M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, en amont de la discussion de cet article, de faire ce que l’on pourrait appeler un point de méthode concernant la réforme du financement de l’hôpital pour les activités de médecine-chirurgie-obstétrique-odontologie, dites activités MCO, dont le coût s’élève à pas moins de 78 milliards d’euros.

Le Gouvernement propose une réforme dont le principe nous convient. La commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France, dont Catherine Deroche était le rapporteur l’an passé, avait recommandé l’adoption d’un modèle fondé sur trois piliers. Les « compartiments » prévus à l’article 23 correspondent peu ou prou à ce que le Sénat souhaitait.

En fait, nous avons une difficulté, non pas avec le schéma retenu, mais avec sa mise en œuvre.

Sur ce point, nous ne pouvons pas adhérer à la démarche. L’étude d’impact du projet de loi, pour le moins laconique, se borne à indiquer un calendrier sommaire de mise en œuvre étalée. Elle ne comporte aucune précision sur le champ des activités qui vont voir leur financement évoluer. Quid, par exemple, des maternités ou de la pédiatrie ? Quid de la gériatrie ?

La seule finalité revendiquée de la réforme est de réduire la part de la tarification à l’acte (T2A), ce qui ne peut être une fin en soi.

La Cour des comptes appelait récemment, comme la commission d’enquête l’an dernier, à ne pas minorer le rôle de la T2A. Il convient à notre sens d’examiner l’objectif fixé activité par activité. Une réforme du financement doit soutenir une stratégie d’offres de soins, et non l’inverse.

L’étude d’impact ne dit rien non plus ni sur le coût de la réforme – c’est tout de même un comble pour un projet de loi de financement – ni sur son impact financier pour les établissements eux-mêmes. Vous avez indiqué devant la commission qu’il y aurait des gagnants et des perdants, mais sans préciser lesquels, monsieur le ministre. Nous, nous voulons savoir !

Pendant dix ans, nous avons dû revoir presque chaque année les dispositifs introduits par les réformes de la psychiatrie et des soins médicaux de suite et de réadaptation (SSR). Ces réformes ont aussi montré les difficultés rencontrées par le Gouvernement pour produire des simulations des effets redistributifs de ces réformes.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission propose de préciser le dispositif et d’en réaliser une véritable évaluation avant d’envisager sa mise en œuvre générale.

Vous précipitez une réforme pour satisfaire aux annonces faites par le Président de la République. Soyons humbles, monsieur le ministre, avançons de manière sérieuse, ordonnée et sécurisée. L’hôpital le mérite.

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, sur l’article.

M. Alain Milon. La sortie du « tout T2A », présentée comme une idée majeure, ne signifie pas grand-chose.

Nous n’avons en effet jamais été dans un système « tout T2A », la part liée à l’activité n’ayant représenté dans les premières années que les deux tiers des ressources des établissements. Cette part a diminué au fur et à mesure que les dépenses liées aux listes en sus et aux missions d’intérêt général et d’aides à la contractualisation (Migac) augmentaient, pour s’établir à 59 % en 2019, la cible étant de 49 % en 2026.

Depuis 2020, les établissements sont de plus placés hors T2A du fait de la mise en place de la garantie de financement et de la sécurisation modulée à l’activité.

Les trois compartiments de financement proposés se décomposent ainsi : un financement à l’activité, des dotations pour des missions spécifiques – missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation (Merri), aide à la contractualisation, forfait annuel, dotation populationnelle, urgences – et un groupe de dotations sur objectifs de santé publique recyclant les missions d’intérêt général (MIG) et les fonds d’intervention régionaux (FIR) avec un financement issu des programmes d’incitation financière à l’amélioration de la qualité (Ifaq) et du contrat d’amélioration de la qualité et de l’efficience des soins (Caqes), avec de nouveaux objectifs de santé publique territoriaux qui, honnêtement, sont incertains.

En somme, monsieur le ministre, on reconduit ce qui existe déjà, en lui donnant une autre dénomination.

L’échelle tarifaire doit être revue. Les écarts entre les grilles de coûts et les grilles tarifaires ont été identifiés depuis longtemps sans être résorbés. Il est donc à mon avis inutile de mener des travaux supplémentaires. La Cour des comptes a signalé récemment le cas de la gynécologie-obstétrique, qui semble la plus défavorisée.

