Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la consécration de l’action de groupe en droit français a été tardive.

Son refus a d’ailleurs été plus souvent dogmatique que juridique.

Il s’est tout d’abord agi d’un refus de principe : on lui opposait l’adage suivant lequel « nul ne plaide par procureur ». On a invoqué, ensuite, de prétendus motifs techniques, telle la difficile identification des personnes bénéficiaires de l’action. On a voulu y voir, enfin, une atteinte au principe de l’égalité des armes au cours du procès, en raison de la méconnaissance par le défendeur de l’identité des demandeurs.

Les études sur les résistances du système juridique français à accueillir la class action en son sein sont à présent suffisamment riches et détaillées pour nous faire admettre qu’un tel refus ne saurait continuer d’être opposé à ce mode de recours.

S’il fallait encore nous en convaincre, le droit comparé suffirait en un rien de temps à montrer que certains dogmes n’ont pas fait illusion dans l’esprit du législateur étranger : je pense au modèle américain bien sûr, mais aussi à ceux du Québec, de l’Argentine, du Brésil, du Portugal, de l’Angleterre, ou encore de l’Espagne et de la Suède.

Le législateur français a fini par franchir le cap avec la loi du 17 mars 2014, qui a donc introduit dans notre droit une procédure d’action de groupe.

D’abord trop cantonné, ce mode de recours fut ensuite progressivement enrichi via l’extension des matières dans lesquelles il peut s’appliquer. Citons par exemple la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, qui a introduit l’action de groupe en ce domaine.

Cependant, dix ans après, je rejoins les auteurs du présent texte sur le constat qu’ils ont dressé dans leur rapport de 2020 : le bilan de cette procédure est décevant.

Aussi cette proposition de loi, malgré son caractère aride et technique – mais, après tout, c’est souvent le propre du droit ! –, est-elle indéniablement nécessaire.

Je souscris à l’essentiel de son contenu, car il faut bel et bien unifier dans un seul texte le régime juridique du recours.

Cependant, tout comme j’ai pu souligner, il y a encore quelques jours, à cette même tribune, mon attachement à la lisibilité du droit en tant que rapporteure de la proposition de loi dite Balai III – issue des travaux du bureau d’abrogation des lois anciennes et inutiles –, je reste dubitative face au choix qui a été fait, conformément, certes, à la recommandation du Conseil d’État, de ne pas introduire toutes ces dispositions au sein d’un seul code.

Au-delà de cette remarque, le groupe du RDSE reste favorable à un usage modéré et encadré de la procédure d’action de groupe.

Les raisons d’une telle retenue sont connues, là encore : il est impératif, d’une part, d’éviter toute forme de marchandisation de l’action judiciaire et, d’autre part, de contenir un accroissement excessif du risque judiciaire pour les entreprises.

C’est aussi pour cette raison que nous saluons l’équilibre du texte dont nous débattons.

L’action collective doit être laissée à des associations, afin d’empêcher tout risque de marchandisation, c’est-à-dire de conjurer l’une des dérives observables du modèle américain.

Ce constat justifie également que les associations ayant qualité pour engager une action doivent répondre à certains critères. Nous suivrons donc la position du rapporteur, qui n’a souhaité ouvrir ce mode de recours qu’à des associations soumises à un agrément.

Reste la question de l’amende civile, disposition que proposaient nos collègues députés et que notre commission a souhaité ne pas conserver.

Nous comprenons évidemment le sens et l’opportunité de ce dispositif, s’agissant de sanctionner l’auteur d’un dommage lorsqu’il a délibérément commis une faute en vue d’obtenir un gain ou une économie et lorsque la réparation du préjudice ne suffit pas à neutraliser le profit qu’il a réalisé.

Sur ce point, nous aurions tendance à suivre l’avis émis tant par le Conseil d’État que par notre rapporteur, chacun de son côté ayant exprimé de fortes réserves quant à la création de cette sanction civile, notamment parce qu’elle n’a pas été précédée d’une évaluation approfondie de ses effets dans chacun des domaines concernés.

Pour conclure mon propos, je souhaite évoquer une dernière difficulté qui a trait à l’application de la future loi. Nous avons été alertés par de nombreux professionnels au sujet de l’article 3, qui restreindrait le nouveau régime de l’action de groupe aux seules actions dont le fait générateur de la responsabilité ou le manquement allégué est postérieur à l’entrée en vigueur du présent texte.

