M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.)

PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces
 

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Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

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Modification de l’ordre du jour

Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement sollicite du Sénat l’inscription à l’ordre du jour du jeudi 1er juin des conclusions de cette commission mixte paritaire. Nous pourrions inscrire cet examen en premier point de l’ordre du jour de l’après-midi. Le délai limite pour les inscriptions de parole serait fixé au mercredi 31 mai à 15 heures.

Y a-t-il des observations ?…

Il est ainsi décidé.

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La France rurale face à la disparition des services au public

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la France rurale face à la disparition des services au public.

Dans le débat, la parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, voilà bientôt six ans, j’ai rédigé une proposition de loi pour demander que la ruralité soit promue grande cause nationale. Je n’ai malheureusement pas été entendu. C’est un mauvais signe pour notre France rurale, qui résiste à la disparition progressive de ses services au public.

La diagonale du vide ne doit pas être une fatalité. Malheureusement, elle tend à s’étendre. La France continue de se fracturer. Et cette fracture territoriale suscite la colère des ruraux qui vivent dans des déserts médicaux et subissent la fracture numérique, le « zéro artificialisation nette » (ZAN), la défiguration par les éoliennes, la réduction de la présence postale, le transfert imposé de l’eau et de l’assainissement aux intercommunalités ou encore l’accessibilité insuffisante de nos territoires par le train et l’avion…

Voici quelques chiffres qui parlent de la France rurale : d’abord, 80 % des communes rurales connaissent une croissance démographique ; ensuite, 22 millions de Français, soit un habitant sur trois, vivent dans les communes rurales ; enfin, quelque 2 millions de néoruraux se sont installés dans des communes de moins de 2 000 habitants ces vingt dernières années. Ainsi, les zones rurales accueillent plus de 100 000 habitants par an.

Avec cette attractivité renouvelée, notre France rurale doit être soutenue contre la disparition de ses services. Les services au public dans nos zones rurales se vivent dans une globalité, avec l’agriculture, le tourisme, le commerce, le développement économique.

Nous, les ruraux, nous ne souhaitons plus vivre dans une France à deux vitesses, où coexistent trains à petite vitesse et trains à grande vitesse, territoires premiers de cordée et territoires méprisés !

À ce titre, je ne peux pas m’empêcher de citer le Grand Centre Auvergne Massif central, qui comprend 17 millions d’habitants et qui s’assoit encore sur sa mobilité ferroviaire et son désenclavement, alors qu’en 2018 Mme Élisabeth Borne, alors ministre des transports, avait affirmé au Sénat, à propos des infrastructures de mobilité : « Je tiens à vous assurer que les enjeux d’aménagement du territoire seront bien pris en compte. »

Au premier abord, on semblait entrevoir que la réduction des inégalités territoriales était fixée comme priorité. Mais quelle déception de découvrir ensuite que nombre de projets inscrits dans le Grenelle de l’environnement avaient été balayés d’un revers de la main ! Or désenclaver nos zones rurales est vital pour notre développement et pour la continuité des services au public.

Voici les difficiles vérités des territoires enclavés, aggravées par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), qui a fait plus d’un dégât : sentiment d’abandon, fractures économiques et sociales, creusement des inégalités et raréfaction des services au public. Il est grand temps d’agir. Nos territoires ont besoin d’un véritable plan Marshall, avec des perspectives à long terme.

Veillons à pérenniser les lignes aériennes de service public et à faire en sorte que leur desserte reste régulière face à l’impératif de rentabilité ou d’écologisme, qui néglige l’humain. Dans certaines zones rurales, pas d’avion, pas d’accessibilité ! C’est une condamnation à rester isolé.

Le service virtuel est aussi essentiel. Je veux parler de la couverture numérique. Le marché de l’emploi évolue vers des métiers de plus en plus connectés grâce aux nouvelles technologies. Il est essentiel que le monde rural puisse saisir cette occasion. La télémédecine se développe ; il est vital que nos ruraux puissent en bénéficier.