Les nouveautés se trouvent dans les dotations non programmables pour soins critiques. Le principe est d’allouer des financements mixtes, constitués d’un socle fixe et d’une part à l’activité, comme le modèle T2A le prévoit depuis sa création en 2004.

Monsieur le ministre, même si ces propositions de répartition dites nouvelles peuvent intéresser les établissements hospitaliers, vous conviendrez que le problème essentiel est celui de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). Si vous dotez correctement les soins critiques, sur quelle activité ces montants seront-ils prélevés ?

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, sur l’article.

Mme Cathy Apourceau-Poly. L’article 23 est l’une des dispositions essentielles de ce PLFSS, puisqu’il applique l’engagement, pris par le Président de la République en 2017, en 2018 et de nouveau cette année, de réformer la T2A.

La T2A représente actuellement 76 % du financement des actes de médecine-chirurgie-obstétrique-odontologie. En 2018, le Gouvernement avait pourtant annoncé sa volonté de plafonner à 50 % la part de la T2A dans le financement des établissements.

La question que je me pose est la suivante : la sortie de la T2A va-t-elle se poursuivre, ou allons-nous-en rester à cette portion de tarification à l’activité qui baisse seulement de 57 % à 49 % ? Si cette seconde option était retenue, cela ne pourrait s’apparenter à une sortie de la T2A, ni même à une diversification des modes de financement de la santé.

Pour notre part, nous pensons que le financement de l’hôpital passe par la fin des enveloppes fermées, une vision pluriannuelle des budgets de fonctionnement et une prise en compte de l’activité pondérée aux missions de santé et aux besoins des publics.

Avec l’article 23, nous en sommes, hélas ! encore loin.

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, sur l’article.

M. Bernard Jomier. Permettez-moi à mon tour de présenter la position du groupe socialiste sur l’article 23.

La question de l’Ondam est essentielle – Alain Milon l’a rappelé. Mais l’Ondam étant ce qu’il est, il nous faut bien déterminer les modalités de répartition du financement des hôpitaux.

Notre groupe a maintes fois réclamé une diminution de la part de la T2A, non pas par plaisir, mais pour faire en sorte que la T2A finance ce qu’il est utile qu’elle finance. Nous avons désormais l’expérience de différents modèles de financement – le prix de journée avant 1983, la dotation globale et un financement majoritairement par la T2A.

S’il n’y a pas de système parfait, il importe de tirer des leçons des évolutions. En l’occurrence, il convient de réserver la T2A aux activités programmées et standardisées.

L’article 23 que nous présente le Gouvernement va bien dans ce sens. Nous l’accueillons donc positivement. Nous ne partageons pas la position de la commission, qui entend reporter le calendrier.

Cette réforme complexe s’étalera sur des années, et il y aura effectivement des gagnants et des perdants. Il faut que les gagnants soient ceux qui le méritent et que les perdants soient ceux qui, actuellement, se sont lancés dans une course à l’activité, qui est une dérive de la T2A, au prix, parfois, de l’efficience et de la pertinence des soins.

Pour notre part, nous sommes prêts à discuter de façon ouverte avec le Gouvernement pour faire avancer cette réforme.

À l’Assemblée nationale, Mme la rapporteure générale a introduit le financement par forfait de la dialyse. Nous soutenons cet ajout à la suite de l’article 22 ter sur le financement des forfaits de radiothérapie dans le cadre du traitement contre le cancer. C’est un bon exemple de la manière dont nous abordons ce débat.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Aurélien Rousseau, ministre. Nous abordons l’un des articles les plus importants de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. Contrairement à ce que j’ai entendu, il n’est pas seulement le décalque d’une volonté présidentielle. Sur toutes les travées de cet hémicycle comme de l’Assemblée nationale, le « tout T2A » – même si, comme l’a indiqué le sénateur Milon, il n’a jamais réellement existé – a fait l’objet de critiques nombreuses et très documentées.

Contrairement à une approche que nous avions pu défendre dans le passé et contrairement à ce que certains ont cru comprendre des annonces du Président de la République, le changement que le Gouvernement présente n’a pas pour objet d’instaurer un modèle en vertu duquel la part de T2A dans le financement de chaque établissement de France serait fixée à 48 %, le pourcentage d’activités de santé publique à X et le pourcentage des activités spécifiques de recours à Y.

Comme l’a indiqué Bernard Jomier à l’instant, il s’agit de réserver la T2A aux activités qui s’y prêtent. Pour une clinique de chirurgie qui ne fait que de la prothèse de hanche, la T2A reste le meilleur système de financement.

