M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Ah bon ?

M. Daniel Salmon. La rallonge budgétaire accordée récemment semble être l’amorce d’une prise de conscience. Elle se doit d’être concrétisée dans ce PLF.

Je rappelle que, sur ces deux sujets, des amendements ont été votés à l’Assemblée nationale. Ils n’ont – hélas ! – pas été retenus dans le cadre du 49.3.

Ensuite, il y a le problème des financements de la planification écologique. Ceux-ci reposent avant tout sur l’investissement, avec le risque de contribuer à l’endettement des agriculteurs s’il n’est pas ciblé. Or nous sommes convaincus que ce n’est ni la robotique ni le numérique qui nous permettront de relever les défis environnementaux. Nous devrions bien davantage miser sur des moyens d’animation territoriale et d’accompagnement largement négligés par ce budget. (M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis, sexclame.)

Toujours en ce qui concerne la transition écologique, nous dénonçons le revirement sur l’augmentation de la redevance pour pollutions diffuses et sur la taxe sur l’eau. Cela envoie un mauvais signal, après les reculs sur le glyphosate et le rejet du règlement européen sur l’usage durable des pesticides, dit SUR.

A contrario, nous souhaiterions que soit menée une réflexion sur l’application du principe pollueur-payeur au financement de la transition en agriculture. Les agriculteurs font partie d’un système agroalimentaire dont ils sont, de loin, le maillon le moins bien rémunéré. Les profits des grandes surfaces et des industries liées à l’agriculture ne devraient-ils pas être mis à contribution pour cette transition ?

Par ailleurs, sur tous ces sujets que sont le mal-être agricole, l’installation, la relocalisation ou la transition agroécologique, nous estimons que les organismes nationaux à vocation agricole et rurale (Onvar) sont les grands oubliés de ce PLF. Ces structures diverses que sont les coopératives d’utilisation de matériel agricole (Cuma), Solidarité Paysans, Terre de Liens contribuent efficacement à appréhender tous ces enjeux via l’animation des territoires.

J’en viens à la forêt. Si un geste est effectué sur les moyens du Centre national de la propriété forestière (CNPF), nous refusons de considérer comme un progrès la suspension du schéma de suppression de postes à l’ONF – j’en profite pour saluer les agents de l’ONF qui assistent à nos débats en tribune –, alors qu’il faudrait augmenter massivement les effectifs. À l’heure du changement climatique, nous ne pouvons pas nous permettre de continuer à affaiblir la gestion publique de ce bien commun qu’est la forêt.

Je termine, monsieur le ministre, par un mot sur la gestion des aides faisant suite à la tempête Ciaran. De nombreux agriculteurs restent en dehors des dispositifs d’indemnisation, ce qui occasionne de fortes difficultés pour les fermes concernées. Je vous demande de ne laisser personne au bord de la route.

Le groupe GEST subordonnera son vote au sort réservé à certains amendements.

Enfin, pour répondre à notre collègue Laurent Duplomb, je dirai que produire sans écologie nous conduit dans le mur, et ce pour longtemps. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Lucien Stanzione. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Lucien Stanzione. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette année charnière pour notre agriculture, les perspectives du budget 2024 se veulent harmonieuses. Malgré les éloges, notre secteur agricole fait face à des défis complexes, cités précédemment par mon collègue Sebastien Pla.

Monsieur le ministre, le Gouvernement semble avoir des difficultés à répondre aux enjeux actuels. La nouvelle configuration de la PAC a suscité des critiques. Des ajustements sont nécessaires.

Dans ce contexte, l’agriculture biologique semble porter un fardeau particulier. La PAC, au lieu de favoriser son essor, a réduit son soutien. Malgré les ajustements proposés en France, des questions cruciales subsistent, notamment sur le soutien à l’élevage, en particulier en zone de montagne.

L’année agricole 2024, encadrée par la planification écologique du Gouvernement et l’examen du futur projet de loi d’orientation agricole, suscite des attentes. Bien que soit annoncée une augmentation du budget, seulement 500 millions d’euros seront effectivement engagés, et certains sujets cruciaux semblent être mis de côté.

