Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Monsieur le sénateur Patrick Chaize, je vous remercie d’avoir défendu cet amendement, qui me permet de rendre compte de l’action du Gouvernement quant au rôle joué par les réseaux sociaux au cours de la semaine tragique qui vient de s’écouler.

Tout d’abord, je partage le constat : les réseaux sociaux ont indéniablement joué un rôle dans l’amplification de la violence. Toutefois, les racines de cette violence, qui s’est propagée dans le pays, ne sont pas à chercher, à mon sens, dans lesdits réseaux.

Ces derniers ont contribué à amplifier la violence de deux façons.

La première est liée à l’existence de certaines fonctionnalités proposées par ces plateformes. Indépendamment du caractère licite ou illicite des messages postés, celles-ci ont facilité les regroupements et le développement de dynamiques émeutières.

La deuxième a trait à la diffusion d’images qui ont peut-être participé à la glorification ou à la banalisation des faits de violence.

Face à cette situation, dès les premières heures et les premiers jours, le Gouvernement a appelé les plateformes à prendre leurs responsabilités.

Ainsi, vendredi dernier, à la mi-journée, avec le ministre de l’intérieur, j’ai convoqué les quatre principales plateformes.

Il s’agissait tout d’abord de leur rappeler leurs obligations légales : celle de retirer les contenus illicites qui leur sont signalés par les autorités et celle de transmettre promptement les données demandées sur réquisition des autorités administrative et judiciaire afin d’identifier les détenteurs de comptes ou pour les besoins de l’enquête.

Nous leur avons aussi demandé d’aller un peu au-delà de leurs obligations légales et d’anticiper les termes du règlement DSA, que le présent projet de loi permet de mettre en œuvre dans notre pays. Il s’agit, par exemple, de la nécessité d’analyser et de corriger le risque systémique qu’elles font peser sur la sécurité publique.

Avant l’adoption du règlement sur les services numériques, les plateformes avaient pour seule responsabilité de retirer les contenus qui leur étaient signalés et de répondre aux réquisitions des autorités administratives et judiciaires. Désormais, en sus de ces obligations, assorties de sanctions plus lourdes, elles devront se montrer bien plus attentives à la manière dont leur fonctionnement, par viralité, a enclenché ou amplifié des dynamiques émeutières comme celles qui se sont produites cette semaine.

Avec les services du ministère de l’intérieur, j’ai convoqué aujourd’hui une nouvelle réunion pour dresser le bilan de la semaine, obtenir des chiffres et vérifier que les quatre principales plateformes ont bien répondu à leurs obligations.

Force est de constater qu’elles l’ont fait : plusieurs milliers de contenus illicites ont été retirés, plusieurs centaines de comptes ont été supprimés et les plateformes ont répondu à plusieurs dizaines de réquisitions.

Par ailleurs, elles ont toutes pris un certain nombre de mesures pour atténuer les effets amplificateurs de leurs paramètres de fonctionnement sur la violence via la viralité.

Si je comprends l’objet de cet amendement, je ne peux, comme je l’ai indiqué lors de nos échanges avec son auteur, qu’y être défavorable en raison d’un risque très élevé d’inconstitutionnalité du dispositif proposé.

À la suite de la saisine du Conseil constitutionnel par les sénateurs, la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia, a été partiellement censurée, notamment les dispositions prévoyant l’obligation de retrait des contenus illicites en vingt-quatre heures pour les hébergeurs et les éditeurs de contenus en raison de leur caractère haineux, dont le non-respect était pénalement sanctionné.

En l’espèce, il s’agit non pas de vingt-quatre heures, mais de deux heures, soit un délai bien plus court.

La loi Avia a été partiellement censurée par le Conseil constitutionnel, à juste titre, car les hébergeurs auraient dû retirer très rapidement les contenus signalés pour éviter des peines d’emprisonnement et des amendes se chiffrant en centaines de millions d’euros sans pouvoir vérifier si lesdits contenus étaient véritablement illicites.

À mon sens, cet argument s’entend parfaitement, même s’il faut être très exigeant à l’égard des hébergeurs ou des plateformes.

Le règlement sur les services numériques prévoit d’ailleurs des sanctions allant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial et au bannissement de l’Union européenne en cas de manquements répétés. Ce sont des sanctions lourdes.

Il faut leur imposer de prendre leurs responsabilités, sans toutefois les conduire à ne pas respecter la liberté d’expression. Nous n’avons pas encore tout à fait trouvé les bonnes formules.

J’y insiste, je comprends l’intention de M. Chaize. Aussi me semble-t-il important de trouver, de la façon la plus constructive, structurée et préparée possible, un moyen permettant aux plateformes de mettre en place, dans des moments comme ceux que nous venons de vivre, dès la première heure, les mesures nécessaires pour éviter ces phénomènes de viralité ou de géolocalisation qui ont indéniablement facilité les dynamiques émeutières de cette semaine.

Engageons cette réflexion à la faveur de la navette parlementaire. Le Président de la République vient d’appeler à ne pas prendre à chaud des mesures trop dures que l’on pourrait regretter par la suite.

Monsieur le sénateur, je vous propose d’engager cette réflexion ensemble, mais aussi avec le ministre de la justice ou son représentant et avec les rapporteurs de l’Assemblée nationale, pour trouver la rédaction qui nous conviendra d’ici au mois de septembre et faire en sorte qu’elle soit adoptée à l’Assemblée nationale, ce dont je me porte garant.

Je vous propose de nous réunir dès la semaine prochaine, une fois que les rapporteurs de l’Assemblée nationale auront été désignés, pour commencer à travailler sur ce sujet. Je vous saurais gré de bien vouloir accepter cette proposition.

Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement, afin d’engager le travail sur des bases sereines ; à défaut, il y sera défavorable. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. Quel est maintenant l’avis de la commission spéciale ?

M. Loïc Hervé, rapporteur. Si j’ai bien compris, Patrick Chaize souhaitait profiter du périmètre de ce projet de loi pour débattre de ce qui se passe dans le pays depuis une semaine et éclairer ainsi le vote du Sénat.

M. le ministre vient de proposer la mise en place d’un groupe de travail, proposition qui me semble très honnête et à laquelle je souscrirais bien volontiers si cela ne tenait qu’à moi. En effet, l’objectif est non pas le vote de ce soir, mais le vote de la loi et sa promulgation après l’examen du Conseil constitutionnel.

Il s’agit donc de parvenir à une rédaction suffisamment consensuelle pour passer les différentes étapes de la navette parlementaire et éviter, in fine, qu’elle ne soit censurée par le Conseil constitutionnel avant son inscription dans la loi commune.

Dans ce cas, nous avons intérêt à nous mettre autour d’une table pour trouver la rédaction la plus fluide et la plus équilibrée entre la réponse aux impérieuses nécessités du moment et la garantie des libertés publiques.

Mme le président. La parole est à Mme la présidente de la commission spéciale.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission spéciale. Je voudrais attirer l’attention du Sénat sur nos travaux antérieurs.

J’ai eu l’honneur de rapporter la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information avec Christophe-André Frassa et la loi Avia.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le Conseil constitutionnel, saisi par les sénateurs, avait censuré les dispositions de ce dernier texte qui visaient au retrait des contenus dans les vingt-quatre heures.

Si nous votions ce dispositif, qui accorde seulement deux heures pour retirer le contenu contestable, signalé comme étant illicite, nous serions en contradiction avec ce que le Sénat a voté de manière constante.

M. Ludovic Haye. Très juste !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission spéciale. Lors de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre la manipulation de l’information, plusieurs groupes avaient déposé une motion tendant à opposer la question préalable pour ces mêmes raisons, et nous n’avions même pas discuté du texte.

Je comprends parfaitement l’objet de cet amendement. Monsieur le ministre, je me tourne vers vous pour évoquer la nécessaire réflexion à mener sur le rôle des plateformes dans la diffusion de tels contenus.

Le DSA va être mis en œuvre ; si le dispositif ne fonctionne pas bien, il faudra revoir notre copie et nous montrer intraitables.

Je le redis devant ma collègue Florence Blatrix Contat, que je prends à témoin : les plateformes doivent absolument être redevables et responsables de ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Leurs algorithmes amplifient les contenus, parce qu’elles sont plus à la recherche du profit qu’à celle de la sécurité.

Selon des articles publiés ces derniers jours, l’utilisation de bots depuis l’étranger par certaines plateformes comme TikTok a fait monter en puissance ces contenus et contribué à diffuser toujours davantage ces images répréhensibles qui ont conforté les émeutiers dans leur action.

La responsabilité de ces plateformes est un vrai sujet, comme le sera sans doute, à l’avenir, celui d’un véritable statut.

Nous devons être intraitables dans l’application du DSA, comme l’a déclaré Thierry Breton à Elon Musk.

Encore une fois, j’attire votre attention sur le risque de nous retrouver en contradiction avec nos votes constants, ce que le Conseil constitutionnel ne manquera pas de remarquer.

Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Mes chers collègues, je partage tout à fait le constat dressé sur le rôle des réseaux sociaux. Je m’associe également à vos marques de soutien et aux élus et aux forces de police.

Toutefois, je dois rappeler, comme l’ont fait M. le ministre et Mme la présidente Morin-Desailly, que vous aviez déféré au Conseil constitutionnel la loi Avia avec un argumentaire très clair.

Je me permets de lire la décision du Conseil, qui reprend ce que vous aviez écrit : « […] l’atteinte portée à la liberté d’expression et de communication serait disproportionnée en raison de l’absence de garanties suffisantes. En outre, ils soutiennent que ces dispositions imposeraient à l’ensemble des éditeurs et hébergeurs des sujétions impossibles à satisfaire et méconnaîtraient, ce faisant, le principe d’égalité devant les charges publiques. »

Le Conseil constitutionnel vous a donné entièrement raison et a censuré en quasi-totalité la loi Avia.

Par conséquent, pour rédiger un amendement efficace, il faudrait repartir de la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-801 DC du 18 juin 2020,…

M. Loïc Hervé, rapporteur. Absolument !

M. Pierre Ouzoulias. … fondée sur une jurisprudence très précise relative à ce qu’il est possible de faire ou pas, dont vous vous êtes manifestement écarté.

Pour cette raison, à l’instar de ma collègue, je pense que le Conseil constitutionnel censurerait ce texte si votre amendement était adopté, de la même façon qu’il a censuré la loi Avia.

Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.

M. Thomas Dossus. Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, les plateformes ont joué un rôle effrayant dans la propagation de ces émeutes : partout, la violence a flambé et les pillages – inacceptables – se sont multipliés.

Voilà moins d’une semaine, alors que j’interrogeais ici même le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin sur la loi de 2017 relative à la sécurité publique, dite loi Cazeneuve, celui-ci m’accusait de vouloir légiférer à chaud, ce qui était dangereux selon lui. Or, moins de six jours plus tard, est déposé un amendement écrit à chaud, et plutôt mal écrit – le dispositif proposé aurait en effet bien du mal à survivre à la navette comme à la censure du Conseil constitutionnel.

Je partage les propos de M. le rapporteur : le champ d’application de la peine de bannissement a été élargi en commission, ce qui me semble déjà une bonne étape. Le risque de censure est assez important.

Je voudrais aussi rappeler que la vérité – ou une partie de cette vérité – sur les circonstances du drame de Nanterre a été révélée par une vidéo mise en ligne sur les réseaux sociaux qui s’est propagée et qui a été diffusée massivement, ce qui a permis de voir une version des faits qui ne correspondait pas à celle traditionnellement déclarée par la police.

Comment aurait-on pu empêcher que cette vidéo soit considérée comme ayant incité à l’émeute, et qu’elle soit donc retirée, comme le prévoyait à l’époque la loi pour une sécurité globale préservant les libertés ? (M. Patrick Chaize manifeste son désaccord.)

Ce type d’amendement m’inquiète, au même titre que les mots du Président de la République qui propose de couper les réseaux sociaux, comme cela se pratique dans des régimes autoritaires, sinon moins démocrates que le nôtre.

Mme le président. La parole est à M. Didier Mandelli, pour explication de vote.

M. Didier Mandelli. J’ai bien écouté les arguments de M. le rapporteur, de la présidente de la commission spéciale et de M. le ministre.

Dans le passé, nous avons eu ce genre de discussions, à l’occasion de la loi Avia et de la loi d’orientation des mobilités (LOM).

Lors de l’examen de ce dernier texte, nous avions voté un amendement, qui avait été travaillé avec Françoise Gatel, rapporteur pour avis de la commission des lois, alors que j’étais le rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qui visait à inscrire dans la loi la suppression des publications d’une communauté sur le réseau social Coyote ou un autre réseau assimilé pendant deux heures, afin d’éviter qu’une personne en fuite et ayant commis un acte criminel soit informée de la présence des forces de l’ordre sur son parcours. Nous nous étions inspirés d’un précédent : en Bretagne, un criminel avait profité de ces publications pour commettre d’autres exactions.

Or cette disposition n’avait pas été censurée par le Conseil constitutionnel.

Monsieur le ministre, j’ai entendu votre appel à la discussion et à l’échange afin de bâtir quelque chose de cohérent ; la navette parlementaire devrait permettre d’y parvenir dans de bonnes conditions.

J’invite et j’encourage mon éminent collègue Patrick Chaize à maintenir cet amendement, que je voterai, non seulement en tant que cosignataire, mais aussi parce que les arguments avancés ne m’ont pas convaincu à 100 %.

Il me semble que nous pouvons aller au-delà de ce qui est aujourd’hui proposé par le Gouvernement.

Mme le président. La parole est à M. Cédric Vial, pour explication de vote.

M. Cédric Vial. Monsieur le ministre, j’irai dans le même sens que mon collègue Mandelli.

Nous sommes tous d’accord sur l’intention, ce qui est déjà une bonne chose. L’objet de cet amendement semble réunir un quasi-consensus, modulo peut-être l’appréciation de M. Dossus.

Nous sommes également tous d’accord pour reconnaître que la rédaction de cet amendement pourrait être améliorée. Dont acte !

Néanmoins, j’ai cosigné cet amendement et je souhaite que mon collègue Patrick Chaize le maintienne, car la navette parlementaire permettra d’en modifier les dispositions.

Monsieur le ministre, vous n’y êtes peut-être pas pour grand-chose, mais la crédibilité du Gouvernement est complètement émoussée lorsqu’il nous assure que le travail sera fait, mais plus tard ! Vos collègues Bruno Le Maire, Gabriel Attal ou Stanislas Guerini ont épuisé la confiance des sénateurs.

Par conséquent, nous préférons adopter cet amendement, quitte à le modifier au cours de la navette, plutôt que de se laisser bercer par la promesse d’un travail soi-disant transpartisan à venir. (Très bien ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. Mes chers collègues, à la demande de M. le ministre, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-trois heures cinq.)

Mme le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Patrick Chaize, pour explication de vote.

M. Patrick Chaize. Il a beaucoup été fait état de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia.

Or, pour la rédaction du présent amendement, ma philosophie a été inspirée en réalité par les dispositions de la LOM visant à lutter contre des applications de type Coyote, qui prévoient non pas un délai de deux heures, mais un effet immédiat. Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible dans le cadre de ce texte !

Par ailleurs, ce matin même, le Président de la République a proposé de bloquer les réseaux sociaux ; cela va bien plus loin que le simple retrait de contenus qui est prévu dans mon amendement…

Enfin, je souligne que cet amendement a été signé par nombre de nos collègues, ce qui atteste de son intérêt.

Néanmoins, monsieur le ministre, j’ai entendu votre proposition. Vous l’aurez compris, en demandant le retrait de mon amendement, vous me mettez en grande difficulté vis-à-vis de mes collègues. Néanmoins, je veux bien passer outre et le retirer, à condition que soient organisées les réunions de travail que vous avez évoquées.

Je vous demanderai donc de nous soumettre, dès demain, une date pour l’engagement de ces travaux, auxquels les dispositions de cet amendement, qui ont le mérite d’être d’ores et déjà construites, serviraient de base.

J’ai conscience que ledit amendement, qui a été rédigé dans l’urgence, est imparfait et perfectible. Mais, je le répète, ses dispositions me semblent constituer une base de travail légitime.

Je retire donc mon amendement, madame la présidente.

Mme le président. L’amendement n° 122 rectifié quater est retiré.

M. Cédric Vial. Je le reprends, madame la présidente ! (Exclamations.)

Mme Laurence Rossignol. Cela devait arriver !

Mme le président. C’est impossible, mon cher collègue : vous ne pouvez reprendre un amendement dont vous êtes cosignataire.