Cette disposition pose de véritables difficultés, notamment en matière de discrimination. Nous y reviendrons lors de l’examen des articles, mais je suis convaincue que nous ne pouvons pas laisser le texte en l’état.

C’est pourquoi je défendrai un amendement visant à ce que les justiciables puissent profiter de cette nouvelle procédure sans attendre. J’observe d’ailleurs que le rapporteur a lui aussi…

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. … eu la même idée ! (Sourires.)

Mme Nathalie Delattre. … déposé un amendement en ce sens.

Cette remarque étant faite, mes chers collègues, vous aurez compris que notre groupe se prononcera en faveur de ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme cela a été rappelé, l’action de groupe, qui a pour objectif de faciliter l’accès au droit des victimes d’un même dommage n’ayant pas toujours la possibilité d’agir seules en justice dans des contentieux souvent techniques, a été introduite en France par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite loi Hamon.

L’action de groupe a ensuite été étendue, en 2016, aux litiges en matière de santé, d’environnement, de protection des données personnelles et de discrimination au travail, puis, en 2018, aux litiges relatifs à la location d’un logement.

Aujourd’hui, comme mes prédécesseurs à cette tribune l’ont rappelé, son champ d’action est limité et, de surcroît, la qualité pour agir n’est ouverte qu’aux seize associations de défense des consommateurs représentatives au niveau national et agréées.

En outre, il faut que les personnes lésées fassent la démarche d’adhérer au groupe pour être indemnisées.

La mission d’information lancée par nos collègues députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin en 2020 sur le bilan et les perspectives de l’action de groupe, qui est à l’origine de la présente proposition de loi, a permis de constater, d’une part, que seule une trentaine d’actions de groupe – dont peu ont abouti – ont été engagées en France depuis la création de cette procédure et, d’autre part, qu’il est nécessaire d’en simplifier le régime juridique pour remédier au désintérêt des justiciables.

En France, la réalité n’a rien à voir avec les indemnisations spectaculaires des class actions à l’américaine, qui ont inspiré plusieurs cinéastes – nous avons tous en tête le film Erin Brockovich, seule contre tous de Steven Soderbergh.

Les très fortes contraintes juridiques qui entourent cette procédure dans notre pays semblent avoir eu pour conséquence d’empêcher toute action de groupe, ou presque, de prospérer.

Aussi, et sans tomber dans les dérives que peuvent connaître les États-Unis, il est proposé, par ce texte, de créer un régime juridique unifié des actions de groupe là où existent aujourd’hui sept fondements législatifs correspondant à autant de procédures et de préjudices indemnisables différents.

La présente proposition de loi prévoit également, en toutes matières, d’élargir le champ d’application de l’action de groupe à la cessation d’un manquement ou à la réparation d’un préjudice subi à raison dudit manquement.

Il s’agit par ailleurs d’indemniser tous les préjudices, qu’ils soient corporels, matériels ou moraux, d’ouvrir la qualité pour agir et de maintenir la possibilité de recourir à la médiation pour faciliter l’indemnisation des victimes et favoriser le désengorgement des tribunaux.

Le texte instaure en outre une amende civile susceptible d’être prononcée à l’encontre d’une entreprise en cas de faute dolosive ayant causé des dommages sériels ; son montant pourrait être porté à 3 % du chiffre d’affaires moyen annuel.

Il permettra enfin à la France d’honorer ses obligations européennes en achevant de transposer dans le droit national les dispositions figurant dans la directive du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives, qui visent à protéger les intérêts collectifs des consommateurs et à prévoir, plus particulièrement, une procédure d’action de groupe transfrontière.

La saisine pour avis et les recommandations du Conseil d’État, comme celles de la Défenseure des droits, ont permis de renforcer la proposition de loi initiale déposée à l’Assemblée nationale.

Des aménagements restent malgré tout à effectuer.

