Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je tiens à remercier les élus du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky de l’organisation de ce débat : ils nous donnent ainsi une première occasion de suivre l’application de ce texte de loi, adopté le 20 juillet dernier, c’est-à-dire il y a moins de six mois, à la suite de débats très riches. Je salue tout particulièrement le rapporteur du Sénat, Jean-Baptiste Blanc, et votre ancienne collègue Valérie Létard.

Nous l’avions déjà souligné alors : après le vote, il faudra s’assurer, étape par étape, que nous procéderons dans le bon ordre. Il s’agit non seulement de rassurer les élus locaux, mais aussi de conjuguer deux injonctions majeures : moins artificialiser nos sols sans pour autant se priver d’un potentiel de développement dont nous avons besoin, y compris au titre de la transition écologique.

En agissant sous le regard croisé de la chambre haute, si attentive aux territoires, et du Gouvernement, nous nous plaçons dans les meilleures conditions pour réussir. À cet égard, j’attends avec impatience les remontées de terrain, qui sans doute compléteront les informations que je vous communiquerai dans la suite du débat.

Je n’interviendrai pas à la suite de chaque orateur. Ne prenez pas ces silences pour des marques de mépris, mais, au contraire, comme la preuve d’une écoute approfondie de ma part : je tiens à entendre ce que chacun a à me dire avant d’apporter une réponse globale à l’issue du débat.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Pillefer.

M. Bernard Pillefer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accompagnement des collectivités territoriales dans la mise en œuvre des objectifs du ZAN revêt une importance cruciale : la souplesse et la pédagogie sont essentielles pour réussir une transition de cette ampleur.

Aussi, je tiens à remercier les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour.

La loi du 20 juillet 2023 et ses décrets d’application avaient pour but de combler les lacunes du texte initial, en apportant des précisions bienvenues, en révisant le calendrier de modification des documents d’urbanisme et en dotant les élus locaux de nouveaux outils plus adaptés. Toutefois, ces promesses ne semblent pas entièrement tenues.

Mes chers collègues, la voix des territoires ruraux doit être entendue. Je pense en particulier à l’inquiétude des élus locaux dans l’exercice de leur mandat. C’est notre rôle de sénateurs ; c’est notre responsabilité ; c’est notre engagement.

Projets bloqués, communes figées : ces dispositions normatives ne sont pas sans conséquence sur le dynamisme et la vitalité de nos territoires…

Aujourd’hui, les objectifs du ZAN apparaissent davantage comme un frein au développement, notamment pour les petites communes, alors même que – c’est là qu’est tout le paradoxe – le Gouvernement encourage la réindustrialisation de l’ensemble du territoire, lequel fait face à une crise du logement sans précédent.

Ce que nous demandent nos territoires, c’est de conserver la possibilité d’accueillir de nouveaux habitants, de nouvelles entreprises et de nouvelles industries. C’est aussi de permettre le développement des entreprises déjà implantées, le tout en maintenant une offre attractive et complète de services de proximité. Cet objectif est une nécessité ; il doit rester une priorité pour notre ruralité.

Monsieur le ministre, si la loi du 20 juillet 2023 mérite d’être saluée, plusieurs zones d’ombre subsistent.

Premièrement, selon quel calendrier la clause de revoyure évoquée sera-t-elle mise en place ? Celle-ci sera-t-elle territorialisée, afin de répondre aux spécificités locales ?

Deuxièmement, la nomenclature des surfaces artificialisées pourra-t-elle être révisée ? Je pense notamment au statut des abords des parcelles agricoles, qui reste flou.

Troisièmement et enfin, le droit à un hectare doit être sanctuarisé ; or, sur le terrain, ce n’est visiblement pas toujours le cas.

Chaque territoire doit pouvoir adapter les politiques ZAN à ses contraintes propres, afin de bâtir sa politique foncière.

Le 15 septembre 2022, lors d’une conférence de presse, le Président de la République annonçait une stratégie nationale ZAN dotée de crédits budgétaires spécifiques : autant d’annonces, autant de rendez-vous manqués…

Aujourd’hui, les élus locaux ne disposent pas d’outils fiscaux adaptés pour financer le ZAN. Les ressources fiscales s’amenuisent, alors même que les collectivités territoriales reçoivent de nouvelles compétences. À ce titre, la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales a valeur de symbole.

