M. le président. Mes chers collègues, pour cette mission, la conférence des présidents a fixé la durée maximale de la discussion à trois heures quarante-cinq, ce qui nous amènera à quinze heures quarante-cinq.

Toutefois, compte tenu de l’organisation de la journée, ainsi que du nombre d’amendements déposés, nous pourrions au maximum allonger cette durée de trente minutes pour terminer aux alentours de seize heures quinze.

À la demande du Gouvernement, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à douze heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Mes chers collègues, je vous rappelle qu’a été ordonné précédemment l’examen en priorité de l’article 55, ainsi que des amendements portant article additionnel qui s’y rapportent.

Outre-mer

Demande de priorité
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2024
Article 55 (priorité) (interruption de la discussion)

Article 55 (priorité)

Le code des transports est ainsi modifié :

A. – L’article L. 1803-1 est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Les mots : « outre-mer, au profit de l’ensemble des personnes qui y sont régulièrement établies » sont remplacés par les mots : « , au profit des personnes physiques régulièrement établies en France et des personnes morales de droit privé domiciliées outre-mer » ;

b) Sont ajoutés les mots : « au départ ou à destination de l’outre-mer » ;

2° Le second alinéa est ainsi modifié :

a) À la deuxième phrase, après le mot : « éloignement », sont insérés les mots : « , notamment en matière d’installation professionnelle, » ;

b) La dernière phrase est supprimée ;

B. – Le premier alinéa de l’article L. 1803-2 est ainsi modifié :

1° Après le mot : « finance », la fin de la première phrase est ainsi rédigée : « les aides prévues au présent chapitre. » ;

2° La seconde phrase est supprimée ;

C. – Après l’article L. 1803-6, il est inséré un article L. 1803-6-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1803-6-1. – L’aide destinée à accompagner les projets individuels d’installation professionnelle dans l’une des collectivités mentionnées à l’article L. 1803-2 est dénommée “passeport pour l’installation professionnelle en outre-mer”. Cette aide a pour objet le financement de tout ou partie du coût des titres de transport nécessités par cette installation ainsi que le versement d’une allocation d’installation.

« L’aide est attribuée, à leur demande, aux personnes résidant en France métropolitaine justifiant d’un projet d’installation professionnelle durable dans l’une des collectivités mentionnées au même article L. 1803-2. Son octroi est subordonné à la conclusion d’une convention entre son bénéficiaire et l’établissement mentionné à l’article L. 1803-10, qui prévoit notamment les conditions de remboursement en cas de non-respect de ses engagements par le bénéficiaire.

« Les modalités d’application du présent article, notamment les critères d’éligibilité à l’aide, la procédure d’instruction des demandes et les règles de calcul du montant de l’aide, sont fixées par décret.

« Toute personne morale de droit public ou privé peut s’associer au financement de cette aide, par convention. » ;

D. – L’article L. 1803-7 devient l’article L. 1803-8 et la référence : « L. 1803-6 » est remplacée par la référence : « L. 1803-7-1 » ;

E. – L’article L. 1803-7 est ainsi rétabli :

« Art. L. 1803-7. – L’aide destinée aux personnes morales de droit privé implantées dans l’une des collectivités mentionnées à l’article L. 1803-2 et accordée au titre de la formation professionnelle de leurs salariés, est dénommée “passeport pour la mobilité des actifs salariés”. Elle est attribuée lorsque la formation professionnelle est assurée en dehors de la collectivité de résidence du salarié, faute qu’existe dans celle-ci la filière de formation correspondant au projet de formation.

« L’aide concourt au financement de tout ou partie du coût des titres de transport nécessités par cette formation, en complément, pour les collectivités concernées, de la participation financière des opérateurs mentionnés à l’article L. 6332-1 du code du travail. » ;

F. – Après le même article L. 1803-7, sont insérés des articles L. 1803-7-1 et L. 1803-7-2 ainsi rédigés :

« Art. L. 1803-7-1. – L’aide destinée aux personnes morales de droit privé implantées dans l’une des collectivités mentionnées à l’article L. 1803-2 au titre du caractère innovant de l’entreprise est dénommée “passeport pour la mobilité des entreprises innovantes”. Elle a pour objet le financement au profit d’une entreprise innovante, au sens de l’article L. 421-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, de tout ou partie du coût des titres de transport liés à certains déplacements professionnels nécessaires au développement de son activité.

