M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs, je souhaite tout d’abord remercier tous les intervenants qui ont pris part à ce débat. Je vais essayer de répondre à chacune et à chacun sur les points principaux, sans faire durer nos débats jusqu’à des heures indécentes.

Le premier point porte sur le calendrier. Cette question a été abordée notamment par les sénateurs Bascher et Joly. Non, le programme de stabilité que nous examinons n’a pas été transmis à la Commission européenne avant d’être présenté au Parlement. Le présent débat a au moins le mérite de clarifier ce point. Nous respectons la procédure : le programme de stabilité est transmis à la Commission européenne à l’expiration d’un délai de quinze jours suivant sa transmission au Parlement. Il sera donc communiqué à la Commission européenne postérieurement au présent débat.

Ce transfert se fera avec un léger retard par rapport aux délais demandés par la Commission, le programme de stabilité devant théoriquement lui être transmis avant le 30 avril. Toutefois, ce retard doit être mis en perspective avec les quelque trois mois et demi de retard de l’an dernier du fait de la séquence électorale formée par l’élection présidentielle et les élections législatives. (M. Jérôme Bascher opine.) Il s’agit donc d’un grand progrès. (Sourires.)

Toujours est-il que nous respectons la procédure et qu’il n’est pas question de transmettre le programme de stabilité à la Commission avant que le Parlement ne s’en soit saisi.

Par ailleurs, nous avons fait le choix d’attendre l’adoption définitive de la réforme des retraites, sa validation par le Conseil constitutionnel et sa promulgation, avant de présenter le programme de stabilité. Si nous avions agi différemment, il aurait pu nous être reproché d’anticiper l’adoption de cette réforme majeure dans notre trajectoire budgétaire.

Toujours sur les questions de calendrier, je confirme les propos de la Première ministre : la loi de programmation des finances publiques sera de nouveau présentée cet été. J’apporte toutefois une petite correction : certains intervenants ont dit que ce texte avait été rejeté par « les assemblées » ; or le Sénat a bien adopté une loi de programmation des finances publiques, même si ce n’était pas celle que le Gouvernement avait présentée.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. C’était un bien meilleur texte !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. La discussion se poursuivra sur cette base.

Je veux à présent revenir sur un deuxième point, celui des hypothèses macroéconomiques sous-jacentes au programme de stabilité, qualifiées d’optimistes par plusieurs d’entre vous, notamment MM. Husson, Bilhac, Bascher, Capo-Canellas et Guené.

Je ne dirais pas que nos prévisions de croissance sont « optimistes » ; je dirais qu’elles sont « volontaristes ». (M. Jérôme Bascher samuse.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général. Déterminées !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je crois que nous avons eu raison de nous montrer volontaristes dans nos précédentes prévisions.

L’été dernier, lorsque nous prévoyions un taux de croissance de 2,5 % en 2022, on nous a dit que nous étions démesurément optimistes. Or nous avons eu raison d’être volontaristes, la croissance s’étant élevée à 2,6 % cette même année.

De la même manière, à l’automne dernier, alors que plusieurs prévisionnistes prévoyaient une récession dans la zone euro et une croissance atone, voire nulle en France, on nous a accusés d’être optimistes, car nous affichions une prévision de croissance de 1 % pour l’année 2023.

Nous avons assumé cette posture volontariste et je pense que nous avons eu raison de le faire. En effet, depuis le mois de janvier, les prévisionnistes revoient leurs prévisions à la hausse. Elles se rapprochent les unes après les autres de la prévision de croissance de 1 % retenue par le Gouvernement pour 2023 : celle du FMI s’élève à 0,7 % et celle de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) à 0,8 %. Ces prévisions sont beaucoup plus proches des nôtres que celles qui avaient été établies à l’automne dernier. Là aussi, nous avons eu raison d’être volontaristes.

En ce qui concerne la croissance potentielle, le Haut Conseil des finances publiques tablait, dans ses travaux de l’automne dernier, sur une fourchette comprise entre 0,9 % et 1,3 %, en mettant en avant une incertitude relative à certaines réformes. Avec 1,35 % par an, nous sommes très proches du haut de cette fourchette.

