Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Merci monsieur le sénateur pour votre intervention, qui me permet de rebondir sur deux points que vous avez évoqués : les révélations des papers – Panama Papers et Paradise Papers – et le plan de lutte contre les fraudes que je présenterai prochainement.

L’administration fiscale a beaucoup travaillé ces dernières années sur la base de ces fameux papers, révélés par des lanceurs d’alerte et des consortiums de journalistes. Je souhaite que la France produise ses propres papers, en se dotant d’outils permettant d’aller chercher l’information. Cela fait partie des dispositifs que j’annoncerai dans le cadre du plan de lutte contre la fraude fiscale.

Votre question me permet aussi de faire un point à date sur les papers.

Les Panama Papers, révélés par l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) en avril 2016, ont conduit à un très gros travail de l’administration fiscale, avec la mobilisation de l’assistance internationale. À la suite des contrôles et des régularisations, nous avons identifié, au 30 septembre 2022, environ 200 dossiers concernant des résidents français, pour un montant récupéré de près de 180 millions d’euros.

S’agissant des Paradise Papers, révélés en 2017 et en 2018, nous en sommes à 35 dossiers identifiés concernant des résidents français, pour un montant récupéré d’environ 12 millions d’euros et les travaux se poursuivent.

Vous le voyez : l’administration fiscale a engagé un gros travail à la suite de ces révélations.

L’un des enjeux du plan de lutte contre les fraudes que je présenterai est de nous doter d’outils qui nous permettent de récupérer l’information auprès de ceux qui contribuent à cette évasion fiscale par la dissimulation d’avoirs à l’étranger. Je ferai des annonces très concrètes en ce sens.

Mme le président. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier nos collègues du groupe CRCE d’avoir proposé ce débat, qui s’inscrit dans la continuité des travaux de notre commission des finances et de notre assemblée depuis la publication des CumEx Files en 2018.

Dès la divulgation de ces pratiques d’arbitrage de dividendes, qui coûteraient à la France entre 1 et 3 milliards d’euros par an, le groupe de suivi de notre commission des finances sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales s’était immédiatement emparé de ce sujet en proposant notamment un dispositif anti-abus. Celui-ci fut adopté par le Sénat dans le cadre de la loi de finances pour 2019, grâce au vote d’amendements identiques présentés par la quasi-totalité des membres du groupe de travail, et notamment par mon prédécesseur, Albéric de Montgolfier.

Le dispositif tendait à lutter contre les montages internes et externes d’arbitrages de dividendes. Nous savons tous ici de ce qu’il en advint : le Gouvernement de l’époque et sa majorité à l’Assemblée nationale l’ont, malheureusement, considérablement affaibli.

Le mécanisme anti-abus a été restreint aux seules opérations de prêt-emprunt de titres, empêchant de mieux lutter contre des montages reposant sur des produits plus complexes.

Surtout, l’utilisation abusive des conventions fiscales prévoyant des taux de retenue à la source sur les dividendes de 0 % a perduré, le Gouvernement n’ayant jamais cherché à renégocier ces conventions.

Parallèlement, l’administration fiscale, le PNF et les enquêteurs du service d’enquêtes judiciaires des finances et de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale ont engagé des travaux pour identifier ces montages et le préjudice fiscal pour l’État, au détriment de l’ensemble des citoyens.

Avant même les spectaculaires perquisitions dont la presse s’est fait l’écho en mars dernier, la mission d’information de notre commission des finances sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, dont j’étais le rapporteur, avait salué le travail réalisé par les services d’enquête et appelé à un renforcement de leurs moyens humains.

Leur professionnalisme et leur capacité à traiter des dossiers très complexes sont reconnus et les dossiers qui leur sont confiés sont de plus en plus nombreux, sans accroissement proportionnel de leurs moyens.

Lors de l’examen de la loi de finances pour 2023, nous avions proposé un redéploiement de crédits pour doubler les effectifs d’officiers fiscaux judiciaires du SEJF d’ici à cinq ans. Malheureusement, monsieur le ministre, vous aviez émis un avis défavorable. Mais, depuis lors, vous avez fait acte de contrition, car quelques mois plus tard, vous annonciez un renforcement du SEJF dans le cadre du futur plan de lutte contre la fraude. Quelle perte de temps ! Quel manque d’anticipation !