À cet égard, je voudrais remercier le rapporteur et saluer le travail réalisé – sur son initiative – par la commission : elle a restreint les conditions de reconnaissance de la qualité pour agir, tenant compte du risque de déstabilisation que la démultiplication du nombre d’acteurs susceptibles d’exercer ce droit, dont on peut imaginer que certains pourraient se révéler malveillants, ferait courir aux opérateurs économiques.

La commission a également supprimé l’amende civile, au sujet de laquelle le Conseil d’État avait émis de fortes réserves.

Malgré des modifications substantielles, notre groupe considère que l’économie du texte est préservée. Dix années après la création de la procédure de l’action de groupe, nous serons vigilants pour que la version issue de nos débats permette une utilisation efficace de ce droit par les justiciables français. C’est la raison pour laquelle nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Marie Mercier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Hussein Bourgi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 17 mars 2014, sur l’initiative de Benoît Hamon, ministre de l’économie sociale et solidaire, le Parlement votait le projet de loi portant création de l’action de groupe à la française. L’objectif de ce dispositif était double : permettre aux victimes de se rassembler pour parler d’une seule et même voix ; permettre aux victimes de faire reconnaître le préjudice subi et de faire valoir leur droit à réparation.

La volonté du législateur était de rééquilibrer une relation contractuelle trop défavorable aux consommateurs.

Cette ambition était plus que louable. Elle était même noble. Pourtant, dix ans après, force est de constater que cette avancée législative n’a, hélas ! pas eu les effets escomptés.

Le législateur de 2014 avait souhaité limiter le champ de l’action de groupe au domaine de la consommation, et ce principalement parce qu’il voulait éviter les écueils et dérives manifestes ayant émergé dans le cadre des class actions en droit anglo-saxon.

Par la suite, le régime de l’action de groupe a lentement évolué : la loi du 18 novembre 2016 l’a étendu aux discriminations au travail, aux questions environnementales et au respect des données personnelles. Puis, en 2018, son champ a été ouvert aux préjudices causés par la location d’un logement.

Pourtant, malgré ces extensions successives, l’action de groupe est restée peu usitée. Depuis sa création, cela a été rappelé, ce droit n’a été activé qu’une trentaine de fois seulement. Six procédures ont débouché sur un résultat positif : dans trois d’entre elles, le défendeur a été déclaré responsable, tandis qu’un accord amiable a pu être trouvé dans les trois autres.

Six procédures qui prospèrent et aboutissent en dix ans, c’est peu ! C’est même trop peu, alors que, dans la même période, nous avons assisté à l’essor exponentiel de la vente par correspondance et des transactions commerciales sur internet, singulièrement pendant la crise sanitaire du covid-19.

Afin de dresser un bilan des premiers pas de l’action de groupe au sein de notre législation, les députés Philippe Gosselin et Laurence Vichnievsky ont rendu, le 11 juin 2020, un rapport exhaustif et précis. Selon nos collègues députés, le caractère relatif du succès des actions de groupe serait dû à de multiples freins.

Tout d’abord, notre droit en la matière serait trop complexe, puisque le régime en question n’a pas été unifié. Ensuite, son champ d’application serait trop restreint. Enfin, le faible nombre d’associations habilitées à agir – une quinzaine seulement – n’aurait pas été de nature à favoriser le recours à ce dispositif.

En vue de surmonter ces écueils, nos collègues rapporteurs émettaient treize recommandations visant à rendre les actions de groupe plus efficaces, plus opérationnelles et, surtout, plus à même de répondre aux besoins des victimes.

C’est sur la base de la transcription juridique de ces propositions que Philippe Gosselin et Laurence Vichnievsky ont déposé le 15 décembre 2022 la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Cette initiative parlementaire a ensuite été largement enrichie en première lecture à l’Assemblée nationale. De six articles, le texte est passé à quarante et un articles dans la version qui a été transmise au Sénat.

Cette version, mes chers collègues, était pleinement de nature à nous satisfaire. D’abord, elle simplifiait le droit existant en l’assouplissant. Ensuite, elle créait une action de groupe au régime universel. En outre, elle permettait l’élargissement de la qualité à agir, du champ d’application et du préjudice indemnisable. Elle instaurait par ailleurs une sanction civile en cas de faute intentionnelle de l’entreprise ayant causé des dommages sériels à plusieurs individus. Enfin, elle ouvrait la voie à la spécialisation de tribunaux judiciaires en matière d’action de groupe, choix que nous voyons plutôt d’un bon œil, mais qui nécessitera une vigilance certaine, afin que les juridictions en question soient justement réparties sur le territoire national.

