Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° 45.

M. Éric Bocquet. Après s’être attaquée aux périmètres et aux domaines pouvant faire l’objet d’actions de groupe, la commission des lois s’est employée à réduire drastiquement la liste des organisations ayant qualité à agir, c’est-à-dire des entités pouvant engager des procédures visant à obtenir cessation ou réparation du préjudice subi par plusieurs justiciables.

Aux termes du présent texte, seules les associations agréées et les organisations syndicales représentatives auraient la faculté de déposer une demande d’action de groupe. Exit les associations déclarées depuis deux ans au moins, dont l’objet est la défense d’intérêts spécifiques, c’est-à-dire qui se sont constituées aux seules fins de rassembler la force de plusieurs plaignants ; exit aussi les associations agissant pour au moins cinquante personnes ou cinq collectivités territoriales.

Comprimer la liste des organisations pouvant intenter de telles procédures revient à annihiler les bénéfices de l’élargissement des matières auxquelles est applicable l’action de groupe. Par ce détricotage, l’action de groupe est rendue difficile, voire impossible : elle devient un véritable parcours du combattant.

Pourquoi, à l’inverse, ne conférerait-on pas la faculté de déclencher une action de groupe à deux citoyens qui auraient subi le même préjudice ? Non : il a été convenu qu’il fallait nécessairement en passer par la forme associative, critère de surcroît assorti d’une condition de durée d’existence. Mais voilà qui serait déjà trop, estime-t-on désormais : avec une telle mesure, même ainsi limitée, les entreprises se trouveraient menacées par un trop grand risque de contentieux…

Il faut prendre l’impératif de justice au sérieux, mes chers collègues. Croyez-vous que nos concitoyens engageraient de telles procédures par simple malveillance, comme si réclamer réparation n’était pas long, fastidieux et coûteux ? On ne se présente pas devant le juge par plaisir !

Il faut sortir de cette logique qui voit le justiciable comme une menace au point qu’il faille en passer par un tiers. Faisons sauter les verrous et revenons à la rédaction initiale de ce texte, celle qui, je le rappelle, fut adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale !

Mme la présidente. L’amendement n° 52, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1, au début

Insérer les mots :

Sauf dans les cas prévus au II de l’article 1er bis A,

II. – Alinéas 8 à 11

Rédiger ainsi ces alinéas :

I bis. – L’action de groupe peut être exercée par les organisations syndicales représentatives, au sens des articles L. 2122-1, L. 2122-5 ou L. 2122-9 du code du travail ou de l’article L. 221-1 du code général de la fonction publique, et les organisations syndicales représentatives de magistrats de l’ordre judiciaire :

a) en matière de discrimination ;

b) en matière de protection des données personnelles.

Les associations régulièrement déclarées depuis deux ans au moins intervenant dans la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap peuvent agir pour la défense des intérêts de plusieurs candidats à un emploi ou à un stage.

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement souhaite préserver le rôle spécifique des organisations syndicales en matière de représentation et de défense des intérêts des salariés et des agents publics.

En effet, les organisations syndicales sont les mieux placées pour assurer cette défense, étant entendu qu’elles peuvent déjà être en lien avec des associations. La reconnaissance d’un rôle spécifique pour les premières ne remet pas en cause celui des secondes : conformément au droit actuellement en vigueur, les associations pourront intervenir pour défendre les intérêts des candidats à un emploi, à un stage ou à une formation.

En outre, concernant les cas de discrimination à l’égard des candidats, cet amendement vise justement à ouvrir les actions de groupe aux associations régulièrement déclarées depuis deux ans, contre cinq ans actuellement.

L’adoption de cet amendement permettra ainsi de préserver un équilibre des rôles, en garantissant que les organisations syndicales restent centrales pour ce qui est de la défense des salariés et des agents.

Mme la présidente. L’amendement n° 7, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Après le mot :

personnes

insérer les mots :

physiques, morales ou un État étranger

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Il s’agit d’un amendement de précision visant à garantir l’indépendance des procédures engagées.

Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par Mmes N. Goulet et Billon, MM. Lafon, Bonneau, Bitz, Chasseing et A. Marc, Mme Sollogoub, MM. Canévet et Delcros, Mme Doineau, MM. Chatillon, Wattebled et Maurey et Mmes Devésa, Jacquemet et Romagny, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 10

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° En matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale ;

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Cet amendement vise à ajouter la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale aux matières susceptibles d’une action de groupe.

Il est extrêmement important que les organisations syndicales représentatives puissent agir dans ces domaines qui sont d’une actualité brûlante.

Mme la présidente. L’amendement n° 46, présenté par MM. Savoldelli, Gay, Bocquet et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 10

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° En matière de reconnaissance de la subordination définie à l’article L. 8221-6-1 du code du travail ;

La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Voilà, de la part de notre groupe, un amendement simple : il s’agit de permettre aux travailleurs des plateformes, via des collectifs – des syndicats – représentatifs, d’engager des actions de groupe pour faire reconnaître leur lien de subordination et, ainsi, de leur garantir la possibilité de faire requalifier leur statut.

Certes, faute de mieux, les collectifs existants ne représentent pas forcément la diversité de la profession. Pour autant, nous le savons, les travailleurs des plateformes sont livrés à eux-mêmes. Quand l’un d’entre eux, au terme de procédures longues, coûteuses et dissuasives, parvient à faire reconnaître le détournement du statut d’autoentrepreneur, les autres travailleurs sujets aux mêmes conditions ne profitent pas de cet acquis social.

Le contentieux via une action de groupe est possible, depuis peu, en matière de données personnelles : il y a là une réelle avancée. Il faut maintenant aller plus loin. Les travailleurs des plateformes subissant des préjudices similaires ou de même nature doivent pouvoir se coaliser face aux plateformes numériques qui rivalisent d’ingéniosité pour les priver de leurs droits.

Tout le monde ici le sait, les plateformes numériques sont des machines à précarité. Elles ne manquent pas d’avocats et contournent le droit du travail, exploitant chaque brèche.

Le droit, nous pouvons le changer. Nous ne devons pas attendre qu’aboutisse la directive européenne sur les travailleurs des plateformes, texte que, du reste, le Gouvernement ne cesse de bloquer. Les actions de groupe constituent un levier pour permettre aux travailleurs des plateformes de sortir d’une zone de non-droit.

Si nous ne légiférons pas, les décisions favorables aux travailleurs s’accumuleront partout chez nos voisins européens et nous devrons de toute façon y revenir.

Quand le droit ne protège plus, ce n’est plus du droit !

Mme la présidente. L’amendement n° 47, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 10

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° En matière d’infractions boursières ou financières et de fraude ou évasion fiscale ;

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Voici ce que déclarait il y a moins d’un an le ministre délégué chargé des comptes publics, devenu ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, désormais Premier ministre, Gabriel Attal – le temps passe vite, décidément ! (Mme Sophie Primas rit.) – : « La fraude est un poison lent pour notre pacte social. Chaque fraude fiscale est grave, mais celle des plus puissants est impardonnable. »

La fraude et l’évasion fiscales pénalisent certes les finances publiques et rompent le pacte social, c’est une évidence, mais la fraude fiscale et boursière mine aussi le pacte social dans les entreprises en éludant une partie de la richesse créée ou en sacrifiant l’outil productif à quelques actionnaires au profit d’une valorisation boursière rehaussée. Pour cette raison, nous estimons que les travailleuses et les travailleurs, par l’intermédiaire de leurs représentants, doivent pouvoir entamer une action de groupe pour demander réparation du préjudice subi en cas de fraude financière ou fiscale.

Si le « partage de la valeur » est érigé en priorité par le Gouvernement, il l’est non pas par le biais de revalorisations salariales, mais seulement, par exemple, par l’allocation d’actions gratuites ou de primes. Tout mécanisme de fraude est à cet égard extrêmement préjudiciable.

Le dispositif de partage de la valeur voté l’été dernier suppose une augmentation du résultat sur trois années consécutives. On le sait, ce même résultat net peut être éludé par des fraudes fiscales en tout genre, par exemple par des prix de transfert démesurés : le résultat net se trouve estompé, car artificiellement maquillé, ce qui prive les travailleurs de la valeur qu’ils ont produite.

