Mme la présidente. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Martin, rapporteur. Je ne reviens pas sur les nombreux points, sur lesquels j’ai déjà répondu, qui sont communs avec la présentation de la motion tendant à opposer la question préalable. Je me contenterai de répondre à l’un des arguments avancés en faveur de la motion tendant au renvoi à la commission.

Monsieur le sénateur, vous évoquez le report de la loi de programmation sur l’énergie et le climat, qui devra fixer les grands objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie et de la SNBC.

Je regrette également l’absence de discussion parlementaire sur le sujet, notamment en raison de la suppression des articles programmatiques du projet de loi relatif à la souveraineté énergétique. Il est en effet indispensable qu’ait lieu dans cet hémicycle un débat sur la stratégie française pour l’énergie et le climat. Toutefois, quel rapport avec le texte que nous étudions aujourd’hui ? La stratégie énergétique et la gouvernance de la sûreté nucléaire sont deux sujets distincts !

Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Béchu, ministre. Avant d’émettre un avis sur la motion présentée par Sébastien Fagnen ou de répondre à l’intervention de Fabien Gay, je tiens à apporter la précision suivante.

Dans mon empressement à répondre à Ronan Dantec, j’ai fait référence au fait qu’il était, lui, fondamentalement hostile à la relance du projet nucléaire et qu’il utilisait par conséquent cette motion tendant à opposer la question préalable aux seules fins de mobiliser tous les arguments à sa disposition. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

M. Thomas Dossus. Caricature !

M. Christophe Béchu, ministre. Il ne s’agissait pas pour moi de dire qu’être hostile à ce texte signifiait par principe être hostile au processus de relance du nucléaire.

Monsieur Fagnen, votre argumentation s’articule autour de deux points. D’une part, vous indiquez qu’il n’y aurait pas eu assez de temps ; d’autre part, vous posez un certain nombre de questions précises.

L’argument du temps, qui était valable au début du processus législatif, a été gommé par la confiance que nous avons tous accordée aux travaux de l’Opecst, grâce à l’intervention de Sophie Primas, alors présidente de la commission des affaires économiques, comme par l’énergie que nous avons consacrée à parvenir à un texte transpartisan et examiné par tous.

Pour ma part, je considère que l’Opecst non seulement a pris son temps, mais a été capable de porter un regard objectif sur les enjeux. Ce travail a pris la forme d’un rapport de plus de cent pages, s’appuyant sur les nombreuses auditions qui ont été menées.

J’en viens aux questions proprement dites qui ont été soulevées à l’occasion de la présentation de cette motion. Le débat en séance publique sert précisément à apporter des réponses ! Le débat en commission a eu lieu ; les points qui le méritaient ont été soulevés. C’est non pas en renvoyant le texte en commission, mais bien en l’examinant dans l’hémicycle, que vous pourrez obtenir les assurances que vous attendez.

Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Monsieur le ministre, nous avons l’habitude d’avoir des échanges plus structurés : vous semblez vous engager là dans une voie extrêmement dangereuse…

Si, au prétexte que l’on est plutôt antinucléaire, les arguments que l’on pourrait avancer sur la sécurité sont d’emblée disqualifiés, c’est très problématique pour le débat public en France.

Je repense tout à coup à ma jeunesse et j’ai l’impression de revenir à Plogoff, où les débats se passaient exactement ainsi, ce qui ne faisait que radicaliser les oppositions, au point que le nucléaire a battu en retraite dans toute la Bretagne, de la Loire-Atlantique au Finistère.

Il faut donc absolument ne pas mélanger les débats. La discussion d’aujourd’hui porte non pas sur le nucléaire, mais sur le risque. Je suis intervenu notamment en tant qu’ancien vice-président d’une grande métropole qui a connu un nuage toxique et de graves problèmes.

Monsieur le ministre, je vous le redis : on ne peut pas avoir un débat aussi caricatural, et je pense que certaines interrogations viendront ce soir de pronucléaires qui, pour autant, ne sont pas du tout d’accord avec cette évolution.

Je le redis d’autant plus volontiers que vos interventions ne nous rassurent pas, monsieur le ministre : si l’on perd la triangulation et l’indépendance de l’expertise, qui permettent de soulever des questions sans lien avec les décisions qu’il faut de plus en plus souvent prendre dans l’urgence – vous avez d’ailleurs confirmé qu’il y avait urgence –, on fragilise très profondément la sécurité et la sûreté nucléaire. Il s’agit donc d’un enjeu majeur, que l’on soit pro ou antinucléaire.