La compensation financière du transfert de compétences par l’État aux collectivités territoriales doit être une réalité. Ces dernières doivent avoir les moyens d’agir. Nos territoires attendent le déploiement d’un nouveau modèle de décentralisation en matière financière et fiscale.

Les politiques ZAN auront un coût : qui mettra la main au portefeuille ? Comment, sans moyens significatifs et aides appropriées densifiées, réhabiliter les dents creuses, permettre les divisions parcellaires, traiter le cas des passoires thermiques ou réduire le nombre de logements vacants ? Ce trou dans la raquette est pour le moins problématique ; il est impératif de le combler.

Enfin, j’évoquerai à mon tour l’ingénierie de projet.

Les territoires doivent disposer d’outils et d’ingénierie de qualité, afin d’être accompagnés juridiquement, techniquement et opérationnellement.

Mme la présidente. Il faut penser à conclure…

M. Bernard Pillefer. L’urbanisation de demain doit prendre en considération, commune par commune, les projets des territoires définis à l’échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Mme la présidente. Veuillez conclure !

M. Bernard Pillefer. Monsieur le ministre, le Gouvernement entend réussir la transition énergétique en réduisant l’artificialisation nette. Cela s’entend,…

Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !

M. Bernard Pillefer. … mais la prise en compte de nos territoires demeure une nécessité. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, puisque nous sommes encore à l’époque des vœux, je tiens à souhaiter une bonne et heureuse année à chacun d’entre vous : bloavezh mat dan holl ! (Sourires.)

En ce mois de janvier, nous sillonnons nos territoires pour prendre part à diverses cérémonies communales. Ces dernières sont, pour moi, autant d’occasions de parler du ZAN. Je rappelle à mes interlocuteurs que nous sommes conscients de la contrainte que cette législation représente ; je souligne aussi qu’elle était absolument nécessaire, car nous ne pouvions pas continuer à gaspiller nos espaces agricoles ou naturels.

Quelle que soit leur sensibilité politique, les élus que je trouve devant moi hochent la tête. Je rêverais presque qu’un certain président de région se trouve alors à ma place : il pourrait se livrer à un bel exercice d’introspection ! (Sourires sur les travées du groupe GEST.) Quel exemple pour notre belle jeunesse que ces grands élus qui se targueraient presque de ne pas respecter la loi !

Je ne nie pas pour autant les difficultés concrètes éprouvées sur le terrain pour mettre en œuvre le ZAN.

La dernière étude du réseau Scet (Services conseil expertises et territoires) portant sur l’appréhension du ZAN par 366 dirigeants de collectivités territoriales, d’établissements publics locaux et du secteur immobilier insiste sur ces difficultés.

Un quart des sondés déclarent par exemple ne pas avoir encore engagé de réflexion ou de mesures concrètes pour décliner les objectifs dont il est question.

Certains pointent la difficulté de composer avec « des programmes d’aménagement à la fois plus longs, plus coûteux et plus complexes, dans un contexte de concurrence accrue entre opérateurs » et de raréfaction du foncier.

Certains, enfin, s’interrogent sur des cas bien précis d’application du ZAN. Je citerai un domaine dans lequel le département de Loire-Atlantique, et tout particulièrement la commune de Plessé, est en pointe : la construction d’un habitat léger entièrement démontable et compostable relève-t-elle d’une opération d’artificialisation ?

De même, faut-il se fier à la comptabilité du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) ou des agences d’urbanisme locales, dont les chiffres divergent encore souvent ? Les réponses ne sont pas toujours évidentes.

Monsieur le ministre, pour en revenir à nos discussions de cet après-midi, la nécessité de répondre rapidement aux questions qui se posent encore dans les territoires constitue un enjeu de taille. Je remercie d’ailleurs nos collègues du groupe communiste d’avoir pris l’initiative de ce débat.

En parallèle, nombre de maires estiment que cette loi aura des retombées positives sur leur territoire, en favorisant la bonne utilisation du foncier local, en suscitant un regain d’intérêt pour les friches et les secteurs déqualifiés, ou encore en laissant envisager de nouvelles capacités et modalités d’innovation territoriale de la part des acteurs locaux, ainsi que de nouveaux partenariats et synergies.