Le Gouvernement explore différentes voies pour répondre aux défis, suscitant des interrogations sur la répartition entre la loi, le réglementaire et les annonces.

L’échec récent de la loi Égalim 4 à rétablir l’équilibre des relations commerciales agricoles laisse un goût amer. Face à cette impasse, une mission transpartisane est annoncée pour réfléchir à une réforme du cadre global des négociations commerciales. Sommes-nous condamnés à un cycle sans fin de lois Égalim ?

Avec un endettement croissant, la manière dont seront financées à long terme les aides annoncées demeure un mystère. Le « quoi qu’il en coûte » étant désormais derrière nous, il est légitime de se demander qui assumera in fine ces dépenses.

Quel modèle agricole le Gouvernement souhaite-t-il réellement ?

Pendant ce temps, les exploitants et nos territoires font de leur mieux pour faire face. Ils souffrent !

Les ravageurs, tels que la drosophila suzukii, plongent la filière cerise dans une grande détresse sans trop de perspectives viables. L’inefficacité constatée de certains produits phytosanitaires de remplacement ajoute une difficulté à cette situation déjà complexe.

Les injonctions contradictoires de l’État placent nos agriculteurs dans une position difficile et incompréhensible.

La révision des réglementations pour la lavande, ainsi que pour les producteurs d’abricots des Baronnies, en cours de reconnaissance comme indication géographique protégée (IGP), ajoute à la complexité du tableau et au désespoir de nos agriculteurs.

Sur le volet prédation et survie du pastoralisme, la filière manque de moyens et le nouveau plan Loup ne répond pas pleinement aux attentes de nos éleveurs.

La crise de l’eau provoquée notamment par le renchérissement exorbitant de la redevance eau, dont l’annulation a certes été annoncée, pose la question de la pérennité de la ressource et des nouveaux modèles agricoles dans le cadre de grands plans d’irrigation, tels que le projet dit Hauts de Provence rhodanienne dans le sud-est de la France.

Enfin, la diminution du nombre d’agriculteurs, couplée aux difficultés de renouvellement des générations, donne une note sombre à notre agriculture.

En conclusion, je dirai que ce budget, bien que porteur d’un peu d’espoir, reflète une situation nuancée faite d’incertitudes et de défis à relever. Les maigres espoirs qu’il suscite pour l’avenir de notre agriculture doivent être éclairés par des réponses concrètes et des actions immédiates.

Monsieur le ministre, ne laissons pas notre agriculture sans perspectives.

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Lucien Stanzione. Malgré ces réserves, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce budget, si des suites positives sont données à nos amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bacci. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bacci. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas surpris que je vous parle de forêt. Je dépasserai même peut-être le cadre des strictes compétences du ministère de l’agriculture.

Cette année encore, je débute en regrettant l’architecture actuelle des missions budgétaires. Définitivement, je suis persuadé qu’il est nécessaire d’attribuer à la forêt, sous l’égide du ministère de l’agriculture, des crédits qui lui soient spécifiquement dédiés. La forêt n’est pas une variable d’ajustement de l’équilibre budgétaire. La question est multidimensionnelle : elle embrasse des problématiques économiques, environnementales, agricoles ou encore de sécurité civile.

Or les informations et les crédits sont dilués, ce qui ne contribue pas à récompenser tous ceux qui ont accompli ces derniers mois un travail considérable dans ce dossier.

Avec mes collègues Anne-Catherine Loisier, Pascal Martin et Olivier Rietmann, j’ai été à l’origine d’une loi, adoptée en juillet 2023, visant à lutter contre l’intensification et l’extension du risque incendie. L’enjeu était de reconsidérer l’ensemble des moyens nécessaires à la prévention et à la lutte contre les incendies.

Notre objectif était double : limiter le risque qu’un feu devienne un incendie hors norme, en musclant les dispositifs de la défense de la forêt contre les incendies (DFCI), et donner un cadre légal aux politiques intégrant l’importance de la valeur du sauvé.

J’ai aujourd’hui quelques motifs de satisfaction.

