Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Pierre Jean Rochette. Le monde agricole attend des mesures rapides et, surtout, de la bienveillance.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je reconnais qu’il peut y avoir des tensions violentes dans les relations entre les agriculteurs, les industriels et les distributeurs, mais ne caricaturons pas : il est aussi des cas où les choses se passent bien. Je prendrai l’exemple de Lidl, qui a su trouver un modèle avec ses éleveurs.

S’agissant du durcissement des sanctions, le Gouvernement est bien sûr tout à fait ouvert à une réflexion sur ce sujet. Des contentieux sont en cours, illustrant à la fois notre mobilisation pour faire respecter le droit applicable et notre volonté de ne pas laisser impunis des comportements visant à contourner la loi ou à affaiblir la rémunération des agriculteurs.

Toutefois, nous faisons face à des difficultés, notamment d’ordre juridique. La réflexion doit être menée sur la façon dont on impose une sanction dans un cadre transfrontalier, et non pas sur le montant des sanctions. En effet, c’est bien la localisation de ces centrales d’achat qui pose problème. Ce point sera vraisemblablement tranché à la faveur du contentieux en cours entre l’État et Eurelec, centrale d’achat du groupement Leclerc.

Le Gouvernement travaille prioritairement à une meilleure harmonisation du droit européen et portera ce combat auprès de la prochaine Commission européenne.

Mme la présidente. La parole est à M. Guislain Cambier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Guislain Cambier. Madame la ministre, Eurelec pour Leclerc, installée à Bruxelles, Eureca pour Carrefour, immatriculée à Madrid, ou encore Everest pour Système U, située aux Pays-Bas : de nombreux acteurs français de la grande distribution ont eu recours, ces dernières années, aux services d’une centrale d’achat européenne basée à l’étranger.

Ces géants de la grande distribution achètent en commun et imposent un rapport de force déséquilibré dans les négociations avec les grandes multinationales de l’agroalimentaire, mais également avec nos ETI (entreprises de taille intermédiaire) et nos PME. C’est une arme de plus dans l’arsenal des distributeurs lors des négociations commerciales. Elle s’ajoute au recours de plus en plus fréquent aux marques de distributeurs, les fameuses MDD.

En plus de fragiliser notre écosystème agroalimentaire, ces pratiques offrent aux distributeurs la possibilité de s’adonner à une forme d’évasion juridique, qui consiste à délocaliser les négociations avec leurs fournisseurs loin de la France et de son cadre juridique construit autour des lois Égalim.

Madame la ministre, comment justifiez-vous l’existence de telles pratiques, le choix d’un cadre juridique moins protecteur des intérêts des agriculteurs français et du fabriqué en France ? En effet, si le recours aux centrales d’achat européennes peut se concevoir pour faire face aux producteurs internationaux de l’agroalimentaire, pourquoi des distributeurs français les utiliseraient-ils pour négocier avec des producteurs français le tarif de produits vendus in fine sur le territoire français, si ce n’est pour contourner la loi française et ses dispositions protectrices des producteurs nationaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. C’est vrai, monsieur le sénateur, on ne dit pas assez qui se cache derrière ces centrales d’achat.

On dénombre trois principales centrales d’achat européennes : Eurelec, installée en Belgique, qui représente notamment Leclerc et à laquelle quarante-trois fournisseurs français sont associés ; Eureca, domiciliée en Espagne, qui représente notamment Carrefour et à laquelle quinze fournisseurs français sont associés ; enfin, Everest, située aux Pays-Bas, qui représente notamment Système U et à laquelle quarante-quatre fournisseurs français sont associés.

C’est tout l’enjeu du débat qui nous occupe aujourd’hui : ces centrales d’achat représentent une part croissante des achats des enseignes françaises. Certes, elles référencent relativement peu de fournisseurs, mais ce sont les plus gros industriels ; par ailleurs, elles représentent les plus gros volumes de transactions.

Comme je l’ai indiqué dans mes réponses à M. Rochette et à Mme Primas, des contentieux sont en cours entre l’État français et ces centrales d’achat, visant à empêcher des contournements et à faire respecter notre droit. C’est bien la volonté de sanctionner de telles pratiques qui est à l’origine du déclenchement de ces procédures.