« Art. L. 1803-7-2. – Le bénéfice des aides mentionnées aux articles L. 1803-7 et L. 1803-7-1 est subordonné au respect du règlement (UE) n° 1407/2013 de la Commission du 18 décembre 2013 relatif à l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis. » ;

G. – Au 3° de l’article L. 1803-10, la référence : « L. 1803-6 » est remplacée par la référence : « L. 1803-7-1 ».

M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Georges Patient, rapporteur spécial. L’article 55 prévoit la création de trois nouveaux dispositifs d’aide à la continuité territoriale pour financer les déplacements des salariés en vue d’une formation professionnelle, pour prendre en charge tout ou partie des dépenses de déplacements professionnels nécessaires au développement de l’activité d’une entreprise innovante ultramarine et pour accompagner les projets individuels d’installation professionnelle en outre-mer.

Alors que les deux premiers sont plutôt bien accueillis, le troisième, l’aide à l’installation professionnelle, a suscité beaucoup de réactions de la part des élus ultramarins des deux assemblées, quel que soit leur groupe politique.

Si nous considérons qu’il convient de ne pas supprimer l’article 55, car celui-ci contribue à améliorer la continuité territoriale, nous avons conscience qu’il faut en modifier, à tout le moins, la partie concernant l’aide à l’installation professionnelle.

De nombreux amendements ont été déposés à cette fin ; ils témoignent des craintes et des attentes qui s’attachent à certaines évolutions.

À ce stade, il nous semble que certains d’entre eux seraient à même de répondre aux inquiétudes des élus ultramarins, en mettant en place, dans un premier temps, une expérimentation de l’aide à l’installation professionnelle, avant d’en tirer un bilan et de décider ensuite de sa pérennisation éventuelle. De même, la prise en compte, dans la définition de cette mesure, du centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) de ses bénéficiaires nous paraît être indispensable.

Nous alertons, en revanche, sur le risque sérieux d’inconstitutionnalité que présentent bon nombre de ces amendements.

Mes chers collègues, pour parvenir à une solution consensuelle – à mon sens, c’est possible –, nous devrons faire preuve d’ouverture et de raison durant le débat.

C’est pourquoi nous demanderons le retrait de quelques amendements de manière à focaliser la discussion sur ceux qui sont le plus à même de recueillir l’adhésion. Je forme le vœu que nous soyons entendus et suivis.

M. le président. La parole est à Mme Annick Petrus, sur l’article.

Mme Annick Petrus. Vous connaissez le combat que je mène, avec mes collègues ultramarins, particulièrement ceux de la Guadeloupe et de la Martinique – j’ai à l’esprit Catherine Conconne et son association Alé Viré – pour le retour au pays de nos nombreux compatriotes qui se sont rendu dans l’Hexagone pour étudier, se former ou passer des concours.

Ce combat, nous le menons pour lutter contre le déclin démographique de nos territoires et contre la pénurie de personnels ultramarins, en raison d’une offre locale de formation insuffisante et pas toujours adaptée à nos besoins.

Il concerne plusieurs domaines : l’administration, pour que l’État local puisse être davantage administré par des agents originaires de nos territoires, comme le secteur privé, pour que des personnels diplômés ultramarins intègrent l’encadrement des entreprises locales ou créent leurs propres entreprises.

Aussi ai-je été surprise lorsque j’ai pris connaissance de cet article 55, lequel semblait proposer une aide à l’installation dans les territoires ultramarins pour les résidents de l’Hexagone, comme de nombreux collègues députés l’ont souligné. Or nous ne souhaitons pas la mise en place d’une aide à l’installation généralisée, mais bien d’une aide au retour, dans la droite ligne de la continuité territoriale, pour nos territoires ultramarins.

Je ne voterai donc pas cet article en l’état ni aucun amendement qui ne tiendrait pas compte des intérêts des territoires ultramarins, car c’est de cela qu’il s’agit, avant toute autre considération.

M. Georges Naturel. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, sur l’article.

Mme Catherine Conconne. S’il y a un sujet qui devrait nous rassembler et créer de la cohérence, c’est bien celui-là.

Quel habitant de nos pays, dans cet hémicycle, s’opposerait à une aide pour compenser les dégâts de certains procédés, tels que le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer (Bumidom), que nous avons tous critiqué ?

Aujourd’hui, nous sommes face à une forme de réparation de la part de l’État, même si 2 millions d’euros paraissent être loin du compte. Personne ici ne saurait y faire obstacle.