Tout d’abord, l’ensemble des décrets d’application est publié ou en cours de publication. Votre ministère nous a consultés pour leur rédaction, monsieur le ministre, une démarche suffisamment rare pour être soulignée.

Ensuite, je me félicite du niveau des moyens alloués à la forêt, qu’ils soient budgétaires, matériels ou humains. Je regrette néanmoins qu’il n’y ait pas de différenciation territoriale quant aux besoins et aux moyens mis en œuvre. La forêt méditerranéenne, non productive, ne ressemble pas à la forêt des Landes, qui est encore différente de celle du Grand Est, mais elles jouent toutes un rôle dans le stockage du CO2. Il y a encore des améliorations à apporter dans le pilotage de la gestion.

En outre, je constate que les demandes formulées par l’ONF et le CNPF ont été satisfaites. Le plan de restructuration de l’ONF prévoyant la suppression de 95 ETP est suspendu cette année encore. Quant au CNPF, il a obtenu le financement de 16 ETP en 2024 pour mettre en œuvre les nouvelles missions issues de la loi du 10 juillet 2023.

Enfin, je dois saluer l’effort budgétaire fourni par le Gouvernement en matière de sécurité civile. Les crédits du programme « Sécurité civile » de la mission « Sécurités » ont ainsi été majorés, sur sa proposition, de 215 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 145 millions d’euros en crédits de paiement (CP).

En outre, une somme de 39 millions d’euros est allouée en CP au financement de camions-citernes pour les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), contre 7,4 millions d’euros dans le texte initial. C’est un geste fort qui est très apprécié par les acteurs de terrain en première ligne.

Je me réjouis aussi que le Gouvernement ait entendu les demandes convergentes des députés et des sénateurs. L’amendement, déposé par la députée Panonacle, majorant de 3 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement les crédits visant à renforcer le dispositif de DFCI a été retenu dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité.

Monsieur le ministre, vous ne serez pas étonné que, après avoir accordé des bons points, j’attire votre attention sur les insuffisances de ce budget et formule quelques regrets.

Du côté des regrets, très clairement, il y a le fait que le ministère de l’économie et des finances ne prenne pas la mesure du concept de « valeur du sauvé », qui, pourtant, a fait l’objet de plusieurs travaux académiques récents.

Pour illustration, je rappelle que le texte initial de la première partie du PLF prévoyait en son article 12 de supprimer deux dispositions créées sur l’initiative du Sénat par la loi du 10 juillet 2023 : l’exonération de l’ancienne taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour les véhicules des Sdis ; l’exonération de malus CO2 et de malus au poids pour l’ensemble des véhicules opérationnels des acteurs de la DFCI.

Je salue la lucidité de Matignon, qui a su écouter nos inquiétudes et a rétabli ces dispositions dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité.

Ensuite, je note des insuffisances auxquelles il faut remédier dès ce budget.

Lors du vote de la loi du 10 juillet 2023, le Gouvernement s’est opposé à deux mesures fondamentales.

D’abord, il n’a pas voulu entendre parler de l’instauration d’un crédit d’impôt pour la réalisation des obligations légales de débroussaillement (OLD). Cette disposition avait été adoptée par le Sénat dans l’objectif d’encourager le débroussaillement et de renforcer la « défendabilité » de la forêt. Elle avait toutefois été retirée du texte de la commission mixte paritaire, sur l’initiative de son rapporteur pour l’Assemblée nationale. Mon collègue Rietmann l’a représentée par amendement au présent budget et j’appelle de mes vœux un avis favorable de la part du Gouvernement sur cette mesure incitative.

Ensuite, nous avions proposé d’inclure les employeurs publics dans le dispositif de réduction de cotisations patronales accordée en contrepartie de la mise à disposition de leurs employés sapeurs-pompiers volontaires au bénéfice des Sdis. Cette mesure a été supprimée lors de la commission mixte paritaire à la demande du Gouvernement. Notre collègue Pascal Martin l’a de nouveau proposée, sous forme d’amendement, dans le cadre de l’examen du PLFSS, et cet amendement a été voté.

Nous invitons le Gouvernement à garder dans les textes définitifs ces deux dispositions.

