M. Laurent Burgoa. Très bien !

M. Christophe Béchu, ministre. D’abord, la réalité du sans-abrisme dans ces territoires n’est pas la même. Ensuite, en imposant un dispositif aussi rigide, alors que nombre d’élus sont déjà exaspérés par l’augmentation des obligations qui s’imposent à eux, on risquerait d’être contre-productif, notamment pour les communes tellement petites que les chiffres sont connus sans avoir à organiser une nuit de la solidarité.

En second lieu, nous nous interrogeons sur la nécessité d’une obligation annuelle pour les communes de plus de 100 000 habitants. Cette interrogation n’émane pas du Gouvernement, elle émane de France urbaine. Un rythme biennal, compte tenu notamment du nombre de bénévoles et du risque d’essoufflement de ces derniers, conjugué à une obligation, pourrait constituer un compromis acceptable, quitte à revoir ultérieurement le seuil de population et la fréquence des décomptes. Il me semble nécessaire de trouver un équilibre au moment de passer d’un dispositif facultatif mis en œuvre dans moins de 50 communes de toutes couleurs politiques à un dispositif obligatoire pouvant concerner, si l’on n’y prend garde, à 36 000 communes. (M. Marc Laménie renchérit.)

L’ambition du Gouvernement est d’avoir une boussole robuste pouvant l’aiguiller dans ses choix, en allant à l’essentiel, en priorisant les endroits où le besoin est fort afin de renforcer les moyens d’accompagnement et d’accueil d’un nombre plus limité de communes. Ce sera plus efficace.

Mme la présidente. La parole est à Mme Solanges Nadille.

Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 2018, la politique de prévention et de lutte contre le sans-abrisme a connu un profond renouvellement, sous l’impulsion du Président de la République et des gouvernements successifs.

Les plans Logement d’abord, de 2018-2022 et de 2023-2027, ont fait de l’accès au logement des personnes sans abri et mal logées une priorité. Cette ambition a permis d’augmenter le nombre de places d’hébergement de 36 % entre 2017 et 2022, lesquelles sont passées de 149 000 à 203 000.

Par ailleurs, il a été mis fin à la gestion « au thermomètre » de l’hébergement d’urgence au profit d’une programmation pluriannuelle. Cette ambition a trouvé sa traduction dans les engagements financiers de l’État, le budget 2024 nous le rappelle, puisque près de 2,9 milliards d’euros y sont consacrés à la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées, soit une augmentation de 65 % depuis 2017.

Malgré ces avancées notables, le nombre de personnes sans abri dans notre pays reste encore bien trop élevé. Il est estimé à 300 000 selon les dernières enquêtes. Pourtant, faute de régularité dans la collecte des données et d’harmonisation dans la méthode de décompte, la connaissance du sans-abrisme en France reste lacunaire, même si certaines communes ont pris des initiatives en organisant des nuits de la solidarité. La dernière enquête nationale de l’Insee, publiée en 2012, ne permet pas d’extraire des données par territoire. Les résultats de la prochaine étude seront connus en 2027, mais l’outre-mer n’y sera pas inclus, ce que je regrette.

Cette proposition de loi, déposée par Rémi Féraud et nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, a le mérite de mettre sur la table un sujet essentiel. La connaissance du sans-abrisme est en effet un enjeu territorial, puisque, si l’hébergement est une compétence de l’État, les communes mettent aussi en place des politiques de soutien aux populations sans abri, via les CCAS. Sans données qualitatives et quantitatives territorialisées sur la population sans abri, les municipalités ne peuvent adapter leurs politiques de soutien à ce public.

Ce texte nous paraît utile, puisqu’il permet de mobiliser et de responsabiliser les communes sur le sujet de la lutte contre le sans-abrisme.

Les modifications apportées par la commission des affaires sociales sur l’initiative de la rapporteure nous semblent pertinentes, notamment celle qui consiste à insérer un seuil de 100 000 habitants sous lequel le décompte des personnes sans abri n’est pas obligatoire ; cela permettra d’exclure les communes rurales et les villes moyennes, beaucoup moins concernées par le sujet.