Nos divergences porteront malheureusement sur les modalités de mise en œuvre de ce dispositif. Il convient cependant de mesurer les risques que l’on peut faire courir à une décision qui semble si vertueuse. L’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ?

J’en appelle à la sagesse et à la raison du Sénat. Nous avons assisté à une levée de boucliers à l’Assemblée nationale, en raison de peurs dont les racines m’ont échappé ; j’ai eu le sentiment de revivre le débat qui a accompagné l’élargissement de l’Union européenne. Souvenez-vous : une chanson avait alors été écrite, qui était devenue un tube, Voici le loup. On craignait alors que des populations entières de Polonais viennent submerger nos territoires. « Le loup » allait « nous manger », disait la chanson.

Il n’en fut rien. Force est de constater que chacun est maintenant favorable aux aides européennes et se mobilise dès que l’on cherche à diminuer ces enveloppes, ne serait-ce que d’un centime.

Préservons l’essentiel : 2 millions d’euros sont prévus pour faciliter les retours. Je sais de quoi je parle : l’association que j’anime a accompagné près de 1 000 Martiniquais dans leur retour au pays et tous m’ont dit qu’un soutien financier aurait été le bienvenu, car rentrer a un coût.

Encore une fois, tenons « le pas gagné ». J’en appelle à la sagesse de tous mes collègues pour que nous ne perdions pas l’essentiel.

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.

M. Victorin Lurel. Je m’exprime peu sur la mission « Outre-mer ». J’ai été ministre chargé de ce dossier et je reste un homme responsable : je suis rarement monté à la tribune pour critiquer les budgets présentés par mes successeurs.

Pour autant, cet article 55 n’a pas été annoncé lors du Ciom, il ne répond pas à une demande des élus, il n’a pas fait l’objet de concertations non plus que de débats à l’Assemblée nationale et il a suscité un certain émoi dans tous les outre-mer.

Le Gouvernement est, certes, fondé à faire des propositions, mais à mon sens, il fait preuve en la matière de maladresse politique.

Il s’agit, après la mise en place du Bumidom dans les années 1960, qui faisait venir des Antillais, comme les habitants des colonies, pour travailler dans l’Hexagone, d’une sorte de réciprocité, visant à aider les métropolitains et les jeunes portant un projet à financer leur billet d’avion et leur installation. Mieux, les entreprises privées seraient même éligibles, alors qu’il existe déjà un financement spécifique pour la formation des actifs et des salariés.

Or la continuité territoriale concerne les déplacements, les allées et venues ; il s’agit d’un droit constitutionnel, dont on ferait désormais bénéficier les salariés, au nom de la lutte contre la déprise démographique et du financement des entreprises innovantes.

Le Gouvernement a pris des engagements par texto et en rencontrant les députés, que la présidente de notre délégation a elle-même reçus, et un accord a été trouvé sur trois critères pour ces aides au retour : la naissance, la résidence et l’ascendance.

M. le président. Il faut conclure.

M. Victorin Lurel. En conséquence, je vous propose de supprimer cet article 55 et d’inviter le Gouvernement à nous soumettre une politique plus cohérente.

M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, sur l’article.

M. Laurent Somon. Monsieur le président, monsieur le ministre, si la France possède le deuxième domaine maritime au monde, elle le doit à ses territoires d’outre-mer, qui lui ouvrent le monde et l’espace et participent énormément à la protection de la biodiversité. Ils sont notre force, notre grandeur, mais ils révèlent aussi leurs faiblesses.

L’attention que nous leur portons est illustrée, au niveau gouvernemental, par l’augmentation des crédits de la mission « Outre-mer » dans ce PLF pour 2024, que nous voterons, bien entendu, mais également, au Sénat, par nos travaux. Ainsi, le 27 novembre dernier, nous avons échangé avec les maires ultramarins, sous la houlette de la délégation sénatoriale aux outre-mer, présidée par notre collègue Micheline Jacques.

Les spécificités démographiques, historiques et sociales de ces territoires sont nombreuses et leurs problèmes sont souvent évoqués : l’eau, le logement, la précarité, l’inflation, la sécurité, la santé.

Des propositions sont régulièrement avancées, comme en témoigne la multiplication des amendements que nous défendons aujourd’hui, notamment ceux qui visent à augmenter l’attractivité de ces territoires pour ceux qui y résident, afin de favoriser l’expression de leurs forces vives, comme pour ceux qui souhaitent y développer une activité ou un projet de vie. La continuité territoriale reste une priorité.