Le développement du numérique doit aussi accompagner le déploiement de la 5G. En effet, nous pouvons craindre, dans les zones rurales, que la 5G n’accroisse encore la fracture numérique si le choix de l’installer sur tout le territoire n’est pas fait.

Garder nos territoires accessibles et les laisser ouverts sur les autres est une condition essentielle de leur développement, ou plutôt, à l’heure actuelle, de leur survie et de la non-disparition des services au public.

Le service public de l’éducation est aussi en tension, avec la fermeture de classes et d’écoles rurales, et la suppression récente de 2 000 postes.

Les maires des territoires demandent de la concertation à ce sujet. Qui mieux que nos maires connaît les territoires ? Ils demandent que les contraintes territoriales soient prises en considération, par la définition d’un indice d’éloignement, tout comme la spécificité des classes multi-âges.

L’école rurale est une chance pour nos enfants, car elle conjugue proximité et qualité de l’enseignement. Nos petites communes rurales devraient ainsi, elles aussi, être considérées comme des zones sensibles prioritaires et bénéficier du dédoublement des classes.

Lutter contre la disparition des services au public nécessite enfin de laisser notre ruralité vivante et de lui permettre de se développer. L’acceptabilité du ZAN à l’échelle locale passe donc par la prise en considération des spécificités des territoires ruraux et de celles de la montagne dans la territorialisation des objectifs.

Nous devons être assurés qu’aucune commune – je pense en particulier aux communes rurales ayant consommé peu de foncier par le passé – ne sera sacrifiée sur l’autel du ZAN.

M. André Reichardt. Absolument !

M. Jean-Marc Boyer. La garantie rurale qui figure dans la proposition de loi sénatoriale doit être pérennisée pour l’ensemble des communes.

Mes chers collègues, battons-nous pour un droit au projet et au développement de la France rurale ! Battons-nous pour que le déclin des services au public rural s’arrête !

Battons-nous encore contre les dogmes technocratiques, qui s’en prennent maintenant à nos bêtes, dont le pet et le rot amèneraient l’humanité à sa perte ! Depuis plusieurs années, le système digestif des vaches fait l’objet d’une cabale hystérique : celui-ci émettrait autant de CO2 qu’un réacteur Pratt & Withney ! (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.) Comment peut-on tenir de tels propos lorsque l’on compare des images de notre France rurale à celles des boulevards traversant Pékin ou Delhi, où le bleu du ciel n’existe plus et où le vert du sol n’est qu’un souvenir tellement lointain ? Or des milliards de personnes y vivent, alors que nous, ruraux, ne sommes que quelques millions…

Mesdames, messieurs de la Cour des comptes, je vous invite à constater les faits et à venir écrire vos rapports dans nos champs de la France rurale. Soyez sérieux : les chiffres parlent d’eux-mêmes !

Vous voulez réduire le cheptel français pour résoudre le problème des émissions de gaz à effet de serre ? Mais il y a 47 millions de bovins en France et 17 milliards de bovins dans le monde ! C’est la même proportion que pour nos émissions de gaz à effet de serre dans les émissions mondiales, soit 1 % !

De plus, le nombre de bovins français est déjà en diminution régulière depuis bien des années – et cela risque de continuer si vous persistez à mettre à mal notre agriculture avec de tels propos. Et encore, de nombreux méthaniseurs se mettent en place et fonctionnent, en partie ou en totalité, avec des déjections de vache pour produire de l’énergie propre !

Alors, soyons sérieux et soutenons notre France rurale !

Vous aurez aussi la chance d’y manger encore une bonne viande française et les meilleurs fromages au monde, chance que de plus en plus de Français n’ont pas. Eux retrouvent dans leur assiette des viandes venues d’ailleurs, d’Écosse, d’Argentine, du Brésil, issues surtout de cheptels ne répondant nullement aux normes sanitaires françaises. La France rurale a besoin de se développer pour ne pas disparaître. Valorisons ses richesses au profit de la vie rurale et de ses services essentiels au public ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. André Reichardt. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’avoir invitée à participer à ce débat organisé à la demande du groupe Les Républicains.