En ce sens, le ZAN est probablement une manière de repenser l’attractivité des communes, au-delà des métriques traditionnellement indexées sur leur potentiel fiscal, même si l’autonomie fiscale de nos collectivités territoriales s’est fortement réduite, ce que nous regrettons tous.

Le ZAN met l’accent sur d’autres critères, comme le nombre d’habitants et d’entreprises ou de kilomètres de routes construites. C’est bel et bien une autre vision des communes qui se prépare.

Par définition, le ZAN renforce le rôle de l’agriculture.

Dans le temps, on regardait un champ comme un futur lotissement ; désormais, on y voit un espace qui restera agricole, en bordure de la commune.

Dans le temps, la friche industrielle au milieu d’une commune, typiquement l’ancien garage, était une vulgaire « verrue » que l’on cherchait vainement à supprimer. Demain, notamment grâce aux subsides de l’État, ces « verrues » seront perçues comme autant de potentiels de nouveaux services, comme la promesse de nouveaux habitants, comme une clé du dynamisme de la commune.

Grâce au ZAN, nous sommes bel et bien en train de changer de regard sur les différents espaces de nos communes, et c’est une excellente chose.

Cécile Cukierman a parlé, à juste titre, des besoins d’ingénierie de nos collectivités territoriales.

Sur proposition du Sénat, le Gouvernement a conservé une enveloppe de 250 millions d’euros pour la mise en œuvre des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) : nous tenons à vous remercier de cette excellente mesure. Ces crédits, qui seront confiés aux intercommunalités, doivent absolument financer l’ingénierie communale – nous y reviendrons sans doute.

En résumé, le dialogue doit être renforcé et un certain nombre de situations méritent encore d’être précisées ; cette loi, il est vrai, n’en est qu’à ses premiers mois d’application.

J’en suis profondément convaincu : dans quelques années, chacun reconnaîtra que la loi ZAN est un texte important et nécessaire. (Mme Ghislaine Senée et M. Pierre Barros applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Barros.

M. Pierre Barros. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, présentés d’un côté comme la solution miracle face à la perte de biodiversité, de l’autre comme un danger pour la survie des petites communes, les trois lettres du ZAN font couler beaucoup d’encre.

Ce « zéro artificialisation nette » des sols part d’une intention louable en remettant en perspective nos politiques d’aménagement. Il incite les acteurs à se poser les bonnes questions avant de lancer des projets de construction, alors que les disponibilités foncières sont de plus en plus limitées. « Éviter », « réduire » et « compenser » sont les trois mots d’ordre d’un développement durable auquel les politiques d’aménagement ne doivent plus déroger.

C’est là toute la difficulté. Pour de nombreuses collectivités territoriales, il n’est possible ni d’éviter, ni de réduire, ni de compenser, et pour cause : installer des services publics là où il n’y en a pas, construire des logements là où il en manque, créer de l’emploi là où il en faut impose aux élus d’engager de nouveaux projets, parfois sur des espaces non bâtis, souvent des terres agricoles.

En garantissant un droit à l’hectare, le texte du Sénat rassure. Il permet aux élus, tout particulièrement dans les communes rurales, de conserver une possibilité de développement pour leur territoire.

De plus, puisque l’aménagement est au cœur de notre sujet, il est nécessaire de s’intéresser aux phénomènes de désertification que subissent de nombreuses communes et départements. Dans les territoires concernés, bien des bâtiments se vident et l’on peine parfois à les réemployer, faute de moyens.

Construire du neuf coûte souvent moins cher que de réhabiliter de l’ancien : c’est donc sur ce point qu’il faut agir davantage, en travaillant sur les friches, en soutenant des reconversions du bâti existant, mais aussi, à la source, en limitant les départs d’entreprises ou les fermetures de services publics. Aujourd’hui, on recense ainsi 7 200 sites de friches d’activité sur plus de 100 000 hectares.

C’est aussi en luttant contre la hausse des prix de l’immobilier, notamment dans les villes, que nous parviendrons à contrer l’étalement urbain.

Je prends pour exemple l’artificialisation menée sur le plateau de Saclay : une ville nouvelle est en train d’y sortir de terre, alors que l’Île-de-France n’est pas dépourvue de friches et de bâtiments vacants qui pourraient évidemment être reconvertis.

