M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par nos collègues communistes soulève une question de fond : le législateur peut-il s’arroger le droit d’amnistier des délits commis dans le cadre de mouvements sociaux ?

Certes, le constituant de 1946 a reconnu le droit de grève comme un droit fondamental, mais ce principe doit toujours être articulé avec d’autres principes généraux de notre droit, ceux qui garantissent, par exemple, l’ordre public, nécessaire pour assurer la quiétude de chacun.

Comme l’a si justement souligné notre rapporteur, Jean-Michel Arnaud, la définition des faits concernés par l’amnistie, telle qu’elle est formulée dans cette proposition de loi, semble beaucoup trop large et évasive, tandis que les exceptions prévues sont rendues quasiment inapplicables par la règle elle-même.

En outre, l’adoption de cette proposition de loi entraînerait des effets qui vont bien au-delà de ceux que voulaient originellement obtenir ses auteurs.

Commençons par évacuer tout malentendu. Si l’exercice du droit de grève, du droit syndical ou encore du droit de manifester a pu entraîner des poursuites abusives, des mesures disciplinaires excessives ou des licenciements injustifiés, ces derniers doivent évidemment être contestés devant les juridictions compétentes. Si nous considérons que ces voies de recours sont insuffisantes, voire défaillantes, envisageons de légiférer pour les améliorer. Toutefois, ces dérives, aussi condamnables soient-elles, ne peuvent en aucun cas justifier une énième loi d’amnistie. Celle-ci n’apporterait aucune solution : elle serait non seulement inutile, mais aussi inappropriée.

Comme le disait si justement l’honorable juge Diplock, on doit éviter d’user « d’un marteau-pilon pour casser une noix, si le casse-noix suffit ».

Loin de moi l’idée de remettre en cause le rang constitutionnel du droit de manifester, des droits syndicaux et du droit de grève, mais leur exercice doit s’équilibrer avec le respect de l’ordre public. De ces droits ne peut découler le chaos ou une contestation effrénée. L’étendue du champ de cette proposition de loi pourrait être perçue comme une offense à la plus grande majorité de nos concitoyens, qui sont tout à fait capables de manifester leur mécontentement sans débordements, heurts ou violences.

Ainsi, ni la manifestation ni la grève ne sont condamnables en soi ; en revanche, leurs excès le sont lorsqu’ils troublent l’ordre public.

Par ailleurs, si l’objectif de cette proposition de loi est de ramener le syndicalisme à son âge d’or, en le rendant plus attrayant par une promesse d’immunité – voire d’impunité –, je pense fondamentalement que l’on fait fausse route, car la réalité est tout autre.

Le contexte actuel que connaît notre pays appelle au contraire à un surcroît de responsabilisation de nos représentants syndicaux ou des porte-voix de mouvements revendicatifs. J’espère, pour ma part, que le monde syndical restera un acteur responsable, qui préférera toujours le dialogue à l’entêtement et au désordre.

D’un point de vue purement philosophique, l’amnistie est un geste de pardon, plus largement de reconstitution de la concorde sociale, voire de pacification des mémoires. Le pardon des pouvoirs publics, comme l’histoire sociale le montre, intervient généralement quand l’ordre public a failli. Or je ne crois pas que la France en soit arrivée à un tel point.

En tout état de cause, l’amnistie ne peut être associée à une autorisation accordée à la violence ou à des débordements de toutes sortes. Je pense très sincèrement que l’adoption de ce texte constituerait un bien mauvais signal adressé à l’ensemble de nos concitoyens : ils pourraient ainsi se demander pourquoi ils devraient respecter la loi si, dorénavant, nous cédons, ne serait-ce que de manière ponctuelle, à la tentation de l’amnistie.

L’amnistie, c’est aussi la négation même de la compétence du législateur. On nous demande en effet de voter un texte qui méconnaîtrait l’application de la législation déjà en vigueur.

C’est, en outre, la remise en cause du principe d’égalité des citoyens devant la loi. Pourquoi, en effet, respecter les principes fondamentaux de notre ordre public, si aucune conséquence légale n’y est associée ?

De plus, comme cela a été souligné, cette proposition de loi remet en question le rôle du juge, voire l’articulation des pouvoirs entre l’autorité judiciaire, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Force est de constater que les lois d’amnistie perturbent la lisibilité de cet équilibre institutionnel.

Enfin, et pour conclure, la potentielle dérive autoritaire dénoncée par les auteurs de cette proposition de loi ne saurait avoir comme réponse une dérive judiciaire. Il s’agirait là d’une schizophrénie juridique, qui consisterait à condamner d’une main, en droit commun, des faits répréhensibles, et à amnistier de l’autre ces mêmes faits dans certaines circonstances, par le biais d’une loi d’exception. La Haute Assemblée, qui a toujours été au rendez-vous pour prendre ses propres responsabilités, ne peut accepter cela !

Ni les conditions de fond ni les conditions de forme ne sont donc réunies pour l’adoption d’un tel texte. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les sénateurs du groupe Les Républicains sont par principe hostiles à toute loi d’amnistie de cette nature, et c’est la raison pour laquelle ils voteront contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la grave détérioration des conditions de vie de nos compatriotes a fatalement conduit à une explosion de la contestation sociale.

La colère gronde jusque dans les classes moyennes, dont on a trop longtemps cru qu’elles étaient préservées. Dans notre société, les tensions s’aggravent et la stratégie de division du peuple français opérée par Emmanuel Macron accentue encore cette tendance.

Dernièrement, le recul de l’âge de départ à la retraite a été la cause légitime de grandes manifestations : des Français de tous horizons politiques et de toutes origines sociales ont défilé côte à côte. Malheureusement, des violences ont systématiquement été commises, non par des manifestants, mais par des personnes issues de mouvements radicaux ou anarchistes venues profiter de l’occasion. C’est la raison pour laquelle cette proposition de loi me paraît dangereuse : non seulement son adoption consacrerait le sentiment d’impunité, mais, pis encore, elle légitimerait les violences commises.

Mes chers collègues, les violences nuisent aux contestations sociales depuis dix ans. Elles ont nui notamment aux manifestations contre la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi El Khomri, aux revendications des « gilets jaunes » et au juste et indispensable combat contre la réforme des retraites. Plus généralement, elles ont desservi tous les combats légitimes.

Plus récemment, la mort de Nahel a tristement prouvé que tout événement, si douloureux et regrettable soit-il – je ne reviens pas sur les circonstances de cette affaire particulière –, peut toujours servir de prétexte à un déferlement de violence. J’en veux pour preuve le rapport rendu conjointement par l’inspection générale de l’administration (IGA) et l’inspection générale de la justice (IGJ), dans lequel sont analysés les « profils et motivations des délinquants interpellés à l’occasion de l’épisode de violences urbaines » : il montre que l’émotion causée par la mort de cet adolescent a joué un rôle très mineur dans les motivations des pillards.

Si cette proposition de loi était adoptée, il suffirait dès lors de se revendiquer d’une cause sociale pour pouvoir se livrer à des actes de violences et de vandalisme en toute impunité.

Il convient toutefois de ne pas oublier que, derrière les auteurs de tels actes, il y a surtout des victimes, dont le préjudice doit être reconnu et réparé.

Derrière le casseur qui se revendique opportunément de telle ou telle cause, il y a un ouvrier privé de sa voiture, un artisan privé de ses locaux, un commerçant privé de son outil de travail et de ses biens. Leur cause sera toujours plus forte et plus juste que celle du délinquant ou du vandale !

Oui, je vous l’accorde, la gestion de notre pays par Emmanuel Macron est aussi horripilante sur la forme que désespérante sur le fond, mais rien ne saurait légitimer que l’on commette des actes de violence et de pillage.

Mes chers collègues, je parle ici non pas uniquement en tant que membre de la représentation nationale, mais aussi au nom de tous ceux qui comme moi, fils d’ouvrier syndiqué, petit-fils et arrière-petit-fils de mineur, ne veulent plus voir des luttes sociales légitimes décrédibilisées et pourries par la violence minoritaire de ceux qui n’y voient qu’un prétexte pour semer le trouble.

S’il faut rappeler que le droit de manifester est constitutionnel, il ne faut pas en faire un droit à l’insurrection.

Il y a des profiteurs de crises financières comme il y a des profiteurs de crises sociales : de grâce, combattons-les tous !

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre pays a connu des mouvements de contestation majeurs au cours de l’année 2023. Heureusement, tous n’ont pas donné lieu à des débordements. Certains, en revanche, ont dégénéré en des actes de violence d’une rare intensité.

Nous avons récemment assisté à des scènes de chaos, qui ont profondément choqué nos concitoyens. Des drames ont été évités de justesse, grâce au professionnalisme des forces de l’ordre, auxquelles mon groupe veut rendre hommage.

Quoi de plus légitime que de manifester son opposition aux textes que nous votons ? Quoi de plus inacceptable que de le faire en s’affranchissant du cadre républicain ?

Des centaines de membres des forces de l’ordre ont été blessés lors de différentes manifestations où ont été commis des dégradations, des incendies volontaires, etc. : autant d’actes qui font peser un risque majeur sur la sécurité de nos concitoyens.

Les mêmes scènes de chaos se sont reproduites lors de la mise en place de retenues d’eau, les fameuses mégabassines. Là encore, il est légitime que les oppositions s’expriment. Il paraît néanmoins important de rappeler que ces projets ont été décidés par des instances démocratiques et qu’ils sont susceptibles de recours devant des tribunaux indépendants et impartiaux. Nous sommes en démocratie, ne l’oublions pas. Les manifestations que nous avons vues à ces occasions étaient, en revanche, d’une autre nature. Des individus fanatiques, armés de battes de baseball, de barres de fer, de boules de pétanque et de cocktails Molotov, étaient là pour casser, que ce soit de la bassine ou du flic : nous ne pouvons pas l’accepter.

Les sénateurs du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky nous proposent d’exempter de condamnations tous ceux qui se sont rendus coupables de délits au cours de mouvements collectifs revendicatifs.

Au-delà de l’imprécision extrême du périmètre visé, comment accepter une telle négation du droit ? Comment imaginer que le déroulement de mouvements collectifs revendicatifs puisse constituer une circonstance de nature à exonérer les délinquants de toute poursuite et de toute condamnation ?

Si le droit de grève et son exercice doivent être protégés, ce droit ne s’étend pas à la commission d’infractions. Même si celles-ci se déroulent lors de mouvements revendicatifs, elles demeurent néfastes pour la société et nos concitoyens.

La circonstance de mouvements collectifs revendicatifs devrait être considérée comme aggravante plutôt que comme atténuante. En effet, la commission des infractions est facilitée lors d’attroupements et leurs conséquences peuvent être bien plus sérieuses qu’en d’autres occasions.

Il arrive par ailleurs que des manifestations constituent en elles-mêmes des infractions, si elles ont été interdites par l’autorité investie des pouvoirs de police qui a estimé qu’il y avait un risque de trouble à l’ordre public. La présence d’écharpes tricolores à certaines de ces manifestations nous a consternés : des élus ont encouragé nos concitoyens à ne pas respecter la loi. Ils ont été la caution paradoxale d’actes de violence antidémocratiques.

Celles et ceux qui encouragent la violation des lois n’ont pas leur place dans les chambres où ces lois sont votées.

Nous considérons que la défense des droits et des libertés des individus doit s’exercer dans les urnes, plutôt que dans la rue. La loi est faite par les représentants de la Nation, il est essentiel qu’elle s’applique à tous.

« Ce qui préserve de l’arbitraire, c’est l’observance des formes », disait avec sagesse Benjamin Constant. La contestation dans notre pays ne peut pas s’affranchir des formes sans porter atteinte à la démocratie.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires s’oppose donc aux dispositions de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai fait mon droit dans une autre vie, sous la houlette de Jean-Jacques Dupeyroux, avec Maurice Cohen comme professeur du droit des comités d’entreprise.

J’ai aussi suivi de très près l’avancée, à l’Assemblée nationale, des lois Auroux, qui, rappelons-le, ont établi un peu d’équilibre dans le droit syndical à l’intérieur de l’entreprise. Je me souviens très bien, à l’époque, des syndicats jaunes, des chiens des vigiles que leurs maîtres laissaient aller sur les piquets de grève, de la tentative d’instaurer le vote plural aux prud’hommes, tentative qu’un jeune député de talent, Alain Richard, a d’ailleurs fait censurer par le Conseil constitutionnel – je rappelle que cette mesure « sympathique » permettait aux employeurs de voter plusieurs fois, quand les salariés ne pouvaient voter qu’une seule fois…

Autrement dit, je connais un peu le droit du travail et le droit syndical. Le doyen Badinter pointait que les notables vieillissants parlaient d’eux dans leurs discours. Voilà que cela m’arrive à moi aussi… (Sourires.)