L’accessibilité aux services au public est au cœur de la promesse républicaine et doit être égale pour tous, dans les banlieues des villes comme dans les campagnes, en métropole comme dans les outre-mer. C’est cependant une question cruciale en zone rurale qui appelle notre attention comme la vôtre.

Ce débat revêt une grande importance. Au sein du Gouvernement, nous espérons pouvoir le renouveler à de nombreuses occasions dans les semaines et les mois à venir. Nous sommes convaincus que c’est ainsi que nous trouverons les solutions les plus adaptées aux difficultés rencontrées par nos concitoyens, tout en faisant régulièrement le point sur les mesures mises en place par les pouvoirs publics dans ce domaine.

Ce débat est également l’occasion pour moi de rappeler certains éléments de l’action du Gouvernement en faveur des zones rurales.

Face aux évolutions sociétales, notre pays a dû s’adapter, faire évoluer ses services publics et changer sa manière d’accompagner nos concitoyens et de répondre à leurs attentes, en tenant compte des évolutions démographiques, économiques et sociologiques de notre territoire.

Il est vrai que ces évolutions peuvent parfois entraîner la fermeture ou la transformation de certains services publics. Cependant, les mesures que nous avons prises et que nous continuerons de prendre permettent de veiller à faire en sorte que les services publics restent à proximité de tous nos compatriotes, en cherchant un juste équilibre entre la présence des services publics et la couverture par des services numériques.

La dématérialisation des démarches administratives est importante pour maintenir un accès aux services publics, mais elle doit être accompagnée d’une couverture numérique de qualité sur tous nos territoires. C’est l’objectif même de la politique d’aménagement numérique du territoire, dont l’ambition est d’aboutir à une couverture totale du territoire d’ici à 2025.

Comme le rappelle régulièrement mon collègue Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques, nous agissons résolument de concert pour que numérisation de nos services publics ne rime jamais avec déshumanisation.

C’est pourquoi, grâce au plan de relance, nous avons consacré 250 millions d’euros à l’inclusion numérique, notamment avec le recrutement de 4 000 conseillers numériques installés dans les maisons France Services, la création de postes d’Aidants Connect ou encore le soutien au déploiement de nombreux kits d’inclusion numérique.

Par ailleurs, pour garantir un maillage territorial minimal des services publics, nous avons ouvert, en à peine trois ans, 2 600 maisons France Services. Grâce à elles, tous les Français sont désormais à moins de trente minutes des services publics.

La poursuite du déploiement de ce dispositif permettra d’atteindre l’objectif de 2 750 maisons France Services d’ici à la fin de cette année. C’est l’ambition du Gouvernement. Nous gardons ce cap.

Car France Services fonctionne. En effet, 14 millions de demandes ont été accompagnées depuis le lancement du programme, 600 000 accompagnements sont apportés chaque mois par le réseau des France Services et quatre citoyens sur cinq repartent avec une solution à leur demande dès la première visite. Le taux de satisfaction des usagers est de 94 %.

Nous parlons là de donner plus facilement accès à des services du quotidien, notamment pour les personnes les plus fragiles ; je pense aux personnes âgées, mais aussi aux jeunes, qui sont parfois isolés.

Les dossiers traités dans ces structures concernent directement le quotidien des Français grâce à l’appui de neuf services publics d’État : centre des finances publiques, assurance maladie, caisse d’allocations familiales, caisse d’assurance retraite et de santé au travail, Agence nationale des titres sécurisés, La Poste, Pôle emploi, Mutualité sociale agricole, points justice. Mon collègue Stanislas Guerini travaille actuellement pour y adjoindre les services de la Banque de France.