Répondre aux CumEx Files, et plus généralement à tous les montages fiscaux abusifs de grande ampleur, c’est donc d’abord renforcer les moyens des services d’enquêtes et de poursuites. C’est ensuite savoir qualifier ces montages et mettre en place des dispositifs anti-abus véritablement efficaces.

Nous savons que le scandale des CumEx Files n’a pas touché tous les pays avec la même ampleur. L’Allemagne aurait subi les pertes les plus importantes, de l’ordre de 50 milliards d’euros. En effet, contrairement à la France, le système allemand a permis à certains intermédiaires de demander le remboursement de la retenue à la source sur les dividendes, alors même qu’aucune retenue n’avait été opérée. Ces remboursements indus sont les plus facilement qualifiables de fraude.

Les montages, internes et externes, qui se sont développés en France sont plus difficiles à caractériser et se situent à la frontière entre fraude, optimisation et évasion fiscales. Nous l’avons longuement évoqué lors de la table ronde organisée par la commission des finances en décembre 2021 et qui avait vocation à poursuivre nos travaux sur le sujet.

Il convient en effet, pour l’administration fiscale comme pour les enquêteurs, puis les magistrats, de distinguer ce qui relève du fonctionnement normal des marchés de ce qui relève de manœuvres abusives. Il ne s’agit évidemment pas de paralyser les marchés financiers : le recours à des opérations de prêt-emprunt de titres ou de vente à découvert peut évidemment se justifier d’un point de vue économique, pour assurer la liquidité du marché et pour améliorer le mécanisme de formation des prix. Néanmoins, les autorités de supervision nationales comme européennes considèrent que, si ces opérations sont utiles, elles comportent un risque de déstabilisation et d’abus.

L’Autorité européenne des marchés financiers relevait ainsi, en septembre 2020, que les montages internes et externes d’arbitrages de dividendes présentaient plusieurs marqueurs de fraude fiscale.

Il faut donc arriver à distinguer ce qui relève du fonctionnement courant des marchés de ce qui relève de l’exceptionnel. Peut-on dire qu’un surplus de valorisation de titres prêtés à la date de détachement de dividendes de 160 milliards d’euros relève du fonctionnement normal des marchés ? Il est permis de suspecter dans cette manœuvre un objectif avant tout fiscal, pour faire en sorte que les personnes redevables de la retenue à la source sur les dividendes ne soient plus propriétaires du titre au moment de leur versement.

Je fais confiance aux enquêtes menées pour nous apporter de premiers éclairages sur la qualification de tels montages d’arbitrages de dividendes.

Il nous reviendra ensuite, à nous législateur, d’en tirer les conséquences. Faudra-t-il renforcer le dispositif anti-abus introduit sur l’initiative de notre assemblée ? L’abus de droit et l’identification des bénéficiaires effectifs sont-ils suffisants pour faire toute la lumière sur des schémas potentiellement abusifs ?

Comptez sur moi pour poursuivre les travaux de la commission sur le sujet, y compris dans nos fonctions de contrôle. Je rappelle à ce titre que la recommandation n° 20 du rapport de notre mission d’information demandait au Gouvernement de renégocier certaines conventions fiscales pour prévenir la mise en place de montages abusifs.

Renforcer les services d’enquêtes spécialisés, évaluer le dispositif anti-abus et renégocier les conventions fiscales : voilà ce que serait une réponse claire au phénomène des CumEx Files.

Monsieur le ministre, à vous de jouer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Merci, monsieur le rapporteur général Husson. Oui, la commission des finances a réalisé un très gros travail, que je tiens à saluer.

Il est vrai qu’un amendement avait été déposé lors de l’examen du projet de loi de finances sur le SEJF. J’en avais demandé le retrait, dans l’attente des travaux du groupe de travail sur la fraude fiscale. Je ne le regrette pas, car votre amendement prévoyait un doublement du nombre d’officiers du SEJF d’ici à 2027, là où je propose un doublement d’ici à 2025 : nous irons donc plus vite que ce que vous aviez prévu avec votre amendement. L’esprit est le même que ce que vous aviez proposé et je vous en remercie.

J’en profite pour saluer les équipes de la DGFiP, qui font le travail d’action administrative. On parle beaucoup du SEJF, dont le travail doit être salué – c’est pourquoi ses effectifs d’officiers seront doublés –, mais à côté du volet judiciaire, il y a aussi le volet administratif.

Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. L’action de mise en conformité des banques, menée par les équipes de la direction générale des finances publiques, a permis de recouvrer 2,5 milliards d’euros ces dernières années. Nous devons aussi les saluer dans nos interventions.

Sur le renforcement des moyens du SEJF que vous aviez proposé, j’ai annoncé que nous le ferons.

Sur l’évaluation de la clause anti-abus, j’ai apporté de premiers éléments et indiqué que la nouvelle doctrine fiscale publiée en février dernier nous permettra d’être plus efficaces.

Sur les conventions fiscales, j’ai annoncé l’aboutissement d’une renégociation avec un pays qui prévoit aujourd’hui un taux nul pour la retenue à la source du versement de dividendes.

Nous avançons donc sur les trois leviers que vous avez mentionnés. Nous souhaitons bien entendu aller plus loin et je suis convaincu que nous y parviendrons ensemble.

Mme le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.

M. Pierre-Jean Verzelen. Merci à nos collègues du groupe CRCE d’avoir proposé ce débat qui fait partie de la vie de la société.

Les perquisitions menées par le PNF au siège de plusieurs banques en mars dernier feront date. Elles ont remis dans l’actualité deux pratiques financières aux accents latins : les CumCum et les CumEx.

Les CumEx avaient déjà fait les gros titres en 2018, lors des révélations de seize médias internationaux, dont Le Monde. Les perquisitions de mars dernier en sont d’ailleurs la conséquence : elles font suite aux enquêtes préliminaires ouvertes en décembre 2021 sur des soupçons de fraude fiscale aggravée et de blanchiment, contre plusieurs grandes banques.

Pourtant, ce sont les CumCum qui sont à présent au cœur des débats. C’est sur ces pratiques que le PNF enquête désormais, afin de déterminer s’il s’agit bien de fraude fiscale, c’est-à-dire si l’intention d’échapper à l’impôt est caractérisée.

Qu’est-ce qui les différencie ? À peu près la même chose que ce qui différencie l’optimisation fiscale de la fraude fiscale. Dans les deux cas, il s’agit de transférer temporairement un titre financier, afin de diminuer la fiscalité sur les dividendes perçus. Dans les deux cas, le titre est transféré avec le bénéfice du dividende auquel il donne droit.

Mais dans le cas des CumEx, la propriété du titre est également transférée afin de tromper l’autorité fiscale. Dans le cas des CumCum, l’opération s’effectue dans un cadre légal, où des intermédiaires opèrent pour le compte des détenteurs de titres afin d’améliorer leur rendement.

La première des réponses à la fraude fiscale, c’est la clarification, entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Il appartient au Parlement d’écrire la loi et donc de donner cette première réponse. Mais ce n’est pas notre rôle d’entretenir la confusion entre fraude et optimisation fiscales.

Cette clarification vaut aussi pour les montants qui sont en jeu. Or, en la matière, le flou prédomine. Comment en serait-il autrement ? Par essence, la fraude fiscale est ce qui échappe au cadre légal, et donc à la calculette de Bercy.

Les médias ont diffusé de nombreux chiffres. On parle de milliards, souvent de dizaines, voire de centaines de milliards. On a évoqué le chiffre de 140 milliards d’euros de recettes publiques perdues à l’échelle internationale et de 33 milliards rien que pour la France. Il s’agit cependant d’une estimation sur vingt ans, ce qui réduit la facture annuelle.

La guerre des chiffres doit pourtant avoir lieu. Lors de son audition par la commission des finances du Sénat, Alexandra Givry, directrice de la direction des données et de la surveillance de l’Autorité des marchés financiers (AMF), a avancé une fourchette très différente : entre 400 millions et 1 milliard d’euros de pertes fiscales annuelles liées aux opérations de prêt-emprunt.

Mon propos n’est pas de relativiser l’impact de ces pratiques. Mais, lorsqu’on affirme que la lutte contre la fraude fiscale résorbera notre déficit public ou financera tout notre système de retraite, on va un peu vite en besogne.

En tout état de cause, notre groupe soutient une clarification du cadre fiscal applicable aux dividendes.