Madame la rapporteure, mes chers collègues, comme vous l’aurez compris, le groupe RDPI votera en faveur de ce texte. Celui-ci est utile pour mener une politique publique de prévention et de lutte contre le sans-abrisme qui soit pertinente. Toutefois, afin que la charge des opérations de dénombrement ne soit pas trop importante pour les communes et que leur efficacité en soit accrue, nous soutiendrons les cinq amendements du Gouvernement. Je vous invite à les considérer avec beaucoup d’attention.

Au-delà de ce texte, monsieur le ministre, je souhaite que nous travaillions prochainement sur le sujet plus vaste du mal-logement. Si je salue l’augmentation du budget qui lui est consacré dans la dernière loi de finances, ce problème touche encore près de 4 millions de Français et trois personnes sur dix en outre-mer. Nous ne pouvons le tolérer. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou.

Mme Annie Le Houerou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, dont notre collègue Rémi Féraud a pris l’initiative avec le soutien du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, vise à mettre en place dans l’ensemble des communes du territoire français un décompte des personnes sans abri, une fois par an et de nuit.

En ce début d’année 2024, la vague de grand froid a eu des conséquences mortelles pour les personnes sans abri, avec au moins quatre décès enregistrés. Ces tragédies ne sont pas des cas isolés. Le collectif Les Morts de la rue publiait en 2022 un rapport qui répertoriait au moins 624 décès de personnes sans abri ou résidant dans des structures d’hébergement temporaire.

Le sans-abrisme est une réalité déchirante et persistante, qui ne peut être ignorée. L’auteur de la proposition de loi chiffrait à 3 000 ces femmes, ces hommes et surtout ces enfants, souvent en bas âge.

Selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre, la France compte actuellement 330 000 personnes sans domicile, soit une augmentation de 130 % depuis 2012. La situation du logement est alarmante. Au total, 4,15 millions de personnes sont considérées comme mal logées.

En 2018, la Ville de Paris avait pris l’initiative de lancer la première édition de la Nuit de la solidarité, suivant l’exemple d’autres capitales européennes telles que Madrid, Londres ou Bruxelles. L’objectif est de recenser, en parcourant la métropole, le nombre de personnes sans abri au cours d’une nuit donnée, sous la coordination des services municipaux, en lien avec la Dihal et de nombreuses associations. Cette opération mobilise plus de 2 000 bénévoles et travailleurs sociaux depuis six ans.

D’autres municipalités ont emboîté le pas. En 2023, vingt-sept villes du Grand Paris et quinze communes en région ont organisé leur nuit de la solidarité. Seize villes de plus de 100 000 habitants ont participé volontairement à l’événement.

À Paris, la Nuit de la solidarité 2024 se déroulera demain soir, dans la nuit du 25 au 26 janvier. L’année dernière, 3 000 personnes sans solution d’hébergement, dont 105 mineurs, ont été recensées à Paris, soit 417 sans-abri supplémentaires par rapport à 2022.

Bien que la politique d’hébergement relève de la compétence de l’État, je tiens à saluer l’action et le dévouement des communes, des élus locaux et des associations de solidarité et de leurs bénévoles.

J’attire l’attention sur la situation des femmes à la rue, particulièrement vulnérables et faisant face à de multiples dangers. Le Samu social de Paris pointe une augmentation de la proportion de femmes sans abri dans l’agglomération parisienne, passée de 2 % en 2012 à 10 % en 2022.

Ces chiffres doivent être interprétés avec prudence, car les femmes sans domicile fixe se réfugient dans des endroits où elles se sentent plus en sécurité, notamment les parkings.

Il ne faut pas négliger les communes plus petites, car le sans-abrisme s’étend aussi en milieu rural. La généralisation de ce recensement à l’échelle de toutes ces collectivités permettrait une meilleure compréhension de l’exclusion et une appréhension plus précise du sans-abrisme, y compris en milieu rural.

Invisibilisées, les personnes sans domicile fixe dorment souvent dans des voitures, dans des garages ou dans des lieux abandonnés. Dans les territoires ruraux, les structures d’accueil et d’hébergement manquent.