Je rappelle que notre évaluation est également très proche de celles du FMI – 1,3 % – et de la Commission européenne – 1,4 % sur le court terme, c’est-à-dire pour 2022-2023.

Je veux rappeler ensuite qu’un certain nombre de prévisionnistes n’ont pas tenu compte, pour évaluer la croissance potentielle sur les années à venir, de l’ensemble des réformes qui figuraient dans notre programme. D’ailleurs, une partie des prévisions faites ces derniers mois ne tenaient pas encore compte de l’impact de la réforme des retraites et encore moins de celle à venir du RSA.

De notre côté, nous tenons évidemment compte, dans les sous-jacents de nos prévisions sur la croissance potentielle, du programme de réformes sur lequel nous nous sommes engagés et qui vise à atteindre la société du plein emploi.

Jusqu’à présent, nous avons montré que nous tenions nos engagements : nous avons fait la réforme de l’assurance chômage comme celle des retraites. Nous ferons celles du RSA et du lycée professionnel, qui auront naturellement un impact sur l’activité économique et l’emploi, donc sur la croissance potentielle.

Un point rapide – nous pourrions en parler longuement… – sur la question du déflateur du PIB, évoquée notamment par M. le rapporteur général de la commission des finances.

En 2022, le déflateur du PIB a été nettement moins dynamique que prévu. Il a aussi été nettement moins dynamique que l’évolution des prix à la consommation du fait des conséquences du conflit en Ukraine sur les termes des échanges : du côté de la demande, les prix d’importation ont été nettement plus dynamiques que les prix d’exportation, ce qui a fortement pesé sur la balance du commerce extérieur ; du côté de l’offre, la valeur ajoutée a été comprimée par le délai de transmission de la hausse des prix des entrants aux prix de vente.

En 2023, le déflateur est révisé à la hausse pour résorber cet écart. Il est ensuite cohérent avec l’inflation au sens de l’indice des prix à la consommation.

Donc, là où le précédent programme de stabilité tablait sur une convergence lente du déflateur du PIB et de l’inflation au fil du quinquennat, il est désormais fait l’hypothèse d’une convergence rapide sur 2023-2024, ce qui est cohérent au regard des dernières observations macroéconomiques.

J’en viens à la question de Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales sur l’impact que pourrait avoir, sur nos conditions d’emprunt, la dégradation de la note de la France par l’agence Fitch.

Comme l’a dit aujourd’hui Bruno Le Maire lors des questions d’actualité au Gouvernement, on peut qualifier cet impact de « limité ». Nous avions avec l’Allemagne un écart de taux, un spread, de 57 points de base vendredi, juste avant l’annonce de Fitch. Cet après-midi, nous sommes montés à 59 et ce soir, nous sommes redescendus à 58. L’impact est donc mineur.

J’ajoute, monsieur Sautarel, que l’agence Moody’s a décidé, la semaine dernière, de maintenir la notation de notre pays. La décision prise par Fitch n’est donc pas la première à intervenir en la matière.

Quelques mots maintenant sur les choix politiques et budgétaires qui sous-tendent ce programme de stabilité.

Le premier choix que nous faisons, c’est celui de l’emploi et du travail – je remercie les sénatrices Paoli-Gagin et Duranton d’avoir insisté sur ce point. Cela passe par des baisses de fiscalité que nous assumons pleinement.

Lors du précédent quinquennat, nous avons ainsi décidé de ramener la pression fiscale sur les entreprises et l’activité économique à un niveau proche de celui de nos partenaires européens afin de libérer l’emploi.

Je pourrais éventuellement comprendre les critiques qui nous sont faites sur ce point si les décisions que nous avons prises n’avaient pas eu d’impact en matière d’emploi.

Mais la réalité est là : nous avons créé plus de 1,5 million d’emplois en net ; le taux de chômage est au plus bas depuis quinze ans ; celui des jeunes est au plus bas depuis quarante ans. (Des sénateurs du groupe SER ironisent.) On peut donc bien parler d’un impact des politiques que nous avons menées.