Ces espaces France Services, ce sont aussi des solutions innovantes ; je pense par exemple aux 145 bus labellisés qui sillonnent nos campagnes dans une logique d’« aller vers ».

C’est une nouvelle manière de faire. Le changement est en cours et nos concitoyens se familiarisent avec ces nouvelles structures. Sept Français sur dix disent les connaître. Nous allons poursuivre l’information au plus près des territoires.

Pour finir sur France Services, je tiens à rappeler que les collectivités territoriales sont, dans la plupart des cas, mobilisées pour l’installation de ces structures. Afin d’accélérer leur déploiement et assurer leur pérennisation, l’État a relevé la subvention aux collectivités territoriales à 35 000 euros en 2023 ; cet effort se poursuivra. Cela va dans le sens des recommandations formulées par votre collègue Bernard Delcros dans son rapport d’information Les maisons France Services, levier de cohésion sociale de juillet 2022.

Le dispositif participe donc à un véritable retour de l’État dans les territoires, notamment ruraux, après que les fermetures successives des trente dernières années ont donné le sentiment d’un abandon de ces territoires.

En résumé, la présence de ces 2 600 maisons France Services labellisées, la réouverture de cinq sous-préfectures, la création d’une nouvelle sous-préfecture à Saint-Georges-de-l’Oyapock en Guyane ou encore les mesures inscrites dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), notamment le déploiement de plus de 200 brigades de gendarmerie dans les territoires ruraux et périurbains, démontrent notre volonté de réimplanter l’État dans nos territoires.

La création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), voilà maintenant trois ans, marque également cette volonté forte du Gouvernement de rapprocher les moyens de l’État et ceux des collectivités territoriales. Le lancement des forums de l’ingénierie ou encore la nouvelle impulsion donnée à la plateforme Aides-Territoires, qui centralise toutes les aides disponibles au service d’un territoire, tiennent de la même dynamique visant à rapprocher nos élus des aides existantes.

J’en viens plus précisément aux ruralités. Depuis 2019, l’ANCT pilote la mise en œuvre de l’agenda rural, notre schéma d’ensemble pour ces territoires en matière de politiques publiques : 181 mesures et 10 milliards d’euros ont ainsi été débloqués pour accompagner dans ces territoires l’éducation, les campus numériques, les commerces, la transition écologique, etc.

Cet agenda rural a contribué à des avancées notables pour les zones rurales en matière d’ingénierie, notamment grâce au programme Petites Villes de demain, de soutien à l’innovation, d’accompagnement au numérique ou encore de lien social pour les habitants de nos villages.

Nous devons poursuivre ensemble ces travaux ; c’est ce que nous allons faire avec le lancement dans quelques semaines du plan France Ruralités, qui prendra la suite de l’agenda rural. Cela permettra notamment de déployer un nouveau programme d’ingénierie à destination des petites communes rurales, mais aussi d’engager une série de mesures nationales à destination des ruralités et de pérenniser les zones de revitalisation rurale (ZRR) sur la base d’un projet que le Gouvernement vous présentera à l’automne. Dans ce texte, nous souhaitons reconnaître et valoriser les ruralités, définir les critères de ces zones, protéger et valoriser le patrimoine naturel de nos campagnes, ce que l’on appelle les aménités rurales.

La nomination de sous-préfets en charge des services publics, annoncée lors du Comité interministériel de la transformation publique du 9 mai dernier, et le recrutement de 100 chefs de projet dédiés à la ruralité contribuent à cette dynamique.

Pour conclure, je souhaite que ce débat soit l’occasion de vous convaincre que l’État ne laissera pas les territoires ruraux au bord du chemin. Le devoir de la République est d’embarquer tous les territoires, urbains comme ruraux, dans un destin collectif et national.