De telles situations appellent une réflexion particulière de la part des aménageurs, des architectes et des maîtres d’ouvrage, qui – j’insiste sur ce point – peuvent aussi être des collectivités territoriales.

Ces pratiques alternatives permettront de développer des savoir-faire utiles à la lutte contre le réchauffement climatique en soutenant un cadre de vie plus agréable, notamment en milieu urbain.

Le « zéro artificialisation nette » repose sur un équilibre entre ce qui est construit et ce qui est renaturé : tout en réfléchissant aux nouvelles constructions que nous pourrions lancer, nous pouvons aussi mener des projets de désimperméabilisation des surfaces. Ce faisant, nous agirons directement contre le dérèglement climatique tout en assurant des droits à construire pour l’avenir, dans la philosophie même du ZAN.

Avec les objectifs du ZAN issus de la loi Climat et résilience, les communes qui ont le moins artificialisé hier sont aussi celles qui artificialiseront le moins demain : en résulte un déséquilibre, vécu comme une injustice par de nombreux élus.

C’est cet enjeu que le Sénat a mis en avant lors de la dernière session dans le cadre du texte proposé et voté par ses soins. La Haute Assemblée a fait preuve d’agilité pour équilibrer l’artificialisation au-delà de l’échelle communale.

Néanmoins, demeurons vigilants : les fausses bonnes idées d’hier ne doivent pas créer les aberrations urbaines de demain. L’objectif reste bien de préserver les espaces naturels et agricoles. En ce sens, le débat d’aujourd’hui est essentiel.

Monsieur le ministre, nous souhaitons poursuivre ce travail, pour que le ZAN ne soit pas vécu comme un verrou, mais bien comme un outil en faveur d’un aménagement du territoire plus vertueux, plus économe et, dès lors, plus humain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Ronan Dantec applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac. (Mme Maryse Carrère applaudit.)

M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier les membres du groupe communiste d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour et à souhaiter une bonne année à chacun de vous !

Il y a trois ans, au titre de la loi Climat et résilience, nous avons voté l’objectif du « zéro artificialisation nette des sols » à l’horizon 2050. La loi visant à atteindre cet objectif a été adoptée en juillet 2023 : elle prévoit de réduire de moitié la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici à 2031. Cela étant, ce second texte a déjà été amendé par une proposition de loi.

Il est nécessaire de déployer une véritable politique de sobriété foncière, car il faut mettre un coup d’arrêt à l’urbanisation excessive. Mais, aujourd’hui, force est de constater que les dispositions prévues par la loi entraînent des difficultés de mise en œuvre considérables. Nous faisons face, en particulier, à une très forte complexité administrative bloquant l’adaptation aux situations spécifiques des territoires.

Monsieur le ministre, dès votre nomination, en juillet 2022, vous avez pris conscience de ces difficultés. Par voie de circulaire, vous avez ainsi demandé aux préfets d’attendre avant d’imposer « une réduction de moitié de la consommation des Enaf de manière uniforme, afin de ne pas anticiper le résultat du dialogue entre les collectivités et celui du processus de déclinaison de l’objectif à chaque échelle territoriale ». Votre réaction mérite d’être saluée : pour ma part, je m’empresse de le faire.

Cela étant, chaque semaine, je rencontre les élus de l’Hérault, et pas une réunion ne se déroule sans que le sujet soit abordé.

Comment appliquer uniformément cette loi à des territoires aussi divers que des métropoles, des zones de montagne, des stations touristiques du littoral ou des communes rurales ? (Mme Maryse Carrère opine.) Une fois de plus, la ruralité a été oubliée lors de l’élaboration de la loi.

J’avais d’ailleurs déposé un amendement visant à exclure de l’objectif du ZAN les communes rurales de moins de 2 000 habitants qui avaient préservé au moins 90 % de leur territoire par un classement en espace naturel ou agricole.

Lesdites communes, ancrées en pleine nature, respectent déjà de fait l’objectif ZAN, mais elles ne peuvent pas renoncer aux projets permettant l’accueil de nouveaux habitants. Il y va de l’attractivité de ces territoires ruraux, qui ne doivent pas voir leur développement démographique, économique ou agricole entravé par un excès de sobriété foncière.