Par ailleurs, et vous le savez mieux que moi, tant vous êtes experts en la matière, mesdames, messieurs les sénateurs, la dotation globale ou le budget global privilégient les acteurs qui sont les plus puissants vis-à-vis du ministère, les autres acteurs, qui sont dans un angle mort du soutien politique, si j’ose dire, faisant office de variable d’ajustement.

Nous souhaitons au contraire que la rémunération dépende de l’activité, de sorte que le case-mix de tarification corresponde au case-mix de l’activité.

Nous souhaitons notamment, monsieur le sénateur Milon, que les Migac ne soient plus utilisées comme une variable d’ajustement permettant d’aider quelques grands centres hospitaliers universitaires (CHU) à faire face.

Pour ma part, je défends la cohérence des trois briques que constituent l’activité, les activités de santé publique et les activités spécifiques de recours. J’ai du reste mentionné, et ce n’est pas un hasard, ces trois mêmes briques dans la lettre de cadrage que j’ai adressée à l’assurance maladie pour la négociation conventionnelle avec les médecins, car je crois que c’est au fond le même sujet.

Contrairement à ce que vous avancez, monsieur le président de la commission, cette réforme ne sort pas de nulle part. Nous avons bien entendu mené de longues concertations avec les fédérations hospitalières. Et, à rebours de ce que propose Mme la rapporteure Imbert par l’amendement n° 260, je crois que, une fois que nous nous sommes assurés d’avoir un parachute, il faut sauter.

J’estime pour ma part qu’une expérimentation par région n’est ni pertinente au regard du fonctionnement de notre système de santé ni conforme au principe de solidarité nationale. En effet, comment régler le cas d’un malade résidant à Alès qui serait suivi pour un cancer à l’Institut Gustave-Roussy (IGR) ? Comment prendre en compte le rôle de recours de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ? Cela suppose un système très complexe.

Nous disposons de deux ans pour appliquer cette réforme de manière progressive, avant sa généralisation en 2026, et, dans l’intervalle, nous réaliserons des simulations très régulièrement avec les fédérations.

Il n’existe pas de mode de tarification miraculeux. Si les autres pays ne l’avaient pas trouvé, le génie français l’aurait fait ! (Sourires.)

Vous avez cité les cas des SSR et de la psychiatrie, monsieur le président de la commission. Il est exact que, depuis maintenant dix ans, nous modifions chaque année les dispositifs, car ce que nous prenons d’un côté est perdu de l’autre.

Ma philosophie, dont je conviens qu’elle est plus rustique, consiste à entreprendre la réforme tout en nous donnant deux ans pour corriger d’éventuelles anomalies, qu’elles soient structurelles ou conjoncturelles, en apportant de nouveaux financements. Il peut en effet arriver qu’un établissement joue un rôle particulier dans un département, ou que sa patientèle soit particulière.

Je suis convaincu que cette philosophie est la bonne, car les établissements de santé n’auront plus à craindre de financer des activités essentielles, telles que la prise en charge des femmes victimes de violences – il faut aujourd’hui avoir fait Polytechnique pour remplir une fiche MIG ! –, ni de s’engager en matière de santé publique dans des campagnes de prévention ou d’aller vers.

Il importe à mes yeux que tous les établissements qui en ont la possibilité puissent être des établissements de recours.

Cette réforme ne résoudra certes pas tous les problèmes d’un coup de baguette magique, mais j’estime que la reporter au profit d’une expérimentation n’est pas nécessairement la méthode adéquate pour construire le meilleur système.

Ces trois piliers et cette méthode sont solides ; ils ont été validés par les fédérations, avec lesquelles nous travaillons depuis dix mois. Si elles étaient vent debout contre cette réforme, sans doute en auriez-vous entendu parler, monsieur le président de la commission.

Nous avons devant nous un important chantier. Le chemin n’est pas pavé de roses, mais il nous permettra de mettre en œuvre une réforme de la T2A qui ne sera pas seulement quantitative.

M. le président. L’amendement n° 260, présenté par Mme Imbert, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

Avant l’alinéa 1

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

…. – A. – À partir du 1er janvier 2025 et pour une durée de trois ans, le Gouvernement est autorisé à conduire une expérimentation relative à l’évolution du modèle de financement des établissements de santé pour les activités de médecine, de chirurgie, de gynécologie-obstétrique et d’odontologie.

