M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Christian Bilhac. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte qui nous arrive de l’Assemblée nationale vise à répondre à la dégradation des conditions de travail des marins embarqués sur les ferries des liaisons maritimes transmanche et, dans un même élan, de limiter la concurrence déloyale exercée par les armateurs étrangers.

Il oppose aux compagnies qui ne respecteraient pas les dispositions votées un double régime de sanctions, à la fois pénales et administratives, en s’appuyant sur un outil méconnu du droit européen : la loi de police.

Les gens de mer connaissent des conditions de travail et de rémunération très différentes selon le droit en vigueur du pavillon dont relève le navire sur lequel ils naviguent ou encore suivant le pays choisi en référence dans le contrat de travail signé avec la compagnie qui les emploie. Le droit du travail en la matière se limite à une simple recommandation de l’Organisation internationale du travail (OIT) de fixer à 658 dollars américains le salaire minimum mensuel pour les marins.

Ainsi, la flotte sous pavillon français est confrontée à la concurrence déloyale des compagnies maritimes sous pavillon de complaisance.

En 2021, l’arrivée de la compagnie Irish Ferries sur le marché a provoqué un séisme. Battant pavillon chypriote, elle a embauché des personnels à moindre coût. Ses concurrents se sont alignés et, en 2022, la société P&O Ferries, passée elle aussi sous pavillon chypriote, a licencié 786 salariés pour recruter des marins essentiellement philippins, à des conditions sociales tirées vers le bas, entraînant tout le secteur : salaires inférieurs de 60 % aux salaires français, coûts de production inférieurs de 35 % à ceux des bateaux français, durée d’embarquement très supérieure à la durée du repos.

Pour les navires sous pavillon d’un État membre de l’Union européenne, le droit européen donne aux États membres la possibilité de voter des lois de police valables quelles que soient les lois nationales applicables au contrat de travail individuel. L’État côtier peut alors refuser au bateau ne respectant pas cette loi de police l’accès à ses eaux.

Cette dérogation aux règles de la libre prestation de services est ainsi énoncée : « Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat ».

Aussi, la proposition de loi prévoit le versement d’un salaire minimum horaire de branche, applicable en France, ainsi qu’une parité entre temps de repos à terre et durée d’embarquement.

Saisie sur le fond, la commission des affaires sociales a limité les risques qu’une juridiction considère les sanctions prévues non conformes au droit de l’Union européenne. Quant à la commission des affaires économiques, son avis est favorable, malgré quelques réserves mineures.

Un décret en Conseil d’État devra préciser quelles lignes internationales seront concernées par la loi. Il devra, en tout état de cause, entrer en vigueur avant janvier 2024, date à laquelle une loi britannique similaire entrera en application.

La peine d’interdiction d’accoster dans un port français pour tous les navires de la flotte d’une compagnie, en cas de troisième infraction constatée, a été supprimée en commission. Il est vrai qu’elle était manifestement disproportionnée. On connaît les pratiques des armateurs en matière de volatilité des pavillons de leurs navires…

Je m’interroge aussi sur le caractère suffisamment dissuasif du montant des amendes prévues.

Enfin, le groupe du RDSE propose de réintroduire les articles 1er bis et 1er ter sur le dispositif de l’État d’accueil ; nous espérons que nous serons suivis. Le doublement des sanctions pénales et la création de sanctions administratives permettront de réprimer les manquements en matière de droit du travail maritime, de droit social, mais aussi les actions mettant en péril la sécurité maritime.

Si le texte ne visait initialement que le transmanche, les travaux de l’Assemblée nationale avaient permis d’étendre son champ d’application, afin de renforcer nos moyens de lutte et d’action contre tous ceux qui viennent fausser le jeu de la concurrence sur le dos des marins. Ce texte doit nous permettre de refuser des pratiques déloyales partout dans les eaux françaises et de préserver le pavillon français, très respectueux des droits sociaux.

C’est dans cet esprit que le groupe du RDSE votera ce texte, protecteur du bien-être des gens de mer. (M. Jean-Claude Requier et Mme Colette Mélot applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la Manche est une mer hyperfréquentée, près de 17 millions de voyageurs embarquant ou débarquant de France.

