Mme Hélène Conway-Mouret. Cela a déjà été essayé !

M. Gérald Darmanin, ministre. Non, ce dispositif n’a encore jamais figuré en ces termes dans la loi.

Je pense que cette disposition encouragera nos diplomates et les responsables du ministère de l’intérieur à appliquer la volonté du législateur, représentant du peuple français, qui veut instaurer cet équilibre.

Les groupes Union Centriste et Les Républicains ont déposé des amendements plus durs, visant à conditionner l’aide au développement à la délivrance de visas et de laissez-passer consulaires. Le Gouvernement n’émettra pas d’avis défavorables à leur endroit.

Le Président de la République a indiqué en septembre dernier que les pays européens devaient mieux conditionner leur aide au développement à une politique responsable en matière migratoire. Les Français ne comprennent pas que l’on dépense des centaines de millions d’euros, voire davantage, pour soutenir des pays qui ne délivrent pas de laissez-passer consulaires – c’est en effet assez incompréhensible : sans lier véritablement aide au développement et laissez-passer, il y a tout de même un minimum à respecter.

Il faut conserver l’article 14 A, complété par l’amendement de M. Marseille sur l’Agence française de développement (AFD) et par d’autres amendements du groupe Les Républicains.

L’avis est défavorable sur ces quatre amendements.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour explication de vote.

Mme Corinne Narassiguin. Cette politique ne figurait certes pas dans la loi, mais on l’a déjà expérimentée.

Comme l’a souligné Hélène Conway-Mouret, les mesures de rétorsion – c’est bien l’esprit de cette disposition – qui ont déjà été prises à l’encontre notamment de l’Algérie et du Maroc ont des conséquences économiques néfastes pour la France. L’Espagne tiendrait ainsi la corde pour obtenir la construction de la ligne de train à grande vitesse Rabat-Agadir, au détriment des entreprises françaises, alors que nous avions construit la ligne Rabat-Tanger. Nos relations économiques se dégradent avec les pays concernés.

On rend la France difficile d’accès à ceux qui veulent la rejoindre légalement, pour punir ceux qui arrivent de manière illégale. Cela n’a absolument aucun sens et se révèle inefficace ! Nous comprenons qu’il soit nécessaire d’obtenir davantage de laissez-passer consulaires, mais la méthode choisie est mauvaise.

Le chantage à l’aide publique ne serait pas plus efficace. Les populations affectées par la diminution de cette aide ne sont en effet pas la préoccupation première des dirigeants de ces pays. Sans oublier qu’une telle attitude est moralement répréhensible.

C’est au Quai d’Orsay, non à la commission des lois du Sénat ou au ministère de l’intérieur, au détour d’un projet de loi qu’il a déposé, de graver dans le marbre de la loi les mesures diplomatiques qu’il doit prendre ou ce que doit être son champ de négociation.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. Nous sommes là dans un cas typique de punition collective : on fait porter la responsabilité de choix gouvernementaux à l’ensemble d’une population. Cette stratégie de la tension, c’est celle qu’emploie en permanence ce gouvernement ; elle nous a mis à dos de plus en plus de pays dans le monde.

On se demande, en ce moment, où est passée la diplomatie française. Jusqu’où va-t-on aller dans cet acharnement qui n’a aucune chance de porter quelque fruit que ce soit ? On nous parle d’aimer la France, de promouvoir son attractivité, mais la France est en train de s’opposer à un nombre croissant de pays…

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Nous avons là un désaccord profond. La stratégie de la tension entre laissez-passer et visas est déjà extrêmement discutable… Elle porte peut-être ses fruits, mais, franchement, est-il à notre honneur d’adopter une telle stratégie quand nous aurions plutôt besoin, sur ces questions, de diplomatie ?

Pourquoi pénaliser des parents qui veulent venir voir leur enfant, un étudiant ou une étudiante qui souhaite étudier en France, des artistes burkinabés ou maliens qui ne demandent qu’à venir dans notre pays pour y jouer leur musique ? Interdire à des artistes de venir se produire en France a fait de nous, au mois de septembre, la risée du monde, monsieur le ministre ! (Mme Corinne Narassiguin manifeste son approbation.)