Par ailleurs, j’évolue. Avant, j’étais antinucléaire pour des raisons environnementales ; aujourd’hui, je le suis plutôt pour des raisons économiques : 30 euros le kilowattheure pour le photovoltaïque, contre 100 euros pour le nucléaire, cela ne sera plus tenable dans dix ou quinze ans.

Enfin, je ne pourrai pas participer à la suite de nos travaux ce soir. J’en suis vraiment désolé,…

M. Stéphane Piednoir. Et nous donc !

M. Ronan Dantec. … mais j’ai pris des engagements auprès de la présidence belge du Conseil de l’Union européenne. En effet, demain s’ouvre le sommet Climate Chance Europe 2024 Wallonie, dont le thème principal est « Adaptation au changement climatique, solutions basées sur la nature et résilience ». Je vous prie de m’en excuser.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 2 rectifiée, tendant au renvoi à la commission.

(La motion nest pas adoptée.)

Discussion générale commune (suite)

 
 
 

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour réussir notre transition énergétique et nous passer des énergies fossiles, il nous faut de l’électricité, beaucoup d’électricité. Même pour obtenir de l’hydrogène vert ou des biocarburants, il faut de l’électricité.

Si nous attendons toujours l’examen de la loi structurante de programmation énergétique, l’accélération de la production nucléaire est, en revanche, lancée. En effet, nous aurons besoin du nucléaire pour faire face aux défis qui nous attendent dans un contexte géopolitique et climatique de plus en plus incertain.

L’énergie nucléaire représente un défi organisationnel et humain autant que technique, procédural et financier.

Notre système repose sur quatre piliers assurant un équilibre solide, qui s’est construit tout au long de notre histoire nucléaire.

Voilà vingt-cinq ans, la France a mis en place un système dual singulier, qu’a rappelé Stéphane Piednoir. En effet, à la suite des accidents nucléaires, notamment à Tchernobyl, le système fut réinterrogé. Il a été décidé de valoriser la démonstration permanente de la sûreté nucléaire s’appuyant sur le débat scientifique contradictoire autour du risque et rendu indépendant du pouvoir politique. L’objectif, atteint au regard des enquêtes d’opinion, était de créer un choc de confiance auprès de nos concitoyens.

Cette évolution continue du système français, qui repose sur la « démonstration de sûreté et de sécurité », s’articule depuis le modèle historique du CEA, aujourd’hui Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, autour d’une différenciation culturelle entre les quatre piliers que sont l’opérateur, avec son approche industrielle, l’IRSN, avec son approche scientifique des risques, l’ASN, avec son approche réglementaire fondée sur le concept de conformité, et, enfin, la confiance de la société civile.

Pour autant, aujourd’hui, avec le développement d’internet, nous sommes dans une société de réseaux sociaux et de désinformation permanente où tous les moyens de semer le doute et d’anéantir la confiance sont en place.

Je le rappelle, la confiance passe par la meilleure transparence possible. Si l’expertise ne doit pas dicter la décision, cette dernière ne doit pas étouffer la transparence de l’expertise. Or cette réforme instille le doute et affaiblit la confiance. Avec cette fusion, le Gouvernement scie le quatrième pied de la chaise sur laquelle est assise l’acceptabilité du nucléaire au moment de sa montée en puissance.

La création de l’IRSN et le statut d’autorité administrative indépendante pour l’ASN reposaient sur trois exigences : la transparence, la nécessité d’éclairer les décisions publiques en matière de risques nucléaires et radiologiques et l’indépendance de la décision publique.

Une quatrième exigence essentielle propre à l’environnement nucléaire français consiste en un équilibre entre la sûreté « réglée », c’est-à-dire la capacité à respecter les règles et à démontrer la conformité à celles-ci, propre à l’ASN, et la sûreté « gérée », c’est-à-dire la capacité à assurer la sûreté dans toutes les circonstances, même imprévues ou imprévisibles, propre à l’IRSN. Cet équilibre ne peut pas être prescrit, mais résulte des choix organisationnels.

Ce double débat peut donner une impression de complexité du système. Il est pourtant indispensable au maintien d’une bonne capacité de détection des signaux faibles, pour ne pas s’en tenir à la simple affirmation d’une conformité potentiellement nuisible.

Dans ces conditions, pourquoi réformer aujourd’hui ce système sur le fondement d’une analyse incomplète ? Pour quel objectif, dans un contexte de plus en plus instable ?

