos territoires ultramarins, pour que les réalités de chaque territoire soient bien prises en compte.

Toutefois, le législateur doit être conséquent face à cet enjeu et ne pas y répondre par des textes trop incantatoires et par de nouvelles structures. Lorsque l’on veut enterrer une décision, disait Clemenceau, on crée une commission ; aujourd’hui, on parlerait plutôt de créer une Haute Autorité ! Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI s’abstiendra sur cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. Olivier Jacquin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer l’efficacité du rapporteur Michaël Weber, qui a organisé vingt-deux auditions, ouvertes à tous les membres de la commission. Permettez-moi aussi de saluer, comme il se doit, Nicole Bonnefoy, pour la constance et la qualité de ses travaux législatifs.

La promotion des sols vivants poursuit un fil conducteur rattaché au concept de One Health, en français « une seule santé ». Elle apparaît comme une nouvelle brique dans l’indispensable quête de la protection du vivant.

Mes chers collègues, je suis devant vous ce matin en tant que sénateur, bien sûr, mais aussi en tant qu’agriculteur ayant trente-neuf moissons au compteur en grande culture, d’abord en conventionnel et, depuis sept ans, en grande culture bio, en partenariat avec un éleveur voisin. C’est à ce titre que je veux affirmer tout l’intérêt de ce texte.

Comme de nombreux jeunes ruraux, je dois beaucoup à l’enseignement agricole, du bac agronomique à mon brevet de technicien supérieur agricole (BTSA). Si la phytotechnie était au cœur de la formation, il faut bien dire que l’approche pédologique était alors limitée. À l’époque, presque rien n’était enseigné sur les micro-organismes et la faune du sol. Aujourd’hui, l’enseignement s’est adapté à la question du sol vivant – heureusement.

Depuis 1984, je m’occupe de la ferme familiale, une belle ferme située entre Nancy et Metz, sur le plateau de Haye ; une ferme rare, champêtre, en un seul tenant, de 149 hectares de terre superficielle, assez homogène et peu productive. On appelle ces sols des argilocalcaires superficiels. Ils sont très sensibles au sec, mais se travaillent très facilement. La variabilité des rendements y est élevée dans une même parcelle. Chez moi, sur un haut de côte, un blé conventionnel peut ne produire que trois tonnes à l’hectare quand, dans le fond d’un petit vallon, on approche et même dépasse les dix tonnes : le rendement passe du simple au triple, voire au quadruple !

Tous les paysans connaissent et appréhendent cette donnée de la qualité des sols et son caractère déterminant pour en fixer le prix, une donnée que l’urbanisme moderne ne reconnaît pas, en dehors des procédures de remembrements. Et nous, paysans, nous sommes les premiers à devoir défendre cet épiderme du vivant qui est au fondement de tout.

Cependant, je veux interroger ici le fameux bon sens paysan. En effet, avant la Seconde Guerre mondiale, il n’y avait pas de produits chimiques, ou très peu. Le désherbage passait par l’agronomie, par les rotations, c’est-à-dire les successions de cultures, et par le travail du sol. L’herbicide était la charrue, qui retourne la terre. Avec la mécanisation croissante, il devint de plus en plus facile de labourer en profondeur, ce qui est devenu une tendance forte. D’ailleurs, à écouter l’excellent écologue Lionel Ranjard, que notre commission a auditionné, cette aventure moderne a été néfaste et nuisible pour les sols, aux dépens du bon sens.

En réaction, se développe depuis quelques décennies une agriculture de conservation des sols, dont le but est justement de ne plus déranger ceux-ci en profondeur. Ses promoteurs tentent de se rapprocher du fonctionnement naturel d’un sol et de ne plus diluer la matière organique située dans l’horizon superficiel. Cette agriculture de conservation n’est cependant permise que par le recours à des herbicides très efficaces, tel le fameux glyphosate. Et si cette technique améliore grandement certains paramètres, en termes de captation du carbone et de fonctionnement des sols, l’utilisation de produits phytosanitaires vient en dégrader d’autres de manière colossale, car les insecticides pénalisent la faune du sol et les fongicides peuvent attenter à une partie de sa vie microbienne.

Mes chers collègues, l’agriculteur bio que je suis devenu a redécouvert l’agronomie et l’amour de son métier avec la conversion de son exploitation. J’ai aussi découvert les expérimentations de l’agriculture biologique de conservation des sols. Celle-ci vise également à peu travailler le sol, sans herbicides ni aucun produit chimique. Pour ce modèle, et pour l’agriculture de conservation des sols, il faut davantage de régularité et de succès. Il faut donc donner des moyens à la recherche et aux agriculteurs pour verdir leurs pratiques.

Vous comprenez que, sur le bio, mon argumentaire n’est pas dogmatique, et que je soutiens les différentes agricultures, dans leur diversité, dès lors qu’elles sont écologiquement intensives. Par cette démonstration, j’ai essayé de vous prouver qu’au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous avons un sens des réalités, un sens du concret et du bon sens. Nos propositions ne sont ni caricaturales ni à contresens. Aucun groupe dans notre hémicycle ne peut prétendre détenir le monopole des réponses à la crise actuelle, ni même celui du cœur paysan. Non ! L’agronome de terrain que je suis peut vous assurer que cette proposition de loi est une brique essentielle et que les agriculteurs seront ses premiers bénéficiaires, grâce aux outils souples et tout aussi essentiels qu’elle crée.