Le Brexit a ravivé cette frontière naturelle de la France. Il a aussi souligné l’importance d’une coordination européenne dans la gestion des flux, des marchandises et des personnes qui la traversent.

Or, depuis près de deux années, rien ne va plus. Un dumping social s’installe à nos portes, déstabilisant un secteur générateur d’emplois de chaque côté de la Manche.

L’exemple le plus frappant aura été le licenciement, par surprise et à distance, de près de 800 marins par la compagnie P&O Ferries le 17 mars 2022. L’armateur britannique les a remplacés par des marins extraeuropéens, à moindre coût, par souci de rentabilité.

Aujourd’hui, le droit international ne prévoit aucune obligation en matière salariale. L’Organisation internationale du travail n’a émis qu’une recommandation pour que le salaire minimum mensuel des marins soit fixé à 658 dollars américains.

Cependant, les navires battant pavillon français sont tenus, eux, de respecter le droit du travail français, sous réserve des adaptations prévues par le code des transports pour les gens de mer.

Selon Armateurs de France, les compagnies P&O Ferries et Irish Ferries utilisent un modèle social moins-disant, en faisant appel à des sociétés de placement de gens de mer pour leurs navires sous pavillon chypriote et en employant un personnel très faiblement rémunéré. On estime que la différence entre armateurs français et britanniques en matière de charges salariales peut aller jusqu’à 80 %.

Les écarts du coût du transport de passagers entre les navires sous pavillons français et les navires sous pavillon chypriote s’établissent à 35 %, selon l’excellent travail de notre rapporteur, Catherine Procaccia.

La situation actuelle est inacceptable. Cette concurrence déloyale suscite des inquiétudes chez nos armateurs, notamment au sein de la Brittany Ferries, actrice incontournable des liaisons transmanche, qui ne peut rivaliser avec ces conditions d’emplois.

Le trafic transmanche est une préoccupation majeure pour le département de la Seine-Maritime, qui a investi massivement pour assurer la liaison entre la France et le Royaume-Uni. Le département a largement soutenu la ligne transmanche Dieppe-Newhaven, cordon ombilical majeur avec la Grande-Bretagne.

Depuis le 1er janvier 2018, son exploitation a été déléguée à DFDS par le Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche (SMPAT), dont le département est le principal financeur.

Mais l’équilibre financier précaire a été fragilisé par la crise sanitaire. Pour faire face aux difficultés rencontrées par les lignes transmanche lors de la crise du covid-19, auxquelles s’ajoutent les problématiques du dumping social, il a notamment été décidé de rembourser l’intégralité des cotisations salariales aux compagnies de ferries battant pavillon français exerçant sur des lignes internationales.

Le 1er janvier 2023, la délégation de service public (DSP) en Seine-Maritime a été renouvelée et réattribuée à DFDS. Malheureusement, la gestion en DSP de la ligne Dieppe-Newhaven l’exclut de ces aides dites net wage, pourtant prolongées de trois années supplémentaires lors du Fontenoy du maritime du 18 mars 2021.

Je regrette que ce sujet d’importance ne soit pas abordé dans cette proposition de loi, tant cette différence de traitement peut être préjudiciable pour les futurs choix de gestion publique, notamment pour le département de la Seine-Maritime.

Préserver les emplois français, protéger nos marins, assurer un haut niveau de sécurité pour les passagers, les équipages et le trafic : telle est notre boussole.

La Manche est un espace vital pour la France. Tout ce qui s’y passe l’intéresse, tant cela peut influencer sa stabilité, sa sécurité et sa tranquillité.

Je félicite la commission des affaires sociales, notamment sa rapporteure Catherine Procaccia, pour son excellent travail de précision afin que le personnel embarqué sur les navires de passagers soit rémunéré au niveau du salaire minimum français et qu’il bénéficie d’un temps de repos acceptable.

La volonté de sécurisation d’un dispositif de stricte proportionnalité des sanctions prévues en cas de manquement aux obligations est aussi la bienvenue, même si le champ d’application reste en débat et constitue un véritable enjeu.