Dans le cas des CumEx, il s’agit de pratiques illégales et de fraude caractérisée. Nous sommes favorables à ce que l’appareil d’investigation et de sanction soit renforcé. Si la France ne semble pas être le pays le plus exposé à ce type de fraude, il est néanmoins nécessaire que nous puissions coopérer au niveau international pour enrayer ces pratiques.

Pour les CumCum, le Sénat a été force de proposition dès 2018. Au cours l’examen de la loi de finances pour 2019, plusieurs amendements, dont un de notre groupe, ont été adoptés pour clarifier le cadre existant. Malheureusement, notre proposition n’a pas été retenue par l’Assemblée nationale.

Des améliorations ont toutefois été adoptées, comme la contrainte des 45 jours de détention du titre. C’est une avancée notable.

Nous proposions à l’époque d’aller encore plus loin, en étendant la retenue à la source de l’impôt à tous les versements équivalant à des dividendes indirects à des non-résidents. Cette solution s’inspire directement du cadre légal applicable aux États-Unis, et plus précisément de la section 871(m) de leur code général des impôts. Elle a l’avantage de réduire drastiquement les dérives, de sécuriser le cadre légal pour les banques et de préserver l’attractivité de la place financière de Paris.

J’espère que nous pourrons progresser dans ce sens. C’est ce que les Français attendent de nous.

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Merci, monsieur le sénateur Verzelen, de votre intervention.

Plusieurs estimations du préjudice ont été avancées, mais nous ne disposons pas d’éléments nous permettant d’infirmer certaines évaluations très élevées, notamment les 33 milliards d’euros sur vingt ans. Je ne confirme pas ce chiffre : les évaluations se poursuivent.

Je peux cependant communiquer sur le chiffre de 2,5 milliards de droits notifiés, pénalités comprises, à la suite des vagues de contrôles réalisés par mon ministère.

Nous devons travailler avec un très grand nombre d’acteurs. Vous avez cité l’Autorité des marchés financiers, avec laquelle nous échangeons très régulièrement, afin d’évaluer la réalité du phénomène et de vérifier que nous n’entravons pas des activités bancaires classiques.

Nous devons travailler avec des acteurs qui connaissent parfaitement le fonctionnement du système bancaire pour être certains de ne pas entraver une activité bancaire nécessaire. Comme vous, nous voulons préserver la place financière de Paris dans le rapport de force international.

Certains schémas envisagés font intervenir des instruments très techniques et complexes, notamment des produits dérivés. C’est pourquoi nous devons travailler avec une très grande pluralité d’acteurs. L’Autorité des marchés financiers est l’un de ces acteurs-clés, mais je pense aussi à tous les experts qui connaissent parfaitement le monde bancaire. Les banques elles-mêmes sont des acteurs-clés pour garantir l’efficacité de ce travail.

Mme le président. La parole est à M. Rémi Féraud.

M. Rémi Féraud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens dans ce débat pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain à la suite de mon collègue Vincent Éblé, débat qui a lieu deux semaines après que le Gouvernement a annoncé la mise en œuvre d’une réforme de la lutte contre la fraude fiscale dans notre pays.

Comme notre collègue Savoldelli tout à l’heure, je note le choix du ministre de l’économie de cibler, dans ses interventions médiatiques, prioritairement la fraude aux prestations sociales. Pourtant, cette fraude, par son montant comme par sa nature, est sans commune mesure avec ce que nous savons de la fraude fiscale.

En effet, en l’absence d’évaluation précise, la fraude fiscale, qui nous intéresse aujourd’hui au travers du phénomène des dividendes, se compte en dizaines de milliards d’euros annuels : jusqu’à 80 milliards, voire 100 milliards d’euros selon certaines estimations. L’État a encaissé un peu plus de 10 milliards d’euros d’impôt à la suite des contrôles menés l’an dernier, ce qui est donc bien en deçà des montants totaux estimés de fraude fiscale.

Par conséquent, le sujet que nos collègues du groupe communiste mettent à l’ordre du jour est important. Monsieur le ministre, vous avez déjà apporté un certain nombre de réponses aux interventions de nos collègues à la tribune, mais pourquoi le Gouvernement a-t-il tant tardé ?