Il est donc temps de reconnaître que celles et ceux qui sont en première ligne pour créer de la valeur doivent être en première ligne pour en tirer profit. Le profit n’est pas réservé aux actionnaires ! Il doit, sinon ruisseler, du moins bénéficier aux travailleurs via des augmentations de salaires convenables.

Ouvrir les actions de groupe aux syndicats représentatifs d’une entreprise qui lèse ses employés et leur octroyer la qualité à agir en matière de fraude fiscale revient à garantir aux salariés un droit de regard qui est, in fine, un droit salarial.

Mme la présidente. L’amendement n° 8 rectifié ter, présenté par Mme N. Goulet, MM. Menonville, Bonneau, Bitz, Chasseing, A. Marc et Henno, Mme de La Provôté, M. Delcros, Mmes O. Richard, Guidez, N. Delattre, Billon et Herzog, MM. Courtial et Chatillon, Mme Sollogoub, M. Wattebled, Mme Devésa, MM. Duffourg et Pillefer et Mmes Jacquemet et Romagny, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 11

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…. – L’action de groupe peut également être exercée par les organisations syndicales à vocation générale d’exploitants agricoles et les organisations des pêcheurs et des professions de la mer représentatives satisfaisant aux conditions prévues au I, lorsqu’elle tend à la cessation du manquement ou à la réparation de dommages causés par ce manquement à plusieurs de leurs adhérents.

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Il s’agit d’étendre la possibilité de l’action de groupe aux organisations syndicales à vocation générale d’exploitation agricole et aux organisations des pêcheurs et des professions de la mer.

La détresse des agriculteurs et la crise que vient de vivre notre pays, qui couvait depuis longtemps, justifient à elles seules cet amendement de bon sens.

Mme la présidente. L’amendement n° 51, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 11

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

…. – L’action de groupe peut également être exercée par un ou plusieurs avocats représentant les intérêts soit d’au moins cinquante personnes physiques, soit d’au moins cinq personnes morales de droit privé inscrites au registre du commerce et des sociétés depuis au moins deux ans, soit d’au moins cinq collectivités territoriales ou groupements de collectivités se déclarant victimes d’un dommage causé par le défendeur et répondant aux conditions prévues à l’article 1er de la présente loi.

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Mes chers collègues, nous avons essayé de vous convaincre de la nécessité de ne pas restreindre la liste des structures qui peuvent se voir reconnaître un intérêt à agir.

Cet amendement de repli vise quant à lui à permettre d’intenter une action de groupe, non pas directement, mais par l’intermédiaire d’un avocat. Vous vous méfiez des collectivités territoriales se regroupant en associations afin de faire valoir leurs droits ; dont acte. Mais pour quelle raison entretiendriez-vous une telle défiance pour cinq collectivités qui engageraient une procédure par l’entremise d’un avocat ?

La suppression de l’article 2 quinquies A relatif aux conditions de représentation des demandeurs par un avocat pose tout de même question sur votre rapport à la profession…

Lors de l’examen des précédents textes encadrant les actions de groupe, l’argument avait été avancé selon lequel les avocats ne sauraient être à la fois parties et défenseurs.

Quand bien même reconnaître la qualité à agir d’un avocat dans le cadre de l’action de groupe lui conférerait la qualité de demandeur au sens de la proposition de loi, il agirait dans l’intérêt des personnes physiques ou morales qui l’auraient mandaté pour ce faire.

L’article 411 du code de procédure civile ne dit pas autre chose : « Le mandat de représentation en justice emporte pouvoir et devoir d’accomplir au nom du mandant les actes de la procédure. » Nous ne saurions assimiler l’avocat à un mercenaire de l’action de groupe, à un « chasseur de primes », pour reprendre les termes cités tout à l’heure.

Enfin, il est nécessaire de rappeler qu’un avocat ne pourrait engager une action de groupe que conformément aux règles déontologiques qui encadrent l’exercice de sa profession, lesquelles constituent, à nos yeux comme aux vôtres, une garantie au bénéfice des justiciables.

Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par Mmes N. Goulet et Florennes, est ainsi libellé :

Alinéa 16

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Cet amendement vise à suivre une recommandation émise par le Conseil d’État dans son avis.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Depuis que nous avons commencé l’examen de ce texte, tout le monde me reproche ma mauvaise volonté. (Sourires.)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. En l’espèce, pourtant, j’ai proposé de supprimer le monopole des syndicats sur certaines actions, et c’est le Gouvernement qui, au travers de l’amendement n° 52, entend le rétablir.

Sur ce point, monsieur le garde des sceaux, je ne peux pas être d’accord avec vous : au contraire, en matière de contentieux du travail, les associations peuvent jouer à jeu égal avec les syndicats. Cela me paraît beaucoup plus sain et beaucoup plus ouvert.

Je sais bien qu’une telle position risque de ne pas plaire à grand monde, la commission proposant une orientation qui va à rebours de ce qui se fait, hélas ! dans ce pays. Reste que rien dans le code du travail ne s’oppose à ce qu’il n’y ait pas de monopole syndical ; je comprends donc mal ce qui justifierait un retour audit monopole.

Pour cette raison, la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 52.

L’amendement n° 27, présenté par M. Salmon, tend à restaurer les dispositions adoptées par l’Assemblée nationale relatives à la qualité pour agir et à ouvrir celles-ci aux avocats représentant des intérêts soit d’au moins cinquante personnes physiques, soit d’au moins cinq personnes morales de droit privé inscrites au registre du commerce et des sociétés depuis au moins deux ans, soit d’au moins cinq collectivités territoriales ou groupement de collectivités. Outre qu’elle supprimerait des dispositions de transposition nécessaires, l’adoption de cet amendement reviendrait à ouvrir à l’excès la qualité pour agir.

D’une part, le champ de la qualité pour agir tel que défini à l’Assemblée nationale paraît excessivement large. La commission s’est précisément attachée à restaurer un agrément permettant de garantir le sérieux et de contrôler la transparence des associations qui engageront des actions de groupe. Cette garantie est fondamentale afin d’éviter que des associations créées en peu de temps et représentant peu de personnes n’agissent comme les faux nez d’entreprises cherchant à nuire à leurs concurrents.

D’autre part – et cela me permet de répondre à plusieurs d’entre vous, mes chers collègues –, la commission est défavorable à l’ajout des avocats parmi les personnes ayant qualité pour agir. En procédant à un tel ajout, nous nous approcherions dangereusement du système de la class action à l’américaine (M. le garde des sceaux acquiesce.), auquel nous sommes nombreux à nous opposer et qui ne correspond nullement à notre système juridique : absence de dommages-intérêts punitifs et de procédure de discovery, en particulier. Si l’on veut vraiment s’acheminer vers la class action, autant intégrer dans notre droit l’ensemble des modalités qui lui sont inhérentes ; le cas échéant, ceux-là mêmes qui militent pour la présence d’avocats dans la procédure ne tarderaient pas à déchanter…

Avis défavorable, donc, sur l’amendement n° 27.

Pour les mêmes raisons, la commission a émis un avis défavorable sur les amendements identiques nos 21 rectifié, 28 et 45, qui visent à restaurer l’article 1er bis dans sa rédaction adoptée par l’Assemblée nationale. Elle a en effet estimé nécessaire de mieux encadrer la qualité pour agir.

Depuis le début de l’examen de ce texte, je passe pour le méchant.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il en faut toujours un, ma chère collègue, sauf que, méchant, je ne le suis pas.

Vous préféreriez donc des associations constituées le matin même, qui comptent cinq adhérents et auxquelles on demande une attestation sur l’honneur griffonnée sur un bout de papier, dont la seule valeur est celle de l’encre qui a servi à la produire ? (MM. Hussein Bourgi et Daniel Salmon protestent.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Quelle nuance, quelle subtilité !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il n’y avait pas plus de subtilité dans les propos que j’ai entendus !