Mais je crains qu’une fois de plus nous n’ayons déployé des trésors de complexité, comme notre pays sait si bien le faire, au lieu d’œuvrer dans le sens de la simplification.

Après le remplacement des plans d’occupation des sols (POS) par les plans locaux d’urbanisme (PLU), qui a entraîné une explosion du prix des documents d’urbanisme, nous avons mis en place des Scot et nous créons maintenant des Sraddet, sous le regard de comités Théodule comme la conférence des Scot et les conférences régionales de gouvernance. Pour couronner le tout, ces différents documents devront être mis en cohérence. Mais à quel prix ?

On peut se demander si toutes ces contraintes ne sont pas un moyen perfide d’obliger les maires des communes les plus rurales à renoncer à leur compétence d’urbanisme au profit des intercommunalités…

Je passe à un autre volet. La semaine prochaine, le projet de loi d’orientation en faveur du renouvellement des générations en agriculture sera présenté en conseil des ministres.

La profession agricole est gravement malmenée, alors que les agriculteurs nourrissent nos compatriotes et préservent nos paysages.

Un rappel de la triste réalité paysanne : taux de suicide record, difficultés d’installation pour les plus jeunes, problèmes d’accès au foncier, diminution du nombre d’exploitations, réduction de la surface agricole, accaparement des terres par des groupes étrangers, sans oublier une insuffisante rémunération…

La mise en œuvre du ZAN ne doit pas empêcher la construction de bâtiments agricoles, sauf à entraver l’installation de nos jeunes agriculteurs et de nos jeunes agricultrices.

Autre sujet de préoccupation : les grands projets d’intérêt national. Ils sont non plus décomptés à l’échelle des territoires, mais mutualisés à l’échelle nationale, une disposition que j’approuve pleinement.

Dans l’Hérault, à Béziers, le projet de la société Genvia a été retenu pour produire de l’hydrogène vert décarboné, avec la promesse de créer 400 emplois. La région Occitanie soutient, tout comme moi, cette initiative.

Cela étant, Genvia devra travailler avec des sous-traitants qui, eux, sont soumis aux contraintes du ZAN. Or, autour de Béziers, nous manquons de surface au sol disponible pour les accueillir. Que faire, monsieur le ministre ? Sans ces sous-traitants, Genvia ne pourra pas mener à bien ce projet…

Pour terminer, j’aurai deux questions : tout d’abord, quelles solutions envisagez-vous pour que la mise en œuvre de la politique du ZAN ne nuise pas à la construction des bâtiments d’exploitation agricole ? Ensuite, quand publierez-vous le décret portant sur la garantie rurale ?

À l’instar des membres du groupe RDSE, je demeure inquiet en raison du manque de réalisme du texte, qui risque de devenir un marronnier législatif.

Nul doute que nous devrons remettre l’ouvrage sur le métier encore plusieurs fois si nous voulons le rendre acceptable. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Buval.

M. Frédéric Buval. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 20 juillet 2023 vise à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols, tout en renforçant l’accompagnement des élus locaux.

Fruit d’un compromis heureux entre le Sénat, l’Assemblée nationale et le Gouvernement, cette loi est la traduction de travaux, longs de plusieurs années, menés au Sénat, notamment par nos collègues Jean-Baptiste Blanc, Christian Redon-Sarrazy et Anne-Catherine Loisier, ou encore par notre ancienne collègue Valérie Létard.

La version finale de cette proposition de loi coconstruite réaffirme les objectifs ambitieux de la stratégie nationale de zéro artificialisation nette d’ici à 2050, tout en donnant plus de souplesse aux collectivités territoriales, et ce sans modifier l’esprit général de la loi Climat et résilience.

Il est vrai que l’application des objectifs du ZAN, fixés en 2021, a suscité des résistances et des interrogations chez les élus de terrain, qui ont déploré des problèmes de délais et une trop grande complexité.

Or, derrière son apparente technicité, la lutte contre l’artificialisation des sols repose sur l’évidence qu’il existe une urgence environnementale, dont la réalité n’échappe désormais plus à personne : ainsi, les effets du dérèglement climatique sur la faune et la flore affectent déjà nos concitoyens au quotidien.