Aussi, au-delà du vote des crédits de la mission, le groupe Les Républicains vous invite à soutenir en particulier l’amendement n° II-1131 de Micheline Jacques, dont la rédaction trouve un équilibre, dans le cadre de la politique de continuité territoriale, afin de faciliter les déplacements depuis et vers les territoires ultramarins et d’élargir les aides déjà existantes à l’installation professionnelle.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L’amendement n° II-1107 rectifié est présenté par MM. Lurel et Pla et Mme G. Jourda.

L’amendement n° II-1151 est présenté par Mme Corbière Naminzo, M. Xowie et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Victorin Lurel, pour présenter l’amendement n° II-1107 rectifié.

M. Victorin Lurel. Conformément à ce que je viens d’exposer, nous plaidons pour la suppression de cet article, qui nous semble être un choix de sagesse pour notre assemblée.

Je le répète, ce dispositif n’a fait l’objet d’aucune discussion avec les députés et n’a pas été annoncé lors du Ciom – la mesure 27 n’en fait pas mention. Il est, certes, innovant, mais pour le moins étonnant.

Je tiens, par ailleurs, à préciser qu’il ne s’agit nullement pour nous d’empêcher un Français, quelle que soit son origine, sa couleur de peau ou sa confession, de se rendre dans les outre-mer. Comment, cependant, peut-on annoncer une telle évolution politique sans aucune concertation ?

Nous, sénateurs, n’avons jamais été invités autour d’une table pour nous présenter ce qui était proposé. Les députés, eux, ont au moins été reçus par M. Darmanin et M. le ministre chargé des outre-mer.

Nous avons toutefois reçu un texto, le 22 novembre, nous indiquant que l’article serait supprimé. J’attendais donc, nous attendions donc un amendement de suppression du Gouvernement.

Des rumeurs ont ensuite circulé, selon lesquelles vous aviez demandé aux députés de proposer une réécriture de cet article, monsieur le ministre. Quid des sénateurs ? Le Parlement compte bien deux chambres. Pour autant, l’engagement pris avec les députés aurait dû être respecté.

À titre personnel, je m’alignerai sur la position de la présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer, Micheline Jacques, et je voterai son amendement. Il serait toutefois plus simple, plus logique et plus respectueux des compétences du Parlement de supprimer cet article, charge au Gouvernement de nous proposer un dispositif cohérent.

M. le président. La parole est à M. Robert Wienie Xowie, pour présenter l’amendement n° II-1151.

M. Robert Wienie Xowie. Monsieur le ministre, vous vous décidez, enfin, à agir pour les plus précaires, mais vous aidez ceux qui sont en manque de vitamine D, d’aventure ou d’exotisme.

Vous voulez améliorer le droit du travail, mais vous faites des cadeaux aux actionnaires et aux patrons.

Vous voulez agir pour le climat, mais vous protégez les gros industriels et les gros pollueurs.

Vous voulez faciliter le retour en outre-mer pour créer une nouvelle continuité, ou discontinuité territoriale, mais ceux qui n’ont jamais posé les pieds outre-mer en bénéficieront.

L’article 55 est une aberration qui n’a sa place dans le grand livre de la République que dans les méandres de son histoire coloniale. Cette histoire étant ce qu’elle est, qu’elle reste où elle est, dans le passé. Cette époque est révolue, monsieur le ministre, n’y revenons pas !

Nos territoires connaissent un véritable exode de leurs jeunes diplômés. Chaque année, ils sont plus de 42 % à quitter leur terre.

Chaque année, en raison du manque d’opportunités locales, nos cerveaux et nos forces vives viennent abonder les institutions et les organismes de la grande métropole, au détriment du développement de nos territoires.

Chaque année, nos enseignants sont poussés à quitter leur terre natale pour rejoindre les académies de l’Hexagone. Nous ne souffrons pourtant pas, outre-mer, de la pénurie de vocations que connaît la métropole. Les postes, nous les avons. Les enseignants volontaires, nous les avons. Mais les places sont prises par ceux qui viennent de l’extérieur.

Il semblerait que la misère de vivre sous votre gouvernement, monsieur le ministre, puisse paraître moins pénible au soleil. Nous pouvons le concevoir.