Cette situation pose en soi problème. Et vous y ajouteriez un marchandage sur l’éventuelle restriction de l’aide publique au développement ? Mes chers collègues, les bras m’en tombent ! Sur un certain nombre de domaines, monsieur le ministre, nous vous avons entendu arguer que vous n’étiez pas compétent. Et voilà que vous pourriez être aussi ministre des affaires étrangères ?

J’ajoute, en y insistant, que beaucoup des pays qui bénéficient de l’aide au développement sont des pays à l’égard desquels nous avons une dette ! De nombreuses grandes entreprises françaises continuent d’y exploiter des hommes et des femmes, mais aussi les matières premières. Et nous déciderions qu’à défaut de laissez-passer l’aide au développement serait restreinte ?

On ne peut pas laisser passer cela à vingt-trois heures trente !

Mme Audrey Linkenheld. À minuit non plus…

M. Fabien Gay. Ni le matin ni à aucune heure d’aucune journée, vous avez raison, ma chère collègue !

Un tel vote serait inacceptable. Nous avons un débat sur la question des laissez-passer, mais l’aide publique au développement exige que nous supprimions cet article. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne relancerai pas le débat sur le fond : les arguments ont été échangés.

Je veux seulement dire à Mme la sénatrice Narassiguin et à M. le sénateur Gay que j’ai toute compétence pour parler de ce sujet. Je vous signale que je suis représenté au conseil d’administration de l’Agence française de développement.

Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Corinne Narassiguin. C’est le Quai d’Orsay qui est compétent, pas vous !

M. Gérald Darmanin, ministre. Sachez que la politique des visas est partagée entre le ministre des affaires étrangères et le ministre de l’intérieur, comme la politique des consulats. Que nous ne soyons pas d’accord, c’est une chose, mais dire que je n’ai pas le droit d’en parler parce que ce sujet ne relèverait pas de ma compétence, c’est tout à fait faux ! Le ministère de l’intérieur a en partage l’action publique relative à ces domaines.

Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Hélène Conway-Mouret. La diplomatie relève du ministère des affaires étrangères !

M. Gérald Darmanin, ministre. Le ministère de l’intérieur a des compétences liées en matière de visas et de consulats.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mais pas en matière de diplomatie !

M. Gérald Darmanin, ministre. Bien sûr que si : je passe mon temps à en faire. La diplomatie occupe 25 % de mon temps de ministre de l’intérieur.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pour quelle réussite !

M. Gérald Darmanin, ministre. Vous pouvez vous moquer, mais vous avez dit des bêtises. Encore une fois, le ministre de l’intérieur non seulement est membre du conseil d’administration de l’AFD, mais partage avec le ministère des affaires étrangères la politique des visas et des consulats.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.

Mme Hélène Conway-Mouret. Je m’inscris en faux. Monsieur le ministre, il y a un consensus sur nos travées – quatre groupes politiques se sont exprimés. Comme certains des auteurs de ces amendements, je représente les Français établis hors de France. Nous n’avons peut-être pas les mêmes interlocuteurs que vous ; en tout cas, nous n’observons ni n’entendons les mêmes choses…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. M. le ministre n’écoute pas.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je fais ce que je veux, madame la sénatrice !

Mme Hélène Conway-Mouret. Ce que nous observons sur le terrain, et qui se trouve confirmé par les statistiques, c’est par exemple que l’Institut français de Tanger subit une baisse de 30 % du nombre de ses étudiants au profit de l’Institut Cervantes. Nous perdons des marchés au profit de certains de nos concurrents européens, et cela est lié à la dégradation des relations diplomatiques de la France avec le Maroc, mais également, d’une autre façon, avec la Tunisie et l’Algérie.

Il est dommage, monsieur le ministre, que vous n’écoutiez pas ceux qui sont les mieux placés pour vous faire part des exemples du terrain, c’est-à-dire de ce qui se passe réellement et qui ne correspond pas nécessairement à vos vues.

Il faut bien sûr des négociations, mais celles-ci doivent se dérouler au niveau diplomatique – telle est la position que nous avons défendue – et non au gré d’un rapport de force que nous allons perdre et que, d’ailleurs, nous avons déjà perdu.

Ce n’est pas en punissant les quelques francophones et francophiles qui demeurent dans ces pays, lesquels ne disposent d’aucun levier à l’égard des pouvoirs en place, que nous allons changer les politiques qui y sont menées.