L’artificialisation des sols concerne, en France, entre 6 % à 9 % de la surface des terrains. Cela signifie qu’entre 3 millions et 5 millions d’hectares ont subi une altération durable de leurs fonctions naturelles en raison des activités humaines.

Concrètement, la loi ZAN vise à freiner le rythme d’artificialisation des terres, insoutenable pour l’environnement et, à terme, pour la vie humaine, sans toutefois faire obstacle au développement pragmatique des territoires, principalement ruraux.

Réduire puis arrêter à partir de 2050 l’artificialisation de nos sols est donc une priorité écologique et économique. L’implication des collectivités locales est l’un des facteurs clés de sa réussite.

Il s’agit bel et bien d’une priorité écologique, car le bétonnage et l’étalement urbain, à l’origine de la hausse de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers, les fameux Enaf, sont l’une des principales menaces pesant sur la biodiversité : ils favorisent l’imperméabilisation des sols, ce qui a des conséquences désastreuses, notamment en cas d’inondation ou de canicule.

Il s’agit également d’une priorité économique, car l’artificialisation brute des terres se fait avant tout au détriment des surfaces agricoles. À terme, celle-ci fait peser un risque sur la souveraineté alimentaire de la France.

C’est donc dans un esprit de responsabilité, et en vertu de la confiance mutuelle qui nous a animés, vous, monsieur le ministre, et nous, parlementaires, qu’un accord a été trouvé en commission mixte paritaire. Celui-ci comporte des avancées notables qui permettent de répondre aux attentes des élus locaux.

Premièrement, il assouplit les règles du ZAN pour certains projets d’aménagement de grande ampleur. Surtout, il crée la garantie rurale ou « surface minimale de développement communal », qui permet à chaque commune couverte par un document d’urbanisme de bénéficier d’un hectare de droit à construire sans être contrainte par les obligations du zéro artificialisation nette.

Deuxièmement, il multiplie les outils mis à la disposition des collectivités locales en vue de favoriser le ZAN. Avant 2031, les communes pourront définir, dans leur plan local d’urbanisme, des zones pour des opérations de renaturation. Elles pourront ainsi préempter des terrains et des espaces urbanisés identifiés comme pouvant faire l’objet d’une désartificialisation.

Troisièmement, il allonge les délais de mise en conformité des documents de planification et d’urbanisme, lesquels peuvent désormais, dans certains cas, courir jusqu’en 2027.

Quatrièmement et enfin, il crée un espace de dialogue territorial au sein des conférences régionales de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation des sols.

Par ailleurs, comme il s’y était engagé, le Gouvernement a retranscrit plusieurs dispositions adoptées au Sénat en première lecture dans trois nouveaux décrets d’application de la loi ZAN publiés le 27 novembre dernier – ces derniers ont été élaborés en concertation avec l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF).

Certes, des ajustements sont souhaitables pour simplifier les choses localement et accompagner les collectivités territoriales, notamment les plus petites d’entre elles, en matière d’ingénierie et de fiscalité.

Toutefois, nous pouvons nous réjouir collectivement des outils concrets que le texte met en place pour les élus : ces derniers seront désormais mieux assistés dans la mise en œuvre des objectifs ZAN, même si des améliorations sont toujours possibles.

À cet égard, je pense spécifiquement aux outre-mer : en effet, si la transition écologique représente un véritable défi pour nous tous, elle l’est tout particulièrement pour les territoires ultramarins, où la problématique du foncier est encore plus prégnante.

M. Frédéric Buval. Tout d’abord, les terres disponibles y sont exiguës ; ensuite, le poids de l’État est prépondérant dans la gestion du foncier ; enfin, les élus locaux reçoivent des injonctions contradictoires : il leur faut à la fois protéger l’environnement et répondre à l’urgence économique et sociale, alors même que, confrontés aux catastrophes naturelles, ils sont très vulnérables.

Cette situation se traduit par une forte spéculation foncière et par la diminution inexorable du foncier agricole dans la majorité des territoires d’outre-mer.

La Martinique est particulièrement concernée puisque, en vingt ans, la surface agricole utile s’est réduite de près de 1 000 hectares par an et a diminué de près de 30 %, en dépit de la création d’outils juridiques spécifiques pour inverser cette tendance inquiétante. Il serait judicieux aujourd’hui de s’interroger sur leur efficacité.