Je vous propose d’insérer dans le texte ce qui figure dans la directive européenne elle-même, c’est-à-dire de prévoir l’intervention d’associations dont l’activité et la transparence financière sont publiquement reconnues. Je ne vois là rien d’impossible pour des associations…

J’avoue ne pas comprendre la position de M. Bocquet, qui déplore que seules les associations agréées puissent, aux termes du texte de la commission, introduire une action de groupe. Aujourd’hui, au regard des conditions requises, n’importe quelle association peut recevoir l’agrément !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. On leur demanderait simplement d’être transparentes et d’avoir une activité, ce qui, je le répète, n’est quand même pas compliqué pour une association ! Les conditions de sérieux doivent être les mêmes pour tout le monde… Pour ce qui est des actions transfrontières, ce sont les mêmes critères qui seront exigés pour les associations européennes qui intenteront en France une action de groupe.

L’amendement n° 7 de Mme Goulet vise à préciser que les personnes ayant qualité pour agir ne sont pas influencées par des États étrangers. Je comprends l’intention et je la partage, les États étrangers pouvant s’employer à déstabiliser une entreprise par ce moyen. Reste que la commission émet un avis défavorable sur cet amendement, car la disposition dont il est question me semble poser deux difficultés techniques.

D’une part, la commission s’est fondée, pour la rédaction de ce critère qui a trait aux conflits d’intérêts, sur la directive européenne relative aux actions représentatives. En complétant ce critère de la façon proposée par notre collègue, je crains que nous ne procédions à une surtransposition préjudiciable à notre cadre juridique.

D’autre part, je m’interroge sur l’opérationnalité du dispositif : si, dès lors qu’une entreprise d’une autre nationalité, y compris non concurrente de l’entreprise française défenderesse à l’action, finance une association, l’on considère que l’État étranger de résidence de l’entreprise financeuse exerce ainsi une influence, on finira par prévenir tout financement international, ce qui ne me semble pas l’objectif. Cela pourrait même nuire gravement aux actions transfrontières, en infraction aux dispositions de la directive Actions représentatives que cette proposition de loi entend pourtant transposer.

Sur l’amendement n° 51 de M. Bocquet, qui tend à ouvrir aux avocats la qualité pour agir, la commission émet un avis défavorable, pour les raisons que j’ai déjà évoquées. L’octroi aux avocats d’une qualité pour agir me paraît ouvrir à l’excès le champ de l’action de groupe et rapprocher notre système des dérives de la class action.

J’en viens à l’amendement n° 6, qui a pour objet de supprimer l’obligation faite aux personnes ayant qualité pour agir de publier des informations relatives aux actions de groupe qu’elles ont engagées. La commission en demande le retrait ; à défaut, l’avis serait défavorable. L’alinéa 16, que Mme Goulet entend supprimer, vise précisément, conformément à la recommandation du Conseil d’État, à transposer une disposition de la directive européenne.

Sur l’amendement n° 8 rectifié ter, la commission émet un avis favorable.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Quelle audace ! (Sourires.)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Quelle audace, en effet ! (Nouveaux sourires.)

Cet amendement tend à inclure les syndicats agricoles et les syndicats de pêcheurs parmi les personnes ayant qualité pour agir.

M. Hussein Bourgi. Vous avez raison !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. N’est-ce pas ?

M. Hussein Bourgi. Il faut maintenant élargir aux autres !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il est nécessaire de répondre à la crise que vient de traverser le monde agricole.

Mme Audrey Linkenheld. Il était temps : c’est un premier pas !

M. Hussein Bourgi. Et les pêcheurs ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Évidemment : les pêcheurs sont eux aussi concernés.

M. Hussein Bourgi. Y compris en Méditerranée ? (Sourires.)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Évidemment, mon cher collègue !

Je ne peux émettre qu’un avis défavorable, en revanche, sur l’amendement n° 1 rectifié bis, qui est contraire à la position de la commission ; je comprends néanmoins l’intention de ses auteurs.

D’une part, l’universalisation du champ des actions de groupe implique qu’aucun champ n’en est a priori exclu, comme c’était auparavant le cas. L’on peut en déduire que, dès lors qu’un manquement est commis par toute personne agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de son activité professionnelle, il pourrait faire l’objet d’une action de groupe, à tout le moins en cessation de manquement, voire en réparation de préjudices, si un préjudice peut être identifié. L’intention de Mme Goulet me paraît donc satisfaite.