Les allègements de cotisations sociales – le sénateur Joly a évoqué cette question – sont également favorables à la création d’emplois et la gauche le sait fort bien, puisque ces allègements avaient doublé sous le gouvernement de Lionel Jospin et de la gauche plurielle, ce qui avait profité à l’époque à l’emploi.

Si l’on baisse le coût du travail, on permet mécaniquement aux entreprises, quelle que soit leur taille, d’embaucher. C’est donc ce choix que nous avons fait, et nous l’assumons.

J’ajoute – c’est un débat que nous avons régulièrement – que de telles baisses de fiscalité apportent finalement des recettes publiques supplémentaires : par exemple, alors même que nous avons baissé le taux de l’impôt sur les sociétés de 33 % à 25 %, nous collectons davantage de recettes !

En ce qui concerne les baisses d’impôts sur les ménages, plusieurs intervenants, par exemple M. Breuiller ou Mme Lubin, ont parlé de baisses d’impôts pour les plus riches – certes, vous n’avez pas parlé de nantis… Oui, nous avons décidé de supprimer la taxe d’habitation et la redevance télé, ce qui représente un gain moyen de 1 000 euros par an pour tous les Français.

Croyez-vous sincèrement que ceux de nos compatriotes qui ont bénéficié de ces décisions, ceux que vous croisez dans vos départements, par exemple à Saint-Maur, à Alfortville ou à Fontenay-sous-Bois, monsieur Breuiller, soient des nantis ou des très riches ?

C’est la classe moyenne, celle qui travaille, celle justement qui a le sentiment de ne jamais percevoir les dividendes de notre modèle social ou des baisses de fiscalité, qui a très majoritairement bénéficié, en volume, des réductions d’impôts que nous avons consenties envers les particuliers.

Avec la suppression de la taxe d’habitation et de la redevance télé, la classe moyenne de notre pays a bien compris que nous la soutenions.

Après l’emploi et le travail, le second choix que nous faisons est celui de l’investissement dans nos services publics. Et là, monsieur Savoldelli, on ne peut vraiment pas parler d’austérité ou de désertion – je vais en donner plusieurs exemples.

Le budget de l’hôpital public dépasse dorénavant les 100 milliards d’euros. Nous dégageons cette année 4,7 milliards d’euros supplémentaires pour l’éducation nationale. Souvenons-nous que François Hollande annonçait en 2012, juste après son élection, un grand plan de réinvestissement dans l’éducation nationale de 1,5 milliard pour 2013. Nous, c’est 4,7 milliards sur l’année 2023 avec des revalorisations salariales inédites depuis le début des années 1990 pour nos enseignants.

Mme Monique Lubin. Il faut tenir compte de l’inflation !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Entre 2017 et 2027, le budget de la défense aura progressé de 75 % : il n’y a jamais eu un tel investissement dans un délai aussi court !

Le budget de la justice a augmenté de 42 % depuis 2017, sans parler de ce que nous faisons pour la police.

Mme Annie Le Houerou. Alors, pourquoi nos services publics sont-ils autant délabrés ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je pourrais citer d’autres exemples. Le fait est que nous faisons le choix de réinvestir dans les services publics.

Pour autant, comme l’a très justement souligné M. Sautarel, l’enjeu n’est pas seulement le montant de la dépense publique, mais aussi la manière dont nous dépensons l’argent public. Dépenser mieux, c’est l’objectif majeur des membres du Gouvernement et des réformes que nous menons.

Je prends de ce point de vue l’exemple de la transition écologique en disant au sénateur Breuiller que nous n’avons pas à choisir entre les 3 % et les 3 degrés !

Régler la question de la transition écologique nécessite des investissements qui ne pourront être financés que si nous pouvons emprunter dans des conditions satisfaisantes, c’est-à-dire si nous sommes sérieux et responsables avec la dépense publique.

Pour investir, la puissance publique doit pouvoir emprunter. C’est aussi vrai pour les collectivités locales, qui ont un rôle essentiel à jouer en matière de transition écologique.

Voilà qui me fournit une transition pour évoquer la question des collectivités locales, soulevée notamment par le rapporteur général de la commission des finances et par MM. Breuiller et Guené.