Mes chers collègues, on imagine difficilement une société libre et ouverte dans laquelle le droit de manifester son mécontentement serait systématiquement entravé par des mesures coercitives. C’est dans cette faculté que réside la différence entre une démocratie et une dictature – je crois que nous pouvons tous nous accorder sur ce constat.

Le constituant de 1946 a reconnu le droit de grève, mais non le droit à la violence. L’exercice du droit de grève et celui de manifester, qui l’accompagne, doit s’articuler avec les autres principes généraux du droit, qui garantissent le nécessaire ordre public, afin d’assurer la quiétude et la sécurité de chacun.

La proposition de loi qui nous est soumise pourra paraître séduisante à certains, si l’on pense aux faits qui ont pu accompagner la réforme des retraites et le mouvement des « gilets jaunes », il y a quelques années. Nous ferions ainsi table rase du passé et le Parlement accorderait une forme de pardon généralisé.

Or le pardon ne peut pas viser des agissements contraires à l’ordre républicain. Certaines infractions ne peuvent en aucun cas figurer dans une loi d’amnistie. Certes, le texte exclut de l’amnistie les violences commises contre les personnes dépositaires de l’autorité publique, mais il reste muet sur les autres violences et sur les dégradations des biens, dont il faut d’ailleurs déplorer la très forte progression ces dernières années.

L’amnistie est un geste de pardon, de reconstitution de la concorde sociale et de pacification des mémoires. Elle ne saurait être une autorisation généralisée accordée aux débordements de toutes sortes.

De plus, je pense sincèrement que l’adoption de cette proposition de loi constituerait un signal de bien mauvais augure adressé à tous les manifestants. (M. le garde des sceaux acquiesce.)

Nul ne peut nier, en effet, que le principe même d’une loi d’amnistie créerait un appel d’air. Pourquoi respecter la loi si les contrevenants ne subissent aucune conséquence juridique de leurs actes ?

C’est pourquoi le principe d’égalité des citoyens devant la loi doit s’appliquer, de même que les principes fondamentaux relatifs au respect de l’ordre public.

En dépit du travail et des efforts des membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, aucun consensus ne se dégage au sein du Parlement sur une telle proposition de loi : ni les conditions de fond ni celles de forme ne sont en effet réunies pour son adoption, d’autant que certains événements ont fait des victimes et entraîné beaucoup de dégâts, sans parler des manques à gagner de petits commerçants, des voitures brûlées, etc.

Si l’on peut comprendre, voire partager, la colère sociale, son expression doit rester dans le cadre des lois de la République. Tel n’est pas le cas lorsque l’on commet des infractions passibles de dix ans d’emprisonnement.

Comme nous l’a rappelé notre rapporteur, Jean-Michel Arnaud, dont je tiens à saluer le travail, la commission des lois est défavorable à l’adoption de ce texte.

Vous l’aurez compris, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour des travaux du Sénat. L’examen de cette proposition de loi intervient en effet à un instant tout particulier pour notre démocratie.

Alors que le Gouvernement se montre toujours plus incapable de répondre aux crises, alors que les élus et les pouvoirs publics échouent à remplir leurs missions premières – protéger l’intérêt général, garantir à chacune et à chacun de manger à sa faim, de se loger, de vivre de son travail, de se reposer, d’avoir les mêmes droits que ses voisins, de ne pas craindre les discriminations, d’envisager un avenir commun sur une planète vivable –, ce sont bien souvent les manifestants, les syndicalistes, les militants, les mouvements sociaux qui sont attaqués. Ils le sont plus que les pollueurs, les évadés fiscaux, les exploiteurs, les racistes et les sexistes.

L’État a failli et ce sont ses enfants qui trinquent. Ils trinquent d’ailleurs deux fois : en payant le prix de ses mauvais choix politiques et en payant celui de les contester.

Évoquons tout d’abord le prix des mauvais choix politiques de l’État. Je pense, par exemple, aux questions climatiques. Selon les dernières données publiées le 3 octobre dernier, nous pouvons affirmer que la trajectoire actuelle des émissions de gaz à effet de serre de la France nous conduira à violer nos propres engagements internationaux, européens et nationaux. Pendant ce temps, le Gouvernement s’entête à poursuivre un projet climaticide et injuste, vieux de trente ans, la réalisation de l’autoroute A69.