Ce modèle distingue, aux côtés des tarifs afférents aux prestations, des dotations relatives à des objectifs de santé publique et d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins ainsi que des dotations relatives à des missions d’intérêt général et contribuant à la continuité des soins et à la couverture des charges liées à des missions et activités spécifiques.

B. – Un décret détermine les modalités de mise en œuvre de l’expérimentation mentionnée au A du présent paragraphe. Les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale arrêtent la liste des territoires participant à cette expérimentation, dans la limite de trois régions dont l’une est située outre-mer.

Pour la mise en œuvre de la présente expérimentation, le Gouvernement est autorisé à appliquer à partir du 1er janvier 2025 dans les territoires concernés certaines des modifications prévues aux I et II du présent article.

C. – Au plus tard le 1er septembre 2027, le Gouvernement adresse au Parlement un rapport d’évaluation. Celui-ci présente l’impact du modèle expérimenté sur l’offre de soins et les indicateurs de santé publique des territoires ainsi que l’impact financier de la réforme sur les établissements de santé. Il expose enfin les modalités opérationnelles nécessaires à la généralisation de l’expérimentation et les dispositifs de sécurisation des ressources envisagés en vue de la transition de l’ensemble des établissements de santé vers ce modèle.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Par le présent amendement, nous proposons, comme je l’ai indiqué précédemment, de procéder dans un premier temps à une expérimentation.

Permettez-moi de revenir sur la méthode, monsieur le ministre. J’entends que vous avez travaillé et documenté cette réforme. Je comprends aussi les précautions que vous prenez.

Au fond, vous nous proposez de modifier la loi tout de suite pour y déroger demain matin, car on ne sera pas en mesure de l’appliquer et, éventuellement, de revenir en arrière, ou du moins de changer la loi dans deux ans si cela ne va pas.

Nous vous proposons pour notre part de mener les mêmes travaux, en nous accordant un temps d’analyse et d’évaluation de trois ans, voire de deux ans, afin d’inscrire la réforme dans le dur de la loi et de l’appliquer quand elle sera prête. Vous conviendrez que ce serait tout de même plus rassurant pour les acteurs.

Vous indiquez que les fédérations ne sont pas vent debout. Certes, mais le sont-elles jamais quand il est question de financement des hôpitaux ? Généralement, elles s’efforcent plutôt de se faire bien voir…

Je puis vous dire que les fédérations sont très inquiètes de l’évolution qui est attendue. Leurs membres redoutent un fonctionnement en enveloppes fermées, qui n’incitera pas les acteurs à se dévoiler, puisqu’ils ne savent pas s’ils seront gagnants ou perdants.

Si les établissements publics étaient assez favorables à cette réforme, ils se demandent désormais si, comme c’est déjà arrivé dans le passé, ils ne vont pas être perdants.

Les règles du jeu ne sont pas connues, monsieur le ministre. Pourtant, le Gouvernement inscrit dès aujourd’hui cette réforme dans le dur de la loi. Nous sommes prêts à accompagner ces évolutions, mais il y a vraiment un problème de méthode, monsieur le ministre : le rôle du Parlement n’est pas d’expérimenter des idées immédiatement inscrites dans la loi.

Il faut d’abord tester les réformes, puis, une fois que nous sommes convaincus de leur bien-fondé, les graver dans le dur de la loi.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Aurélien Rousseau, ministre. Monsieur le président de la commission, mon point de vue est le négatif du vôtre, au sens photographique du terme !

Lorsque je suis entré en fonction, je me suis d’abord fait la même réflexion que vous. L’article ne modifie que la partie législative du code de la santé publique, celle dont les articles sont précédés de la lettre « L ». Or expérimenter la tarification des hôpitaux au moyen de modifications de la partie législative du code sans l’aval du Parlement pose question.

En ce qui concerne la méthode, je préfère toutefois d’abord poser les trois piliers du nouveau modèle et montrer toutes les modifications législatives que cette réforme implique, puis vous rendre régulièrement des comptes sur son suivi jusqu’en 2026, plutôt que de demander à mes services de tester, en vase clos avec les fédérations hospitalières, des éléments structurants du mode de financement de l’hôpital.

J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. J’entends les remarques du président de la commission, et je partage certaines de ses réserves : cette réforme échappera en grande partie au législateur.