Les associations de consommateurs avaient salué ce texte transpartisan, et la Défenseure des droits, Claire Hédon, s’était réjouie de sa qualité. Le soutien unanime de la société civile et des différents groupes politiques de l’Assemblée nationale n’a cependant pas pleinement convaincu notre rapporteur, que je remercie néanmoins pour la qualité de son travail et pour les nombreuses auditions qu’il a bien voulu organiser.

En effet, lors de nos travaux en commission, il a fait le choix de réduire substantiellement la portée de cette proposition de loi en rigidifiant la procédure de recours aux actions de groupe, tout en restreignant largement la capacité des associations à agir en la matière.

Il a par ailleurs choisi de supprimer la sanction civile réprimant les fautes intentionnelles ayant engendré des dommages sériels, et borné dans le temps l’application de cette loi aux seuls nouveaux litiges, refusant aux actions de groupe déjà en cours la possibilité d’en bénéficier.

Si cette dernière orientation venait à être confirmée ce soir, elle créerait, de fait, un droit à deux vitesses, une anomalie inédite dans notre législation, et un précédent peu souhaitable.

Notre rapporteur a justifié l’ensemble de ses décisions par la volonté de garantir la protection des activités de nos opérateurs économiques.

Je dois dire que ces arguments défensifs ne nous ont pas convaincus. Ils nous ont même déçus, comme ils ont déçu beaucoup d’associations de consommateurs, qui plaçaient de grands espoirs dans nos travaux.

L’expertise d’usage de ces associations aurait pu – aurait dû – nous convaincre toutes et tous de la pertinence de la philosophie du texte issu de l’Assemblée nationale. Si, s’agissant d’appréhender le spectre des abus et des infractions relevant d’une éventuelle action de groupe, nos collègues députés ont ouvert largement le compas, notre rapporteur, quant à lui, a semblé vouloir resserrer et refermer ce compas, au risque de laisser perdurer les insuffisances de la législation actuelle.

L’objectif affiché de cette proposition de loi était de rééquilibrer le rapport de force entre ce que l’on appelle familièrement le pot de terre et le pot de fer. À cet égard, le texte issu de la commission des lois du Sénat semble beaucoup moins ambitieux que nous ne l’aurions souhaité.

Je tiens à rappeler un élément essentiel : une entreprise qui respecte la loi, le droit et tout lien contractuel qu’elle aurait pu nouer n’a absolument rien à craindre d’un élargissement du champ de l’action de groupe.

Mme Nathalie Goulet. Très juste !

M. Hussein Bourgi. Seuls les opérateurs qui se savent délibérément en tort ou potentiellement fautifs portent aujourd’hui un regard désapprobateur ou critique sur cette initiative parlementaire.

À ce stade, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaite partager avec vous deux observations que je formulerai sous forme de questions.

Si notre législation se fait suffisamment dissuasive et si elle pousse mécaniquement les acteurs économiques à se conduire de manière vertueuse, ne devrions-nous pas nous en féliciter ?

Notre souci principal ne devrait-il pas se trouver dans la défense du consommateur, et dans la capacité de la victime à faire valoir ses droits ?

Pour répondre à ces questions et atteindre ces objectifs, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a déposé quatre amendements. Ceux-ci visent principalement à revenir à une rédaction plus volontariste et à une approche plus inclusive et plus ambitieuse de cette proposition de loi, dans la droite ligne du travail produit par nos collègues de l’Assemblée nationale.

Nous avons fait le choix de concentrer principalement nos efforts sur l’habilitation des associations à agir en matière d’action de groupe, ainsi que sur l’application de la présente proposition de loi aux litiges intentés antérieurement à son entrée en vigueur.

Si nous n’avons pas réussi à convaincre notre collègue rapporteur au stade de l’examen du texte en commission des lois, nous formons le vœu que les débats de ce jour nous permettent de converger pour en revenir à la philosophie et à la mouture du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. C’est à l’aune de l’accueil qui sera réservé à nos amendements et à ceux qui ont pour objet de revenir à l’esprit initial de la proposition de loi que les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain décideront de leur vote.

