M. Philippe Bas, rapporteur. Et c’est heureux…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est pourquoi je forme le vœu que, demain, nous parvenions à nous retrouver autour d’un projet de réforme constitutionnelle qui constituera une grande avancée pour notre modèle démocratique. Tel est bien l’objectif fixé par le Président de la République.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Muriel Jourda et M. Francis Szpiner applaudissent également.)

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en nous soumettant cette proposition d’évolution du référendum d’initiative partagée, le groupe socialiste nous oblige à une réflexion toujours utile, mais aussi à une forme de clarification ; reconnaissons-lui ce mérite.

Il y aurait beaucoup de questions passionnantes à évoquer sur le thème « démocratie participative et démocratie représentative » – nous sommes nombreux à penser que la démocratie participative relève d’une pratique plutôt que de règles institutionnelles – et, bien entendu, sur la place du référendum et sur le sens qu’il faut donner à l’article 3 de notre Constitution, dont notre collègue Yan Chantrel a rappelé les termes.

Je développerais volontiers devant vous, mes chers collègues, l’idée selon laquelle le référendum est un outil de réponse à d’éventuelles crises plutôt qu’un mode normal de législation. Mais il me semble plus simple, dans le bref délai qui m’est imparti, d’en venir directement à votre proposition. Je ferai donc quelques observations relatives aux différentes étapes de la procédure du référendum d’initiative partagée.

Premièrement, vous proposez de diminuer de moitié le seuil applicable à la proportion de parlementaires qui doivent porter l’initiative référendaire, en le fixant à un cinquième des membres du Parlement. Ce n’est pas un sujet, comme Philippe Bas vous l’a indiqué : les cinq propositions de référendum d’initiative partagée ont toutes été soutenues par au moins 200 parlementaires. Je le répète : en la matière, aucune difficulté ne se pose.

Vient ensuite, chronologiquement, le contrôle effectué par le Conseil constitutionnel : il vérifie que le seuil que je viens d’évoquer a été atteint, que l’initiative référendaire porte bien sur l’un des domaines énumérés à l’article 11 de la Constitution et que les conditions posées aux troisième et sixième alinéas dudit article sont bien remplies. Il vérifie de surcroît qu’aucune disposition de la proposition de loi ainsi présentée n’est contraire à la Constitution.

Je m’autorise à cet égard un commentaire : il existe un risque évident de conflit des légitimités. Nos concitoyens se voient expliquer qu’ils ont la possibilité d’être consultés et de s’exprimer par la voie du référendum ; mais ils peuvent très bien découvrir, le cas échéant et chemin faisant, que ladite possibilité leur est en réalité fermée par le Conseil constitutionnel, au motif que leur initiative se heurte à des dispositions constitutionnelles. Il me paraîtrait essentiel de traiter en amont ce risque d’un conflit de légitimités.

Troisième étape : la décision de conformité du Conseil constitutionnel ouvre une période de neuf mois dédiée au recueil des signatures d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Chacun l’a dit : 4 millions et quelques, c’est beaucoup ; 1 million, ce n’est peut-être pas assez. On pressent qu’une solution pourrait être trouvée aux alentours de 2 millions d’électeurs.

Quatrièmement, je souhaite appeler l’attention de nos collègues du groupe socialiste sur une autre faiblesse de leur proposition : aucune « étude d’impact constitutionnelle », pour ainsi dire, n’est prévue. Mes chers collègues, vous imaginez une proposition de loi référendaire issue de nos concitoyens dont la présentation ne s’assortirait d’aucun avis du Conseil d’État ni d’aucune analyse de ses conséquences pratiques ; je trouve pour ma part l’exercice un peu hasardeux. Dans une maison où nous ne cessons de souligner l’importance des études d’impact, je suggère qu’en tant que parlementaires vous vous posiez cette question.

Cinquièmement, votre proposition de substituer au terme « examinée » le terme « rejetée », au troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution, me semble manquer de précision. Philippe Bas nous a livré une analyse à laquelle je vous invite à être particulièrement attentifs : permettre au référendum d’initiative partagée de désavouer le Parlement conduirait au choc des légitimités dans toute sa splendeur. Il y a probablement des moyens plus habiles de concilier ces deux légitimités.