Enfin, et j’en terminerai par-là, il faut améliorer le soutien au financement des Sdis tout autant que les ressources allouées au déploiement de l’intelligence artificielle et des solutions géospatiales au bénéfice de la prévention et de la lutte contre les incendies, sachant qu’il s’agit d’investissements également utiles dans le cadre des enjeux de planification écologique.

De plus, l’augmentation du nombre des véhicules d’intervention est une condition de réussite de notre doctrine d’attaque des feux naissants, comme l’est notre engagement dans une politique industrielle aéronautique, sinon franco-française, du moins communautaire, qui nous assurerait une indépendance en matière de moyens de lutte aériens.

Nous ne devons pas penser à la protection de la forêt uniquement lorsqu’elle est en flammes. J’y insiste, un dispositif d’exonérations fiscales doit être vu comme un investissement de nature à éviter vingt à vingt-cinq fois plus de dépenses dans le cas où la forêt part en fumée.

Mme la présidente. La parole est à M. Guislain Cambier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Guislain Cambier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission abordée cet après-midi, « Agriculture, alimentation, forêt, affaires rurales », me tient particulièrement à cœur, moi qui suis issu d’un territoire rural, un territoire d’élevage et de bocage, que vous connaissez, monsieur le ministre : l’Avesnois. J’y rencontre chaque jour nos producteurs, qui œuvrent pour une agriculture raisonnée et respectueuse de l’environnement.

La France, grande puissance agricole, a occupé le rang de deuxième exportateur mondial jusqu’en 1995, mais elle perd progressivement sa place et son leadership historique.

Néanmoins, malgré la conjoncture, nos agriculteurs continuent d’œuvrer pour notre souveraineté alimentaire, tout en faisant une réalité de la transition énergétique et de la sécurité sanitaire et en respectant nos engagements européens. Plus que jamais, ils ont besoin de soutien et de compréhension.

J’observe donc avec une bienveillance certaine ces 1,25 milliard d’euros supplémentaires que vous proposez de déployer pour soutenir l’agriculture de demain : 250 millions d’euros débloqués pour le renouvellement forestier, à l’heure où nos massifs sont confrontés à différents périls et sont dans une situation préoccupante, comme l’a souligné le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, Franck Menonville ; 110 millions d’euros pour les haies, gardiennes naturelles de la biodiversité, remparts contre l’érosion des sols et les inondations, et ressources supplémentaires pour nos agriculteurs, avec les chaudières bois-énergie ; 250 millions d’euros consacrés à la recherche de solutions alternatives aux produits phytosanitaires.

Pour autant, ces engagements ne doivent pas faire oublier l’importance du soutien pratique à l’agriculture, qui doit continuer d’être au cœur de ce budget.

La montée en puissance du dispositif universel de couverture des risques, issu de la réforme de l’assurance récolte, va dans le bon sens, avec près de 275 millions d’euros débloqués dans le cadre du fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA).

Mais, car il y a un « mais », j’ai eu l’occasion d’exprimer mes vives inquiétudes concernant l’avenir de la filière bio : prix du lait, de la viande, des fruits et légumes, et j’en passe. Face au risque de déclassement des exploitations bio, il nous faut mener une grande réflexion sur la concurrence des labels, sur les signes de qualité et de l’origine, ainsi que sur l’éducation à l’alimentation.

M. Daniel Salmon. Très bien !

M. Guislain Cambier. Nous devons soutenir toutes nos agricultures, conventionnelles ou bio, mais aussi celle de demain, qui est réclamée par les consommateurs : le « consommer local ». À vous, monsieur le ministre, avec vos équipes, votre administration, d’encourager ce nouveau modèle. C’est une demande forte du terrain.

Il restera aussi à réfléchir sur la dérogation Ukraine et sur le rapport entre le faire-valoir direct et les statuts du fermage, ainsi que sur la valorisation de l’herbe.

Ce budget, c’est aussi celui du déploiement de la nouvelle PAC 2023-2027. Le cofinancement national des aides du second pilier est pérennisé – tant mieux !