La lutte contre le sans-abrisme ne se limite pas à la question du logement. Les causes qui conduisent à devenir sans domicile ou sans abri sont entremêlées : difficultés d’emploi, ruptures familiales et problèmes de santé. Un accident de la vie peut conduire à l’isolement et à la marginalisation.

Le risque de se retrouver à la rue n’est pas le même pour tous. Permettez-moi de rappeler ces chiffres : 23 % des sans domicile fixe de 18 à 25 ans sont des anciens de l’aide sociale à l’enfance. Quelque 86 % des sans domicile fixe ont vécu dans leur enfance au moins un événement douloureux lié à leur environnement familial.

Face à l’urgence de la situation, l’ancien ministre chargé du logement a proposé le recrutement de 500 personnes au Samu social, visant à soulager le 115, le numéro d’urgence pour les personnes sans abri.

Le 8 janvier 2024, le même ministre a annoncé le déblocage de 120 millions d’euros pour « renforcer le système d’hébergement d’urgence ». Ces annonces sont bienvenues, mais malheureusement insuffisantes. Elles ne traduisent aucune ambition à long terme pour lutter contre le fléau du mal-logement ou du non-logement. Nous devons élaborer une politique structurelle d’accompagnement des personnes qui subissent ces situations, en lien avec les associations.

Je tiens à saluer la rapporteure, notre collègue Laurence Rossignol, pour son travail et pour avoir fait évoluer ce texte dans le sens d’une plus grande souplesse dans l’application et de la recherche d’un consensus sénatorial. L’idée de rendre obligatoire pour les communes de plus de 100 000 habitants exclusivement le recensement annuel des personnes sans abri, sur le modèle de la Nuit de la solidarité, est judicieuse. Les communes rurales et de taille moyenne ne possèdent pas toujours les structures associatives ni les ressources humaines nécessaires pour réaliser cette opération.

En revanche, j’émets des réserves sur les amendements du Gouvernement, notamment ceux qui tendent à supprimer la collecte et la transmission annuelle de données imposées à toutes les communes, ainsi qu’à faire passer d’une fois par an à une fois tous les deux ans la fréquence du décompte dans les communes de plus de 100 000 habitants. Ces propositions altèrent la nature du texte initial et semblent traduire une sous-estimation de l’ampleur du phénomène ainsi que des mesures nécessaires pour lutter contre la précarité du logement.

Je remercie Rémi Féraud d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi. Il faut compter pour mieux connaître et pour mieux combattre la précarité, et ainsi éviter que les personnes vulnérables ne basculent dans la grande pauvreté, au risque de se retrouver à la rue.

Une fois le recensement effectué, il s’agira d’en tirer les conséquences en matière de prévention et d’offres d’accompagnement. Nous plaidons en faveur d’une réévaluation des minima sociaux en réponse à l’inflation, de l’extension du revenu de solidarité active (RSA) aux jeunes et d’une vraie politique de protection de l’enfance. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Evren. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Agnès Evren. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi a le mérite de traiter de la crise du logement, qui touche un nombre croissant de Français.

Les chiffres sont connus et ont été rappelés par Rémi Féraud et par Mme la rapporteure. La Fondation Abbé Pierre estime à 330 000 le nombre de personnes sans domicile fixe en France. Les sans-abri sont actuellement estimés à 40 000 sur l’ensemble du territoire, contre 27 000 en 2016. En 2022, 624 d’entre eux sont morts dans la rue en France et ce chiffre, déjà épouvantable, serait encore fortement sous-évalué.

Dans la seule ville de Paris, la dernière Nuit de la solidarité a permis de décompter 3 015 personnes sans solution d’hébergement, soit 400 de plus que l’année précédente. Parmi elles, 77 % n’appelaient même plus le 115. Ce numéro reçoit entre 5 000 et 15 000 appels par jour, mais ne peut répondre qu’à un quart d’entre eux, faute de solution à proposer.

L’hébergement d’urgence est une compétence de l’État. Cette politique est à un tel point de saturation que des écoutants du 115 orientent désormais, en plein froid polaire, des femmes vers des squats ; de plus, l’État a fixé de façon inédite des critères de priorité aberrants pour l’accès à l’hébergement d’urgence.