Vous l’aurez compris, les politiques de soutien à la ruralité et l’accessibilité aux services publics pour nos concitoyens sont au cœur de nos préoccupations et font l’objet d’un chantier interministériel, afin de répondre aux nombreuses attentes des habitants, qui perçoivent dans leurs difficultés quotidiennes un sentiment d’abandon. Nous mesurons l’importance du chemin qui reste à parcourir et des leviers qui restent à mobiliser. Mais je souhaite par ce débat vous rappeler le travail que nous avons accompli et que nous entendons poursuivre avec vous.

Je vous redis la conviction et la détermination des membres du Gouvernement, sous l’autorité de la Première ministre, pour que l’accessibilité de tous aux services publics soit une réalité. C’est une priorité pour renforcer la relation de confiance qui nous unit à nos concitoyens et pour garantir à chacun l’accès aux droits. Nous devons ensemble, État et collectivités territoriales, permettre cette accessibilité. Ces débats parlementaires contribuent à la mobilisation de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et UC.)

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes, y compris l’éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente, ainsi que d’une minute pour répondre à une éventuelle réplique ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. L’accès aux services publics en zone rurale reste insuffisant. Il ne s’est pas amélioré depuis 2019 et la crise des « gilets jaunes ». Les habitants de ces territoires se sentent toujours plus abandonnés par l’État.

Malgré les belles promesses, le Gouvernement continue la casse des services publics : hôpitaux, bureaux de poste, écoles, tribunaux, mobilité, etc. La présence des services publics se réduit comme une peau de chagrin, laissant une France à deux vitesses s’installer durablement. Cette désertification crée un sentiment d’abandon dans les territoires ruraux, alors que la demande sociale ne cesse d’augmenter du fait de la convergence des modes de vie urbains et ruraux.

Pis encore, le mouvement de désertification massive touche aussi les services au public. Non seulement les collectivités locales, les établissements publics, les associations, les prestataires de services de tout genre sont confrontés à une vraie difficulté pour financer le développement des services, mais, en plus, les modalités de mise en œuvre de la solidarité nationale font appel à des dispositifs de plus en plus complexes, rendant encore plus difficile la réponse aux besoins, qui ne cessent par ailleurs d’augmenter.

Bien plus, selon l’Insee, plus de 21 000 communes ne disposent d’aucun commerce. Cela représente 62 % des communes françaises, contre 25 % en 1980. Ce déclin aggrave les fragilités structurelles de certaines communes rurales et réduit leur attractivité.

Une telle difficulté d’accès à des paniers de services de la vie courante pousse les habitants à un choix entre qualité et proximité, si tant est qu’un service de proximité existe encore… Un service proche et de moindre qualité sera utilisé par ceux qui n’ont ni les moyens financiers ni les possibilités de transport pour se rendre plus loin auprès d’un service plus performant. En matière de santé notamment, la ségrégation par le revenu est accentuée et la distance est non seulement physique, mais également sociale et culturelle.

Ainsi, pour les habitants de nombreuses zones rurales, c’est la double peine : ni services publics ni services au public ! Et cela sape les fondements de notre démocratie, tant cette relégation nourrit un sentiment d’abandon…

Mme la présidente. Veuillez conclure, madame Gréaume !

Mme Michelle Gréaume. … et de déclassement territorial et social.

L’agenda rural laisse la place à France Ruralités sans qu’une évaluation des dispositifs précédents ait été faite. En quoi votre nouveau plan dans un cadre budgétaire contraint pourrait-il changer la donne ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Gréaume, je souscris à l’objectif que vous évoquez : offrir aux habitants des ruralités des services plus performants. J’y ai fait référence dans mon propos liminaire. Travaillons ensemble en ce sens.

En revanche, nous ne serons pas d’accord s’agissant de l’évaluation. Je respecte votre analyse, mais je ne la partage pas. En effet, nous sommes très mobilisés sur le sujet. Le dispositif France Services a maintenant trois ans et nous avons mis en place un plan pour le contrôler ; la chambre régionale des comptes de Bourgogne-France-Comté a commencé des travaux à cet égard. L’évaluation qui sera effectuée sera objective et complète.