Ce qui est proposé par la commission va à l’encontre de nos intérêts, et notamment de nos intérêts économiques. J’espère donc que nous aurons convaincu nos collègues en plaidant pour la suppression de cet article.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Lorsque j’écoute un certain nombre d’interventions émanant de la gauche de notre hémicycle, je ne reconnais pas le texte que notre commission nous a proposé.

Bien entendu, chacun d’entre nous le sait, nous ne saurions réduire nos relations diplomatiques et nos intérêts dans ces relations à la question de la maîtrise des flux migratoires. Pour autant, nous ne pouvons pas non plus ignorer, dans ces relations diplomatiques, cet enjeu essentiel pour la cohésion de notre société.

J’ai été attentif à l’ensemble des amendements que vous avez présentés depuis le début de nos débats, mes chers collègues : aucun ne constitue un élément d’une politique de maîtrise de la pression migratoire. À chaque fois qu’une proposition est faite en ce sens, c’est un « non » qui sort de vos rangs !

Ce que nous vous proposons ici, c’est de dire que l’on peut, dans la politique d’aide au développement, prendre en compte l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière. Vous trouvez ça violent ? Je trouve, moi, que c’est la moindre des choses !

Si ces pays qui sont nos amis le sont vraiment,…

Mme Audrey Linkenheld. Vous ne les traitez pas vraiment en amis…

M. Philippe Bas. … alors, en raison même de cette amitié, ils doivent savoir que certaines choses sont très importantes pour nous et nous aider à les mettre en œuvre. Il y a là non une stratégie de la tension, mais une stratégie de l’amitié, car il n’est d’amitié que réciproque !

Concernant les visas, en écrivant que « le visa de long séjour peut être refusé au ressortissant d’un État délivrant un nombre particulièrement faible de laissez-passer consulaires », nous envoyons un signal politique absolument nécessaire, mais nous n’entrons nullement dans une démarche violente.

Simplement, que tous nos partenaires sachent bien qu’il est des éléments essentiels à une bonne relation avec la France ! Nous, Parlement français, nous nous devons de le leur dire pour que les relations que nous nouons avec eux soient saines et reposent sur la réciprocité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Antoine Levi applaudit également.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Beau succès avec le Maroc !

M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour explication de vote.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Il me faut tout de même vous rappeler quelques petits éléments, mes chers collègues.

Nous, Français d’outre-mer, Réunionnais, Comoriens, nous ne sommes pas seulement amis avec ces pays : nous avons avec eux des liens de sang, ils sont nos frères et sœurs. Nous célébrons cette année, à La Réunion, le trois cent soixantième anniversaire du peuplement de l’île. Les premiers qui y sont venus sont des Malgaches : nous sommes malgaches, arabes, africains, indiens, chinois ; et nous sommes français, européens, dans l’océan Indien.

Cet article, donc, conditionne l’aide publique au développement. Mais il faut savoir que La Réunion est un territoire de 2 500 kilomètres carrés et que la grande île dont elle est voisine compte 28 millions d’habitants ; or Madagascar, c’est son nom, est régulièrement frappée par la sécheresse ou par la famine. Et vous nous dites qu’il faudrait conditionner l’aide au codéveloppement des pays de la zone à une politique migratoire ?

Vous voulez freiner les migrations, mais je vous rappelle qu’il fut un temps dans l’histoire de La Réunion où l’on a fait venir des travailleurs migrants pour exercer des métiers sous tension. Nous célébrons dans deux jours la mémoire de la fin de cette période honteuse dite de l’engagisme : des gens sont venus des pays de la zone pour prendre le relais des esclaves dans les plantations et dans les usines.

Je suis désolée, mais, depuis quelques jours, les propos qui sont tenus dans cet hémicycle me renvoient régulièrement à l’histoire douloureuse de La Réunion.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Je suis vraiment attristée d’entendre de tels propos. Ce n’est pas la France pays des droits de l’homme qui s’exprime ici : c’est une France qui se ratatine ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour explication de vote.

Mme Mathilde Ollivier. Moi aussi je tiens à m’inscrire en faux contre vos explications, monsieur le ministre, madame la rapporteure : on n’est pas obligé de lier les négociations autour des laissez-passer à la politique des visas. Les restrictions qui ont été prises envers les pays du Maghreb ont fortement dégradé les relations que nous entretenons avec eux.