La question se posait pour les indemnités compensatoires de handicaps naturels, les ICHN, dont le taux de cofinancement européen est passé de 75 % à 65 %, nécessitant une augmentation du financement de l’État. Dans la répartition État-région du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), nous serons vigilants, monsieur le ministre, pour que l’État reste engagé auprès de tous nos agriculteurs.

Enfin, les crédits du Casdar sont augmentés pour tenir compte de l’inflation, un choix bienvenu pour sanctuariser la recherche et l’innovation en matière agricole, notamment les ressources des instituts techniques agricoles.

C’est en nous appuyant sur l’innovation que nous consoliderons la compétitivité de notre agriculture et notre souveraineté alimentaire.

Comme l’a annoncé mon collègue Daniel Fargeot tout à l’heure, nous voterons les crédits de cette mission, mais ayez à l’esprit, monsieur le ministre, qu’il ne s’agit pas d’un chèque en blanc. Les attentes du monde agricole sont énormes et nous sommes à la croisée des chemins. Notre ruralité, nos agriculteurs ne demandent pas mieux que de refaire de la France une grande puissance agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite en tout premier lieu saluer les votes de la commission des affaires économiques et de la commission des finances, qui ont émis un avis favorable à l’adoption des crédits de cette mission.

J’ai bien compris qu’il ne s’agissait pas d’un blanc-seing et, ne versant pas par nature dans l’autosatisfaction, j’ai bien entendu tous vos messages.

Nous menons, je le crois, une politique volontariste, avec un effort budgétaire inédit, historique. Après le vote de ces crédits, il nous faudra évidemment les traduire en actes. Cependant, tout ne se réglera pas avec de l’argent. Le budget n’est que l’un des aspects d’une politique publique.

Avant de présenter la mission, monsieur Pla, sachez que je me souhaite d’être plus souvent encore sous la tutelle de Bercy, si cela doit se traduire à chaque fois par une augmentation du budget de 1,3 milliard d’euros, sans parler du projet de loi de finances de fin de gestion qui nous a permis d’ajouter pour 2023 près de 850 millions d’euros supplémentaires par rapport au budget initial. Si vous considérez que c’est une tutelle, après tout, n’en prenons pas ombrage !

Je ne répondrai pas en détail à toutes les interrogations qui se sont exprimées, car la discussion des amendements me permettra d’apporter un certain nombre de précisions.

Si je devais, en un mot, évoquer l’ambition de ce projet de budget, je dirais qu’il s’agit de donner à nos agriculteurs et à nos agricultrices, de manière massive et rapide, les moyens de mener les transitions nécessaires, car le temps presse. Je dis « nécessaires », parce que c’est une condition sine qua non, non seulement de notre souveraineté, mais aussi de notre sécurité alimentaire. Je sais que c’est un sujet qui vous est cher.

Sécurité alimentaire, souveraineté et transition sont complémentaires et ne peuvent pas s’opposer.

Face aux bouleversements que nous connaissons, le statu quo reviendrait à terme au délitement de notre capacité de production et, partant, de notre capacité à être maîtres de notre destin au moment où l’alimentation, et donc l’agriculture, sont redevenues des sujets politiques, pour ne pas dire géopolitiques.

C’est un effort d’accompagnement sans précédent que nous faisons, avec 1,3 milliard d’euros supplémentaires en autorisations d’engagement pour déployer la démarche de planification écologique. Certes, il ne s’agit pas de crédits de paiement, mais c’est la règle budgétaire : nous ouvrons d’abord des AE, puis les CP suivent lorsque les choses se déploient – c’est cela le sérieux budgétaire.

Nous abordons bel et bien un tournant avec ce budget, puisque ce sont près de 4 milliards d’euros sur trois ans que nous allons consacrer à la planification écologique. L’idée est bien de travailler sur une période triennale.

Très concrètement, ces crédits vont permettre de financer, entre autres mesures, la poursuite du déploiement de la stratégie nationale pour les protéines végétales, afin de rendre notre agriculture moins dépendante en matière de protéines et d’engrais minéraux – il s’agit donc d’une stratégie à la fois de souveraineté et de décarbonation.