L’étude d’impact n’apporte aucune réponse, ni sur les éventuels dysfonctionnements actuels ni sur les améliorations apportées par la nouvelle organisation.

Nous relançons le nucléaire, prolongeons des réacteurs, acceptons l’arrivée de réacteurs modulaires dans un contexte de changement climatique et d’instabilité géopolitique. Dans le même temps, nous déstabilisons tout notre système de sûreté et sécurité pour aller plus vite. Mais aller plus vite vers quoi ? L’accident ?

L’organisation proposée par ce texte entraînera des contre-performances qui ne pourront être appréciées que dans la durée. Elles concerneront, tout d’abord, la viabilité de notre capacité de recherche, ensuite, la proportionnalité des mesures de sûreté, puis les liens de sûreté et sécurité entre nucléaire civil et de défense, et, enfin, la transparence et la confiance.

L’IRSN, soutenu et encouragé par le débat public, a permis le partage des connaissances avec la société civile.

Le projet de loi met également en péril à court terme notre organisation. Il fragilise les équipes dans un contexte clé de relance du nucléaire. La fusion conduira à un choc culturel. Il déconnecte la sûreté nucléaire de la sécurité nucléaire, alors que les deux sont intimement liés. Il réduit la transparence au bon vouloir de la nouvelle structure, qui opérera ses propres choix de publication. Il renvoie l’essentiel à un futur règlement intérieur, qui ne dit rien de l’équilibre organisationnel.

Le calendrier esquissé de construction de la nouvelle génération de réacteurs nucléaires laisse largement le temps de réformer notre système de contrôle et de sûreté nucléaire avec toutes les précautions souhaitables.

Oui, il y a urgence à prendre le temps de bien faire. Plus vite, moins cher et plus efficace ne signifie pas piétiner les intérêts scientifiques au bénéfice d’intérêts économiques et financiers ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Anglars. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne puis commencer mon propos sans dire un mot de la genèse de ce texte.

Le 3 février 2023, à l’issue du Conseil de politique nucléaire, a été annoncée la volonté de fusionner l’IRSN avec l’ASN.

Cette réforme devait être introduite par le biais d’amendements du Gouvernement au projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, sans concertation, sans évaluation préalable et sans avis du Conseil d’État.

Elle devait aussi être adoptée sans examen par le Sénat, puisque les deux amendements présentés par le Gouvernement l’ont été devant l’Assemblée nationale, alors que le Sénat s’était, pour sa part, déjà prononcé. Fort heureusement, ces amendements ont été rejetés par l’Assemblée nationale et n’ont pas été réintroduits en commission mixte paritaire. Résultat, la loi promulguée au mois de juin dernier ne comporte aucune disposition relative à cette fusion.

Quelle urgence justifiait une réforme aussi mal engagée ? La semaine dernière, dans son discours de politique générale, le Premier ministre Gabriel Attal a réaffirmé le rôle primordial du Sénat et rappelé qu’il n’y a pas de République sans bicamérisme. Pouvons-nous en conclure que ce type de pratique ne se reproduira plus ? Quoi qu’il en soit, le refus du Parlement a donné le temps de la réflexion – il en faut.

Deux projets de loi, l’un organique et le second ordinaire, proposant trois réformes techniques, ont finalement été déposés. Ils ont fait l’objet d’une étude d’impact, d’un avis du Conseil d’État et même, depuis plusieurs semaines, d’un examen par le Sénat.

Il ne s’agit plus seulement de fusionner l’ASN et l’IRSN, mais de simplifier les règles de la commande publique applicables aux projets de production, de recherche ou de stockage nucléaires, ainsi que de repositionner le HCEA.

Le refus du Parlement a laissé le temps à l’Opecst d’analyser cette réorganisation. Je tiens ici à saluer la réactivité de la commission des affaires économiques du Sénat, qui a saisi l’Office dès le mois d’avril 2023.

Il ne faut pas s’y tromper, l’enjeu de ce texte est bien la sûreté nucléaire. Comme l’a très justement rappelé Michaël Mangeon, historien du nucléaire, devant l’Opecst, « l’histoire nous montre que le système et son fonctionnement sont une cause profonde d’accident nucléaire. […] En conséquence, toute décision de réforme du système a un impact, direct ou indirect, sur la sûreté nucléaire et doit être analysée en profondeur. »

La réforme proposée consiste notamment à fusionner l’IRSN, établissement public industriel et commercial (Épic) chargé d’effectuer les recherches sur les risques liés à la radioactivité, qui compte plus de 1 700 agents, et l’ASN, gendarme du nucléaire, autorité administrative indépendante chargée du contrôle de la sûreté nucléaire via des contrôles, des recommandations et des avis, qui compte environ 500 agents.