M. Max Brisson. C’est loin d’être la seule raison de cette dégradation !

Mme Mathilde Ollivier. Quant à dire qu’une politique des visas restrictive aurait un impact sur notre pouvoir de négociation avec ces pays, et notamment avec leurs élites, cela me semble faire peu de cas des événements de cet été.

Je les rappelle : on a bloqué les demandes de visa des ressortissants des pays du Sahel, notamment des étudiants des lycées français, qui pour partie sont les enfants de ces élites dont vous parlez et qui, après des années à étudier le français, n’ont pas pu venir faire leurs études en France. On a vu ce que cette politique a donné dans nos relations diplomatiques et nos négociations avec le Niger.

Vous parliez du ministère des affaires étrangères, monsieur le ministre ; j’aimerais connaître sa position sur ce sujet, car il est mis en difficulté dans ses relations diplomatiques et culturelles avec ces pays.

Vous avez entendu des représentants des Français de l’étranger de plusieurs groupes politiques, ainsi que des représentants des outre-mer, qui possèdent une analyse fine de nos relations avec ces pays. Nous sommes proches des nombreux concitoyens et concitoyennes qui y résident et, lors de nos déplacements à l’étranger, nous nous faisons tous interpeller par nos compatriotes ainsi que par les amis de la France. Écoutez notre cri d’alerte !

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour explication de vote.

M. Stéphane Ravier. Je voudrais revenir sur les propos de M. Gay : « Nous avons une dette envers ces pays. »

L’aide publique au développement, en France – vous n’êtes probablement pas sans le savoir, en réalité –, est de toutes les missions budgétaires de l’État celle dont les crédits ont le plus augmenté en pourcentage depuis 2017. Mais ça ne vous suffit pas ! (M. Fabien Gay bâille ostensiblement.)

Vous donnez, comme à votre habitude – c’est votre ADN –, dans la culpabilisation permanente : si ces pays ne décollent pas économiquement, c’est encore à cause de la France, selon vous ! C’est la faute de nos entreprises qui, selon vous, les exploitent.

Mais enfin, nos entreprises ne s’y trouvent pas par la force militaire : elles s’y trouvent parce qu’elles ont signé des contrats avec les gouvernements de ces pays qui, je vous le rappelle, mon cher collègue, sont indépendants depuis des années. Ils décident donc par eux-mêmes et pour eux-mêmes. S’ils n’arrivent pas à arracher leur population à la misère, ce n’est pas la faute de la France, qui met la main à la poche toujours davantage chaque année ! (M. Fabien Gay continue de simuler lennui.)

Mais vous continuez de vous inscrire dans cette logique de culpabilisation de la France qui ne vise qu’à nous faire une fois de plus cracher au bassinet. Nous ne céderons pas, monsieur Gay !

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour explication de vote.

M. Ian Brossat. Lors de l’entame de nos débats, il y a quelques jours, nous nous posions la question de savoir ce qui causait les migrations. Nous étions un certain nombre à répondre que c’était la situation dans les pays de départ, et non les conditions que l’on trouve dans les pays d’accueil, qui provoquait les migrations.

Or, alors que nous examinons un projet de loi qui traite des enjeux de l’immigration, le seul moment où l’on parle de l’aide au développement, c’est pour nous dire comment la supprimer ! Je trouve cela dramatique, tragique, pathétique ; vous m’avez d’ailleurs pour une part donné raison, monsieur le ministre.

Qui peut penser que l’on va tarir les flux migratoires si l’on n’agit pas sur les conditions d’existence de ceux qui vivent dans les pays de départ, en veillant à les améliorer pour garantir qu’en restant sur place on puisse vivre dignement ?

M. Ian Brossat. À la lumière des débats que nous avons depuis quelques jours, je pense que nous devrions nous interroger…

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. En lisant l’article 14 A tel qu’il est rédigé, on se trouve face à deux sujets : celui des visas et celui de l’aide au développement. Je ne vois aucune vérité absolue émerger ce soir, dans cet hémicycle, sur ces sujets-là.