J’appelle également l’attention de mes collègues sénateurs sur un autre point : quand on dit « le Parlement », doit-on comprendre « l’Assemblée nationale et le Sénat », ce qui est l’usage classique ? Alors pourrait être envisagée une disposition en miroir de l’article 89 de la Constitution, qui requiert – le garde des sceaux l’a rappelé – l’accord des deux chambres, Assemblée nationale et Sénat. Je n’écarte pas la possibilité de réfléchir à une transposition de cette disposition dans le cas du référendum d’initiative partagée.

Si un tel référendum doit un jour être organisé et si le Parlement doit être saisi de la proposition de loi concernée, il me paraîtrait assez raisonnable que ce dernier puisse non seulement adopter, mais aussi amender le texte concerné, c’est-à-dire que la question posée aux Français puisse être examinée et complétée par le Parlement.

En ce qui concerne l’objet possible d’un tel référendum, la volonté d’inclure la politique fiscale dans le champ de l’article 11 me choque moins qu’elle n’a choqué M. le rapporteur ou M. le garde des sceaux. Il est vrai que la fiscalité est une prérogative traditionnelle du Parlement. Reste que le consentement à l’impôt est une base de la démocratie. À cet égard, interroger nos concitoyens sur un sujet fiscal ne me paraît pas forcément anormal.

Je sais gré à nos collègues du groupe socialiste de ne pas s’être aventurés sur le terrain d’une extension du champ référendaire aux sujets de société. Dans une telle hypothèse, on pourrait imaginer que soient organisés des référendums extrêmement clivants ; or demander qu’il soit répondu par oui ou par non à des questions complexes et très clivantes m’apparaît déraisonnable.

Se posent enfin des problèmes de délais. Tout référendum suppose à mon avis une certaine réflexion, et je ne serais pas opposé – j’y verrais même quelque avantage – à ce qu’un délai soit ménagé entre le moment où se déclenche l’obligation pour le Président de la République de soumettre un texte au référendum dans le cadre qui vient d’être décrit et le moment où a lieu la consultation proprement dite.

Moyennant ces observations, je suis peut-être un peu moins pessimiste que les orateurs qui m’ont précédé : le référendum d’initiative partagée n’est pas impossible dans notre pays et son utilisation pourrait en particulier être envisagée dans les périodes de cohabitation. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Francis Szpiner applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi constitutionnelle a trait à une procédure, celle du référendum d’initiative partagée, qui a été créée récemment, mais qui n’a jamais abouti à ce jour.

Comme cela a été rappelé, de nombreuses conditions et interprétations jurisprudentielles du Conseil constitutionnel expliquent cette situation.

La présente proposition de loi a pour objet d’y remédier et de rendre effectif cet outil d’exercice de la souveraineté nationale.

Ce texte ne sera évidemment pas adopté, étant entendu que le Sénat a déjà rejeté des mesures aussi peu problématiques que l’extension du droit de pétition exercé via la saisine du Conseil économique, social et environnemental (Cese), ou que la désignation de membres des conventions citoyennes par tirage au sort.

Le présent texte comporte cinq modifications des critères actuels, ceux-ci s’étant avérés trop restrictifs.

Sur l’élargissement du champ d’un tel référendum, tout d’abord, notre groupe reste très prudent, pour des motifs divers : possible déficience de délibération, d’échange des points de vue, ou d’expertise ; risques réels liés à des manipulations ; décisions discriminatoires en fonction du contexte et de l’état de la société ; enfin, expression favorisée du populisme.

Pour autant, ce que proposent en la matière les auteurs de ce texte est une façon de répondre à l’interprétation trop stricte que fait le Conseil constitutionnel du champ du référendum.

Nos collègues souhaitent notamment supprimer de l’article 11 de la Constitution le terme : « réformes ». Il est vrai que les référendums d’initiative partagée doivent se concentrer sur des changements importants pour les citoyens, mais cette notion de « réforme » a bel et bien fait l’objet d’interprétations diverses, notamment quant à la nécessité pour le texte concerné de modifier substantiellement le droit existant, ce qui empêche de prévenir de la sorte une éventuelle évolution de ce droit.

Il est ensuite prévu d’abaisser les seuils de signatures requis, tant du côté des parlementaires que du côté des citoyens. Nous soutenons cette démarche, en particulier celle qui consiste à abaisser le nombre de soutiens citoyens requis. Tant l’exemple de certains pays voisins que l’ambition de rendre effective et rapide la mise en œuvre d’un tel référendum nous y incitent.