Mes chers collègues, nos travaux ont suscité de l’espoir chez nombre de justiciables et de consommateurs spoliés. Certains vous ont même peut-être écrit pour vous le signifier.

Nous avons aujourd’hui l’occasion d’offrir aux Françaises et aux Français un outil dont ils pourront davantage se saisir pour en tirer tous les bénéfices. Ne les décevons pas ! Il y va de notre responsabilité, et même de notre crédibilité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Muriel Jourda. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je commencerai par expliquer la position du groupe Les Républicains sur ce texte relatif aux actions de groupe. Ces procédures, vous le savez, ne sont pas habituelles dans notre droit ; elles sont issues du droit anglo-saxon, autrement dit de la common law. Elles consistent, pour un groupe de personnes qui ont subi le même préjudice de la part d’une même entreprise, à se pourvoir ensemble en justice contre celle-ci.

Ces actions de groupe ont été consacrées par le droit européen, et le texte qui nous est soumis procède notamment à la transposition d’une directive qui date de 2020 – nous pouvons d’ailleurs remercier notre rapporteur de nous prémunir contre toute surtransposition, ce mal français.

Elles ont été introduites dans notre droit par une loi de 2014, modifiée à plusieurs reprises pour aboutir à la coexistence de sept régimes juridiques correspondant à autant de thématiques distinctes.

Ces procédures ont été peu utilisées en dix ans. Les chiffres varient sur ce point ; ceux dont j’ai eu connaissance ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux qui viennent d’être évoqués, lesquels, du reste, diffèrent entre eux… Que l’on retienne un chiffre de trente-deux ou de trente-cinq actions engagées, force est d’admettre en tout cas, sur la foi du rapport du Conseil d’État, que quatre seulement ont donné lieu à un résultat positif.

C’est pourquoi nos collègues de l’Assemblée nationale ont estimé qu’il convenait de modifier les règles qui régissent la mise en œuvre de ces actions de groupe pour permettre un usage plus fréquent de cette procédure. Il faut saluer, bien sûr, comme l’a fait le rapporteur, le travail qui a été fait par nos collègues députés. Toutefois, sur plusieurs points, la commission des lois du Sénat, à laquelle le groupe Les Républicains se ralliera, n’y a pas totalement souscrit.

S’il est un point sur lequel tout le monde s’accorde, en revanche, c’est la simplification procédurale. Dans mes souvenirs, dont – je l’avoue – je n’ai pu vérifier l’exactitude, le professeur Perrot, grand spécialiste de la procédure civile, avait coutume de dire que la procédure est le véhicule du droit. Et, certes, la procédure est censée être totalement neutre dans le droit. Il n’est donc pas normal que le justiciable ait des difficultés à mettre en œuvre une procédure pour des raisons, précisément, de procédure ! Seul le fond du droit devrait être discuté.

Cela étant dit, l’unification du cadre procédural applicable aux différentes actions de groupe paraît tout à fait légitime, et nous suivons bien sûr le rapporteur sur ce point.

La question s’est par ailleurs posée de savoir qui peut engager une telle procédure : qui peut agir ? L’action de groupe peut d’ores et déjà être exercée par un certain nombre d’associations, de groupements. Faut-il élargir la liste ? Rien n’est moins sûr, car il ne faudrait pas déstabiliser un secteur économique en permettant à des entreprises d’agir de façon à déstabiliser un concurrent, tout simplement, soit en instrumentalisant soit en finançant de telles procédures – et le sujet de la transparence financière est aussi un sujet important, nous en reparlerons.

Dans quels domaines l’action de groupe peut-elle trouver à s’appliquer ? Là encore, le rapporteur, de façon assez justifiée, n’a pas voulu élargir outre mesure le champ d’application de ce régime procédural : il en a circonscrit le périmètre.

Pour ce qui est enfin de savoir à quels manquements et à quels litiges doit être ouverte l’action de groupe, nous avons trouvé un accord avec nos collègues de l’Assemblée nationale pour élargir le champ des préjudices qui peuvent être indemnisés.