Ils permettront également de financer la replantation de haies ; on y consacrera 110 millions d’euros dans le cadre du pacte Haies, qui montrera – beaucoup d’entre vous l’ont mentionné – le rôle central de nos agriculteurs dans la préservation du réseau des haies et, plus largement, de nos paysages et de la biodiversité. Qu’il s’agisse de stockage du carbone ou de lutte contre l’érosion des sols et les inondations, les haies ont beaucoup de vertus. D’ailleurs, si l’on veut défendre les haies, il faut aussi défendre l’élevage : elles en sont le produit, elles sont presque toujours le fruit du travail des hommes et des femmes qui, sur nos territoires, pratiquent l’élevage.

On pourra aussi financer un fonds en faveur de la souveraineté alimentaire et des transitions, qui permettra de favoriser la conception de systèmes renouvelés à l’échelle des filières. M. Cabanel a évoqué la nécessité de repenser globalement les systèmes : 200 millions y seront justement consacrés, afin de mener ce travail avec toutes les collectivités territoriales, notamment les régions et les départements, et avec tous les acteurs économiques.

Monsieur le sénateur, votre région est particulièrement affectée par le dérèglement climatique ; vous comprenez donc bien la nécessité de repenser nos systèmes, en matière hydraulique au premier chef, mais aussi sur toute la chaîne de production, afin de n’avoir pas pour seule perspective des événements climatiques qui, trois années sur quatre, sinon quatre années sur cinq, viennent dégrader la compétitivité de nos productions et, partant, notre souveraineté alimentaire.

Ces crédits permettront ensuite de financer la stratégie de réduction des produits phytosanitaires, à hauteur de 250 millions d’euros. Pour la première fois, il me semble que l’on pose par cette stratégie un cadre méthodique différent, grâce auquel on pourra identifier les impasses techniques et investir dans la recherche et l’innovation pour développer des alternatives.

Vous le dites tous : pas d’interdiction sans solution ! L’interdiction n’est jamais la solution ; il faut chercher des alternatives. Dans bien des cas, c’est parce qu’on ne l’a pas fait qu’on se retrouve dans une impasse. Il faut aussi chercher des alternatives pour que les décisions, notamment européennes, ne nous soient pas imposées.

M. Duplomb évoquait le cas de la lentille – en particulier la lentille du Puy, j’imagine. À cet égard, il est exact que des menaces planent sur un certain nombre de produits, car cela fait déjà plusieurs années que nous bénéficions d’un régime de dérogation et plusieurs annonces de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) laissent craindre des menaces pour cette filière. Quoi qu’il en soit, on aurait gagné à chercher des solutions alternatives : que l’on en trouve ou pas en fin de compte, qu’elles existent ou pas – tel est souvent le cas, vous avez raison de le souligner –, la recherche de solutions ne peut pas être une forme de pensée magique, et elles doivent être pratiques, économiquement viables et massifiables. Je pense que nous serons tous d’accord sur ce point ; il convient donc que nous avancions résolument dans cette voie. Tel est bien l’objet de ces crédits.

Enfin, ces crédits permettront de soutenir le renouvellement forestier, ainsi que le développement du bois de construction, pour 450 millions d’euros au total. Cela est important pour la décarbonation de notre économie, en particulier dans le secteur du bâtiment, mais aussi dans d’autres domaines. Beaucoup de travaux ont été menés et je sais que c’est un sujet auquel votre assemblée est sensible : l’examen des amendements nous donnera l’occasion d’y revenir.

La trajectoire dans laquelle nous nous engageons doit permettre à notre agriculture d’être plus résiliente, plus compétitive, mais il ne faut pas oublier pour autant les enjeux immédiats de compétitivité.

À ce propos, je veux dire un mot de la décision du Gouvernement d’annuler la hausse, de 37 millions d’euros, de la redevance pour pollutions diffuses et de réduire la hausse des taxes sur l’irrigation, mesures initialement prévues dans ce PLF. Il faudra que nous trouvions ensemble une trajectoire. En effet, vous avez été plusieurs à le dire, s’il y a des dépenses supplémentaires, il faut aussi trouver les recettes correspondantes.