Il reste que l’article 55 n’a pas sa place dans ce PLF. Alors que vous avez annoncé sa suppression, monsieur le ministre, nous nous retrouvons aujourd’hui pour en débattre. Mettez vos promesses à exécution ! Oleti !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial. Ces deux amendements identiques visent à supprimer le présent article, qui prévoit l’instauration de passeports pour la mobilité professionnelle et pour les entreprises innovantes.

J’estime qu’il serait dommage de priver nos territoires de ces nouvelles opportunités.

Je crois par ailleurs que nous pourrons trouver une solution de compromis sur le volet non consensuel de cet article, en adoptant un ou plusieurs des amendements qui ont été déposés.

Je demande donc le retrait de ces amendements. À défaut, l’avis serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Vigier, ministre délégué. L’avis est défavorable, mais je souhaite dire quelques mots sur cet article, dont il est normal qu’il suscite un débat.

Je ne puis tout d’abord vous laisser dire que les sénateurs n’ont pas eu l’occasion de débattre du dispositif prévu à cet article avec Gérald Darmanin et moi-même, monsieur le sénateur Lurel. J’ai reçu au ministère l’ensemble des parlementaires, députés et sénateurs, dans le cadre de la préparation de ce budget. Nous avons eu cette discussion et toutes les questions ont été abordées. Vous ne pouvez pas dire le contraire, monsieur le sénateur. Je peux du reste communiquer à vos collègues la date et l’heure exactes de cette réunion.

Les députés ont ensuite effectivement demandé à nous rencontrer, Gérald Darmanin et moi-même. Nous les avons reçus et – compte tenu des interrogations que suscite l’article 55, je tiens à l’indiquer clairement devant le Sénat – nous leur avons proposé, comme nous vous le proposons, mesdames, messieurs les sénateurs, de se saisir de la question et de se mettre d’accord sur une nouvelle rédaction.

Le président de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale nous a indiqué par courrier que les députés n’étaient pas parvenus à s’entendre sur une rédaction commune. À partir de là, députés et sénateurs ont continué leurs travaux, ce qui est tout à fait normal.

Je souhaite toutefois souligner que la suppression de l’article 55 emporterait la suppression de l’intégralité du dispositif, y compris le soutien à la formation des salariés et des entreprises au travers de la prise en charge du coût de la mobilité qui peut être induite par cette formation. Il faut que chacun ait conscience que serait ainsi supprimée une mesure visant au développement des compétences.

Le dispositif de soutien aux besoins de mobilité des entreprises innovantes, que ceux-ci découlent de la nécessité de se faire connaître ou de trouver des investisseurs, serait lui aussi supprimé.

Compte tenu de l’émoi suscité par l’article 55 et des difficultés rencontrées par les parlementaires à trouver un accord, il eût été facile, pour le Gouvernement, de supprimer cet article. Si nous avions fait cela, les financements mobilisés dans ce cadre, notamment pour les deux dispositifs que je viens de mentionner, auraient également été supprimés.

Vous avez enfin indiqué, monsieur Lurel, que ce dispositif n’avait jamais été évoqué dans le cadre du Ciom.

Sur ce point, je vous renvoie à la proposition 47, « Faciliter l’installation en outre-mer des porteurs de projets professionnels » validée lors du Ciom du 18 juillet 2023 : « Dans le cadre de la nouvelle stratégie de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité (Ladom), l’État accompagnera les porteurs d’un projet professionnel, résidant dans l’Hexagone, et qui les conduit à s’installer en outre-mer. Les critères de sélection permettront de prioriser les candidats justifiant d’un centre d’intérêts matériels et moraux. Cette mesure sera déclinée dans le cadre d’un partenariat proposé aux collectivités locales. »

Vous ne pouvez donc pas nier que ce débat a eu lieu, monsieur le sénateur, puisque ses résultats sont sanctuarisés parmi les propositions du Ciom qui ont été validées sous l’autorité de la Première ministre le 18 juillet 2023. Le sujet a bien été abordé et le débat a abouti à la proposition susvisée, dont l’article 55 est la traduction.

Les propositions de rédaction qui ont été formulées nous ont amenés à introduire la prise en compte des centres d’intérêts matériels et moraux. Vous souhaitez aller plus loin, madame Micheline Jacques, en conditionnant cette aide à des critères relatifs à l’origine géographique des bénéficiaires. Je ne suis pas – tant s’en faut – membre du Conseil constitutionnel, mais une telle disposition ne me paraît pas compatible avec le principe d’égalité. Le droit sera dit le moment venu, mais j’attire votre attention sur le fait qu’il pourrait en résulter l’annulation pure et simple du dispositif.