C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi, qui vise à rétablir la justice pour nos marins, lesquels méritent de gagner honnêtement leur vie pour un travail bien fait. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, 800 personnes licenciées sans préavis et autant de familles mises en difficulté : telles peuvent être les conséquences du dumping social.

En mars 2022, P&O Ferries annonçait licencier 786 marins britanniques pour les remplacer par des marins extracommunautaires afin de réduire les coûts liés à leur masse salariale.

En matière de transport maritime de passagers entre deux pays, le droit applicable est régi par le droit international et le droit européen, qui permettent tous deux la pratique du dumping social. Les armateurs ont en effet la liberté de choisir le pavillon de leur navire, à condition de respecter les règles établies par l’État du pavillon choisi.

Le droit du travail applicable aux employés du navire étant laissé au libre choix des parties, il peut s’agir du droit de n’importe quel État, dans la mesure où les conditions de l’État du pavillon l’autorisent.

Il est donc fort tentant, pour les compagnies maritimes qui souhaiteraient diminuer leurs charges et proposer ainsi des tarifs compétitifs, de choisir leur pavillon et le droit social applicable dans un État proposant une réglementation peu avantageuse pour les salariés. Certaines compagnies opérant des liaisons transmanche ne se privent d’ailleurs pas de cette opportunité, et trois des cinq compagnies concernées ont choisi d’établir leur pavillon à Chypre ou aux Bahamas.

Les victimes du dumping social sont évidemment les salariés évincés des pays dont les ports sont exploités par ces compagnies, mais aussi les salariés employés sur ces navires, dont les conditions de travail sont bien souvent largement contestables, la rémunération très faible et les durées d’embarquement bien supérieures aux temps de repos.

En conséquence, les risques pour la sécurité sont majeurs, qui plus dans l’une des zones les plus fréquentées d’Europe, où l’on compte plus de 130 passages par jour.

Cette concurrence, bien que légale, impose à la France de se doter d’outils de façon à lutter contre ce phénomène. Tel est justement l’objectif de cette proposition de loi, qui prévoit de recourir à une loi de police, seul outil pouvant permettre à la France d’imposer certaines règles en matière de droit du travail applicable aux gens de mer travaillant sur un navire dont le pavillon est étranger.

Les dispositions d’une loi de police, dont le mécanisme a été expliqué par la rapporteure, doivent être proportionnées à l’objectif poursuivi, qu’il nous faudra garder à l’esprit durant l’examen du texte, le but n’étant pas que cette loi finisse par être censurée, car elle ne serait pas conforme au droit de l’Union européenne…

Cette proposition de loi impose plusieurs obligations aux employeurs, dépassant ainsi la loi du pays initialement choisi pour régir ses contrats de travail.

Ainsi, elle prévoit le versement au personnel de bord du salaire minimum de branche applicable en France, mais aussi l’obligation de respecter une durée de repos à terre pour les salariés au moins équivalente à leur durée d’embarquement. Elle instaure un régime de sanctions pénales et administratives en cas de manquement à ces obligations.

Le texte prévoit par ailleurs des sanctions pour l’armateur ou le capitaine d’un navire battant pavillon français qui accepterait à son bord du personnel présentant un certificat médical d’aptitude établi à l’étranger non valide. Nous saluons l’extension en commission de cette mesure, initialement prévue pour les marins, à l’ensemble des gens de mer.

Dans sa version transmise par l’Assemblée nationale, le texte comportait également deux autres articles qui s’inscrivaient dans le cadre du dispositif de l’État d’accueil, dont relèvent les lignes reliant la France continentale et la Corse, mais pas uniquement. Demain, ce dispositif concernera même davantage de façades maritimes, du fait du développement des parcs éoliens en mer.

Ces articles prévoyaient d’aggraver les sanctions pénales existantes en cas de non-respect du salaire minimum, mais aussi de créer des sanctions administratives dans le cadre de ce même dispositif. Ils ont tous deux été supprimés en commission.

Nous entendons les arguments ayant conduit à leur suppression, à savoir, notamment, qu’ils ne concernaient pas le transmanche, objet initial du texte, et qu’il serait d’abord préférable de renforcer les moyens de contrôle. C’est vrai, mais voter des sanctions plus lourdes n’empêcherait nullement de renforcer les moyens de contrôle. En outre, étendre l’objet d’un texte au-delà de sa portée initiale n’a rien d’inédit.