Chers collègues, je compte sur votre clairvoyance pour savoir séparer, comme il se doit, le bon grain de l’ivraie. L’examen de ce texte a lieu en pleine crise agricole, alors que certaines propositions démagogiques en défaveur de l’environnement ont été faites. Certains marchent sur la tête en ne voulant pas tenir compte de la priorité environnementale. Avec cette proposition de loi, enrichie des quelques amendements que nous vous présenterons, nous avons de quoi conforter la bonne santé de nos sols et donner un avenir au vivant : M. le secrétaire d’État appréciera.

Je conclurai par cette très belle phrase de Robert Badinter : « Le Sénat doit être le phare qui éclaire les voies de l’avenir, et non le miroir qui reflète les passions de l’opinion publique. » Nous pouvons être précurseurs. Comme on dit chez moi : « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ! » (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue Nicole Bonnefoy, visant à préserver des sols vivants. Je tiens à saluer l’auteure de ce texte et le rapporteur Michaël Weber pour la qualité de leurs travaux et pour leur écoute, malgré nos divergences.

L’objectif général de cette initiative est d’ouvrir la voie à des politiques structurelles en matière de protection des sols. Cependant, derrière ce grand objectif affiché, notre groupe est opposé aux principales mesures qui figurent dans ce texte en ce qu’elles ajoutent de la contrainte et de la complexité.

La proposition de loi vise notamment à instituer un plan quinquennal, une stratégie nationale et un haut-commissariat pour la protection et la résilience des sols. Elle tend aussi à instaurer un diagnostic obligatoire de performance écologique des sols pour les agriculteurs et les forestiers. Nous ne pouvons soutenir ces mesures.

La France dispose déjà d’un cadre juridique pour la protection des sols, inscrit dans le code de l’environnement, dont l’article L. 110-1 dispose : « Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sons et odeurs qui les caractérisent, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l’air, la qualité de l’eau, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la Nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage. Les processus biologiques, les sols et la géodiversité concourent à la constitution de ce patrimoine. »

Alors que notre pays souffre déjà d’une inflation normative et organisationnelle, cette proposition de loi contribue à créer un énième plan quinquennal, cette fois-ci pour les sols, qui aura pour objectif d’élaborer une énième stratégie nationale et territoriale et un énième haut-commissariat…

Si je souscris à l’objectif d’assurer la protection et la résilience des sols, cela doit se faire de manière responsable et efficace. Ajouter de la complexité et de nouvelles pages aux 3 420 que compte déjà le code de l’environnement ne garantit pas cette efficacité, d’autant que ce code a déjà épaissi de 653 % depuis 2002 ! Soyons attentifs à l’aspiration de simplification exprimée par nos concitoyens. Voilà quelques jours encore, les agriculteurs de notre pays manifestaient partout en France contre l’excès de normes et de contraintes.

Cette proposition de loi cible malheureusement ces agriculteurs et les forestiers dans leur usage des sols. Elle crée un nouveau diagnostic de performance écologique obligatoire pour les immeubles à usage agricole et les bois et forêts, dont le coût pour les exploitants n’a pas été estimé. Le sol est l’outil de travail de nos agriculteurs et de nos forestiers : comment les suspecter de vouloir l’abîmer ? D’ailleurs, nombre d’entre eux sont déjà assujettis à des diagnostics dans l’exercice de leurs pratiques – surtout, ils les réalisent.

Ici, dans cette chambre des territoires, nous avons tous salué et défendu nos agriculteurs, qui participent à l’entretien de notre biodiversité et de nos paysages. Nous ne pouvons leur affirmer notre soutien le lundi dans nos départements et voter de nouvelles contraintes le jeudi à Paris, d’autant que les annonces du Gouvernement tardent à se concrétiser. Permettez-moi, monsieur le secrétaire d’État, de vous rappeler à vos promesses et à l’urgence d’aider ceux qui nous nourrissent. Nous demeurons vigilants.

Enfin, à l’heure où l’on parle de « dé-surtransposition », ce texte est une prétransposition, puisqu’il placerait la France en avance par rapport à l’Union européenne, dont la directive relative à la surveillance et la résilience des sols est encore en cours d’examen.

Au moment venu, lorsque nous serons amenés à transposer en droit interne la directive européenne, nous pourrons nous appuyer sur nos débats et sur les travaux de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Il conviendra d’utiliser les bons outils, pour protéger la richesse de nos sols de manière efficace et pragmatique, avec tous les acteurs, sans les accabler de normes contraignantes et complexes. Nous devrons réussir ce défi écologique important pour protéger les sols. Mais cette réussite ne pourra être obtenue qu’avec le soutien et l’appui de tous. Les conditions pour y parvenir ne semblent pas réunies aujourd’hui.