Cette concurrence entre les publics vulnérables est insupportable. Les femmes en sont les premières victimes. Une femme à la rue est violée toutes les vingt-quatre heures ! Environ 90 % de ce public subit des violences. Est-il normal de considérer une femme enceinte, si elle n’est pas à neuf mois de grossesse, ou un bébé de 4 mois comme non prioritaires, et ainsi de laisser cet enfant dormir dehors ? Combien de ces femmes enceintes perdent leur bébé ou accouchent à la rue ? C’est une violence insupportable.

L’État – hélas ! – s’est montré incapable sur le long terme de traiter les causes profondes de ces situations d’exclusion extrêmes, causes que nous connaissons et qui sont accentuées par la précarisation énergétique et par la flambée des prix alimentaires. Elles se fondent sur la paupérisation d’une partie des ménages modestes, qui peuvent finir par se retrouver à la rue, et sur l’occupation de places d’hébergement d’urgence par des personnes qui pourraient prétendre à d’autres formes de logement, notamment social. Las, le Samu social gère la pénurie.

L’augmentation du nombre de sans-abri est donc révélatrice d’un échec plus large de notre politique du logement. Nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à subir le mal-logement, confrontés à la hausse des prix des habitations et des loyers. Cette dernière, faut-il le répéter, est particulièrement catastrophique à Paris !

Dans ce contexte, la lutte contre le sans-abrisme doit certes passer par l’ouverture de places d’hébergement d’urgence supplémentaires, en premier lieu pour les femmes seules, et par la mise en place de mesures de protection renforcées, pour assurer leur sécurité et celle des autres publics très vulnérables, mais elle doit s’inscrire aussi dans un combat plus large contre toutes les formes de mal-logement.

Il est vrai que cette proposition de loi permettra de dresser des états des lieux précis dans tous les territoires. Pourtant, nous n’avons pas besoin d’attendre les résultats des décomptes et encore moins la remise d’un rapport pour savoir quelles sont les zones tendues.

Paris en est une. Plus que de nouveaux chiffres, la capitale a surtout besoin d’un changement profond du fonctionnement de ces dispositifs. À défaut, elle court vers une paupérisation continue de sa population à laquelle nous assistons déjà, la voyant peu à peu devenir la ville des très aidés et des très aisés.

Au-delà de la hausse du nombre d’hébergements d’urgence, qui ne peut être qu’une solution de première nécessité, il faut fixer à nos politiques publiques un cap. Nous devons viser collectivement un dessein plus ambitieux : donner à chacun la possibilité d’accéder à son propre logement, notamment à la location, et réinsérer activement les personnes en situation de grande exclusion. Cet objectif vaut pour Paris et tout autant pour l’ensemble des villes de France.

Aussi, je pose la question suivante : quelle sera la portée concrète de ce texte alors que la mise en œuvre des solutions proposées est subordonnée, comme l’a indiqué le ministre, à la remise d’un rapport par le Gouvernement ? Par l’examen des amendements, nous chercherons à améliorer la portée et l’efficacité réelle de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Rémi Féraud applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bourcier.

Mme Corinne Bourcier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mesurer l’évolution du nombre de personnes sans abri en France demeure difficile, car il est particulièrement complexe d’appréhender avec précision le cas de cette population en extrême précarité.

Si la dernière enquête de l’Insee datant de 2012 fait état de 12 500 sans-abri, à savoir des personnes qui ont passé la nuit précédant l’enquête à la rue ou dans un lieu non prévu pour l’habitation, le recensement de la population, quatre ans plus tard, porte leur nombre à 27 000. Quant à la Cour des comptes, elle évaluait en 2019 cette population à 40 000 individus.

Ces estimations en constante augmentation demeurent effrayantes, car, derrière tous ces chiffres, se cachent des drames humains : des hommes et des femmes, mais aussi des enfants qui vivent ou plutôt survivent dans le plus grand dénuement sur notre territoire.

Recenser les sans-abri se révèle néanmoins indispensable : la connaissance précise de leur nombre constitue le préalable à toute élaboration de politique de prévention et de lutte contre le sans-abrisme. Aussi, l’organisation annuelle de la Nuit de la solidarité présente l’intérêt de procéder à un tel recensement dans plusieurs villes volontaires à une date identique et d’obtenir ainsi un ensemble de données territorialisées. C’est pourquoi la proposition de loi que nous examinons cet après-midi est la bienvenue.