Madame la rapporteure, comme vous l’avez vous-même souligné en commission, cette proposition de loi traite un sujet rarement abordé par celle-ci. Qui sait quand nous aurons l’occasion d’y revenir ?

Dès lors, pourquoi ne pas se saisir de cette proposition de loi pour s’attaquer, au-delà du dumping qui touche le transmanche, à celui qui affecte plus largement notre pays ?

Notre groupe approuve l’état d’esprit de ce texte. (MM. Bernard Buis et Yves Détraigne applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la décision de la compagnie maritime P&O Ferries de procéder, en mars 2022, au licenciement de 786 marins britanniques pour les remplacer par des salariés venant de pays à bas coût de main-d’œuvre a provoqué un avis de tempête sur le transmanche.

Celui-ci, depuis quelques années, n’en est pas à son premier coup de tabac. La fin du duty free l’avait obligé à revoir son modèle économique. L’entrée en service du tunnel sous la Manche, en 1994, l’avait fait douter de sa pertinence. Les dispositions de la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (Marpol) sur la teneur en soufre du fuel-oil utilisé à bord des navires, puis la nécessaire réduction des émissions de CO2, l’ont obligé à revoir la motorisation des navires. Le risque terroriste et le covid-19 ont conduit à canaliser et à sécuriser les flux de passagers et de marchandises. Enfin, le Brexit a complètement reconfiguré les échanges entre le continent, le Royaume-Uni et l’Irlande.

Touchées mais pas coulées, les compagnies transmanche, dont Brittany Ferries, ont su faire face aux aléas, se maintenir à flot et repartir.

Le coup de force de P&O Ferries, qui a utilisé l’arme du dumping social, s’apparente à un acte de piraterie contre le modèle que nous souhaitons construire en Europe.

On le sait, la libre concurrence peut être faussée, d’une part, par le dumping social et, d’autre part, par le dumping environnemental.

Concernant ce dernier, on ne peut que se féliciter des avancées faites par l’Europe, notamment via l’instauration d’une taxe carbone aux frontières de l’Union afin de rétablir, pour certains produits, un équilibre environnemental dans les échanges.

Cette proposition de loi visant à lutter contre le dumping social est un premier point d’ancrage, certes très limité, mais elle est aussi un marqueur et traduit la volonté politique française de promouvoir et de préserver un modèle européen respectueux de son modèle social, qui, au-delà des tenants de l’ultralibéralisme, apporte une protection statutaire aux salariés.

En effet, ne l’oublions pas, la directive sur les travailleurs détachés avait oublié les gens de mer, et l’Europe a, jusque-là, marqué son impuissance face à certains États ayant cédé leur pavillon national dérégulé à des armateurs sans scrupules.

En réglementant les droits des salariés, notamment le temps de repos, cette proposition de loi apporte aussi une garantie sur le plan de la sécurité maritime.

De fait, comme cela a été mentionné, la mer de la Manche est la plus fréquentée du monde. Plus de 350 navires de fort tonnage, souvent chargés de matières dangereuses, circulent chaque jour dans les sens montant et descendant de cette véritable autoroute maritime. Ce flux est cisaillé par les milliers de liaisons annuelles des opérateurs maritimes transmanche.

Enfin, cette mer se caractérise par des flux qui résultent des usages multiples de la mer, issus des activités de pêche ou de plaisance, d’extractions de granulats, de pose de câbles sous-marins ou encore d’implantation de champs d’éoliennes offshore. Cette mer est dangereuse à en juger par les 3 400 interventions annuelles de la préfecture maritime.

C’est donc aussi au regard de la sécurité maritime qu’il convient d’examiner ce texte, que les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, dans leur ensemble, voteront, en veillant à ce qu’un élargissement de son périmètre ne le rende pas caduc ou ne retarde son application, car il y a urgence à agir en mer de Manche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Didier Mandelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est toujours difficile d’intervenir en fin de discussion générale, l’essentiel ayant été dit par les orateurs précédents.

Je vais toutefois tâcher de vous présenter ma position ainsi que celle de mon groupe, laquelle a d’ores et déjà été exprimée par Agnès Canayer.