De même, malgré la promesse présidentielle de 2017, le Gouvernement ne demande plus l’interdiction du glyphosate à l’échelon européen. Je rappelle que ce produit est un herbicide « total », qui tue tous les végétaux, sans distinction, sauf ceux qui sont génétiquement modifiés pour lui résister, et que ses effets sur la santé humaine, mais aussi sur notre modèle agricole, ne sont plus à démontrer.

Dans le même temps, le Gouvernement est incapable de répondre à l’urgence sociale, encore accentuée par l’inflation. Un huitième de la population française ne mange pas à sa faim ; un tiers des étudiants sautent des repas. Alors que la France compte plus de 9 millions de pauvres, les 500 Françaises et Français les plus riches ont vu leur fortune croître de 5 % l’année dernière.

Rien ne saurait justifier une telle aggravation des inégalités et rien ne peut étouffer la colère qu’elle nourrit.

C’est la raison pour laquelle les citoyennes et les citoyens se mobilisent et grossissent les rangs des mouvements sociaux – nous étions ainsi des millions dans la rue pour combattre la réforme des retraites. C’est pourquoi des militants passent leurs week-ends à essayer de protéger la nature, les arbres, l’eau, que ce soit à Sainte-Soline, dans le Tarn ou encore à Notre-Dame-des-Landes.

J’en viens maintenant au prix de la contestation, puisque tel est le sujet de notre discussion.

Au lieu d’être entendus, au minimum respectés, les mouvements sociaux sont criminalisés. Cette criminalisation a atteint son apogée au moment de la contestation massive contre la réforme des retraites : des passants, qui ne manifestaient même pas, se sont retrouvés au poste de police parce qu’ils sortaient d’un restaurant au mauvais moment.

Pour la première fois depuis un demi-siècle, un dirigeant syndical national, qui n’avait aucun lien direct avec les faits reprochés, a été convoqué par la gendarmerie. Dans trois semaines, trois syndicalistes comparaîtront devant le tribunal correctionnel de Bordeaux. Selon la CGT, quelque 600 travailleurs et travailleuses seraient ainsi ciblés par des procédures disciplinaires à la suite des mobilisations contre la réforme des retraites.

De manière similaire, des militants écologistes sont criminalisés, parce qu’ils s’opposent à cette aberration écologique que constituent les mégabassines. Ils se battent pour notre accès commun à l’eau, non pour se faire plaisir : nous aimerions, toutes et tous, passer des week-ends de détente entre amis et n’avoir jamais à choisir entre la décision de prendre le risque de se retrouver dans le coma et la perspective de voir nos biens communs confisqués.

Toutefois, le schéma et la doctrine de maintien de l’ordre en France, alors que la répression s’intensifie de manière constante et systémique, rendent l’action de manifester et de militer de plus en plus difficile. Ce n’est pas le fruit du hasard.

L’immense majorité des personnes arrêtées ne font d’ailleurs pas partie des individus violents, dont nous condamnons, bien sûr, les méthodes.

Cette situation est grave, non seulement parce que la cause des manifestants est juste, mais aussi parce que la démocratie meurt si elle cherche à criminaliser les opposants au pouvoir. C’est le propre d’un gouvernement démocratique, sa condition existentielle, sa définition même, que de permettre, et plus encore, d’organiser et de protéger la contestation, le débat, les luttes politiques, y compris contre lui. Il lui revient de garantir la liberté d’expression à celles et à ceux dont il déteste les idées.

C’est donc pour rétablir la confiance en la vitalité de notre démocratie que le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient les objectifs de cette proposition de loi. Nous avons entendu, bien sûr, les remarques formulées par le garde des sceaux : le calibrage du dispositif est sans doute trop large. Nous faisons donc confiance au Gouvernement et à nos collègues de l’Assemblée nationale pour amender ce texte. En tout cas, le signal politique envoyé à nos concitoyens sera bien meilleur si cette proposition de loi est adoptée que si elle est rejetée. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’évoquerai tout d’abord des faits qui se sont produits il y a plus de soixante-dix ans. Ils font partie de l’Histoire, de notre histoire : je pense à la grande grève des mineurs de 1948 à laquelle des milliers d’entre eux ont participé. Plusieurs centaines de syndicalistes, essentiellement issus du Nord et du Pas-de-Calais, ont alors été licenciés, condamnés à des amendes ou à des peines de prison, y compris ceux qui avaient été résistants à l’occupant nazi sept ans plus tôt. Voilà autant de vies brisées, d’hommes et de familles victimes d’une parodie de justice qui ne leur a laissé aucune chance de se défendre. Leur combat a duré plusieurs années. Ils ont finalement été réhabilités par Mme Taubira, lorsqu’elle était garde des sceaux. Parmi eux, je citerai Norbert Gilmez, syndicaliste de la CGT, qui a été victime d’une injustice profonde. Jusqu’à la fin de sa vie, il aura répété : « J’étais syndicaliste, pas délinquant. »