En réalité, c’est le détail de cette réforme qui en fera ou non la réussite. (Mme Émilienne Poumirol approuve.) Or on ne nous demande pas de choisir les indicateurs retenus, qui déterminent pourtant la qualité de la réforme et la possibilité d’atteindre ses objectifs.

Cependant, l’amendement de la commission tend à tout reporter à 2028 ! Quel message cela revient-il à envoyer aux hôpitaux, qui réclament unanimement de revenir sur la T2A ? Il n’y a pas de débat entre nous : je ne suis pas pour supprimer totalement cette tarification ; je suis d’accord avec Alain Milon sur ce point.

En 2023, nous disons aux hôpitaux que la réforme se fera en 2028. Nous passons un temps infini à changer les processus, ce qui est normal, car cette réforme est complexe. Mais, alors que cette réforme sera longue, la commission veut encore allonger le calendrier.

Selon l’objet de l’amendement n° 260, la réforme serait « précipitée ». Non, nous ne partageons pas ce point de vue. Il y aurait une forme de sagesse à conserver le calendrier proposé par le Gouvernement et à retirer cet amendement. La commission a soulevé des éléments intéressants, mais, de grâce, ne reportons pas cette réforme de manière excessive.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.

Mme Céline Brulin. Nous ne souhaitons pas non plus repousser la date de ces changements, même s’ils sont très modestes, auxquels nous sommes favorables. S’il ne faut pas retarder cette échéance, c’est parce que de nombreux acteurs demandent depuis très longtemps que l’on réforme le financement de l’hôpital et que l’on diminue la part de la T2A, voire que cette dernière soit entièrement supprimée.

En revanche, je rejoins le président de la commission sur l’une de ses remarques : cette réforme est prévue à enveloppe constante.

Si la situation de l’hôpital était confortable, ou du moins acceptable, cela pourrait s’entendre, et les acteurs n’y verraient pas l’ombre d’un problème. Mais, tout le monde le sait, la moitié des hôpitaux sont en déficit et toutes les professions médicales connaissent de tels problèmes d’activité que des services doivent fermer et que l’on ne peut pas ouvrir le nombre de lits nécessaire.

Comment demander aux hôpitaux de conduire une telle réforme, si modeste soit-elle, dans ces conditions ? Alors que cela mériterait que l’on étudie leurs moyens, vous leur demandez de faire 500 millions d’euros d’économies supplémentaires.

Lorsque les mesures du Ségur ont été présentées, il me semblait que le peu d’argent mis sur la table donnerait de l’air et que, même si cela ne les rendait pas euphoriques, les professions médicales profiteraient d’une bouffée d’oxygène.

Ce n’est pas ce qui s’est passé : il y a eu tellement d’oubliés… Je n’ai jamais vu de prime susciter autant de mécontentements ! Cette réforme, même modeste, est tout de même attendue. Mais, si elle se fait à enveloppe constante, elle mécontentera de nouveau tout le monde.

Il faut faire un geste, monsieur le ministre !

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.

M. Alain Milon. Je prie le président de la commission de m’excuser, mais je ne voterai pas non plus le report de cette réforme, qui me semble extrêmement intéressante, même si elle n’est pas complètement finalisée.

Monsieur le ministre, quelques éléments de votre intervention méritent d’être développés, notamment la proximité de la réforme et l’individualité des établissements. Si nous allions dans cette direction, cette réforme deviendrait passionnante. Mais, monsieur le ministre – parce qu’il y a un « mais » –, une telle transformation ne pourra être menée que si elle est accompagnée d’une révision très approfondie du financement de la santé en France.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Nous sommes tous d’accord pour dresser le constat que l’hôpital va mal, quand bien même nous connaissons quelques établissements qui se portent bien.

Nous avons tous entendu que la T2A n’était pas le mode de financement le plus judicieux des hôpitaux, même si elle ne représente pas l’intégralité des ressources des établissements.

Monsieur le ministre, au travers de cet article, vous proposez de changer la part de financement de la T2A. Nous sommes tous d’accord : il faut améliorer les financements liés à la qualité des soins ou aux objectifs de santé publique, favoriser les dispositifs de coordination ou d’autres liés à la prise en charge des situations aiguës, auxquels se rattachent les forfaits supplémentaires.

Toutefois, les choses ne me semblent pas aussi simples. Il manque plusieurs éléments dans cette réforme.