Je commence par m’adresser à mes collègues de droite : pour ce qui est des visas, j’ai en tête le courrier que le président Cambon avait adressé au ministre Darmanin en septembre 2022 pour s’inquiéter des conséquences de la politique dite « visas contre laissez-passer consulaires ». Il allait jusqu’à dire qu’il s’agissait d’« une humiliation pour les Marocains ».

M. Gérald Darmanin, ministre. Exactement !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je me tourne ensuite vers les travées de la gauche. Pour ce qui est de l’aide publique au développement, l’article 14 A dispose : « La politique de développement solidaire […] prend en compte l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière » ; c’est ainsi qu’il est rédigé.

J’ai lu par exemple dans la presse que, pas plus tard qu’hier, le président de la République du Sénégal, M. Macky Sall, avait demandé à l’issue du dernier conseil des ministres qu’une lutte résolue soit conduite contre l’immigration irrégulière,…

M. Fabien Gay. Personne n’a dit le contraire.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. … car elle cause une fuite des compétences dans un pays qui a fondamentalement besoin de tous ses talents, comme en ont besoin l’ensemble des pays qui sont dans l’émergence.

L’article 14 A, dans son volet « aide publique au développement », ne mérite donc peut-être pas l’excès du procès en indignité qui lui est fait.

M. Fabien Gay. Ça fait quatre jours que nous y sommes, dans l’indignité !

M. Jean-Baptiste Lemoyne. En revanche, ne pensons pas non plus que le volet « visas » de cet article va suffire à régler le problème des laissez-passer consulaires : il y a encore des marges de progrès.

Nous devons aborder cet article 14 A avec beaucoup d’humilité au regard des enjeux diplomatiques et de développement, qui sont vastes.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Évitons les raccourcis, mes chers collègues ! (M. Fabien Gay sexclame.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Je ne reviens pas sur la rédaction de l’article.

Dans un monde idéal, évidemment, vous avez raison, nous devons avoir de bonnes relations avec l’ensemble des pays, nous devons nous montrer ouverts, nous devons aider : aucun doute là-dessus – mais cela vaut dans un monde idéal.

Dans la réalité, et depuis longtemps, un certain nombre de pays – amis ou non, d’ailleurs – ne suivent pas tout à fait cette logique en matière migratoire. Ils utilisent la non-délivrance des laissez-passer consulaires comme un moyen de pression.

Aussi nous trouvons-nous dans la difficulté, par exemple, au moment de raccompagner dans son pays d’origine une personne placée dans un centre de rétention administrative, faute de recevoir dans les délais, ou tout simplement d’obtenir, le laissez-passer consulaire – pur hasard, souvent, mais pas toujours… De la sorte se construisent, petit à petit, des comportements qui traduisent une volonté de ne pas être très coopératif, voire de ne pas l’être du tout.

L’enjeu pour la France n’est pas d’être désagréable avec les autres pays du monde…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est ainsi que cela sera pris.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Il est évident qu’il est préférable d’être agréable.

L’enjeu est que nous disposions de l’outil qui nous permettra le moment venu, si les choses se tendent, d’être armés dans le rapport de force. Ainsi aurons-nous la possibilité, dans les négociations, de dire « stop ! » en refusant d’accorder des visas aux ressortissants des pays qui ne délivrent pas les laissez-passer consulaires, ce manquement n’étant pas de bonne foi.

Il s’agit aussi de donner au Quai d’Orsay, dont le ministre de l’intérieur a rappelé qu’il travaillait en étroite collaboration avec lui, la possibilité de mettre sur la table, en pareils cas, la question de l’aide au développement.

Nous souhaitons évidemment tous que les choses se passent bien ; malheureusement, ce n’est pas toujours ni intégralement le cas. Le Parlement français se doit par conséquent de donner à notre pays cet outil de discussion : donnons au ministre la faculté d’ouvrir cette négociation.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. À écouter le président Buffet, quelque chose continue de m’intriguer : en réalité, la France n’a pas besoin de cet article.