En ma qualité de président du groupe d’études Mer et littoral et de rapporteur de la récente loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, qui a traité la question de l’éolien offshore et des sujets que nous abordons aujourd’hui, je suis heureux d’évoquer une proposition de loi qui porte sur un sujet central pour l’avenir du pavillon français et qui vise à répondre de manière urgence au problème du développement de pratiques de concurrence déloyale sur les liaisons internationales de passagers dans la Manche.

Voilà tout juste un an et demi, le Fontenoy du maritime, lancé par le Gouvernement, avait permis de mettre en avant les nombreuses potentialités de la marine marchande française, ainsi que les défis auxquels elle est confrontée aujourd’hui, à commencer par ceux de la compétitivité et de la transition écologique.

Des mesures ont été prises pour soutenir l’emploi maritime, par exemple dans la loi pour l’économie bleue, à l’instar du net wage, que nous avions mis en place pour que les opérateurs de transport maritime international et régulier de passagers puissent être exonérés de charges patronales jusqu’en 2024.

Néanmoins, ces mesures ne suffiront pas à compenser les perturbations induites par les pratiques de dumping social observées depuis deux ans sur la liaison transmanche.

Je rappelle à mon tour que, en 2021, Irish Ferries est entré sur le marché du transmanche avec des navires battant pavillon chypriote répondant à des règles de droit social moins protectrices que celles des pavillons français et britannique, mais aussi que, en mars 2022, la compagnie P&O Ferries a licencié 786 gens de mer britanniques, avec effet immédiat, avant de les remplacer par des employés rémunérés à des niveaux très inférieurs et employés dans des conditions de travail dégradées.

Ces pratiques permettent aux compagnies concernées d’optimiser considérablement leurs coûts salariaux et de pratiquer des baisses de tarifs sensibles, de l’ordre de 35 %.

Si ces pratiques sont légales au regard du principe de libre choix du pavillon, dont les armateurs bénéficient en vertu du droit international, elles n’en sont pas moins préjudiciables, à deux titres.

Premièrement, cette situation risque de dégrader la qualité de service pour les passagers et, de manière plus préoccupante encore, la sécurité maritime sur un détroit qui est l’un des plus fréquentés au monde.

Deuxièmement, ces pratiques, que l’on peut qualifier de déloyales, pèsent lourdement sur les compagnies de ferry françaises et britanniques ayant fait le choix d’appliquer des normes de droit social plus respectueuses des gens de mer, déjà fragilisées par la crise sanitaire et le Brexit. À terme, cette situation risque fort d’affaiblir ce segment pourtant essentiel de la marine marchande française et d’avoir les conséquences néfastes que l’on peut imaginer et qui ont déjà été largement décrites ici pour la compétitivité du pavillon français et pour l’emploi maritime.

Conscient de ces enjeux, le Royaume-Uni s’est également saisi du sujet, en adoptant en mars dernier une loi visant à instituer un salaire minimum sur les liaisons de transport de passagers dans la Manche. Nous pouvons nous en réjouir, car l’adoption de la proposition de loi qui nous est soumise ne saurait porter ses fruits sans une parfaite coordination avec notre voisin britannique.

En effet, en l’absence d’une telle coopération, nous aurions pu craindre un report de trafic vers d’autres ports voisins – en Belgique, par exemple –, au détriment des ports du nord de la France assurant des liaisons avec le Royaume-Uni.

Tel n’a pas été le cas, et je me réjouis que nos deux pays aient pu s’entendre sur des mesures pragmatiques répondant à un intérêt commun.

On l’aura compris, le risque est fort de voir d’autres armateurs contraints de revoir à la baisse leurs normes sociales pour être en mesure de se maintenir sur le marché du transmanche, déjà soumis à une intense pression concurrentielle. Il est de notre responsabilité collective, en tant que parlementaires, d’éviter le développement d’une guerre des prix sur cette liaison maritime. À cet égard, il me semble que le texte qui nous est soumis va dans la bonne direction.