D’une manière générale, depuis le lancement de France Services, la direction du programme est particulièrement attentive au pilotage par la donnée ; mon collègue Stanislas Guerini y est très attaché. D’ailleurs, l’ensemble des dispositifs de l’État portés par l’ANCT font l’objet d’une évaluation ; c’est par exemple le cas pour le programme Petites Villes de demain ou encore pour l’agenda rural.

Mme la présidente. La parole est à Mme Daphné Ract-Madoux.

Mme Daphné Ract-Madoux. On ne peut pas dire que l’État soit resté inactif face à la disparition des services au public dans les territoires ruraux. Avec la mise en place des schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public, puis de plus de 2 000 maisons France Services pour répondre concrètement aux besoins locaux, une véritable action s’est enfin fait jour. Nous ne pouvons que la saluer.

Les maisons France Services constituent de réelles réponses à la disparition des services au public dans le monde rural. Nous en avons vingt-quatre dans l’Essonne, et une nouvelle maison mobile sous forme de bus sera bientôt déployée dans le sud du département, rural, encore malheureusement sous-doté.

Si nous voulons que les maisons France Services soient pleinement efficaces et apportent aux populations tout ce qu’elles sont en droit d’en attendre, nous devons répondre à un certain nombre d’interrogations que le présent débat nous permet de vous soumettre, madame la ministre.

Tout d’abord, une première évaluation du maillage du dispositif fait apparaître que moins d’un quart de ces maisons sont accessibles par transport en commun. Confirmez-vous cet ordre de grandeur ? Dans l’affirmative, à l’heure où la décarbonation est, à juste titre, érigée au rang de priorité nationale, quel est le plan du Gouvernement pour remédier à cette difficulté ? Les bus itinérants ne doivent-ils pas se multiplier pour réellement aller vers les citoyens ?

Ensuite se pose la question de l’élargissement des services que l’on peut y trouver ; je pense notamment à l’aide au dossier MaPrimeRénov’. Madame la ministre, y aura-t-il un nouveau panier de services offert par les maisons France Services ? Et quel en serait le périmètre ? Vous avez commencé à répondre à cette question tout à l’heure.

Enfin, il faut soulever le problème du financement des personnels qui y sont employés et du reste à charge qui demeure élevé pour les collectivités – vous avez indiqué que la subvention de l’État avait été relevée –, ainsi que le problème du nombre des agents et de leur formation. Envisagez-vous un nouveau plan de financement entre l’État et les collectivités ? (M. André Guiol applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Ract-Madoux, vous indiquez que moins d’un quart des maisons France Services sont accessibles par transport en commun ; je vous avoue que je n’ai pas connaissance de cette statistique. Le prochain rapport de la députée Marie-Agnès Poussier-Winsback et du sénateur Bernard Delcros nous éclairera peut-être à cet égard.

C’est en tout cas une dimension extrêmement intéressante, qui viendrait compléter les éléments déjà à notre disposition : 99,4 % des Français sont désormais à moins de trente minutes d’une maison France Services et 95 % sont à moins de vingt minutes. Le maillage des maisons France Services est donc dense. Toutefois, il est certain que l’accessibilité demeure un sujet primordial en zone rurale.

Allons-nous promouvoir les bus itinérants ? La réponse est oui. Il nous reste plus d’une centaine de maisons France Services à déployer. Stanislas Guerini et moi-même souhaitons utiliser au maximum cet outil, lorsque c’est possible et en accord avec les collectivités locales ou l’intercommunalité. Un bus arrive à couvrir trente villages – j’ai un exemple en tête dans le Pas-de-Calais –, ce qui montre bien l’intérêt du dispositif.

Le panier de services va-t-il être développé ? Là encore, la réponse est oui ; j’en ai déjà dit quelques mots.

Enfin, nous travaillons sur d’autres sujets dans le cadre du plan France Ruralités et de l’extension des maisons France Services.