Nous regrettons l’absence de réflexion sur l’investissement dans les hôpitaux. Le rapport de la Cour des comptes sur la situation financière des hôpitaux publics après la crise sanitaire signale que, avant même la crise, la situation financière des hôpitaux était déjà difficile, en raison des lourds investissements réalisés auparavant.

Pendant la crise, la garantie de financement a représenté une bulle d’oxygène pour les hôpitaux en difficulté. Cependant, les choses se sont corsées depuis : les établissements ont besoin de travaux ; ils doivent parfois être totalement revus.

Il manque donc à votre projet toute une partie portant sur ce que l’on attend de l’hôpital de demain, donc sur les investissements. Comment imagine-t-on les hôpitaux de demain ? Je rêve d’un ministre qui serait le Vauban de l’hôpital public et qui reverrait l’ensemble des hôpitaux sur le plan national…

De plus, il manque aussi une réflexion au sujet de la régulation des dépenses. Comment interroger la pertinence des dépenses, afin d’améliorer les recettes des hôpitaux ? Il est très important d’embarquer les chefs d’établissements dans la recherche de la performance et de la dépense efficiente.

Le dernier point qui manque, c’est une réflexion sur la manière d’associer les établissements à l’Ondam.

Les sous-objectifs de dépenses sont communiqués aux hôpitaux, mais comment embarquer l’ensemble des professionnels dans la recherche d’une meilleure dépense, afin que les recettes correspondent à cet engagement national ? Il faut un système de donnant-donnant : favoriser les investissements, mais avec en contrepartie des engagements.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Aurélien Rousseau, ministre. Je vous rassure, madame la rapporteure générale, je ne pense pas un seul instant que la question soit simple.

L’Ondam hospitalier a progressé de 50 milliards d’euros depuis 2019. Madame la sénatrice Brulin, j’entends vos propos : le mécontentement dont vous parlez n’est pas totalement incompréhensible, car il y a eu après la covid-19 un effet de décompensation collective, en particulier à l’hôpital.

En revanche, aujourd’hui, même si je ne m’en gargarise pas, car nous sommes encore loin de ne pas avoir de lits vacants faute de personnels, partout nous rouvrons des lits. Nous réalisons les meilleures campagnes de recrutement depuis une dizaine d’années. Cela dit, le problème étant davantage la fidélisation que l’attractivité de ces métiers, je ne m’en réjouis pas outre mesure.

Madame la rapporteure générale, je voudrais bien être Vauban, mais je ne sais pas ce que les membres de la majorité sénatoriale lui auraient dit lors de l’examen de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) de 1688… (Sourires.)

Il n’y aura pas et il ne peut pas y avoir de compensation entre les efforts d’efficience que les établissements font tous les jours et l’effort majeur de financement de ces établissements. Ce dernier comprend notamment les 19 milliards d’euros mobilisés par le Ségur, qui sont, je le répète, grignotés par l’inflation et l’augmentation des coûts de construction. Cela provoque parfois du découragement, car nous ne pouvons pas mener à bien tous les projets prévus.

Enfin, je n’ai jamais dit que cette réforme se ferait à enveloppe fermée. Je ne le dis pas, parce que je ne le pense pas.

Si nous souhaitons que l’hôpital public fasse davantage de prévention et de santé publique, le but de la réforme n’est pas de viser d’abord l’efficience. Il faut certes chercher l’efficience, et la garantie de financement a peut-être fait parfois revenir quelques mauvais réflexes. Mais l’hôpital est suffisamment sous tension depuis assez longtemps pour ne pas y chercher de mammouth à dégraisser, comme le disait un illustre ministre…

La réforme ne se fera pas à enveloppe fermée, notamment sur l’activité. Je suis prêt à revoir la question des dotations en fonction des éléments que l’on constatera. Je suis convaincu que l’on attribue à l’Ondam hospitalier des dépenses qui relèvent du champ de la prévention : est-ce par exemple aux maternités d’acheter du Beyfortus ?

Un chantier se trouve devant nous, mais nous ne reviendrons pas à une enveloppe financière que l’on redistribuerait aux établissements.

Nous suivons une ligne de crête : d’un côté, il faut maintenir l’exigence d’efficience auprès des établissements, parce qu’elle est l’un de leurs facteurs de transformation ; de l’autre, la dépense progresse chaque année, et je suis prêt à étudier sa répartition entre la ville et l’hôpital, ainsi que dans les trois compartiments de financement des activités hospitalières. Le jeu n’est pas à somme nulle.