Par ailleurs – et cela me permet de préciser ce que j’ai déjà indiqué –, des transformateurs et des industriels travaillent en France avec nos éleveurs. C’est notamment le cas de Mondelez International. Il s’agit là d’un exemple de pratiques qui pourraient être étendues aux autres industriels.

Mme la présidente. La parole est à M. Guislain Cambier, pour la réplique.

M. Guislain Cambier. Madame la ministre, vous l’avez reconnu vous-même, pour faire respecter notre droit et garantir un juste prix à nos agriculteurs, il ne faut pas nécessairement viser à tout prix – c’est le cas de le dire ! – le prix le plus bas possible, car cela pénalisera l’ensemble de la chaîne.

Un peu de colbertisme serait sans doute plus efficace que du libéralisme à tous crins !

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, vous les avez cités : Hurley, Everest, Eureca, AgeCore… Ces noms sont inconnus du grand public ; pourtant, ces centrales d’achat font la pluie et le beau temps dans le secteur agroalimentaire. Elles fixent en effet les prix d’achat de tous les produits vendus dans nos supermarchés. Leur objectif est simple : acheter le moins cher possible, pour maximiser ensuite leurs marges lors de la revente au consommateur.

Avec des chiffres d’affaires de centaines de milliards d’euros, ces centrales d’achat ont un pouvoir absolu. Refuser leurs prix, c’est ne plus toucher des millions de consommateurs. Les industriels jouent donc le jeu, tout en pratiquant les mêmes méthodes auprès des agriculteurs. En tirant toujours plus leurs prix d’achat vers le bas, leurs marges brutes ont atteint 48 % l’an dernier ! Le groupe Avril, présidé par M. Rousseau de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), a ainsi vu son résultat net augmenter de 45 % en 2022 !

C’est ce système, qui tue l’agriculture en la forçant à vendre à perte, que dénoncent les agriculteurs dans toute la France. Ils ont raison : ce racket ne peut plus durer !

Les lois Égalim devaient corriger ce système et rendre les rémunérations un peu plus justes. Elles ont échoué, parce qu’elles ont renoncé aux prix planchers et aux quotas de production, mais aussi parce qu’elles ont été contournées. Leclerc, Carrefour, Intermarché et Système U ont ainsi délocalisé leurs centrales d’achat respectivement en Belgique, en Espagne, en Suisse et aux Pays-Bas. Cela leur a permis de passer outre les règles françaises, notamment celles qui concernent les dates des négociations annuelles.

La centrale d’achat AgeCore, qui travaille pour Intermarché, a été condamnée à 151 millions d’euros d’amende pour ces pratiques, mais la Cour de justice de l’Union européenne l’en a exemptée en raison de son implantation étrangère. Heureusement, la loi Descrozaille devrait y remédier.

C’est une bonne nouvelle, mais, face à la puissance de ces groupes, la bonne volonté ne suffit pas. Il faut des mesures fortes pour rééquilibrer ces négociations commerciales.

Madame la ministre, j’ai trois questions à vous poser.

Allez-vous obliger la grande distribution et l’industrie agroalimentaire à publier leurs marges ?

Allez-vous appliquer des sanctions en cas d’achat de produits agricoles en dessous de leur prix de revient ?

Allez-vous défendre, à l’échelle européenne, des accords tripartites de répartition de la valeur entre agriculteurs, industriels et distributeurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, dans le cadre des débats qui ont eu lieu sur la loi Descrozaille, une série de solutions ont été imaginées pour remédier au comportement des enseignes de distribution.

Ainsi, l’article 1er de ce texte a créé l’article L. 444-1 A du code de commerce, aux termes duquel le droit français doit s’appliquer à tout contrat ayant pour finalité la distribution de produits en France.

Si, auparavant, le Gouvernement, par l’intermédiaire de la DGCCRF, veillait déjà avec la plus grande vigilance à l’application du cadre juridique français – cinquante contrôles ont été réalisés en 2023, ainsi que je l’ai rappelé à Mme Primas –, cet article produit d’ores et déjà des effets, puisque l’on constate qu’EuroCommerce, qui est le représentant des intérêts des distributeurs, a entamé un contentieux visant à remettre en question l’applicabilité de l’article 1er de la loi Descrozaille, ce qui prouve bien son effectivité ou à tout le moins son utilité.