Mme Sophie Primas. Monsieur le ministre, vous pourriez répondre à M. Chaize !

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Monsieur le sénateur, je vous proposerai une date dès demain, pour que nous puissions travailler ensemble.

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. En prenant un peu de distance avec les événements que nous connaissons depuis une semaine, vous constaterez qu’il nous faudra apporter des réponses qu’il est très difficile, comme l’a dit le Président de la République, de trouver à chaud.

Nous sommes ici rassemblés pour légiférer sur l’espace numérique et avons devant nous encore quelques heures de débat, puis une navette parlementaire.

L’examen du texte à l’Assemblée nationale sera l’occasion de porter une disposition nouvelle, et la commission mixte paritaire mettra tout le monde d’accord. Nous espérons, bien sûr, comme l’a justement rappelé le rapporteur, que l’ensemble du texte sera validé, ensuite, par le Conseil constitutionnel.

Saisissons-nous de ce sujet : sur la base de la rédaction proposée par Patrick Chaize, construisons ensemble, notamment avec les rapporteurs des deux assemblées, un dispositif qui pourra être adopté à l’Assemblée nationale.

Nous parviendrons ainsi à un dispositif équilibré et solide, qui nous permettra, après que nous aurons identifié les points à régler et tiré les leçons de la semaine écoulée, de disposer des outils nécessaires pour prévenir à l’avenir ce type d’événements.

Discussion d'article après l'article 4 - Amendement n° 122 rectifié quater
Dossier législatif : projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique
Discussion d'article après l'article 5 - Amendement n° 106

Article 5

Le code pénal est ainsi modifié :

1° L’article 131-35-1 est ainsi rétabli :

« Art. 131-35-1. – I. – Pour les délits mentionnés au II du présent article, le tribunal peut ordonner à titre complémentaire la suspension du ou des comptes d’accès à un ou plusieurs services en ligne ayant été utilisés pour commettre l’infraction, y compris si ces services n’ont pas constitué le moyen unique ou principal de cette commission. Le présent alinéa s’applique aux comptes d’accès aux services de plateforme en ligne définis au 4° du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique, aux services de réseaux sociaux en ligne et aux services de plateformes de partage de vidéo au sens du règlement 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828.

« La suspension est prononcée pour une durée maximale de 6 mois ; cette durée est portée à un an lorsque la personne est en état de récidive légale.

« Le prononcé de la peine complémentaire mentionnée au premier alinéa et la dénomination du compte d’accès ayant été utilisé pour commettre l’infraction est signifié aux fournisseurs de services concernés. À compter de cette signification et pour la durée d’exécution de la peine complémentaire, ils procèdent au blocage du ou des comptes précités et mettent en œuvre, dans les limites prévues par l’article 46 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, des mesures permettant de procéder au blocage des autres comptes d’accès à leur service éventuellement détenus par la personne condamnée et d’empêcher la création de nouveaux comptes par la même personne.

« Le fait, pour le fournisseur, de ne pas procéder au blocage du ou des comptes visés par la peine complémentaire est puni de 75 000 euros d’amende.

« Pour l’exécution de la peine complémentaire mentionnée au premier alinéa et par dérogation au troisième alinéa de l’article 702-1 du code de procédure pénale, la première demande de relèvement de cette peine peut être portée par la personne condamnée devant la juridiction compétente à l’issue d’un délai de trois mois après la décision initiale de condamnation.

« II. – Les délits pour lesquels cette peine complémentaire est encourue sont :

« 1° Les délits prévus aux articles 222-33, 222-33-1-1, 222-33-2, 222-33-2-1, 222-33-2-2, 222-33-2-3 et au deuxième alinéa de l’article 222-33-3 ;

« 2° Les délits prévus aux articles 225-4-13, 225-5, 225-6 et 225-10 ;

« 3° Les délits prévus aux articles 226-1 à 226-3, 226-4-1 et 226-8 ;

« 4° Les délits prévus aux articles 227-4-2 et 227-22 à 227-24 ;

« 5° Les délits prévus aux articles 223-1-1, 226-10, 226-21, 226-22, 413-13 et 413-14 ;

« 6° Les délits prévus aux articles 312-10 à 312-12 ;

« 7° Les délits de provocation prévus aux articles 211-2, 223-13, 227-18 à 227-21, 412-8 et 431-6 ;

« 8° Le délit prévu à l’article 421-2-5 ;

« 9° Les délits prévus aux articles 431-1, 433-3 et 433-3-1 ;

« 10° Les délits prévus aux cinquième, septième et huitième alinéas de l’article 24 et à l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. » ;

2° (nouveau) L’article 131-6 est ainsi modifié :

a) Après le 12°, il est inséré un 12° bis ainsi rédigé :

« 12° bis L’interdiction, pour une durée de trois ans au plus, d’accéder à un ou plusieurs services de plateforme en ligne définis au 4° du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique, services de réseaux sociaux en ligne et services de plateformes de partage de vidéo au sens du règlement 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 ; les dispositions du présent alinéa s’appliquent lorsque l’infraction a été commise en recourant à un service en ligne, y compris si celui-ci n’a pas été le moyen unique ou principal de cette commission ; »

b) Au dernier alinéa, après la référence : « 12° », est insérée la référence : « , 12° bis » ;

3° (nouveau) Après le 13° de l’article 132-45, il est inséré un 13° bis ainsi rédigé :

« 13° bis Lorsque l’infraction a été commise en recourant à un service en ligne, y compris si celui-ci n’a pas été le moyen unique ou principal de cette commission, s’abstenir d’accéder à certains services désignés par la juridiction ; les dispositions du présent alinéa sont applicables aux services de plateforme en ligne tels que définis au 4° du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique, aux services de réseaux sociaux en ligne et aux services de plateformes de partage de vidéo au sens du règlement 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 ; ».

II (nouveau). – Après le 9° de l’article 41-2 du code de procédure pénale, il est inséré un 9° bis ainsi rédigé :

« 9° bis Ne pas accéder, pour une durée qui ne saurait excéder six mois, à un ou des services de plateforme en ligne définis au 4° du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique, services de réseaux sociaux en ligne et services de plateformes de partage de vidéo au sens du règlement 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 ; ».

Mme le président. L’amendement n° 68 rectifié bis, présenté par M. Fialaire, Mme N. Delattre, MM. Bilhac, Corbisez, Gold et Guérini, Mme Guillotin, M. Guiol, Mme Pantel et MM. Requier, Roux et Cabanel, est ainsi libellé :

Alinéa 3, première phrase

Après les mots :

ayant été utilisés

insérer les mots :

, ou non,

La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. L’article 5 du projet de loi confère au juge la capacité de prononcer une peine complémentaire de suspension du ou des comptes d’accès à un ou plusieurs services en ligne ayant été utilisés pour commettre l’infraction.

Or la suppression desdits comptes n’empêchera pas l’utilisateur délinquant de se déporter vers d’autres plateformes, afin de poursuivre ses agissements délictueux.

Cet amendement vise donc à permettre au juge d’ordonner la suppression de tous les comptes d’accès à un ou plusieurs services en ligne existants ou nouvellement créés, qu’ils aient été utilisés ou non pour commettre l’infraction, dès lors que les conditions techniques et juridiques sont garanties.

J’entends bien qu’un tel élargissement doit être entouré de garanties, afin de répondre au principe constitutionnel de proportionnalité des peines, également appelé principe de nécessité des peines, et conforme à la protection de la liberté d’expression et de communication.

C’est pourquoi, premièrement, le prononcé de cette peine complémentaire revêt un caractère facultatif laissé à l’appréciation du juge ; deuxièmement, le juge doit être en mesure d’affirmer que le délinquant sera susceptible de poursuivre ces délits sur d’autres plateformes, notamment à l’aune de ses agissements passés ; troisièmement, cette peine complémentaire est encourue seulement en cas de condamnation pour des infractions graves commises au moyen d’un service de plateforme en ligne.

Enfin, s’agissant des sanctions restreignant la liberté d’expression, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé, dans l’arrêt Affaire Mouvement raëlien suisse c. Suisse du 13 juillet 2012, que l’interdiction d’accès à un média pouvait être considérée comme justifiée et proportionnée, notamment dès lors qu’il existe des possibilités de diffusion des idées par le biais d’autres médias et canaux.