Comment préciser davantage la législation pour bien faire la distinction entre optimisation et fraude fiscales ? À ce titre, si, à certains moments, vous ne nous avez pas convaincus, à d’autres, nous avons trouvé vos propos encourageants. Aussi, je souhaite une clarification : nous avez-vous bien dit que vous n’envisagiez pas d’évolution de la législation sur les CumCum, ou bien vous ai-je mal compris ? De manière plus générale, ce sujet de la fraude aux dividendes entrera-t-il dans le plan gouvernemental qui sera bientôt annoncé ?

CumEx, CumCum, etc. : alors que les scandales mondiaux de fraude fiscale se multiplient, révélés par la publication des investigations menées par la presse et par les lanceurs d’alerte, il est urgent d’agir. Heureusement que les révélations des journalistes existent, car ce sont elles qui font bouger les choses. Elles sont même certainement à l’origine du débat qui est le nôtre aujourd’hui. Ne pensez-vous pas qu’il faille enfin changer d’approche en modifiant la législation plus rapidement, à la suite de scandales mettant au jour un certain nombre de pratiques fiscales ?

Puisque nous parlons de dividendes, chacun reconnaît – je vous le rappelle – à quel point nos finances publiques ont besoin de ressources nouvelles. Malgré ce constat, vous n’avez soumis l’attribution des aides publiques pendant la crise sanitaire et à la suite de celle-ci à aucune condition relative au versement de ces dividendes.

Mme Nathalie Goulet. Ce n’est pas faute de l’avoir demandé !

M. Rémi Féraud. Alors que vous avez fait passer une réforme des retraites – vous savez ce que nous en pensons et, surtout, ce que les Français en pensent –, ne jugez-vous pas qu’il est précisément temps de réintroduire un peu d’égalité et d’équité dans le système, et de mettre davantage à contribution les revenus du capital pour participer à l’effort national ?

Ce sujet technique est complexe, comme vous l’indiquiez, mais il est aussi et d’abord éminemment politique. Aussi, j’aurai une dernière question. Monsieur le ministre, vous avez pris un certain nombre d’engagements, mais nous en avions également entendu un de la part de votre prédécesseur, M. Darmanin, en 2018, concernant la création d’un observatoire de la fraude fiscale. Cet engagement n’a pas été tenu : le sera-t-il enfin ?

Mme le président. Il faut conclure.

M. Rémi Féraud. Il est grand temps, là aussi, de passer aux actes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. D’abord, monsieur le sénateur Féraud, Bruno Le Maire n’a jamais ciblé, contrairement à ce que vous indiquiez, les prestations sociales comme premier levier de la fraude dans notre pays ; il a simplement répondu à une question qui lui était posée sur le versement de prestations sociales sur des comptes bancaires étrangers. Si la question avait porté sur la fraude fiscale, sa réponse aurait porté sur la fraude fiscale !

Évidemment, le plan que je présenterai a vocation à s’attaquer à toutes les fraudes. Parfois, certains à gauche donnent le sentiment qu’il n’y aurait que de la fraude fiscale, tandis que d’autres, à droite, donnent parfois le sentiment qu’il n’y aurait que de la fraude sociale. Pour ma part, je considère qu’il y a différents types de fraudes et qu’on doit s’attaquer à toutes. La réalité, c’est qu’un euro fraudé, que ce soit au travers d’impôts non payés ou de prestations reçues indûment, c’est un euro soustrait à la solidarité nationale. C’est un préjudice pour tous les Français.

Ensuite, le sénateur Savoldelli me demandait si j’estimais nécessaire, pour s’adapter à l’évolution jurisprudentielle du Conseil d’État, de modifier la loi. Je lui ai répondu par la négative, raison pour laquelle nous avons publié une mise à jour du Bofip au mois de février dernier, laquelle est attaquée devant le tribunal administratif ; le Conseil d’État aura l’occasion de se prononcer pour savoir si elle respecte bien la législation actuelle. Nous en tirerons évidemment les conclusions, mais, en tout cas, notre conviction est que notre doctrine fiscale est conforme à l’esprit actuel de la loi.

Enfin, je ne veux pas mélanger les débats. Le sujet de la justice fiscale, que vous avez évoqué, relève du projet de loi de finances. Ici, nous parlons d’un sujet qui est celui de la fraude fiscale aux dividendes. Nous avons régulièrement eu l’occasion d’en débattre.