À compter du 1er janvier 2025, la nouvelle ASNR, qui sera une autorité administrative indépendante, reprendra l’ensemble des missions de l’ASN et de l’IRSN.

Cette fusion suscite des inquiétudes légitimes sur le risque de désorganisation, de perte des compétences, d’augmentation des coûts, de confusion des missions, de dégradation de l’évaluation des risques ou encore de perte de transparence vis-à-vis du public.

Si le système actuel a donné satisfaction, cette réforme est justifiée par les perspectives de développement du nucléaire, inégalées depuis le plan Messmer, et par la nécessité de faire face aux enjeux majeurs de souveraineté énergétique. Son objectif est de fluidifier les processus à un niveau inchangé de sûreté nucléaire.

L’Opecst a confirmé l’opportunité d’une telle fusion et formulé diverses recommandations ; la plupart ont été reprises par nos rapporteurs, Pascal Martin et Patrick Chaize, dont je salue le travail. C’est donc une réforme consolidée qui nous est soumise.

Si elle est correctement mise en œuvre, les avantages de cette fusion seront multiples : efficacité accrue, meilleure adaptation aux enjeux contemporains de la sûreté nucléaire, amélioration de la gestion de crise, ou encore renforcement de l’attractivité.

Plusieurs points mériteront une vigilance particulière, et nous aurons l’occasion de les évoquer. Sans augmentation significative des effectifs affectés aux activités de sûreté nucléaire civile et de radioprotection, tant en matière de contrôle et d’expertise que de recherche, cette fusion sera un échec pour la sûreté de notre pays.

Ces réserves ainsi exprimées, le groupe Les Républicains votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christopher Szczurek.

M. Christopher Szczurek. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le développement et le déploiement de nouvelles structures électronucléaires constituent une ardente obligation pour assurer à la France son indépendance, sa souveraineté et une croissance respectueuse de l’environnement.

Le texte qui nous est présenté, sous son aspect fortement technique, témoigne d’une volonté renouvelée d’investir dans nos centrales nucléaires. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette victoire idéologique.

Pendant des décennies, nous avons défendu, seuls ou presque, le maintien de notre puissance nucléaire, au milieu des thuriféraires de la décroissance et des pourfendeurs européens du nucléaire, soutiens, en fait, du charbon.

La réunion des deux autorités que sont l’ASN et l’IRSN a provoqué, nous le savons, des inquiétudes, tant à l’Assemblée nationale qu’auprès des professionnels de la gouvernance du nucléaire. Nous nous félicitons que le Gouvernement ait entendu l’avis des chambres en proposant un texte pour organiser la création de l’ASNR.

Le travail de qualité du Sénat a permis de rendre ce texte plus lisible, d’améliorer la publicité des rapports et des communications qui seront données par la nouvelle agence et de garantir la qualité de l’expertise donnée et la célérité des autorisations transmises. Néanmoins, nous exprimons notre inquiétude devant une bureaucratisation tendancielle de notre industrie nucléaire.

Ce texte devra, en pratique, atteindre l’objectif d’amélioration de la rapidité des délivrances d’autorisation de construction ou de renouvellement des centrales. Si la sécurité doit être une priorité, bien évidemment, prudence ne doit pas rimer avec impotence. Notre parc électronucléaire a été construit sans l’existence de ce dualisme d’instances, qui a, ces dernières années, contribué à affaiblir la confiance des Français envers leurs centrales nucléaires et à ralentir le processus de croissance industrielle et de création de nouvelles centrales.

Depuis l’accident nucléaire de Fukushima, les activistes antinucléaires ont répandu une désinformation irresponsable sur cette source d’énergie pourtant propre, souveraine et bon marché. Ce travail lancinant a porté ses fruits empoisonnés, particulièrement auprès de notre jeunesse et au sein des gouvernements qui se sont succédé depuis lors. Résultat, notre filière nucléaire a été considérablement affaiblie et fragilisée, ce qui a mis en péril la stabilité de notre production électrique et participé à alourdir sans cesse les factures des ménages et des entreprises.