D’autre part, le rôle des syndicats est non pas de lutter contre l’évasion fiscale, mais de contribuer au dialogue social dans l’entreprise. Il me semble donc qu’ils ne seraient pas les plus indiqués pour agir en la matière.

Quant à l’amendement n° 46 de M. Savoldelli, son objet est incompatible avec les dispositions de l’article 1er bis A, qui limitent le champ des actions de groupe en matière de droit du travail aux seules discriminations : avis défavorable.

L’avis de la commission est défavorable également sur l’amendement n° 47 de M. Bocquet, pour les mêmes raisons déjà exposées à propos de l’amendement n° 1 rectifié bis, qui ont trait à l’universalisation du champ des actions de groupe.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, nous étions d’accord sur tout. Pour quelle raison vous êtes-vous arrêté en si bon chemin ? (Sourires.)

Je ne suis sans doute pas le plus objectif pour m’exprimer à ce propos, mais je trouve que l’amendement du Gouvernement a du sens. (Nouveaux sourires.) Vous n’en voulez pas, je l’entends ; la démocratie fera son œuvre.

Par ailleurs, j’ai la faiblesse de penser que l’amendement n° 8 rectifié ter de Mme la sénatrice Goulet, qui vise à élargir l’action de groupe aux syndicats agricoles représentatifs, est satisfait. En effet, les articles L. 2122-1, L. 2122-5 et L. 2122-9 du code du travail consacrent d’ores et déjà la possibilité pour les syndicats d’intervenir. Par conséquent, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.

Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’ensemble des autres amendements, reprenant en très grande partie à son compte les arguments de la commission. Je précise que la suppression de l’obligation de mise à disposition du public des informations relatives à l’état des actions de groupe engagées ou à venir rendrait incomplète la transposition de la directive UE 2020/1828 du 25 novembre 2020.

Par ailleurs, comme l’a souligné le rapporteur, une trop grande ouverture de la qualité pour agir, notamment aux avocats, risquerait de faire apparaître les mêmes dérives que celles qui sont constatées outre-Atlantique.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. J’ai vraiment apprécié l’analyse qu’a exposée le rapporteur lorsqu’il a fait part de sa conception de la vie associative ; je n’ai pas manqué d’y percevoir, toutefois, une légère crainte des citoyens…

J’en viens à la question des droits des travailleurs des plateformes, dont il est question à l’amendement n° 46. Monsieur le rapporteur, vous dites que l’intention est bonne, mais que notre proposition est contraire à l’article 1er bis A. Nous avons voté contre : nous sommes donc cohérents.

À force de dire que les intentions sont bonnes tout en persistant à ne pas y répondre, il ne faut pas s’étonner qu’il finisse par y avoir des crises. Dès lors que les gens ne sont pas respectés et qu’ils ne peuvent pas défendre leurs droits, c’est tout simplement le champ républicain qui leur est refusé.

On est en train d’exclure des dispositions de la proposition de loi les travailleurs des plateformes numériques. Il ne s’agit pas ici de discrimination : ce sont des algorithmes qui déterminent leurs courses, leur niveau de rémunération, leurs conditions de travail. Ces travailleurs sont des victimes ! Dans ces conditions, pourquoi a-t-on si peur de leur donner des moyens pour se battre ?

Nous venons d’apprendre que, grâce à des organisations comme la Ligue des droits de l’homme (LDH) ou la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), les chauffeurs de VTC (véhicules de tourisme avec chauffeur) ont obtenu la condamnation d’Uber à une amende de 10 millions d’euros. Pour rétablir de la justice et de l’égalité, on le voit, il faut bel et bien en passer par des actions de groupe, menées non seulement par des associations qui ont fait leurs preuves, mais aussi par des citoyens et des citoyennes.

Il est temps de comprendre que le modèle économique et le travail ont largement évolué. Il faut que la loi évolue à l’avenant pour que nos concitoyens puissent se saisir de l’outil du droit ; à défaut, on mettra de côté, hors du droit de la société, des centaines de milliers de personnes.

Je pensais sincèrement que l’amendement n° 46 serait adopté et que personne ici n’avait envie de revenir au travail à la tâche ou au travail à la pièce. Une telle vision du droit me paraît franchement anachronique…