Aussi, je veux remercier Catherine Procaccia, rapporteure de la commission des affaires sociales, ainsi que Nadège Havet, rapporteure pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, dont je suis membre, pour le soutien apporté à ce texte et pour l’important travail qu’elles ont conduit dans les négociations, jusqu’à ces dernières minutes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis très heureux de retrouver un certain nombre d’entre vous cet après-midi, dans la continuité de la réunion de Saint-Malo qui s’est tenue sur ce sujet en novembre dernier.

Portée par la mondialisation des échanges, l’accélération de la production, notamment chinoise, et l’essor du tourisme, la maritimisation de l’économie est devenue une réalité.

En quelques années, les flux maritimes ont fortement augmenté : même si certaines années sont moins bonnes que d’autres, la tendance est là. Ils devraient continuer à croître sur les principales routes commerciales.

Dès lors, un bilan s’impose.

Je pense d’abord aux conséquences environnementales induites par tous ces mouvements de navires. La décarbonation du transport maritime, la lutte contre les dégazages sauvages, la sécurité des navires et de la navigation ont connu des évolutions, mais restent, je le pense, des enjeux majeurs pour les prochaines années.

Il convient également d’évoquer, et c’est le cœur de notre sujet d’aujourd’hui, les conséquences sociales liées à un besoin de main-d’œuvre et à une compétition acharnée sur les tarifs dans ce secteur.

De nombreux gens de mer ont été recrutés avec des rémunérations et une protection sociale faibles, pour des rythmes de travail élevés, dès lors que le droit international et européen est, en réalité, peu exigeant.

Les armateurs étant libres de leurs choix, la concurrence entre pavillons conduit un certain nombre d’États à n’imposer que peu de contraintes aux navires qui battent leur pavillon.

Ces exigences minimales sont très éloignées des règles applicables en France, puisque les navires battant pavillon français doivent respecter le droit du travail français.

Sur le transmanche, dans une zone parmi les plus fréquentées au monde, la concurrence fait rage et des pratiques déloyales existent.

Pour diminuer les coûts, certaines compagnies exploitent désormais des liaisons avec un équipage international et des effectifs réduits, sous des pavillons moins protecteurs que les pavillons français et britannique. Des centaines de licenciements ont ainsi eu lieu.

Ce faisant, ces compagnies peuvent proposer des tarifs significativement inférieurs à ceux des autres opérateurs, au détriment des gens de mer qu’elles emploient dans des conditions précaires.

Cette économie du transport maritime transmanche est très importante pour les compagnies, les marins et les territoires, comme c’est le cas en Normandie. Les ports normands de Cherbourg, Caen-Ouistreham, Le Havre et Dieppe sont particulièrement concernés, ainsi que mes collègues normands l’ont rappelé.

Depuis l’achat du port du Pirée, en Grèce, par les Chinois et leurs investissements intéressés dans de nombreux ports du monde, les Européens redécouvrent, avec un certain retard, que les ports sont des actifs stratégiques à protéger. Il faut donc préserver l’activité économique de nos ports, déjà distancés par Rotterdam, Anvers ou Hambourg, et la pérennité du pavillon français.

L’affaiblissement des compagnies sous pavillon français, la baisse des normes sociales auraient de lourdes conséquences. J’ajoute que, avec des personnels moins formés, moins reposés, les risques d’accidents et de pollutions marines sont accrus dans cette zone à forte densité de trafic.

Il est utile que la question de la sécurité de la navigation soit prise en compte pour déterminer la durée maximale d’embarquement des personnels.

Dans ces efforts de régulation du transmanche, la coopération avec le Royaume-Uni est essentielle. J’avais d’ailleurs été, en janvier dernier, le rapporteur au Sénat du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et le Royaume-Uni relatif à la coopération sur les questions de sûreté maritime et portuaire s’agissant spécifiquement des navires à passagers dans la Manche.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise, si elle est adoptée – ce que bien évidemment je souhaite – et mise en œuvre rapidement, permettrait de préserver nos intérêts et ceux des personnels employés sous pavillon français. Comme dans de nombreux autres domaines, nous devons résister au nivellement par le bas et à la concurrence faussée.

L’ubérisation du transport maritime n’est pas une fatalité. Pour l’éviter, défendons notre modèle, comme notre souveraineté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)