Son article 1er vise à instaurer, sur le modèle de la Nuit de la solidarité, un décompte systématique dans chaque commune du nombre de personnes sans abri. Ce type de recensement, dont les modalités seront définies par décret, permettra d’élaborer un diagnostic territorial.

Quant à l’article 2, il a pour objet que, à la suite du décompte, le Gouvernement remette au Parlement un rapport comprenant le diagnostic et une liste de recommandations.

Néanmoins, je partage pleinement la position de la commission concernant son souhait de procéder à quelques ajustements.

Ainsi, instaurer un seuil de 100 000 habitants pour l’organisation des nuits de la solidarité tout en maintenant une obligation de collecte de données pour toutes les communes constitue une mesure raisonnable et équilibrée. En effet, le sans-abrisme concerne plus particulièrement les métropoles ; l’organisation d’une nuit de la solidarité nécessite des moyens humains que les petites et moyennes communes rurales n’ont pas.

Par ailleurs, associer le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale me semble pertinent. Cette instance sera consultée sur les conditions de réalisation des décomptes et donnera sur les recommandations formulées un avis, qui sera annexé au rapport.

Avant de conclure, je tiens à saluer la rapporteure, notre collègue Laurence Rossignol, pour la qualité de ses travaux, qui ont permis d’apporter de pertinentes modifications en commission.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet du sans-abrisme nous concerne tous. Il touche à l’humain et dépasse les clivages politiques. Les mesures introduites par cette proposition de loi et utilement modifiées en commission contribueront à une meilleure connaissance tant quantitative que qualitative du phénomène. Elles conduiront à rendre plus efficaces les politiques publiques prises en direction de ces personnes très vulnérables.

Le groupe Les Indépendants votera avec conviction cette proposition de loi, à la fois pragmatique et opportune. (Mme Laurence Harribey et M. Marc Laménie applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 1er décembre dernier, je présentais devant l’hémicycle le rapport pour avis de la commission des affaires sociales sur le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ». Les auditions ayant permis d’établir ce texte avaient été édifiantes et sans appel.

La situation décrite est dramatique et s’aggrave, ce que chacun de nous peut constater puisque, sous nos yeux, chaque jour, partout en France, des hommes, des femmes et des enfants passent la nuit dans la rue.

Nous étudions aujourd’hui une proposition de loi qui vise à faire établir un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune, rendant possible la remise d’un rapport au Parlement afin d’évaluer et de planifier les politiques de prévention et de lutte contre le phénomène.

Un dispositif appelé Nuit de la solidarité a été mis en place durant la nuit du 26 au 27 janvier 2023 dans 42 communes. Le principe est que les participants, professionnels et bénévoles, posent cette nuit-là leur regard sur ces ombres de la rue. Ils vont au-devant d’elles afin de les recenser, de comprendre leur parcours autant que faire se peut et de les rendre visibles pour tous, en particulier pour les décideurs des politiques publiques.

Évidemment, les associations et les travailleurs sociaux font au quotidien cette démarche empreinte d’une grande humanité. Je salue à cette occasion leur travail, car ces acteurs dressent déjà un tableau assez précis des sans-abri. Ils établissent des profils psychologiques et décrivent un public qui évolue, de plus en plus fragile et précaire, parfois sans situation administrative, comprenant de plus en plus de personnes âgées et, ce qui est le plus terrible, de familles, notamment avec enfants.

La Croix-Rouge, premier opérateur de maraudes professionnelles et bénévoles dans 85 départements, indiquait en fin d’année avoir comptabilisé jusqu’à 6 200 demandes non pourvues ; de nombreux enfants sont concernés. Ces chiffres sont établis en lien avec le 115. Toutefois, ils ne comprennent pas toutes les personnes qui, sachant les places d’hébergement embolisées et se trouvant certaines d’essuyer un refus, faute de moyens de communication parfois, ne font pas ou plus appel au 115. Environ 87 % des personnes rencontrées par ces maraudes déclaraient ne pas avoir appelé. Face à l’énorme taux de non-recours, nous ne voyons qu’une partie de l’effrayante réalité !