La Première ministre a fait ce choix, mais il nous faudra définir une trajectoire qui stabilise les choses, trouver les recettes qui permettront de réaliser certains ouvrages. J’ai bien noté la demande de plusieurs d’entre vous, notamment M. Duplomb, d’avoir plus de visibilité quant à l’utilisation de la RPD. Je n’ai pas forcément les mêmes chiffres que vous, monsieur le rapporteur pour avis, mais je nous invite à y travailler avec nous, en conscience et en transparence, pour voir à quoi peuvent servir ces sommes normalement destinées à la transition écologique en matière de produits phytosanitaires et d’usage de l’eau.

La volonté du Gouvernement, partagée par les acteurs agricoles, même s’ils ne l’expriment pas de la même manière, est la suivante : rechercher à chaque fois le point d’équilibre pour s’assurer que les transitions que nous entendons mener sont soutenables sur le terrain. Nous avons besoin de construire sur ce sujet comme sur d’autres une trajectoire en ce sens. C’est la méthode que nous avions employée pour la fiscalité du gazole non routier ; nous y resterons attachés dans ce domaine aussi.

On engage donc des transitions, mais il faut toujours qu’elles soient pensées en lien avec l’impératif de souveraineté alimentaire. C’est bien le fil rouge du projet de budget qui vous est présenté, qui est porté à 7 milliards d’euros, soit une augmentation de près de 17 % par rapport à 2023.

Ce budget est aussi un levier important pour soutenir nos filières. Sans entrer dans le détail, je voudrais citer plusieurs aspects de ce soutien.

Je pense tout d’abord au déploiement de la réforme de l’assurance récolte, dont il a été beaucoup question au Sénat. L’accroissement significatif du nombre d’assurés, y compris en prairie, atteste de cette dynamique, en dépit des craintes exprimées quelquefois en la matière. Cet outil assurantiel est un élément de la résilience que nous recherchons. Nous sommes largement au-dessus de la trajectoire que nous avions fixée, puisque les agriculteurs se sont massivement engagés dans cette voie.

Je pense aussi au soutien à l’agriculture biologique : 5 millions d’euros supplémentaires permettront de porter à 18 millions d’euros le fonds Avenir Bio et 5 autres millions permettront de financer des actions de communication, pour relancer la consommation. Nous avons besoin de soutenir cette filière dans sa crise actuelle – c’est le sens des moyens supplémentaires qui lui ont été alloués cette année, à hauteur de 100 millions d’euros environ –, mais nous avons surtout besoin, je le redis, de relancer la consommation.

Il me semble que nous pourrions tous œuvrer utilement, comme je l’ai indiqué ce matin encore auprès des grands distributeurs, pour faire en sorte de voir réapparaître les produits bio dans les étals d’où ils ont disparu, car la visibilité est un moyen crucial pour faire redémarrer la consommation. Chacun doit en prendre sa part ; il est facile de le faire quand tout va bien, mais c’est plus utile quand la situation de certaines filières est plus fragile. C’est aussi la responsabilité de la grande distribution que de le faire.

Ces éléments viennent compléter le plan que j’avais annoncé pour la consommation de produits bio en mai dernier. J’avais alors déclaré que l’État devait s’imposer à lui-même les efforts qu’il demandait aux collectivités locales. C’est bien ce qu’il va faire, au travers de sa commande publique, à hauteur de 120 millions d’euros environ, pour que les lieux de restauration qui dépendent de l’État respectent les exigences inscrites dans la loi Égalim.

J’en viens au troisième domaine dans lequel s’exerce notre soutien : le renouvellement forestier et, plus largement, notre politique forestière.

Si j’étais taquin, je dirais que j’entends souvent s’exprimer des critiques quant aux moyens que nous y consacrons, notamment au travers de l’ONF, mais ce n’est pas ce gouvernement-ci qui a supprimé le Fonds forestier national, en 1999 ; ce n’est pas lui, ce sont tous ses prédécesseurs, qui ont réduit les moyens de l’ONF. Pour notre part, nous inversons la trajectoire ; je dirai même, puisque le « y-a-qu’à-faut-qu’on-isme » rayonne sur ces sujets, que nous l’avons même déjà inversée !