Notre désaccord le plus important porte, me semble-t-il, sur l’amende civile. Il s’agit en quelque sorte de dommages et intérêts punitifs, qui sanctionnent la faute de celui qui l’a commise, en l’occurrence une entreprise. Cette mesure est controversée depuis fort longtemps, et elle le reste, comme l’ont montré les interventions précédentes, pour son caractère quelque peu hybride.

Les dommages et intérêts, en droit français, ont pour objet d’indemniser la victime, et ils sont calculés en fonction du préjudice, sans égard pour la faute qui l’a causé. Une amende est de manière générale une amende pénale, c’est-à-dire la sanction d’un trouble à l’ordre public, ce qui, pour le coup, est davantage en rapport avec la faute de la victime ; mais elle est touchée non par la victime, mais par l’État, via le Trésor public.

Quant à l’amende civile, ou dommages et intérêts punitifs, elle est hybride : il s’agit de dommages et intérêts qui prennent en compte non pas le préjudice, mais la faute, et qui sont touchés non par la victime, mais par l’État, hors de tout contexte pénal et de tout trouble à l’ordre public. Vous aurez compris qu’une telle notion n’est pas simple à insérer dans notre droit…

C’est donc en vertu d’une certaine sagesse, en l’absence de consensus sur ce point, que l’amende civile a été extraite du présent texte.

Voilà donc – je n’entre pas dans le détail, que nous aborderons plus tard et qui a été largement évoqué par le rapporteur – les raisons générales pour lesquelles le groupe Les Républicains s’apprête à voter pour l’adoption du texte de la commission, sous réserve que le débat d’amendement ne le dénature pas.

Permettez-moi néanmoins, puisqu’il me reste du temps, de vous faire part de quelques réflexions qui m’ont été inspirées non seulement par ce texte, mais également par ce que j’ai entendu de la part des orateurs qui m’ont précédée.

Est-ce vraiment le droit qui nous empêche aujourd’hui de mettre en œuvre des actions de groupe ? Ceux qui ont lu le rapport du Conseil d’État – ils sont quelques-uns dans cet hémicycle – ont pu y lire qu’au Portugal les actions de groupe, bien qu’étant largement admissibles, sont mises en œuvre dans des proportions qui sont très raisonnables, et pas du tout démesurées. J’ai coutume de dire, et je prie ceux qui ont l’habitude de l’entendre de m’excuser, que le droit n’est qu’un outil au service de nos projets – ne l’oublions jamais ! Il doit être une boîte à outils, et celle-ci doit rester bien rangée si l’on ne veut pas se perdre dans ses recoins.

Aussi, je me demande si c’est vraiment la difficulté à satisfaire les conditions d’accès à la procédure de l’action de groupe qui empêche qu’elle soit mise en œuvre. Je pense plus simplement que c’est l’introduction d’un élément de common law, c’est-à-dire de droit anglo-saxon, dans un édifice qui est essentiellement de droit romain, n’obéissant pas aux mêmes règles, qui pose problème. D’ailleurs, je rappelle que le Conseil d’État a déconseillé l’introduction dans un quelconque code des actions de groupe, qui demeureront inscrites dans une loi ad hoc.

Peut-être devrions-nous aussi nous donner un temps de réflexion supplémentaire avant de généraliser dans nos textes un principe tel que l’amende civile. Certes, cette sanction existe déjà en droit français, et elle a été par contamination étendue au droit de la famille et au droit de la concurrence, mais sans réflexion préalable suffisamment approfondie. Nous devons sans doute prendre garde à ne pas fragiliser l’édifice assez bien charpenté qu’est celui de la responsabilité civile.

Enfin, je suis navrée si je choque certains d’entre vous, mes chers collègues, mais nous devrions peut-être réfléchir au temps que nous consacrons à des mesures qui, somme toute, ont un intérêt plus que modéré pour nos concitoyens – quatre actions en dix ans ! Pouvons-nous véritablement penser que c’est d’une préoccupation majeure des Français que nous allons traiter aujourd’hui ? Je n’en suis pas certaine. Après tout, le fait que ces mesures ne comptent pas parmi les priorités des Français nous garantit peut-être, qui sait, une absence de censure de la part du Conseil constitutionnel… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Sous réserve de ces observations, nous voterons ce texte tel qu’il a été amendé par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)