En conséquence, le principe d’une forme de recensement systématique annuel présente un intérêt certain. Pour cette raison, le groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de loi à la condition qu’elle n’induise pas une charge de travail supplémentaire pour les plus petites communes, dépourvues de services et disposant de peu de ressources humaines pour mener à bien une opération du type Nuit de la solidarité.

De fait, une seconde raison explique pourquoi le groupe Union Centriste votera ce texte. Si Bercy ne comprend que les chiffres, alors produisons des chiffres ! Hélas ! les centaines et les milliers d’enfants qui ont fait leur rentrée scolaire dans la rue ne sont pas des statistiques. Ils ne pèsent pas lourd, les pauvres !

Avec ou sans chiffres, que ces derniers soient exacts ou sous-estimés, personne ne peut prétexter que nous ne connaissons pas la situation. Tout le monde la connaît ! Nous ne devrions pas avoir besoin d’aller compter ces malheureux pour obtenir les moyens nécessaires à leur mise à l’abri.

Actuellement, l’écart est tel entre l’offre d’hébergement d’urgence et les besoins que des systèmes de priorisation, qui sont en fait du tri, se mettent en place. Il a été porté à notre connaissance le cas d’une ville, dont je tairai le nom, où il n’y a de places que pour les femmes battues ayant porté plainte et menacées de mort. Tous les autres demandeurs sont refoulés. Là aussi, personne ne l’ignore.

À ce stade, je souhaite faire mention des travaux en cours menés par la délégation aux droits des femmes sur le sujet spécifique du sans-abrisme chez ces dernières. Ils seront une contribution précieuse afin de cerner un phénomène social en pleine évolution et qu’il est essentiel de comprendre.

Comme nous le savons, le secteur du logement subit une crise majeure. Ceux qui voudraient accéder à la propriété, faute de pouvoir le faire, embolisent le secteur locatif. Ceux qui sont dans l’hébergement d’urgence, même lorsqu’ils travaillent, ne peuvent pas accéder à un logement social et restent bloqués, parfois des années, dans ce qui devrait être une solution transitoire. Ceux qui sont dans la rue y restent, faute de place, s’enracinant dans la pauvreté.

Cette crise est l’une des raisons – il en existe d’autres – pour lesquelles de plus en plus de personnes se trouvent dehors. Certes, il faut comprendre et analyser, mais il faut surtout faire vite et se donner les moyens. Pourtant, la volonté politique n’est pas là. Des places supplémentaires d’hébergement d’urgence ont été ouvertes, mais pas à la hauteur des enjeux. Force est de constater que l’État n’est pas au rendez-vous.

Pour cette raison, le Sénat a refusé de voter, au mois de décembre 2023, les crédits pour l’année 2024 du programme 177 manifestement insincères et d’une criante insuffisance. Faire reposer la prise en charge de cette catégorie de la population sur un tissu associatif au bout de ses capacités n’est pas raisonnable. Les associations sont le dernier filet de sécurité face au sans-abrisme, mais il est en train de se défaire. Quand il aura craqué, que se passera-t-il ?

Il n’est plus possible de renvoyer la balle aux communes qui la renvoient elles-mêmes à l’État, ce n’est tout simplement pas humain ! J’en veux pour preuve un nouveau témoignage, recueilli hier. Des personnes tentant de venir en aide à une jeune femme dans la rue, tout près d’ici, ont appelé les services de la mairie de Paris. Il leur a été répondu que, pour des raisons de compétence, il fallait s’adresser au Gouvernement. Finalement, il valait donc mieux voir avec… personne ! C’est indigne !

Je tiens à évoquer également ici les souffrances des travailleurs sociaux qui prennent les appels et qui n’ont que des refus à opposer.

Je vote alors pour que nous ayons en main un rapport chiffré à agiter comme un chiffon rouge ! Je vote pour que nous travaillions enfin à la prévention ! Je vote pour que nous arrêtions de faire semblant ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mmes la rapporteure et Marie-Pierre Richer ainsi que M. Marc Laménie applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris.

Mme Anne Souyris. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, demain, à la nuit tombée, je parcourrai, comme de nombreux élus parisiens, les rues de la capitale aux côtés de plus de 2 000 bénévoles et professionnels du secteur social.

Comme chaque année depuis 2018, et à l’image de plus de quarante villes de France, Paris organise ainsi un effort collectif en faveur de la solidarité.

Comme vous l’avez toutes et tous indiqué, mes chers collègues, la situation du sans-abrisme en France demeure dramatique, insupportable et inhumaine. Pis, elle s’aggrave. Sans répéter ceux qui ont été donnés, de multiples chiffres vont dans le même sens.

Je me souviens de la Nuit de la solidarité de l’hiver 2020. Je maraudais avec des bénévoles, convaincus que la fraternité se vivait par un tel élan de solidarité ; pourtant, beaucoup travaillaient déjà dans le secteur social au nom de cette même fraternité, souvent en Seine-Saint-Denis. Ce soir-là, nous étions arrivés aux urgences de l’hôpital Saint-Louis dans le Xe arrondissement de Paris. J’ai été marquée d’y voir des gens venir dormir dans la salle d’attente des urgences toutes les nuits. Cet endroit était le seul où ces personnes étaient parvenues à trouver refuge. Des femmes s’y trouvaient, lesquelles, heureusement, s’abritaient parfois dans d’autres lieux. À l’époque, les enfants étaient absents de l’hôpital, car ils étaient pris en charge rapidement.

Ces femmes et ces hommes étaient accueillis par le personnel soignant avec solidarité, dignité et humanité. En 2020, l’hôpital était devenu un asile, un refuge de dernier recours grâce aux soignantes et aux soignants, qui permettaient de donner un abri à ceux qui n’en avaient pas et de donner réalité à la valeur républicaine de fraternité.

L’hôpital demeure ce refuge. Les sans-abri continuent d’arriver dans les hôpitaux pour dormir quelques heures sur un brancard. Les soignantes et les soignants continuent de leur accorder de passer cette courte nuit en sécurité. Ce phénomène a même un nom. Il est appelé « tri 5 », en référence au niveau 5 de la classification infirmière des malades aux urgences : « pas d’atteinte fonctionnelle ou lésionnelle évidente », installation en « box ou salle d’attente ».

Personne – je vous l’assure – ne dort de gaieté de cœur dans la rue un soir d’hiver ou sur un brancard. La situation s’aggrave : de plus en plus de femmes et d’enfants dorment dehors, comme nous l’avons déjà relevé dans cet hémicycle.

Ainsi, il y a quelques semaines, j’étais devant l’école Félix-Faure pour soutenir des parents et des professeurs des écoles. Ils revendiquaient un hébergement d’urgence pour les familles de la quinzaine d’enfants à la rue du XVe arrondissement. La Ville de Paris a ouvert plusieurs centres à cet effet, dernièrement dans le XVIIIe.

L’État doit prendre ses responsabilités et ouvrir des hébergements pour tous les enfants, quel que soit leur statut administratif. Le groupe écologiste l’avait invité à débloquer des crédits en ce sens lors de l’examen de la loi de finances pour 2024. Nous, parlementaires de nombreux bords, n’arrêtons pas de vous alerter, monsieur le ministre.

Ma collègue Mathilde Ollivier vous l’avait dit en novembre : « Réveillez-vous ! » Il y a urgence pour la dignité de ces femmes, de ces enfants et de ces hommes, ainsi qu’au nom de la fraternité.

Je salue chaleureusement mon collègue parisien Rémi Féraud, lequel a déposé cette proposition de loi, et la rapporteure Laurence Rossignol, ainsi que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain pour avoir inscrit le texte dans son espace réservé.

Je remercie les élus locaux ainsi que les citoyennes et citoyens engagés partout en France, que ce soit à Paris avec Anne Hidalgo ou dans de nombreuses autres villes, comme à Bordeaux, à Rennes, à Lyon, à Grenoble, à Nantes, à Poitiers, à Nancy, à Rouen, à Tours ou à Besançon. Je suis sûre d’en oublier !

Comme vous l’aurez compris, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)