Les auteurs de ce texte souhaitent par ailleurs introduire à l’article 11 une nouvelle exigence de rejet exprès par le Parlement de la proposition de loi concernée si celui-ci veut empêcher qu’elle soit soumise au référendum. Notre assemblée s’est souvent élevée, à juste titre, contre l’impossibilité dans laquelle elle est de se prononcer de manière expresse sur les textes de ratification d’accords internationaux – je pense en particulier à la ratification de l’Accord économique et commercial global (Ceta). Cette modification est essentielle ; ainsi, la responsabilité du Parlement serait dorénavant clairement engagée.

Il est enfin proposé une élaboration partagée du texte : une initiative pourrait émaner des citoyens, puis être reprise par le Parlement, ce qui corrigerait à juste titre l’asymétrie actuelle.

Notre société va mal, la démocratie représentative souffre de bien des manières ; le ressenti légitime, par nos concitoyens, d’un déficit, voire d’une défaillance de la démocratie ne fait que s’amplifier.

Membres de la chambre des territoires, nous le savons bien : de plus en plus de Français, mais aussi d’élus locaux, se sentent trop éloignés des discussions et des décisions qui affectent leur quotidien.

Nous avons souvent pu défendre dans cet hémicycle le rôle essentiel du local, le besoin d’une différenciation. Nous n’adhérons pas à une vision concurrentielle de l’exercice de la souveraineté : le Parlement, dans sa légitimité, n’est que l’une des formes d’exercice de la souveraineté nationale – une forme essentielle, certes, mais qui n’est pas et ne doit pas être la seule.

Il est donc grand temps d’agir ! De nouveaux modes d’expression citoyenne doivent être expérimentés. Certains l’ont déjà été, d’ailleurs, à l’échelle des territoires et en particulier des communes.

Alors, amplifions ce mouvement en rendant possibles, dans le cadre de la loi, de nombreuses nouvelles expérimentations !

Nous jugeons nécessaire de mener une réflexion en vue d’un surcroît de démocratie participative et de démocratie directe, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle locale.

Nous pensons que le référendum doit pouvoir être utilisé selon un juste équilibre préservant la cohésion nationale et écartant le risque d’une remise en cause d’acquis majeurs et essentiels.

Nous estimons que toute modification des modalités du référendum doit prévenir les conflits de délibération qui pourraient émerger entre deux expressions de la souveraineté, l’une directe, via le référendum par exemple, l’autre parlementaire.

Mais les trop grands écarts entre les aspirations des élus et celles des citoyens nécessitent qu’un moyen correctif soit inscrit dans notre Constitution.

À mon tour de citer un homme de droite – après Jacques Chirac, Michel Debré – : « La seule souveraineté, c’est le peuple, et le Président de la République fait appel à lui en cas de conflit. » Nous l’avons bien vu, l’appel à la souveraineté du peuple via la dissolution et la tenue de nouvelles élections est un instrument trop peu employé, pour des raisons évidemment très politiciennes. Le référendum pourrait, à cet égard, se révéler l’outil idoine, moins soumis au bon vouloir d’une seule personne, fût-elle le Président de la République.

Aussi notre groupe soutiendra-t-il cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous examinons soulève de nombreuses questions, qui mériteraient bien plus que deux heures de débat – nous en convenons toutes et tous.

Pour traiter ce sujet, il nous faut nous mettre d’accord sur les constats.

Le premier de ces constats est le suivant : nous traversons une crise démocratique forte.

Oui, la démocratie française est malade : elle est malade d’une trop grande concentration des pouvoirs dans les mains de l’exécutif, malade aussi d’un Parlement qui n’est pas libre de l’organisation de ses travaux.

Elle est malade en tout point, mais aussi en tous lieux, car la démocratie ne se pratique pas uniquement à l’échelle nationale : elle est aussi la démocratie communale et la démocratie sociale, auxquelles nous sommes très attachés.

C’est précisément dans ce contexte de crise démocratique, de crise des institutions représentatives, que les différents appels à organiser, ici ou là, des référendums doivent être compris.

Le deuxième constat tient aux limites intrinsèques du référendum, outil entaché d’une tradition césariste et verticale ; ces limites font que nous restons, à première vue, méfiants à son égard.