Pour le Gouvernement, cet article est conforme au droit européen, puisqu’il permet d’éviter les contournements du droit français sans pour autant imposer les conditions de la loi Égalim aux autres États membres ni empêcher les fournisseurs d’autres États de commercialiser leurs produits en France.

Monsieur le sénateur, vous m’interrogez également sur la publication des marges. À cette heure, une telle publication n’est pas prévue.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la ministre, depuis de nombreuses années, les parlementaires du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky dénoncent les pratiques des centrales d’achat, qui cassent les prix et grèvent le revenu des agriculteurs, tout en s’assurant des marges indécentes qui alimentent la vie chère. Ce débat est salutaire, alors que les agriculteurs sont dans la rue et qu’une grande partie de la population ne mange pas à sa faim.

Nous l’avons dit, les dispositions des trois lois Égalim sur les négociations commerciales ne fonctionnent pas, car les grands groupes distributeurs ont tous développé des stratégies de contournement de la loi française.

Leclerc, Carrefour, Système U ou encore Auchan se sont regroupés au sein de puissantes centrales d’achat à Bruxelles, à Madrid et dans d’autres capitales européennes. Ce faisant, ils favorisent l’internationalisation contractuelle, alors que ces négociations ont des incidences sur les prix applicables sur le marché national.

Ces centrales d’achat étrangères servent à contourner les faibles mesures de protection des maillons d’amont de la chaîne d’approvisionnement. Comme cela a été révélé par la commission d’enquête sur le sujet, « la “guerre des prix” imprègne ainsi toute la stratégie de la grande distribution française qui en impose les conséquences à ses fournisseurs, souvent en dehors des considérations de coûts de production ».

Il faut que le droit national s’applique à tous les produits vendus en France, y compris ceux qui sont négociés via les centrales d’achat européennes. Comme le rappelle Frédéric Descrozaille dans l’exposé des motifs de son texte, « il s’agit ici de contrer le phénomène d’évasion juridique qui consiste à délocaliser la négociation contractuelle afin de la soumettre à des dispositions juridiques plus favorables et moins protectrices des intérêts des agriculteurs français et du fabriqué en France ».

Madame la ministre, je vous poserai deux questions : quand le Gouvernement va-t-il enfin plaider pour une exception agricole à l’échelon européen ? quelles mesures va-t-il prendre pour que cesse ce phénomène ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, nous voulons une Europe ouverte et forte, mais aussi une Europe qui, dans le même temps, protège son agriculture.

Il est important qu’elle soit ouverte et forte, car, pour nos filières, pour nos producteurs, pour le rayonnement du savoir-faire agricole français, il y va de notre capacité à exporter nos productions. L’accord de libre-échange avec le Canada en est un bon exemple, lui qui nous permet d’exporter très largement nos produits agricoles et de montrer la très grande qualité de nos productions. Ces accords commerciaux garantissent la défense de nos IGP (indications géographiques protégées), qui ont vocation à protéger l’exception agricole française et européenne.

Il est important de s’inscrire dans cette démarche, dans la mesure où la France est un acteur agricole et agroalimentaire mondial. La plupart de nos groupes, notamment Carrefour, sont également représentés dans d’autres pays.

Pour autant, dans un contexte d’accumulation d’accords avec des exportateurs agricoles importants, il convient de demeurer vigilant pour ne pas affaiblir notre capacité de production européenne. On l’a vu ces dernières années, particulièrement au moment de la crise du covid-19, la maîtrise des filières est garante de la maîtrise de notre souveraineté ; c’est pourquoi elle est au cœur de nos préoccupations.

Le Gouvernement rappelle donc régulièrement à la Commission européenne qu’il faut davantage tenir compte du cumul de l’ensemble des concessions octroyées par l’Union européenne sur les produits agricoles sensibles. C’est d’ailleurs une des raisons qui a conduit la France à vouloir introduire des clauses miroirs, comme cela a été fait dans le cadre des négociations de l’accord entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je salue l’initiative de ce débat sur un sujet d’une actualité particulièrement brûlante : il n’est qu’à voir les manifestations de nos agriculteurs, qui veulent bien légitimement pouvoir vivre décemment de leur travail.

Cette crise, nous l’avons vue arriver en Lot-et-Garonne, pays agricole régulièrement marqué par des mouvements de protestation contre les prix imposés par la grande distribution.

Si le Parlement français a tenté de fixer des règles pour encadrer les négociations commerciales entre distributeurs et producteurs, le recours aux centrales d’achat européennes constitue un moyen de contourner notre réglementation.

Au mois de décembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne a donné raison, contre Bercy, aux distributeurs et à différentes centrales d’achat, par exemple Eurelec. Les centrales d’achat établies hors de France ont donc bel et bien gagné : foin du respect de la loi française et notamment de la loi Égalim 3…

Les distributeurs espèrent maintenant un moratoire. Madame la ministre, il me semble qu’une loi votée à l’unanimité ici même, au Sénat, doit être appliquée.

Que devrons-nous accepter demain ? Des centrales d’achat hors d’Europe, à l’abri de toute réglementation ?

Nous sommes en présence de cartels européens de la distribution qui contestent leurs obligations légales. Qu’entendez-vous entreprendre pour lutter contre ce qu’il faut bien appeler la délocalisation des négociations commerciales et, ainsi, pour concourir à la fixation d’un juste prix qui n’est pas forcément le plus bas pour l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement du producteur au consommateur ?

Enfin, quel mécanisme de surveillance des oligopoles de la distribution comptez-vous appuyer à l’échelon européen pour protéger nos agriculteurs et l’industrie agroalimentaire ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué la mise en application des lois Égalim 1, 2 et 3.

Les dispositions de ces textes traduisent, dans leur ensemble, plusieurs objectifs. Elles concourent à mieux structurer les filières, à améliorer le revenu de nos agriculteurs, à protéger nos industriels et à contrôler ce qui pourrait apparaître comme une tentative de contournement des normes françaises.

Il faut veiller à ce que ces lois entrent en application et soient pleinement effectives, ainsi que je l’ai souligné dans mon propos introductif. Il convient notamment d’accompagner la structuration de certaines filières, notamment bovine et porcine.

Plus spécifiquement, nous devons veiller à ce que la loi Égalim 2, qui vise à protéger la rémunération de nos agriculteurs, soit pleinement déployée, notamment en imposant la contractualisation écrite des industriels avec les agriculteurs et le « soclage » des coûts de la matière première agricole dans la relation commerciale entre les industriels et les distributeurs.

Enfin, nous nous engageons aussi à ce que la loi Descrozaille, qui est parfois contestée par des acteurs privés ou par les institutions européennes, soit pleinement mise en application. En effet, elle permet de lutter contre les tentatives de contournement auxquelles donnent lieu les centrales d’achat européennes. Qui plus est, je le répète, elle présente l’avantage de s’appliquer uniquement aux transactions qui concernent la France, même si celles-ci ont lieu hors des frontières, sans avoir d’impact sur les autres États membres. Elle permet en outre à des fournisseurs d’autres pays européens de commercialiser leurs produits en France.

Nous devons continuer à renforcer les contrôles. Une cinquantaine ont été réalisés en 2023 ; il faut aller plus loin au cours de l’année 2024.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Madame la ministre, quelle coïncidence : nous voici réunis pour débattre d’un sujet crucial qui nous concerne tous, notre agriculture, secteur qui crie en ce moment même sa colère dans tous les territoires de notre pays.

La question qui nous occupe plus particulièrement ce matin porte sur les relations entre producteurs et distributeurs au sein de notre système économique, ainsi que sur les pratiques de la grande distribution.

Oui, la loi tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, ou loi Descrozaille, a marqué une étape importante dans le rééquilibrage de ce rapport de force, d’abord, en accélérant le cycle des discussions, ensuite, en renforçant les sanctions contre les enseignes ne respectant pas les dates butoirs, ce qui démontre une volonté ferme de protéger les acteurs vulnérables de la production alimentaire.

Cependant, un défi considérable reste à relever.

Force est de constater que les centrales d’achat implantées hors de nos frontières échappent aux contraintes de nos lois, créant par conséquent un terrain propice à des pratiques commerciales inéquitables.

Comme l’a souligné, en 2019, le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec leurs fournisseurs, le système des centrales d’achat est en réalité « opaque ».

En fait, ce système permet de contourner la réglementation française issue des lois Égalim, une réglementation essentielle qui impose une rémunération minimale pour les agriculteurs.

Aujourd’hui, on le voit bien, la protection de nos agricultrices et de nos agriculteurs est plus que jamais cruciale. Ces derniers veulent, à juste titre, vivre de leur métier !

Il est donc essentiel d’examiner de près les moyens d’agir et les solutions qui s’offrent à nous, à l’échelle nationale et européenne, afin d’établir un juste équilibre dans les rapports de force.

Madame la ministre, l’adoption des lois Égalim et Descrozaille n’étant pas suffisante pour protéger les revenus du monde agricole, quelles initiatives concrètes peut-on envisager pour contrer ces pratiques déloyales et équilibrer les relations entre les fournisseurs, la grande distribution et les centrales d’achat opérant hors de nos frontières ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, comme je l’ai rappelé à M. Gontard, l’article 1er de la loi Descrozaille, devenu l’article L. 444-1 A du code de commerce, dispose que le droit français s’applique à tout contrat ayant pour finalité une distribution de produits en France. En d’autres termes, les fournisseurs de produits destinés à être commercialisés par nos enseignes, même si ces derniers se négocient dans une centrale d’achat internationale, sont protégés par les dispositions du chapitre IV du titre IV du code de commerce.

Par ailleurs, les actions de contrôle de la DGCCRF et les différentes actions en justice sont des outils précieux permettant de s’assurer du respect du cadre législatif.

Enfin, je vous rappelle que la date butoir pour les négociations commerciales a été fixée au 15 janvier dernier pour les PME et ETI et au 31 janvier prochain pour les grands groupes. Quand ces dates auront passé, des contrôles démarreront pour vérifier l’effectivité des négociations et, surtout, si elles ont été conduites dans le respect du cadre légal.

Comme je l’ai déjà indiqué en réponse à M. Mérillou, une mission va être engagée par Bruno Le Maire sur la question du cadre des négociations commerciales. Ce sera peut-être l’occasion d’approfondir la réflexion sur la façon de mieux lutter à la fois contre le recours aux centrales d’achat européennes et contre les distorsions de concurrence entre les différents acteurs de la négociation.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.

M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à mon tour, je tiens à remercier mes collègues du groupe Union Centriste d’avoir organisé ce débat sur un sujet particulièrement opaque, qui est certainement l’un des facteurs d’échec des différentes lois Égalim.

En effet, cela a été souligné à plusieurs reprises, ce système, construit par de très grands groupes de distribution, qui jouent des différences de TVA ou de quelques centimes d’euro à la marge, conduit à fortement renforcer la pression sur les agriculteurs et les producteurs.

Inéluctablement, cette tension permanente entraîne une course aux coûts pour les agriculteurs, qui n’ont d’autre choix que de privilégier l’efficacité, au détriment de leur santé, de celle des consommateurs et de la préservation de notre environnement.

La récente crise du monde agricole trouve certainement une partie de ses origines dans les agissements de cette oligarchie des industriels et de la grande distribution agroalimentaire.

Il est indispensable que les pouvoirs publics reprennent le contrôle sur la régulation du prix.

Mes chers collègues, nous le voyons avec ce débat, la solution est européenne. Ces enjeux, qu’il s’agisse de l’alimentation, de l’agriculture ou de la distribution, doivent donc être au cœur de la campagne des prochaines élections européennes, et ce non pas de manière dogmatique ou catastrophiste, mais de manière raisonnée et concrète.

Le Gouvernement français doit défendre ce sujet à l’échelon européen en 2024, que ce soit sous la présidence belge ou hongroise, pour réellement encadrer les pratiques de ces centrales d’achat.