Pour toutes ces raisons, comme en commission, le groupe Les Républicains ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Louault. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)

M. Vincent Louault. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes absolument tous d’accord sur un point : la préservation des sols vivants est vitale. Ceux-ci rendent à nos sociétés, à notre biodiversité et à notre environnement des services importants : ils contribuent à stocker le carbone que nous émettons ; ils ont un pouvoir filtrant des eaux ; et, bien évidemment – et c’est l’agriculteur qui vous parle –, ils nous nourrissent. Nous les empruntons à nos enfants. Ainsi, nous partageons le besoin de développer une attention toute particulière et de susciter un débat.

Cependant je me demande, et je ne suis pas le seul, si le moment est bien opportun. Depuis plusieurs semaines, les agriculteurs expriment leurs difficultés. Alors que nous sommes en train de travailler à la simplification, pour desserrer l’étau et leur permettre d’exercer leur métier, ce qui nous est proposé, en ajoutant de nouvelles dispositions, contribue à l’empilement législatif.

Ce texte est-il opportun, alors que nous parlons en ce moment même des dérives des prétranspositions et que la directive relative à la surveillance et à la résilience des sols est en cours de négociation ? Devons-nous réellement anticiper une transposition qui devra faire l’objet d’un second texte par la suite ? La commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen en est à peine au stade de la discussion. Hier, la commission de l’agriculture et du développement rural a changé les objectifs… N’allons pas trop vite.

Mettre en place une stratégie nationale pour la protection et la résilience des sols, imposer un diagnostic de performance écologique des sols ou encore créer un haut-commissaire à la protection et à la résilience des sols ne me semblent pas constituer des mesures très efficaces. Et confier aux agences de l’eau la préservation des sols me semble être une bien mauvaise idée. Leur fonctionnement, assez opaque, est très décrié sur le terrain. Les élus locaux en subissent souvent les conséquences. Je profite d’ailleurs de cette intervention pour lancer un appel à mieux imaginer le fonctionnement de ces agences, devenues parfois de véritables principautés.

Avant de me faire accuser d’être vendu à certains lobbies, mes chers collègues, je souhaite apporter quelques précisions sur mon exploitation agricole. J’ai installé Xavier Mathias, bien connu pour ses positions publiques très tranchées, sur mon exploitation. J’ai travaillé avec Maxime de Rostolan sur Ferme d’avenir. Je suis le méchant agriculteur du film On a 20 ans pour changer le monde… Cela me blesse un peu, madame Bonnefoy, d’entendre dire que nous serions tous vendus à des lobbies.

Les seuls sols morts que je connaisse sont sous le bitume des villes, sous le plastique de certaines exploitations – et ils sont parfois réellement morts après avoir été passés à la vapeur de certaines machines pour des productions dites biologiques… Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants s’opposera à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Jacquin. On avait compris !

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Antoine. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Antoine. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le travail du rapporteur et de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

Qui pourrait récuser l’objectif visé par le présent texte ? Qui pourrait ne pas vouloir préserver les sols vivants ? Personne, évidemment. La présente proposition de loi affiche la louable intention de mieux protéger un milieu fragile et essentiel à la vie. Pour autant, les conditions propices à son adoption sont loin d’être réunies.

Les auteurs de ce texte entendent élaborer un cadre juridique permettant une meilleure protection des sols vivants, alors même que la Commission européenne a présenté une proposition de directive sur le sujet. Il ne m’apparaît pas tout à fait opportun d’anticiper sur cette directive, d’autant que les discussions européennes en cours semblent diverger des orientations du présent texte. Nous pourrions donc être contraints de revenir sur certaines mesures au moment de la transposition de la directive.

Ce texte nous paraît à tout le moins prématuré.

Par ailleurs, n’oublions pas que la création d’obligations nouvelles s’imposant aux seuls gestionnaires et exploitants nationaux des sols risque d’engendrer des distorsions de concurrence que seul le droit européen peut éviter.

L’imposition d’un diagnostic de performance écologique des sols agricoles et forestiers, quant à elle, apparaît en décalage avec la forte demande sociétale de simplification des normes.

Depuis des semaines, nos agriculteurs manifestent, à juste titre, contre l’excès de normes. Certes, nous ne pouvons légiférer exclusivement en fonction d’approches conjoncturelles, mais il serait incohérent de ne pas écouter ceux qui nous demandent de desserrer les contraintes qui pèsent sur eux. Le sol étant leur outil de travail, il est certain que les agriculteurs tiennent eux aussi à le protéger et à entretenir la biodiversité. Qui pourrait saborder son propre outil de travail ?

Il conviendrait plutôt de réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour protéger les sols sans accabler les acteurs du secteur agricole par de nouvelles normes contraignantes.

Enfin, le texte vise à créer un haut-commissaire à la protection et à la résilience des sols ; or, la création d’une nouvelle autorité, c’est le pendant de l’inflation législative.

Pour cette raison, nous suggérons d’attendre un moment plus propice pour voter un texte en ce sens. Vous l’aurez compris, le groupe UC ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)