Quoi qu’on en dise, le RIP est, lui aussi, un mode vertical d’exercice du pouvoir : oui, même dans le cas où la proposition émane de parlementaires, c’est le Président de la République qui la soumet au référendum ; c’est même l’un des pouvoirs propres qui lui sont reconnus par l’article 11 de la Constitution.

De manière générale, le référendum ne doit surtout pas être sacralisé ni perçu comme une solution miracle.

Un référendum, c’est une campagne référendaire ; or, de fait, une telle campagne est toujours binaire. Le peuple ne pourra répondre que par oui ou par non à la question qui lui est posée, ce que nous avons du mal à concevoir en tant que parlementaires disposant du droit d’amendement, car ce mode de fonctionnement va à l’inverse de la méthode à laquelle nous astreint la nécessité absolue de rechercher entre nous des constructions communes.

Le référendum ne garantit d’ailleurs en rien une hausse de la participation électorale.

M. Philippe Bas, rapporteur. Absolument !

Mme Cécile Cukierman. Un référendum, c’est aussi, en théorie, un temps de parole égal pour les deux camps pendant la durée de la campagne ; mais vous n’ignorez pas, mes chers collègues, qu’en pratique c’est la concentration des médias qui prévaut, sachant par ailleurs qu’il n’y a plus de culture référendaire en France depuis qu’il fut passé outre au résultat du référendum de 2005.

Quant à la question des sujets sur lesquels un référendum peut porter, elle est éminemment complexe. Convenons-en, le terme de « réforme » est malvenu : il faudrait à tout le moins le définir avec précision.

En commission, notre rapporteur a réaffirmé que « le référendum doit concerner des sujets vitaux pour l’avenir de la Nation » et s’est montré par conséquent défavorable à sa « banalisation ».

La question sera posée ici même le 12 décembre prochain lorsque nous examinerons la proposition de loi constitutionnelle de la droite sénatoriale. Nous aurons donc l’occasion d’y revenir.

Le troisième et dernier constat est celui du poids du Conseil constitutionnel dans la procédure du RIP.

Là se situe, à nos yeux, l’un des points les plus importants de cette procédure. Si l’intervention du Conseil constitutionnel doit bel et bien être repensée, on ne saurait en revanche s’en passer purement et simplement, comme certains le proposent.

Pour notre part, nous estimons que cette intervention devrait peut-être se borner à vérifier que l’objet du texte entre bien dans le champ du RIP et que les seuils de signatures parlementaires et de soutiens citoyens requis sont atteints, puis à s’assurer que les droits et libertés fondamentaux sont bien respectés.

Il est évident que le mécanisme actuel du RIP est grippé. Le seuil des 4,8 millions d’électeurs est d’évidence inatteignable ; celui des 185 parlementaires, quant à lui, ne nous semble pas constituer un véritable obstacle.

Nous remercions donc le groupe socialiste d’avoir ouvert ce débat, car nous prenons ce texte pour ce qu’il est, à savoir une proposition de loi d’appel. Non sans débats entre nous – mais tous les groupes semblent avoir connu pareilles discussions –, nous avons décidé que nous voterions en sa faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, Michel Rocard, dans un entretien avec Karl Zéro, donnait du référendum la définition suivante : « Un référendum, c’est une excitation nationale où l’on met tout dans le pot. On pose une question, les gens s’en posent d’autres et viennent voter en fonction de raisons qui n’ont plus rien à voir avec la question. »

Françoise Giroud exprimait les mêmes doutes dans Cest arrivé hier : « Dans un référendum, les gens ne répondent jamais à la question qu’on leur pose. Ils donnent leur adhésion ou la refusent à celui qui la pose. »

Un récent sondage publié jeudi dernier par BVA pour RTL témoigne pourtant de l’intérêt des Français pour cet outil : ils sont 88 % à être favorables à l’organisation de référendums sur les sujets de société.

Concernant le référendum d’initiative partagée, sujet qui nous réunit aujourd’hui à l’occasion de l’examen de la proposition de loi constitutionnelle de Yan Chantrel, notre collègue sera heureux d’apprendre que 82 % des personnes interrogées approuveraient que l’on donne aux citoyens l’initiative en matière d’organisation d’un RIP, 71 % d’entre elles étant favorables à la baisse du nombre de signatures nécessaires.

Voilà donc un texte qui colle à l’actualité, d’autant que le Président de la République a mis ce sujet au cœur des rencontres de Saint-Denis.

Les deux mesures plébiscitées dans le sondage que j’ai évoqué font écho aux revendications formulées en 2018 par les « gilets jaunes », qui les présentaient comme une solution pour donner la parole au peuple via la création d’un référendum d’initiative citoyenne ou populaire.

On peut comprendre la défiance de ce même peuple envers les référendums tels qu’ils sont encadrés par le droit en vigueur quand on se remémore le fiasco de celui qui, en 2005, fut organisé sur l’initiative de Jacques Chirac à propos du traité établissant une Constitution pour l’Europe.

Souvenez-vous : le « non » l’emporte avec 54,67 % des suffrages exprimés. Résultat : deux ans plus tard, en 2007, on assiste au contournement par voie parlementaire de ce rejet démocratique, avec la ratification du traité de Lisbonne sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

M. Mickaël Vallet. Un scandale !

M. Philippe Bas, rapporteur. Ce n’était pas le même traité !

M. Henri Cabanel. Cet exemple montre les limites de l’exercice.

Avec un taux de participation de 69,37 %, ce référendum avait rassemblé les Français autour d’un sujet très technique, car ils y avaient vu l’occasion de rejeter la politique menée à l’échelle nationale : un vote sanction, en d’autres termes, plus qu’une réponse à la question. Ainsi se trouvent corroborées les deux citations par lesquelles j’ai ouvert mon intervention…

Il faut donc raison garder pour ce qui est des sujets de société. Un simple « oui ou non » ne me paraît pas sérieux quand l’on doit traiter de thèmes sensibles, car la vérité est souvent dans la nuance.

À l’heure des réseaux sociaux, des fake news et des théories du complot, vers quelles informations les citoyens iront-ils pour se faire une opinion ? Une véritable sensibilisation devra être mise en œuvre en amont.

Mon groupe, le RDSE, défend plutôt un usage tempéré et limité des RIP, car la loi doit s’écrire au Parlement. Il ne soutient pas la diminution du nombre de parlementaires requis, car, pour une cause juste, il est facile de trouver 185 parlementaires. Par exemple, l’avenir de l’hôpital public a réuni sans peine, en août 2021, des parlementaires d’horizons divers.

Je suis, pour ma part, favorable à l’abaissement du nombre de citoyens devant apporter leur soutien à la proposition ; il faut donc retravailler ce seuil, qui doit être raisonnable et représentatif.

Si j’adhère aux bonnes intentions de l’auteur de ce texte, qui veut offrir aux Français plus de possibilités de s’exprimer, dans un contexte de défiance exacerbée envers les élus et les institutions, je pense qu’il faut travailler sur d’autres formes de démocratie et, surtout, encourager les référendums locaux, qui familiariseront les citoyens avec cet outil. La construction de cette culture commune leur permettra de contribuer aux solutions que les élus – et eux seuls, car ils sont légitimés par le suffrage universel – prendront : rappelons que les associations de citoyens ne remettent pas en question la démocratie représentative, ciment de notre démocratie.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Henri Cabanel. Le groupe de travail sur les institutions présidé par Gérard Larcher a intégré ce sujet dans son programme. La présente proposition de loi constitutionnelle ne nous semble donc pas le véhicule le plus adapté, mais elle a le mérite d’ouvrir le débat. Je remercie donc notre collègue Yan Chantrel de l’avoir déposée.

En tout état de cause, la réforme de nos institutions doit être pensée globalement et non pas en silo. C’est ce que les Français attendent.

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi constitutionnelle de notre collègue Yan Chantrel et du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, visant à faciliter le déclenchement du référendum d’initiative partagée.

Si l’origine du RIP est ancienne, c’est la réforme constitutionnelle de 2008 qui a modifié l’article 11 de la Constitution pour y introduire une nouvelle forme de référendum reposant sur une initiative provenant d’un cinquième au moins des parlementaires, soit 185 députés ou sénateurs, et soutenue par 10 % du corps électoral, soit 4,8 millions de personnes aujourd’hui.

En outre, ce dispositif impose que la proposition de loi soumise au référendum porte sur les seuls domaines énumérés à l’article 11 ; en outre, son objet ne peut être l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an ni avoir déjà été rejeté par référendum moins de deux ans auparavant.