Il nous faut désormais trouver une trajectoire qui permette aux agents de l’ONF d’exercer leurs missions actuelles d’intérêt général, notamment de défense de la forêt contre les incendies, pour laquelle nous débloquons 3 millions d’euros supplémentaires, mais aussi les missions nouvelles qui leur seront confiées dans les années à venir, notamment l’adaptation au changement climatique, pour laquelle nous augmentons ces crédits de 8 millions d’euros.

Ces observations justifient aussi l’augmentation des effectifs du Centre national de la propriété forestière, établissement de l’État chargé des forêts privées. Il fallait en effet, par cohérence, faire correspondre ses moyens humains aux nouvelles missions que vous avez décidé de lui confier dans le cadre de la loi, d’origine sénatoriale, visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie.

Je terminerai en évoquant les moyens dont nous nous dotons pour préparer l’avenir ; certes, cela dépasse légèrement le périmètre des crédits de cette mission, mais il faut les mentionner pour donner à ces crédits toute leur cohérence.

Évidemment, le présent projet de budget conforte ce qui est déjà fait par l’enseignement agricole. Je pense en l’occurrence aux actions d’orientation et de découverte de métiers, ou encore au plan qui nous a amenés à rénover 72 % des diplômes afin, notamment, d’y intégrer mieux les questions relatives à l’agroécologie, pour ne citer que ces quelques réalisations.

Mais l’accélération des transitions qui s’imposent à l’agriculture, en particulier la transition climatique, nécessite des compétences nouvelles pour les futurs professionnels ; il faut aussi des apprenants supplémentaires pour assurer le renouvellement des générations.

Telle est bien l’ambition centrale du pacte et du projet de loi d’orientation en faveur du renouvellement des générations en agriculture, qui seront présentés avant la fin de l’année et soumis au débat parlementaire au premier semestre de 2024. Ainsi, l’on pourra répondre précisément aux questions que vous vous posez sur ces éléments.

Monsieur le sénateur Pla, vous déclariez que la dernière grande loi agricole était celle qu’avait portée Stéphane Le Foll. J’ai un grand respect pour le travail qu’a accompli ce ministre de l’agriculture, notamment sur les questions d’agroécologie, mais reconnaissons que, si nous sommes obligés d’élaborer un nouveau texte aujourd’hui, c’est manifestement parce que celle-là n’a pas porté les fruits que vous escomptiez ! (Marques de dénégation sur les travées du groupe SER.)

Je m’engage dans ce débat avec ambition et détermination, mais aussi avec modestie. Je nous appelle à en faire montre collectivement ; on verra bien si ce dont nous débattons, si ce que vous allez adopter est utile, mais reconnaissons d’emblée que le chemin de la souveraineté est assez difficile, mais mérite que l’on s’y engage.

Certains éléments du pacte commencent déjà à trouver une traduction dans ce PLF ; c’est bien l’un des objectifs de ce débat budgétaire.

Je pense notamment au renforcement du service de remplacement, du fonds de garantie que nous allons mettre en place pour lever 2 milliards d’euros de prêts pour les projets d’installation ou de transformation des exploitations, ou encore du relèvement du plafond du Casdar.

À ce propos, je répondrai à M. Salmon que ce compte spécial offre aussi des moyens à certaines des structures qu’il a évoquées : 20 millions d’euros supplémentaires, ce n’est tout de même pas une mince affaire, me semble-t-il ! Le fonds Entrepreneurs du vivant peut aussi jouer un rôle. M. Redon-Sarrazy m’a interrogé sur son déploiement. Je lui répondrai que ce sont bien 70 millions d’euros qui lui sont consacrés, et non pas 60 millions ; la somme retenue correspond aux besoins estimés par la Banque des territoires. L’objectif est évidemment d’aller jusqu’au plafond. Les régions pourront en outre se saisir de ce dispositif, qui se déploiera au début de l’année 2024. Je comprends vos inquiétudes, mais il me semble que nous saurons les apaiser.