Mes chers collègues, voici résumée en une phrase notre proposition de loi : ils sont syndicalistes, pas délinquants.

Ils s’appellent Sébastien Menesplier et Mathieu Pineau de la fédération nationale des mines et de l’énergie de la CGT, Sophie Bournazel de l’entreprise People & Baby – je pourrais aussi citer trois autres salariés de cette entreprise –, Nicolas Constantin, délégué d’un entrepôt logistique du Pontet…

Ils sont syndicalistes chez VertBaudet : dans cette entreprise du Nord, quatre-vingts femmes payées au Smic ont décidé de se mettre en grève pour obtenir des augmentations. La direction a fait intervenir la force publique à de nombreuses reprises ; des salariées ont été blessées et certaines ont été envoyées à l’hôpital ; les plaintes en justice se sont succédé.

Des syndicalistes de la fédération du commerce, ayant donc pourtant toute légitimité pour intervenir dans ce conflit, ont été interpellés chez eux, au petit matin, devant leur famille. La répression s’est tellement généralisée qu’un syndicaliste, Mohammed, a été interpellé par de faux policiers, qui l’ont gazé, roué de coups, puis jeté d’une voiture en marche après lui avoir dérobé ses papiers. Dans le même temps, la direction continuait d’assigner ses salariées en justice : elle en a les moyens et le temps !

Je pourrais citer plusieurs centaines de syndicalistes victimes de procédures, de convocations, d’amendes, de mises en examen, de mesures disciplinaires.

Cette proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives vise à leur rendre justice, conformément à l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».

Or, aujourd’hui, nous assistons souvent à des actes relevant de l’acharnement, parfois individuel, à des arrestations arbitraires, qui conduisent à des procédures pénales.

Comme si la répression patronale ne suffisait plus à maintenir le système, le Gouvernement y ajoute, monsieur le garde des sceaux, la répression d’État en utilisant l’appareil judiciaire. La démocratie sociale et la liberté syndicale semblent un obstacle pour votre gouvernement.

Cette répression s’est d’ailleurs amplifiée avec la réforme des retraites où la violence des procédures arbitraires à l’encontre des syndicalistes a donné lieu à une tribune parue dans la presse au mois de juin dernier intitulée : « Pour les libertés syndicales contre toutes les entraves à l’engagement militant et citoyen ! » Celle-ci a été signée par plusieurs centaines de militants syndicaux, associatifs, de nombreux intellectuels, chercheurs, enseignants et universitaires.

Au-delà de la pression judiciaire opposée aux syndicalistes se pose aussi la question des entraves tout au long de la carrière : blocage de l’évolution professionnelle, perte de promotions et de revenus.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez fait l’amalgame entre les faits commis à l’occasion d’une mobilisation syndicale et les violences urbaines et les actes antisémites. Ce n’est pas acceptable ! Ces faits n’ont aucun rapport avec les manifestations syndicales ni avec ceux qui sont visés par notre proposition de loi – vous le savez d’ailleurs très bien. (M. le garde des sceaux sexclame.) Il ne s’agit pas, pour nous, de ne pas sanctionner les casseurs, les Black Blocs, qui ont durement attaqué les syndicalistes dans les manifestations.

Comme vous l’avez rappelé en préambule, l’amnistie ne signifie pas l’absence de sanctions judiciaires. Ce texte vise uniquement à annuler les sanctions commises lors de mouvements sociaux. (M. le garde des sceaux proteste.)

Votre condamnation de l’idée d’amnistie est étonnante, alors que vous-même, le 17 mai 2020, avez répondu à un journaliste d’Europe 1 : « J’aurais souhaité que le Président de la République renoue avec la tradition régalienne de la grâce présidentielle ou de la loi d’amnistie. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)