S’agissant de domaines, l’aide au développement et la politique des visas, qui relèvent de la politique gouvernementale, il n’y a pas besoin d’un article de loi pour mener telle ou telle action que le ministère de l’intérieur pourrait estimer nécessaire afin d’obtenir les laissez-passer consulaires. D’ailleurs, monsieur le ministre, quand vous l’avez fait, en octobre 2021, vous n’avez pas attendu d’y être autorisé ou obligé par je ne sais quel article de loi : vous l’avez fait parce que vous en aviez la faculté, avec un succès que l’on peut juger relatif pour ce qui est de la qualité de nos relations diplomatiques avec le Maroc.

Je ne comprends donc pas très bien… J’ajoute que cet article ne figurait pas dans le texte initial : ce n’est pas une demande du Gouvernement, mais une initiative de la commission des lois.

C’est un signe extrêmement raide qui est en tout cas envoyé à un certain nombre de pays. Je ne suis pas sûre que cela puisse aider en quoi que ce soit, sachant que de toute façon, en cette matière, vous avez déjà les moyens d’agir, monsieur le ministre. J’ai cru comprendre, en outre, que vous aviez abandonné cette pratique un an après l’avoir inaugurée en octobre 2021. En revanche, nos relations avec le Maroc se sont dégradées ; nous l’avons vu après le tremblement de terre, le roi du Maroc ayant estimé à cette occasion ne pas avoir besoin de notre aide…

M. Max Brisson. Tout cela, c’est à cause des visas, bien sûr !…

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 154, 320 rectifié, 429 rectifié bis et 455.

J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, de la commission et, l’autre, du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 40 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l’adoption 114
Contre 230

Le Sénat n’a pas adopté.

La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Une simple réflexion sémantique, monsieur le président : Mme la sénatrice de La Réunion évoquait les Français, les Réunionnais et les Comoriens ; j’imagine qu’elle voulait parler des Mahorais. Si Mayotte est une île française, les Comores sont un État étranger ! (Bravo ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous nous donnez des leçons de géographie, aussi ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Non, d’identité nationale.

M. Fabien Gay. Ce n’était pas obligé…

M. Gérald Darmanin, ministre. Venant d’un groupe qui se dénomme « Kanaky »…

M. le président. L’amendement n° 361 rectifié, présenté par M. Frassa, Mme Aeschlimann, MM. Allizard, Anglars, Bacci, Bas, Bazin et Belin, Mmes Bellurot, Belrhiti et Berthet, MM. E. Blanc et J.B. Blanc, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonhomme et Bonnus, Mme Borchio Fontimp, M. Bouchet, Mme V. Boyer, MM. Brisson, Bruyen, Burgoa, Cadec et Cambon, Mmes Canayer et Chain-Larché, M. Chaize, Mmes de Cidrac et Ciuntu, MM. Cuypers, Darnaud et Daubresse, Mmes Demas, Deseyne, Di Folco, Drexler, Dumont, Estrosi Sassone, Eustache-Brinio et Evren, M. Favreau, Mme Garnier, M. Genet, Mmes F. Gerbaud, Gosselin et Goy-Chavent, MM. Gremillet et Grosperrin, Mme Gruny, MM. Gueret, Hugonet et Husson, Mmes Imbert, Jacques, Josende et Joseph, MM. Karoutchi et Klinger, Mme Lassarade, M. D. Laurent, Mme Lavarde, MM. de Legge, Le Gleut, H. Leroy et Le Rudulier, Mmes Lopez, Malet et P. Martin, M. Meignen, Mme Micouleau, MM. Milon et Mouiller, Mmes Muller-Bronn et Nédélec, M. de Nicolaÿ, Mme Noël, MM. Nougein, Panunzi, Pernot et Piednoir, Mme Pluchet, M. Pointereau, Mmes Primas et Puissat, MM. Rapin, Reichardt, Retailleau et Reynaud, Mme Richer, MM. Rietmann, Rojouan, Sautarel et Savin, Mme Schalck, MM. Sido, Sol, Somon, Szpiner et Tabarot, Mme Ventalon, MM. C. Vial, J.P. Vogel, Bouloux, Khalifé et Mandelli et Mme Petrus, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

« L’aide au développement solidaire attribuée au titre de la lutte contre les inégalités mondiales est conditionnée à l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière, notamment vis-à-vis des États délivrant un nombre particulièrement faible de laissez-passer consulaires ou ne respectant pas les stipulations d’un accord bilatéral ou multilatéral de gestion des flux migratoires. »

La parole est à M. Christophe-André Frassa.