Mon objectif est que nous nous dotions de dispositifs efficaces. Lorsque la belle responsabilité de ministre délégué chargé des outre-mer m’a été confiée, je me suis replongé dans l’histoire des territoires ultramarins. J’ai notamment lu que comme vous l’avez indiqué, madame la sénatrice Conconne, certaines années, des financements ont été mis sur la table pour favoriser le départ des jeunes en direction de l’Hexagone.

Nous nous efforçons d’inverser cette logique et d’affirmer que l’on n’a pas le droit de faire cela. J’estime qu’il s’agit d’un acte fondateur républicain. Et nous y allons puissamment, que ce soit en faveur du dispositif « Cadres d’avenir », du soutien à l’ingénierie ou d’un certain nombre d’autres mesures efficaces.

Établissez donc une rédaction consensuelle, mesdames, messieurs les sénateurs : le Gouvernement vous accompagnera. Mais ne prenons pas le risque que, demain, cet article soit supprimé ou amputé. Si tel était le cas, il nous faudrait expliquer à nos concitoyens ultramarins pourquoi nous n’avons pas été au rendez-vous. Pour ma part, je souhaite que nous répondions présent.

M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, pour explication de vote.

M. Akli Mellouli. Vous nous vendez l’article 55, qui comporte effectivement deux dispositifs intéressants, monsieur le ministre, tout en nous « collant » une mesure qui irait dans le sens inverse, et en nous menaçant de tout perdre si nous ne la votons pas.

Notre objectif, mes chers collègues, ne doit pas seulement tourner autour de ce que nous perdrions en ne votant pas cet article ; nous devons aussi prendre en compte la manière dont ce dispositif sera reçu et perçu par nos compatriotes ultramarins.

Je partage par ailleurs votre préoccupation relative au respect du principe d’égalité, monsieur le ministre.

Si cela doit nous conduire à nous interroger sur la forme, j’estime toutefois que le fond interroge davantage, car les Ultramarins ont aujourd’hui un sentiment d’injustice, que ce soit pour l’accès à l’emploi ou la possibilité de créer des entreprises.

Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste votera l’amendement de Victorin Lurel.

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.

M. Victorin Lurel. Je ne prétends pas que vous ne nous avez pas invités, monsieur le ministre. Vous m’avez d’ailleurs invité deux fois, la première fois pour une réunion en visioconférence, mais l’acoustique étant mauvaise, nous avons dû raccrocher rapidement, et la seconde fois à une réunion à laquelle je n’ai pas pu me rendre.

En revanche, aucune de ces deux réunions ne portait sur l’article 55 que nous examinons.

La proposition n° 47 relative à la stratégie de Ladom pour 2024, dont nous avions effectivement connaissance, est purement administrative et réglementaire. Par cet article, vous engagez une autre politique, monsieur le ministre.

Les dispositifs d’aide à la continuité territoriale existent déjà. Vous y greffez une politique d’installation, d’aide à la formation des salariés, de financement d’entreprises innovantes et de start-up, monsieur le ministre. Mais, telle qu’elle est consignée dans les textes, y compris dans la loi 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite loi Égalité réelle outre-mer, que j’ai eu l’honneur, en tant que rapporteur à l’Assemblée nationale, de faire adopter à l’unanimité, la politique de continuité territoriale s’adresse non pas aux personnes morales de droit privé, mais aux personnes physiques.

Je ne comprends pas la politique que vous proposez d’instaurer, monsieur le ministre.

Par ailleurs, votre petit chantage ne prend pas : il est faux de dire qu’il n’y aura plus ni crédits ni dispositif si nous ne votons pas l’article 55, car le dispositif existe.

En supprimant l’article, nous vous donnerions toutefois la possibilité de nous soumettre une politique plus cohérente, par exemple en matière de lutte contre la déprise démographique et le vieillissement de la population outre-mer que vous citez dans votre exposé des motifs, monsieur le ministre.

En tout état de cause, vous proposez de faire venir nos compatriotes de métropole, en imaginant, peut-être, que cette action sera la réciproque de celle que le Bumidom a menée par le passé. Mais lorsqu’un Antillais, un Réunionnais, un Mahorais ou un Polynésien déménagent dans l’Hexagone, on ne leur offre pas le billet et on ne leur alloue pas une prime d’installation.

Tout en comprenant l’idée qui préside à ce dispositif, j’estime que l’enfer est pavé de bonnes intentions.