Pour ma part, je considère qu’un des enjeux de ce sujet est le phénomène de concentration des très grands groupes de distribution au sein de centrales d’achat européennes, qui possèdent, par ce biais, une influence disproportionnée. Nous ne devons pas ignorer les terribles conséquences de ce système pour les plus petits acteurs de la distribution et les producteurs locaux.

Il est donc indispensable de légiférer sur la concentration de ces acteurs, ce qui doit se faire à l’échelon tant national qu’européen, avec des autorités de contrôle dotées de moyens de surveillance et de sanction.

Madame la ministre, de manière très concrète, comptez-vous agir sur ce phénomène de concentration au sein des centrales d’achat européennes, qui pèse sur toute la filière et sur nos agriculteurs ? Comment comptez-vous le faire ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, la recherche de la compétitivité ne doit pas être considérée comme un gros mot pour nos agriculteurs : au fond, ce sont des chefs d’entreprise, qui plus est des chefs d’entreprise particulièrement complets, dans la mesure où ils occupent souvent une grande diversité de fonctions au sein de cette entreprise.

L’utilité de la loi Égalim 2 a été démontrée : elle était nécessaire pour protéger le revenu des agriculteurs. Aujourd’hui, elle doit s’appliquer sans aucune condition. Votée en 2021, elle est désormais connue de tous ; il est donc temps de lancer des contrôles pour s’assurer qu’elle est correctement mise en œuvre. Si tel n’est pas le cas, des sanctions fermes devront être prises. C’est d’autant plus important en cette période où le monde agricole exprime son très fort mécontentement.

Nous constatons également que cette loi a commencé à porter ses fruits : un an après son entrée en vigueur, on note une amélioration du revenu des agriculteurs. Certes, cette amélioration n’est pas suffisante, elle ne touche pas toutes les filières de manière uniforme. Reste que ces premiers résultats nous invitent à penser que cette loi permet d’aller dans le bon sens.

Je le répète, cette loi protège le revenu des agriculteurs et permet de corriger un certain nombre d’inégalités. Toutefois, il ne faut pas oublier les facteurs conjoncturels et structurels pointés du doigt par les agriculteurs à l’occasion de cette crise agricole, facteurs qui affectent les productions et la situation de nos agriculteurs.

La contractualisation constitue la clé de voûte de la loi Égalim 2 ; à l’exception de certaines filières, les dispositions en question sont entrées en vigueur. Nous devons rester très vigilants et nous assurer que ces dispositions sont pleinement appliquées et que les sanctions les plus fermes sont prises pour dissuader ceux qui ne voudraient pas que cette loi puisse entrer pleinement en vigueur.

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa.

M. Laurent Burgoa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord le groupe Union Centriste d’avoir pris l’initiative de ce débat, alors que notre pays se trouve en pleine crise agricole.

Permettez-moi de faire part, à distance, de tout mon soutien aux agriculteurs gardois qui manifestent ce matin.

Madame la ministre, nos agriculteurs attendent un plan Marshall de la ruralité. Ils en ont assez que certains les pointent du doigt et les considèrent comme des pollueurs, alors qu’ils sont des aménageurs du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Le 30 mars 2023 a été promulguée la loi tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite loi Descrozaille. Le Sénat s’est fortement impliqué lors de l’examen de ce texte et a notamment défendu le principe de son article 1er, qui vise à faire appliquer le droit français à toute transaction portant sur des produits ou services commercialisés en France. Force est de constater qu’un certain nombre de grandes enseignes n’ont pas mis fin à leurs pratiques en la matière et continuent de contourner le droit français.

Face à cette situation, le Gouvernement français est tenu de faire appliquer la loi votée au Parlement. C’est une question de principe, mais également de justice, à l’heure où nos agriculteurs expriment leur colère face à des lois qui les pénalisent trop souvent et les protègent trop peu.

L’action de l’État doit être intraitable ; à défaut, ce sera une nouvelle démonstration d’incohérence entre les discours et les actes.

Madame la ministre, je souhaite donc que vous nous indiquiez de façon précise le nombre de contrôles réalisés par la DGCCRF depuis la promulgation de la loi Descrozaille, ainsi que le nombre des sanctions prononcées et leur montant.