Aujourd’hui, nous pouvons, sur toutes les travées de cet hémicycle, nous accorder sur un constat : les modalités de mise en œuvre du RIP sont trop complexes, à tel point qu’aucune proposition parlementaire n’est jamais parvenue à valider l’ensemble de ces conditions et qu’aucun RIP n’a, à ce jour, pu être organisé, malgré cinq tentatives.

L’opportunité d’une réflexion sur l’assouplissement des modalités de sa mise en œuvre n’est, par conséquent, pas contestée. Le Président de la République avait d’ailleurs envisagé une simplification de la procédure dès 2019.

À ce titre, je salue l’initiative de Yan Chantrel, qui s’inscrit dans cet objectif. En outre, notre collègue propose d’élargir le champ du référendum, d’abaisser les seuils de signatures requis à 93 parlementaires et 1 million d’électeurs, de créer une deuxième procédure de référendum d’initiative partagée, symétrique de celle prévue aujourd’hui, et enfin d’imposer la tenue de ce référendum sauf rejet du texte par le Parlement.

Cependant, je pense qu’en matière de démocratie participative tout doit être question d’équilibre, même si cet équilibre, entre garde-fous nécessaires pour limiter les risques de contournement du Parlement et bon fonctionnement de cet outil participatif, légitimement réclamé par la population, est parfois difficile à maintenir. En l’état, le présent texte n’atteint pas cet équilibre.

Il ne l’atteint pas, tout d’abord, parce que la troisième édition des rencontres de Saint-Denis, vendredi dernier, devait être l’occasion d’aborder ces questions de l’élargissement du champ du référendum et de la facilitation de l’organisation du RIP. Trois grandes formations politiques n’ont pas pris part à cet événement et il est apparu, au cours des discussions, que la réflexion n’était pas mûre, les participants n’ayant pas réussi à trouver un terrain d’entente sur ces sujets.

Il ne l’atteint pas, ensuite, parce qu’un certain nombre de dispositions de cette proposition de loi constitutionnelle sont susceptibles d’entraîner des conséquences dont on ne mesure pas suffisamment la portée.

Un tel abaissement à 1 million du nombre de soutiens d’électeurs requis, lorsque la France en compte 48 millions, pourrait ouvrir la porte à des manipulations ou à des abus. Les signatures recueillies doivent refléter la volonté du peuple et non celle d’une minorité organisée.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Exactement !

M. Thani Mohamed Soilihi. De plus, le référendum d’initiative partagée a été conçu pour aborder des questions d’une importance exceptionnelle et nationale.

La suppression du terme « réformes » du premier alinéa de l’article 11, associée à la réduction du seuil de signatures, pourrait diluer l’impact et la signification de cet instrument démocratique, le transformant en un moyen plus fréquemment utilisé pour des questions de portée locale ou moins cruciales.

En outre, chaque question controversée pourrait donner lieu à un référendum, ce qui entraînerait une instabilité politique et des incertitudes juridiques. Il est impératif de s’assurer que les décisions cruciales pour notre nation soient prises non dans un climat d’urgence, mais après un examen minutieux et une délibération approfondie.

Enfin, si je suis juriste, je ne suis pas constitutionnaliste, mais il me semble qu’une telle modification des contours du référendum d’initiative partagée nécessite la révision d’autres articles de la Constitution, au-delà de l’article 11, ne serait-ce que parce que les compétences du Conseil constitutionnel s’en trouveraient changées. De mémoire, le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique de 2019 créait d’ailleurs un nouveau titre XI intitulé « De la participation citoyenne ».

Pour conclure mon propos, bien que la démocratie participative soit une valeur fondamentale que nous souhaitons encourager, nous devons approcher toute modification constitutionnelle avec une extrême prudence.

Avant de soutenir une telle proposition, nous devons réfléchir attentivement à ses implications de long terme pour notre nation et pour la démocratie, que nous cherchons à protéger et à renforcer.

Trancher une question aussi complexe en deux heures au sein du temps parlementaire réservé à un groupe politique nous semble précipité. Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants adoptera, en l’état, une position neutre sur ce sujet qui requiert, à notre sens, plus de maturation. Par conséquent, la majorité des membres de notre groupe s’abstiendra sur ce texte.