Je répète ce que j’ai indiqué tout à l’heure lors de mon audition par la commission des finances : je considère que la France n’est pas un paradis fiscal. Elle n’est un paradis fiscal pour personne : nous taxons plus, à chaque niveau, les contribuables que nos voisins et nous avons le deuxième plus haut taux de prélèvements obligatoires de l’OCDE. On peut débattre de certains dispositifs fiscaux, mais il est faux de dire que la France est un paradis fiscal : ce n’est pas le cas.

Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai un peu l’impression d’être dans la chanson de Barbara :

« Chaque fois qu’on parle d’amour, […]

« C’est avec “jamais” et “toujours”.

« On refait le même chemin

« En ne se souvenant de rien

« Et l’on recommence, soumise,

« Florence et Naples,

« Naples et Venise. »

On parle de nouveau de fraude fiscale ; certes, on en a parlé beaucoup, mais on n’en parle jamais assez !

Au sujet des fraudes liées à l’arbitrage de dividendes, je voudrais rappeler que le 19 novembre 2021, sur mon initiative, le Sénat, avec un avis favorable de la commission, avait de nouveau voté en faveur de mon amendement apportant une substance complémentaire à celui que j’avais déposé en 2018. Parce que je ne suis pas une femme de renoncements, le 22 novembre 2022, nous avons cette fois-ci retoqué le même amendement au motif que la commission des finances venait de rendre un rapport mettant en avant des dispositifs similaires. Nous avons donc évoqué ce sujet très régulièrement.

Concernant les conventions fiscales internationales, nous avons beaucoup cité l’action 15 du plan Beps visant à les réviser. Vous avez mis en avant la Finlande, monsieur le ministre : je trouve cela formidable. Je voudrais vous amener un peu plus au sud, là où il fait plus chaud, en Arabie saoudite ou au Qatar.

En effet, je n’ai pas eu gain de cause sur ma demande d’un rapport relatif au manque à gagner entraîné par ces conventions fiscales, formulée lors du projet de loi de finances. Vous savez que, notre assemblée n’aimant pas les rapports, mon amendement avait été retoqué. Il m’avait pourtant permis de mettre en avant le sujet. J’ai ensuite déposé une question écrite au mois de décembre dernier. J’ai reçu la réponse de vos services concernant l’évaluation du manque à gagner entraîné par ces conventions fiscales passées avec l’Arabie saoudite, Oman, Bahreïn et le Qatar. Tous les États du Golfe ont adopté un tel instrument.

Je lis la réponse de votre ministère : « S’agissant de l’incidence sur le budget de l’État des conventions fiscales signées avec les pays du Golfe, le rapport remis au Parlement en 2015, en application de l’article 108 de la loi de finances rectificative pour 2014, fait état [de ces] exonérations. » Monsieur le ministre, il ne vous a pas échappé que nous avons tous un peu vieilli, que nous sommes en 2023 ; je pense donc qu’il ne serait pas trop vous demander qu’il soit procédé à une mise à jour permettant de combler l’intervalle entre le rapport de 2015 et aujourd’hui.

Concernant les propositions que nous pouvons faire ou que nous avons faites, certains sujets sont relativement importants : je pense aux vérificateurs européens, exerçant un travail de contrôle mené également par l’OCDE dans le cadre du Beps. Il faut pouvoir avancer là-dessus parce que, comme l’ont dit Sylvie Vermeillet et d’autres, nous avons des difficultés à disposer d’agents qualifiés et payés à des niveaux raisonnables. Il faut – vous n’en doutez pas – des gens extrêmement compétents face à ces fraudes dont les auteurs sont particulièrement créatifs. Cela exige donc plus de contrôleurs au niveau européen.

Notre collègue Éric Bocquet avait proposé lors d’un énième débat sur la fraude fiscale une « COP fiscale », sur le même schéma que la COP environnementale. Ce serait vraiment une bonne idée que la France reprenne cette suggestion et que l’on puisse ainsi avancer : paradis fiscaux, ports francs, notamment au Luxembourg et en Suisse, etc. – vous savez, monsieur le ministre, à quel point ces sujets sont importants.

Une réunion des équivalents européens de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) est également nécessaire parce que nous nous heurtons à des problèmes d’échanges de données. Là aussi, il serait intéressant de mener un travail au niveau de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)