Depuis sept ans, le Gouvernement a multiplié les atermoiements autour de la filière nucléaire, annonçant, dans un premier temps, sa volonté d’abaisser à 50 % la part de cette dernière dans le mix énergétique, avant de revenir sur ses décisions et d’entreprendre, bien des années trop tard, un plan d’accélération et de renouvellement de notre parc, encore largement insuffisant.

Pour autant, sans surprise, nous soutiendrons ce texte et voterons tous les amendements visant à l’améliorer, tout en conservant son principe premier d’une autorité unique, placée sous le regard des chambres et des Français, pour garantir la sûreté de notre parc électronucléaire et le développement plus rapide de nouvelles centrales, qui est absolument nécessaire à une énergie nationale souveraine, permettant une croissance durable, respectueuse de l’environnement et symbolique du génie français. (M. Joshua Hochart applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette. (M. Jean-François Longeot applaudit.)

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, nous sommes tous heureux de vous accueillir ce soir. Mes chers collègues, questionner le fonctionnement et la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection est une nécessité. Ce sujet se pense bien évidemment à long terme, tout comme la souveraineté énergétique, sur laquelle nous attendons avec impatience un projet de loi.

Je me permets d’insister sur ce point, car les enjeux d’indépendance énergétique pour la France et l’Union européenne sont colossaux. De plus, aux États-Unis la menace Trump – un remake qui serait bien âpre – est sérieuse. La montée des populistes aux prochaines élections européennes est annoncée dans tous les sondages d’opinion. L’essentielle souveraineté européenne pourrait donc, bien malgré elle, se retrouver prise en étau entre l’extrême droite américaine et certaines forces de l’extrême droite européenne.

Quels que soient les résultats de ces élections, et comme l’ont prouvé les deux dernières années, notre souveraineté passe par notre indépendance énergétique. Je tiens donc à saluer la volonté de relance de la filière nucléaire manifestée par le Gouvernement depuis le discours de Belfort. Depuis toujours, je défends cette énergie, dont la France peut être fière d’être l’un des leaders mondiaux. Je soutiens l’action du Gouvernement sur la place du nucléaire en Europe et j’observe que de moins en moins de pays remettent en cause son rôle déterminant. Il est donc temps de transformer l’essai !

Si la sûreté nucléaire et la radioprotection se pensent à long terme, elles doivent aussi être abordées avec flexibilité et en prévoyant une possibilité d’amélioration constante. J’ai noté les critiques sur le calendrier d’examen de ce projet de loi, et je les entends. Il faut néanmoins rappeler que ce travail remonte à plusieurs mois déjà.

Maintenant que la relance est amorcée, il est temps d’agir. De manière générale, elle pose de nouveaux défis. Beaucoup ont déjà été énoncés, mais il n’est pas inutile de les citer encore. Je parle bien sûr du nouveau nucléaire, des SMR, de notre parc vieillissant, de l’indispensable adaptation au dérèglement climatique ou encore de la sécurité du marché de l’électricité, qui est un enjeu économique et géopolitique : nous évoquions encore récemment dans cet hémicycle sa réforme, que nous souhaitons quasiment tous.

Les enjeux sont immenses ; les réponses doivent l’être tout autant. Je salue donc le travail qui a été fourni au sein des deux commissions saisies.

En revanche, je partage les craintes, majeures, évoquées par les divers acteurs, notamment les deux rapporteurs, en particulier s’agissant de la distinction entre expertise et décision. La création d’une commission d’éthique et de déontologie ainsi que le recours possible à des groupes permanents d’experts devraient renforcer l’architecture de l’ASNR, et ainsi rassurer.

Je crois en l’importance d’un dialogue constant entre la nouvelle ASNR et la filière nucléaire, où la recherche et l’innovation sont importantes. Il faudra néanmoins être attentifs aux conflits d’intérêts, et je pense que les dispositions de l’article 2, notamment, participent à notre vigilance.

La transparence sera également cruciale. L’information doit pouvoir circuler auprès du public et des acteurs concernés. Cela contribue à l’acceptation, indispensable, par les citoyens. Le rôle qu’aura l’Opecst, complété par les commissions compétentes du Parlement, est tout aussi essentiel en la matière.

Les missions et attributions de l’ASNR seront déterminantes, tout comme son règlement intérieur. Après les discussions en commissions, au vu des amendements déposés et des premières interventions, je n’ai aucun doute : ce sujet fera partie des plus discutés. Il sera la clé de la réussite de l’ASNR, et je forme le vœu que le contenu du règlement prenne en compte les enjeux que nous avons pu soulever.

Dernier point, et non des moindres : plusieurs collègues ont évoqué les salariés et leurs compétences. Les conditions du transfert des salariés, leur rémunération et les conditions d’accès à l’emploi ont un impact déterminant sur l’attractivité de ces métiers d’excellence. Nous relançons le nucléaire et avons la chance de pouvoir compter sur un vivier de personnes compétentes. Il faut leur permettre de rester en France pour servir notre pays, et de continuer à faire évoluer leurs compétences : les voir partir au service de puissances étrangères serait un échec majeur de cette réforme.

Je terminerai en rappelant que nous avons besoin d’accorder les moyens nécessaires au secteur nucléaire.

Ce projet de loi est une facette non négligeable de la reconstruction de l’indépendance énergétique amorcée en France et en Europe. C’est pourquoi, malgré les points de vigilance que nous avons évoqués et que nous gardons à l’œil, parce que ce texte apporte des solutions, le groupe Les Indépendants – République et Territoires le votera. (M. le rapporteur et M. Jean-François Longeot applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque le Gouvernement a tenté, en 2023, de fusionner l’ASN avec l’IRSN, nombre d’entre nous ont émis des doutes sur ce projet et demandé son retrait. En effet, cette réforme posait de nombreuses questions, qui ne pouvaient trouver de réponses satisfaisantes dans les délais qui nous étaient impartis.

Heureusement, le Gouvernement nous a écoutés, ce qui a permis aux parlementaires de mieux examiner la pertinence de cette réforme, sa faisabilité, ses limites et le calendrier à suivre si l’on choisissait de la mener à terme.

À ce titre, le rapport de Stéphane Piednoir et Jean-Luc Fugit à l’Opecst est venu utilement rappeler que la relance du nucléaire passe par la maîtrise de multiples enjeux : construction de nouveaux réacteurs EPR de seconde génération, évolutions technologiques, prolongation de la vie des réacteurs existants, gestion des déchets nucléaires, adaptation des infrastructures au changement climatique et aux risques cyber, démantèlement des centrales en fin de vie… Autant de défis auxquels peuvent s’ajouter des imprévus, tels que les problèmes de corrosion sous contrainte rencontrés récemment dans notre parc.

Avec le recul, ce contexte semble plaider efficacement en faveur d’une seule entité, issue d’un rapprochement entre IRSN et ASN.

Nous voilà donc prêts à débattre de cette fusion, un an après son annonce initiale, ayant pris à cœur le conseil de l’Opecst sur la nécessité de tenir un calendrier resserré de mise en œuvre de la réforme. De son côté, le Gouvernement a profité de ce délai pour affiner sa copie, désormais étayée par une étude d’impact bienvenue.

Le texte établit l’ASNR en interlocuteur unique et indépendant, chargé du contrôle et de l’instruction des dossiers de sûreté et de radioprotection, ouvert sur la société, doté de moyens internes forts tout en ayant la faculté de les compléter auprès de partenaires externes et pouvant s’appuyer à la fois sur une recherche de renommée internationale et sur des groupes permanents d’experts, propices à la confrontation des points de vue.

Par ailleurs, dans un contexte de tensions sur les recrutements dans la filière nucléaire, tensions liées à la relance de cette dernière, cette évolution doit permettre de regrouper les compétences rares tout en améliorant l’attractivité de ses métiers, au travers d’une diversité des statuts possibles, des parcours de carrière, y compris sur le plan géographique, et par des mesures d’ordre salarial permettant d’engager un nécessaire rééquilibrage par rapport au secteur privé.

J’en viens aux avancées apportées lors de l’examen de ce texte en commission, grâce à l’excellent travail mené par mes collègues rapporteurs, Pascal Martin et Patrick Chaize, dont je salue l’engagement.

Je me réjouis de la consécration législative des groupes permanents d’experts, qui garantira une évaluation impartiale, ainsi qu’une prise de décision fondée sur les meilleures pratiques et les connaissances les plus récentes. En outre, j’approuve l’inscription dans la loi du principe de publication des résultats d’expertise de l’ASNR, qui vaudra également pour les avis des groupes permanents d’experts, comme c’est le cas dans la pratique actuelle.

La crédibilité du système de sûreté nucléaire repose sur cette exigence de transparence, absolument indispensable pour assurer l’acceptabilité de la relance de l’atome dans notre pays.

Ces mesures essentielles viennent parachever un projet de loi ambitieux et exigeant. C’est pourquoi le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)