Le rapporteur général s’est demandé pourquoi la nouvelle répartition de l’effort n’était pas inscrite dans le programme de stabilité. Ce n’est tout simplement pas le document idoine. Nous proposerons une telle inscription dans le projet de loi de programmation des finances publiques.

Nous prévoyons dorénavant de demander à l’État un effort de maîtrise des dépenses plus important qu’aux collectivités locales : respectivement 0,8 % et 0,5 % en volume. L’effort que nous demandions aux collectivités locales était plus important dans la précédente copie.

Je parle d’effort, mais je veux tout de même rappeler qu’en 2027, avec cette trajectoire, les collectivités dépenseront 13 milliards d’euros de plus en fonctionnement qu’aujourd’hui. Nous sommes donc loin de l’austérité ou de la saignée ! Le Gouvernement souhaite simplement que nous nous fixions collectivement une règle pour maîtriser la progression de nos dépenses de fonctionnement.

Le sénateur Guené s’est interrogé sur la manière de parvenir à ce résultat. Nous y travaillons avec les associations d’élus dans le cadre des assises des finances publiques. Bruno Le Maire et moi-même avons reçu leurs représentants et plusieurs réunions techniques se sont déjà tenues. J’ai bon espoir que nous parvenions à nous accorder.

L’autre moyen de respecter notre trajectoire, c’est de lutter contre la fraude afin d’améliorer le rendement fiscal – je veux remercier le sénateur Delcros d’avoir insisté sur ce point.

L’année dernière a été historique sur ce plan – il faut le saluer et en remercier tous les agents qui ont concouru à ce résultat : 14,6 milliards d’euros de redressement ont été notifiés à la suite de contrôles opérés par la direction générale des finances publiques et 800 millions sur le volet social grâce à l’action des Urssaf.

Pour prolonger cette action, j’ai réuni un groupe de travail auquel j’ai convié l’ensemble des groupes politiques du Sénat. Je présenterai dans quelques jours un plan de lutte contre la fraude dans lequel vous trouverez une bonne part des propositions que vous avez bien voulu me transmettre.

Je serai très attentif, monsieur Delcros, aux propositions de votre groupe sur la question des niches fiscales. Je crois que chacun d’entre nous a à cœur d’avancer sur ce sujet, même si les choses deviennent plus difficiles quand on entre dans les détails. C’est pourquoi nous devons y travailler collectivement.

Pour conclure, je crois que la trajectoire que je vous ai présentée est ambitieuse – je veux remercier le sénateur Sautarel et d’autres intervenants de l’avoir souligné. Elle l’est en tout cas nettement plus que celle que nous avions présentée l’an dernier et qui sous-tendait le projet de loi de programmation des finances publiques : quatre points en moins en 2027 pour le ratio dette sur PIB et un déficit lui aussi revu à la baisse.

Nous pouvons atteindre ces objectifs en continuant d’y travailler ensemble. L’an dernier, nous avons lancé les dialogues de Bercy ; cette initiative n’était certainement pas parfaite, mais elle a eu des mérites, qui ont d’ailleurs été reconnus par de nombreux parlementaires, y compris par des représentants des oppositions.

Après avoir « essuyé les plâtres » l’an dernier, je souhaite renouveler l’exercice cette année et tenter de l’améliorer, par exemple en commençant nos échanges plus tôt et en enrichissant les informations et données à la disposition des parlementaires. Nous pourrons aussi essayer de chiffrer les propositions qui nous sont faites, y compris en matière d’économies.

Les enjeux sont majeurs, chacun le mesure aisément, et cela justifie que nous avancions de concert. Pour ma part, je suis prêt à travailler avec l’ensemble d’entre vous. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le programme de stabilité et l’orientation des finances publiques.

7

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée demain, jeudi 4 mai 2023 :

De dix heures trente à treize heures puis de quatorze heures trente à seize heures :

(Ordre du jour réservé au groupe RDPI)

Débat sur le thème « Comment rendre possible le retour en Ukraine des enfants déportés en Fédération de Russie ? » ;

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à favoriser l’accompagnement des couples confrontés à une fausse couche (texte de la commission n° 520, 2022-2023).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER