Mes chers collègues, cette question occupe nos débats depuis des années. Au cours des trois dernières années, deux propositions de loi nous ont été soumises et un grand nombre d’amendements ont été déposés, parfois adoptés, dans la discussion budgétaire.

Chaque fois, la proposition initiale est forte, mais manifestement contraire à notre Constitution et aux engagements de la France. Chaque fois, la solution qui nous est proposée est une réécriture, qui, au bout du compte, ne peut satisfaire personne.

Mes chers collègues, il est essentiel que nous agissions pour nos compatriotes établis hors de France, pour leur permettre de garder un ancrage territorial dans notre pays. Néanmoins, compte tenu des incohérences que je viens d’exposer, nous nous abstiendrons sur ce texte et nous nous rallierons au travail qui vient d’être lancé par le Gouvernement sur ce sujet. Il associera les élus, dont les membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, avec la ferme intention d’aboutir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Rémi Féraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi une proposition de loi qui vise à compléter le droit des statuts fiscaux en créant un nouveau statut, celui de résidence d’attache.

Concrètement, elle permettrait, dans un certain nombre de situations, aux Français établis hors de France d’éviter de payer la taxe d’habitation sur les résidences secondaires.

Je m’exprime ici au nom du groupe socialiste sur les implications de cette mesure fiscale et bien que j’aie déjà eu, comme rapporteur spécial du budget de la mission « Action extérieure de l’État », l’occasion de m’intéresser à ces questions, Jean-Yves Leconte, qui représente les Français établis hors de France, y reviendra également.

Qui est visé par cette proposition de loi ? L’article 2 détermine les cas de figure dans lesquels s’applique le statut de résidence d’attache.

Si le bien produisait des revenus locatifs, la taxe applicable aux locataires serait de fait la taxe d’habitation sur les résidences principales, aujourd’hui supprimée. Les biens mis en location ne sont donc pas concernés.

De même, dans l’hypothèse d’une domiciliation des ayants droit du propriétaire, c’est de nouveau la taxe d’habitation qui s’appliquerait. Un bien immobilier dans lequel le conjoint ou les enfants continueraient de vivre à l’année n’est donc pas concerné non plus.

Par conséquent, du moins dans son intention initiale et avant les travaux de la commission, ce texte met en place de façon indiscriminée – et c’est son véritable objectif – une exonération totale de taxe d’habitation sur les résidences secondaires pour les Français établis hors de France.

Pour notre groupe, cela n’est pas acceptable, car contraire aux principes essentiels et à des objectifs de politique publique prioritaire.

Nous sommes nombreux à partager cet avis. En effet, la généralisation de cette mesure serait inéquitable et probablement inconstitutionnelle. Elle viendrait rompre l’égalité de traitement au détriment de nos concitoyens vivant en France et possédant une résidence secondaire.

Elle encouragerait par ailleurs le maintien de nombreux logements vides, alors que l’on connaît l’ampleur de la crise du logement dans notre pays et que nous devons tout faire pour la résoudre.

Elle créerait aussi un lien très général, et peut-être dangereux dans ses conséquences, entre nationalité et fiscalité.

Enfin, elle pourrait peser lourdement sur les finances publiques, sans aucune nécessité puisque l’immense majorité de nos compatriotes établis à l’étranger vivent dans des pays où leur sécurité n’est pas menacée.

Pour limiter la portée générale de cet avantage fiscal, qui nous paraît disproportionné, notre groupe a déposé des amendements visant, pour rendre celle-ci légitime, à conditionner cette exonération, démarche déjà entamée par la commission et son rapporteur, Jérôme Bascher.

Dans des cas très précis, en effet, correspondant à des pays en guerre ou en grande instabilité, la création d’une disposition fiscale favorable peut être légitime, bien sûr. Comme vous le dites vous-même dans l’exposé des motifs, cher Ronan Le Gleut, les conflits en Ukraine et dans la région du Tigré sont de récents exemples de la nécessité de prévoir une résidence d’attache, de refuge ou de repli. On peut penser aussi à un certain nombre de pays d’Afrique subsaharienne, où la situation est particulièrement instable.

C’est pourquoi, pour nous prononcer favorablement sur ce texte, nous souhaitons ajouter comme condition préalable au dégrèvement de THRS le fait de résider dans un pays classé par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères en zone rouge, voire en zone orange. Cela réserverait le bénéfice de cet avantage fiscal à nos concitoyens vivant dans des pays très risqués et vaudrait pour la THRS comme pour l’exonération totale en cas de retour précipité et contraint.

En effet, dans ce cas, il est juste d’aider nos compatriotes davantage que dans le cas général. Si le ciblage fait par la commission est bien réel, il reste trop partiel. Nos amendements visent à l’améliorer.

Pour résumer : oui à une résidence d’attache, bénéficiant d’un avantage fiscal, pour nos compatriotes vivant à Kiev ou à Ouagadougou, mais seulement pour eux, car ils sont les seuls à avoir besoin d’un refuge, qu’ils le mobilisent ou non dans l’année fiscale.

Voilà notre réaction à ce texte : vigilante, mais aussi très constructive. J’espère que nos travaux nous permettront, en délimitant précisément la notion de résidence d’attache comme un véritable refuge, de l’adopter. J’entends, monsieur le ministre, les éventuelles fragilités juridiques. Mais si ce texte était adopté dans ces conditions, il constituerait une base sur laquelle le travail pourrait utilement se poursuivre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici face à une énième tentative de créer, disons-le, un nouveau cadeau fiscal pour les non-résidents français. Cette proposition de loi déposée par nos collègues du groupe Les Républicains n’aurait-elle pas, au fond, un parfum électoraliste ? Je vous pose la question avec un brin d’insolence, même si vous y avez déjà répondu… (Sourires sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Cette proposition de la droite sénatoriale repose en effet sur une idée qui me paraît tout à fait inquiétante, selon laquelle les Français ayant choisi de s’expatrier doivent avoir le moins possible de relations fiscales avec la Nation. Autrement dit, toute contribution qui leur serait demandée mériterait d’être diminuée, voire supprimée. On est très loin de l’aide au retour…

Paradoxalement, et cet argument vaut le détour, l’application de la majoration de THRS créerait un sentiment d’injustice chez ceux qui ont fait le choix de l’exil. Vous avez voté cette majoration dans le projet de loi de finances pour 2023. Celle-ci serait injuste pour les non-résidents, pour reprendre les mots de l’auteur de ce texte, mais juste pour les résidents ! Dans les deux cas, pourtant, ces logements ne sont pas occupés, se situent trop souvent dans des zones tendues, où le manque d’habitations est important et où le prix de l’immobilier explose. Mais les règles fiscales devraient, selon vous, être différentes selon qu’on est d’un côté ou de l’autre de la frontière.

Ce texte crée des inégalités non pas uniquement entre les Français, que vous discriminez les uns par rapport aux autres : vous discriminez également les non-résidents entre eux, sans fondement juridique, sans viser un objectif de politique publique, et sans vous être suffisamment enquis du risque d’inconstitutionnalité de votre proposition de loi – vous qui nous déclariez il y a quelques semaines détenir le monopole du sérieux législatif.

Pour rappel, je précise que l’administration fiscale ne connaît pas la nationalité des contribuables. Elle n’en a jamais eu besoin. Jamais ! Pour la simple et bonne raison que, en application de l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, consacré à l’égalité devant la loi, et pour citer le Conseil constitutionnel, « la différence de traitement qui en résulte » doit être « en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

Votre objectif, selon l’exposé des motifs, est que « cette résidence constitue un point d’attache avec la France, qui les relie à leur famille et à leur patrie ».

Dès 1983, le Conseil constitutionnel a fondé son contrôle sur les « critères objectifs et rationnels » de la différence de traitement sur le plan fiscal.

Alors que les résidences secondaires sont l’une des principales causes de la hausse des prix de l’immobilier, vous tentez de justifier l’injustifiable, au motif qu’une majoration de THRS empêche les Français expatriés de conserver leur lien avec la France… Soyons concrets : il s’agit de quelques centaines d’euros par année, alors que d’autres types d’hébergement – résidence chez la famille ou les amis, hôtel, location, accueil solidaire – permettent aux Françaises et aux Français expatriés de s’établir temporairement en France, pour ceux qui n’auraient pas les moyens de s’acquitter d’une telle taxe.

Au risque de vous choquer, dois-je vous rappeler qu’à l’heure où vous vous préoccupez de ceux qui sont propriétaires, mais ne résident pas dans leur logement, seuls 38 % des résidents en France sont propriétaires non-accédants, c’est-à-dire sans crédit à supporter. Pis, 14 % des résidents en France disposeraient d’un autre logement en France, 4,9 % d’une résidence secondaire. Votre proposition n’est finalement ni plus ni moins qu’un moyen de consacrer les inégalités.

Ce ne serait que regrettable si ce n’était habituel. Alors que la concentration du patrimoine immobilier s’est accrue depuis 2000 de 125 milliards d’euros, dont la moitié résulte de l’augmentation de la part détenue par les non-résidents, vous déclarez par cette proposition de loi que les inégalités territoriales ne vous concernent pas. Pis encore, vous aggravez la fracture.

Les revenus annuels déclarés par les non-résidents de la dernière tranche d’imposition culminaient, en moyenne, à 121 682 euros, contre 69 998 euros pour les résidents.

Mes chers collègues, cette proposition de loi créerait un effet d’aubaine pour les plus fortunés, ceux qui connaissent le mieux la fiscalité – car votre déclaration, si j’ai bien compris, se ferait sur demande. Une aide au retour, ciblée sur certaines zones, oui ; mais ce texte n’a rien à voir avec une telle idée. C’est un cadeau électoraliste.

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à créer, à compter du 1er janvier 2023 – c’est-à-dire de manière rétroactive – un nouveau statut de résidence fiscale : la résidence d’attache.

À première vue, l’objectif semble louable. Il s’agit d’offrir, en cas d’urgence, à ceux des quelque 2,5 millions de Français qui vivent à l’étranger et qui ont conservé en France une résidence libre de toute occupation, un statut ad hoc et, en somme, un traitement fiscal préférentiel.

Ces résidences sont actuellement considérées par le droit fiscal comme des résidences secondaires, et sont par conséquent assujetties à la taxe d’habitation. Il est vrai que les propriétaires de résidences secondaires sont particulièrement exposés à la fiscalité locale, alors qu’ils consomment sensiblement moins de services locaux que les propriétaires de résidences principales. Ils ne bénéficient pas de l’abattement dans le calcul de la taxe d’habitation et paient des frais de gestion plus élevés aux services fiscaux. Leur situation relative a encore empiré depuis qu’ils restent seuls à payer la taxe d’habitation.

Nous l’avons dit et redit, mais c’est l’occasion de le répéter : la suppression de la taxe d’habitation sur la totalité des résidences principales non seulement a réduit l’autonomie fiscale des collectivités locales – une autonomie responsable, en ce sens que le choix du niveau de dépenses avait une conséquence directe sur les impôts des électeurs locaux –, mais elle a de surcroît relâché presque totalement le lien démocratique, en dissolvant le contrat local entre citoyens et élus, entre taxation et représentation, qui n’a apparemment pas de valeur constitutionnelle en France…

Toutefois, la solution proposée par la présente proposition de loi n’est pas totalement satisfaisante, ce qu’a du reste reconnu notre rapporteur Jérôme Bascher en commission des finances. Le texte confère en effet à ces résidences d’attache des droits spécifiques, en particulier en matière fiscale.

La proposition de loi prévoyait initialement une exonération complète de taxe d’habitation sur les résidences secondaires au bénéfice des résidences d’attache. Jérôme Bascher – que je tiens à saluer pour la qualité du travail accompli – a proposé d’y substituer un dégrèvement pris en charge par l’État l’année du retour d’un Français de l’étranger, lorsque ce retour est justifié par la survenue d’un événement extérieur à la volonté de celui-ci, qui met en danger sa vie ou celle des membres de sa famille ou qui rend matériellement impossible son habitation dans le pays d’accueil.

La commission a également proposé de soutenir les Français de l’étranger en supprimant, pour les seules résidences d’attache, la majoration de THRS dans les zones tendues.

Une exonération complète aurait, d’après les estimations du rapporteur, coûté 340 millions d’euros aux finances publiques.

M. Jérôme Bascher, rapporteur. Et même plus !

M. Jean-Michel Arnaud. Le resserrement du périmètre de l’allégement fiscal se justifie aussi pour des raisons constitutionnelles, qui imposent de respecter le principe d’égalité devant les charges publiques.

Mais pourquoi n’accorder ces avantages fiscaux qu’aux seuls Français résidant à l’étranger ? « Privilège suppose quelqu’un pour en jouir et quelqu’un pour le payer », écrivait Frédéric Bastiat. Je suis, pour ma part, à l’image de ma collègue Vanina Paoli-Gagin, attaché au caractère universel de la loi, y compris la loi fiscale.

Ces avantages catégoriels, ciblés – probablement un hasard – à quelques mois des élections sénatoriales, sur les seuls Français résidant à l’étranger, nous semblent nuire tout à la fois aux finances publiques, à l’égalité devant l’impôt et à la clarté du système fiscal.

Par ailleurs, le ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger, Olivier Becht, a indiqué il y a tout juste une semaine que les parlementaires représentant les Français de l’étranger, dont notre collègue Olivier Cadic, allaient examiner la proposition du Président de la République, Emmanuel Macron lui-même, qui, pendant la campagne présidentielle, s’était engagé à créer un statut de résidence de repli.

L’objectif de ce groupe de travail, qui vous a été confié, monsieur le ministre, et auquel nous participerons, est d’arrêter dans un premier temps une définition de la notion de résidence d’attache, ou de repli. Ce n’est qu’une fois cette définition arrêtée que la résidence d’attache ou de repli devrait être assortie d’un régime fiscal adapté, vraisemblablement à l’occasion du projet de loi de finances pour 2024. Rendez-vous au moment de son examen, donc ! Mal calibrée, la présente proposition de loi nous paraît prématurée. Pour l’ensemble de ces raisons, les membres du groupe Union Centriste ne la voteront pas. (Mme Anne-Catherine Loisier applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la décision de supprimer la taxe d’habitation a été une mesure à la fois aberrante, démagogique et profondément injuste.

Aberrante, d’une part, parce qu’elle a privé les collectivités locales de ressources financières autonomes, d’autre part, et surtout, parce qu’elle fait dorénavant reposer la fiscalité locale sur des décisions prises par des gens qui ne la supportent pas, alors même que les premiers bénéficiaires des dépenses des communes sont leurs habitants, et non les propriétaires de résidences secondaires.

Cette mesure était aussi profondément injuste. L’illustration de cette injustice est apportée par la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui. En effet, il n’y a pas de raison de faire une différence de traitement entre une résidence principale et la résidence de sauvegarde d’un Français qui réside à l’étranger, surtout lorsqu’il y a des risques d’expulsion ou de départ non programmé de ce pays.

Pour ma part, je soutiens donc cette proposition de loi.

Je déplore toutefois l’application parfois trop systématique et trop restrictive de l’article 45 de la Constitution, qui nous empêche d’examiner un certain nombre d’amendements.

Mme Nathalie Goulet. Absolument !

M. Jean Louis Masson. Beaucoup plus qu’il y a une quinzaine ou une vingtaine d’années, nous en « rajoutons » par rapport à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Si nous votons une disposition que celui-ci censurera par la suite, eh bien ce n’est pas grave ! En l’espèce, j’ai déposé sur ce texte des amendements qui ont été écartés. Je m’incline, mais que le Sénat ne fasse pas le travail du Conseil constitutionnel. J’espère que ceux qui nous succéderont sur ces travées finiront par en prendre conscience.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le poète franco-suisse Blaise Cendrars écrivait : « Quand on aime, il faut partir. » Peut-on déceler dans ces mots qu’un lien charnel avec la mère patrie persiste chez de nombreux concitoyens installés à l’étranger ?

Aujourd’hui, environ 1,7 million de personnes sont inscrites au registre des Français établis hors de France, mais les autorités estiment leur nombre total à près de 2,5 millions. Par comparaison, près de 3 millions de nos concitoyens vivent dans des départements et collectivités d’outre-mer.

Les profils des expatriés sont divers, mais, parmi les personnes enregistrées, les adultes avec enfants et les seniors sont nettement majoritaires. La majorité d’entre eux sont installés à l’étranger pour des séjours de longue durée, et près de la moitié possèdent une autre nationalité. Pour beaucoup, l’expatriation apparaît donc comme un mode de vie à part entière.

Au niveau politique, ils sont représentés par l’Assemblée des Français de l’étranger. Ils élisent également des représentants à l’Assemblée nationale depuis 2012, et depuis 1946 au Sénat – à l’époque Conseil de la République.

Leur participation aux élections reste toutefois plus faible que la moyenne, pour des raisons à la fois politiques et pratiques.

Par définition, les Français établis hors de France ne peuvent avoir leur résidence fiscale en France. Celle-ci n’a d’ailleurs pas de lien avec la nationalité : selon le code général des impôts, une personne est considérée comme résidant fiscalement en France si son foyer ou lieu de séjour principal est situé en France, si elle travaille en France, ou bien si le « centre de ses intérêts économiques se trouve en France ».

Les agents publics exerçant à l’étranger sont considérés comme résidant en France s’ils ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu dans leur pays de résidence.

La réforme de la taxe d’habitation, lancée en 2018, s’est achevée cette année avec, depuis le 1er janvier, la suppression de l’imposition sur les résidences principales pour l’ensemble des ménages.

La question de la compensation des pertes de recettes pour les communes et les intercommunalités a été maintes fois abordée, et l’on pouvait s’attendre à des répercussions de la réforme sur la taxe foncière et la THRS.

Dans l’imaginaire collectif, la résidence secondaire est souvent associée à la maison de vacances, qu’il s’agisse d’une maison à la campagne, au bord de la mer, à la montagne ou d’un simple pied-à-terre dans une grande ville. Comme dans bien d’autres domaines, le fisc, lui, ne fait pas de sentiment, et il ne distingue pas, parmi ces résidences, celle qui peut aussi être la maison de famille.

Lors de l’examen de la dernière loi de finances, il a été question de la nouvelle articulation à trouver entre la taxe foncière et la THRS, comme la taxe d’habitation sur la résidence principale a disparu en tant qu’impôt local de référence. Les amendements adoptés au Sénat n’avaient finalement pas été conservés en nouvelle lecture.

N’oublions pas non plus la taxe sur les logements vacants, qui peut s’appliquer dans les zones résidentielles tendues.

Dans ce contexte, la présente proposition de loi suscite quelques interrogations. La version initiale prévoyait une exonération pure et simple de la taxe d’habitation pour les Français non-résidents déclarant une résidence d’attache, catégorie nouvellement créée et dérogeant à la définition commune de la résidence fiscale.

La semaine dernière, la commission des finances est allée dans la bonne direction en resserrant le dispositif : l’exonération est devenue une non-majoration de la taxe d’habitation, et un dégrèvement spécifique a été introduit pour leur année de retour au bénéfice des Français qui seraient contraints de revenir en France, notamment en cas de perte d’emploi, de guerre ou d’autre catastrophe.

Si ce dernier cas s’est produit récemment avec les conflits en Ukraine ou en Éthiopie, on peut se demander si le dispositif demeure parfaitement adapté à un tel objectif, en particulier la non-majoration. Par ailleurs, la question de sa pertinence vis-à-vis des autres catégories de contribuables, comme les résidents français ou bien les propriétaires étrangers, peut se poser.

C’est pourquoi les membres du RDSE se montrent, au minimum, réservés sur l’adoption de la présente proposition de loi. Une grande partie d’entre eux s’abstiendra.

M. Jean-Noël Guérini. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christophe-André Frassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi créant une résidence d’attache pour les Français établis hors de France, portée par notre collègue Ronan Le Gleut, est une demande ancienne de la part des représentants – de tous bords politiques – des Français établis hors de France.

« Sur le dossier fiscal fondamental de la résidence unique que certains possèdent en France et qui représente un lien solide avec notre pays, le groupe de travail “fiscalité”, mis en place en novembre 2004, a obtenu l’appellation “habitation unique en France”. Par souci d’égalité, nous agirons pour que vous soyez soumis à l’avenir aux mêmes impositions et aux mêmes taxes que les Français de métropole pour votre habitation en France. »

Demande récurrente également, donc, car les mots que je viens de prononcer sont ceux du candidat Nicolas Sarkozy dans sa lettre adressée aux Français de l’étranger le 30 mars 2007.

J’ai également retrouvé, en relisant cette lettre, la plupart des sujets que nous défendons encore aujourd’hui, comme la création d’un « fonds d’urgence pour les Français de l’étranger victimes de catastrophes naturelles ou d’événements politiques majeurs », adoptée par le Sénat à l’unanimité, sur proposition de notre collègue Ronan Le Gleut le 30 juin 2020.

Sous une forme juridique ou une autre, que son appellation soit « habitation unique », « résidence de repli », « résidence d’attache » ou « résidence de refuge », le sujet est abordé depuis de nombreuses années.

Pour de sombres raisons, sur lesquelles je ne reviendrai pas, le statut fiscal de l’habitation unique a été dévoyé et s’est d’ailleurs assorti depuis 2012 d’une batterie de nouvelles taxes et impôts, dont les Français de l’étranger ont été les cibles. Inutile de vous rappeler l’épisode de la CSG-CRDS…

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui permettrait à nos compatriotes expatriés de bénéficier d’un dégrèvement de la taxe d’habitation sur leur résidence située en France.

Sous une forme ou une autre, cet aménagement a toujours été compris et adopté par le Sénat, à de nombreuses reprises, par le biais d’amendements au projet de loi de finances – y compris pour celui de 2023 – ou de propositions de loi, comme celle du président Bruno Retailleau, adoptée le 19 mai 2020.

J’y apporte bien évidemment tout mon soutien et celui du groupe Les Républicains, car, comme l’a très justement rappelé notre collègue Ronan Le Gleut, la résidence en France de nos compatriotes de l’étranger n’est pas qu’un lieu de villégiature pour exilés fiscaux ; c’est un véritable port d’attache, qui n’a rien de secondaire, notamment en cas d’urgence.

Sous certaines conditions, cette résidence de repli, voulue par le Président de la République, ou d’attache, appellation qui me semble plus pertinente et plus concrète, ne peut souffrir d’une rupture d’égalité au regard, notamment, de l’assujettissement à la taxe d’habitation. Jusque-là, tout va bien.

Même si je ne suis pas né de la dernière pluie, j’ai entendu les réticences de certains, fondées sur la crainte d’une possible inconstitutionnalité du texte. Je regrette néanmoins que la proposition de loi présentée aujourd’hui se retrouve quelque peu allégée, malgré le fait que le Sénat en ait adopté à de nombreuses reprises le fond, comme le président Retailleau peut le confirmer.

Je tiens à saluer ici le travail du rapporteur Jérôme Bascher, qui a su, malgré de nombreuses contraintes, proposer un dispositif qui n’est pas aussi ample, mais qui marque une avancée notable en faveur de nos compatriotes de retour en France qui, « en raison de la survenue d’un événement extérieur à leur volonté dans leur pays d’accueil qui met en danger leur vie ou celle de leur famille ou qui y rend matériellement impossible une habitation durable, ont été contraints de venir résider dans leur résidence d’attache ».

Il n’en demeure pas moins que des interrogations subsistent, et elles sont légitimes. Pourquoi une résidence non louée, seul lien avec la France – et, encore une fois, port d’attache de nos compatriotes – n’entrerait-elle pas dans le dispositif que propose la commission ?

Concomitamment, signe de la pression exercée par le Sénat sur le Gouvernement depuis que nous avons lancé l’alerte sur la question de la résidence d’attache, la mise en place d’un groupe de travail sur cette question est désormais acquise et placée sous votre tutelle, monsieur le ministre délégué chargé des comptes publics.

Ce texte représente une avancée, ne nous le cachons pas, mais une avancée plus modeste que nous ne l’aurions souhaité, ne nous le cachons pas non plus.

C’est dire, monsieur le ministre, que le groupe de travail – le énième qui est mis en place depuis quinze ans que je suis élu – n’a pas spécialement intérêt à être, une fois de plus, un énième groupe de travail pour rien. Nous en attendons des avancées concrètes, en vue du projet de loi de finances pour 2024. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de Ronan Le Gleut répond à une revendication exprimée depuis longtemps par les Français de l’étranger qui ont la chance – car cela en est une – d’avoir une résidence en France, alors qu’ils travaillent et vivent à l’étranger. Cette revendication, c’est de ne pas avoir à payer la THRS, et que la résidence soit traitée comme une résidence principale. Elle est devenue plus aiguë depuis que la taxe d’habitation a été progressivement supprimée.

Je rappelle toutefois le courrier que David Franck, le conseiller des Français de l’étranger d’Ukraine, a envoyé à Olivier Becht à la fin de février. Il y témoigne de l’importance, pour les Français et les Françaises qui sont dans des zones difficiles, d’avoir en France une résidence où ils puissent se replier, pas forcément de façon définitive, mais pour souffler et trouver, en somme, un abri. Outre les Français d’Ukraine, il évoquait l’Éthiopie, ou la situation au Burkina Faso, au Mali et au Sahel. Il évoquait également les zones de catastrophe naturelle mentionnées par Mélanie Vogel et les situations d’épidémies, comme nous en avons vu en Chine dernièrement.

Même si cette proposition de loi peut apparaître comme un marronnier électoral, il semble important de répondre aux attentes des Français qui ont besoin d’une résidence pour les protéger lorsqu’ils vivent dans des situations difficiles.

Je rappelle pourtant qu’un Français de Toulouse qui part travailler à Lille, s’il a une résidence à Toulouse, verra celle-ci devenir sa résidence secondaire. Mais s’il part travailler à Bruxelles, d’après le texte initial de la proposition de loi, ce sera une résidence d’attache… Vous avez tenté, monsieur le rapporteur, de corriger le texte pour éviter toute rupture d’égalité devant l’impôt.

Comme sénateur des Français de l’étranger, j’ai toujours refusé d’introduire la notion de nationalité dans le code général des impôts, en positif comme en négatif.

Puis, notre pays doit respecter le droit européen. Qu’en serait-il des ressortissants de l’Union européenne qui auraient une résidence dans notre pays ? Faudrait-il les traiter comme des Français ?

Malgré ce qui a été dit sur les logements situés en zones tendues, nous avons la conviction qu’il est possible de concilier cet objectif de solidarité avec les remarques qui ont pu être faites en matière d’égalité devant l’impôt et de droit européen. Nous saluons le travail du rapporteur sur ce point, même si nous considérons que celui-ci mérite d’être encore affiné.

D’abord, un dégrèvement global nous semble inadéquat. Mieux vaudrait le restreindre aux zones de danger. Vous l’avez restreint aux personnes qui rentrent définitivement, alors que l’expérience montre que l’on rentre pour trouver un havre de tranquillité avant de repartir travailler à l’étranger. Ce dégrèvement doit donc concerner tous les Français de l’étranger qui vivent dans les zones en tension.

C’est pourquoi nous avons proposé la notion de zone rouge, tirée des conseils aux voyageurs du ministère des affaires étrangères. Elle pourra évoluer au cours de la navette et pour tenir compte des réflexions du groupe de travail, car nous ne prétendons pas faire entrer cette notion dans le code général des impôts de manière automatique.

En tout état de cause, nous considérons qu’il faut avancer sur ce point, compte tenu de la situation des Français qui vivent dans des zones difficiles, en particulier dans les zones rouges. C’est la raison pour laquelle, sous réserve de l’adoption des amendements que nous avons déposés, nous soutiendrons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Renaud-Garabedian. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’entamerai mon propos en rappelant un chiffre que je répète régulièrement : 3,5 millions de Français résident à l’étranger, soit un nombre supérieur à la population des cinq départements d’outre-mer réunis. Beaucoup d’entre eux restent propriétaires d’une résidence en France.

Ils sont propriétaires d’une maison de famille ou disposent d’un pied-à-terre lorsqu’ils sont de passage en France ou quand leurs enfants viennent y faire leurs études. Il s’agit pour eux d’un refuge quand la situation sécuritaire s’aggrave dans leur pays de résidence ou quand une catastrophe naturelle y survient. Il s’agit parfois simplement de leur résidence principale qu’ils retrouvent lorsqu’ils rentrent définitivement en France, comme beaucoup l’ont d’ailleurs fait lors de la crise sanitaire.

Dès qu’ils quittent la France, leur résidence principale n’est plus qu’une résidence secondaire, qualification étonnante puisqu’il s’agit de leur unique résidence en France.

Ces Français sont redevables de la taxe d’habitation sur cette résidence dite « secondaire » et, dans certains cas, de la taxe sur les logements vacants. En outre, ils n’ont pas droit au dispositif MaPrimeRénov’.

Depuis plus de quinze ans, comme l’ont rappelé mes collègues, la création d’un statut de résidence d’attache ou de résidence de repli est une promesse qu’ont faite, mais jamais tenue, plusieurs candidats à l’élection présidentielle.

Aujourd’hui, nous examinons la proposition de loi de notre collègue Ronan Le Gleut, qui prévoit de faire de la résidence secondaire des Français de l’étranger une résidence d’attache et de les exonérer de la taxe d’habitation, sous certaines conditions.

Sur le fond, je ne peux que partager les visées de la proposition de loi de notre collègue ; sur la forme, j’émets des réserves sur le dispositif retenu.

Le texte ne crée pas, à mon sens, un statut distinct pour les biens détenus en France par les Français de l’étranger, il les classe dans une catégorie déjà existante, celle des résidences secondaires. Dès lors, introduire un traitement fiscal différent entre deux résidences secondaires, selon le lieu de vie de son propriétaire, soulève, selon moi, un risque d’inconstitutionnalité fort, qu’il faut à tout prix éviter.

Le texte revu par la commission des finances ne prévoit le dégrèvement de la taxe d’habitation que pour les Français contraints de venir résider dans leur résidence d’attache en France pour des motifs extérieurs à leur volonté et pour assurer leur sécurité.

Si cette exonération est la bienvenue, elle n’est que marginale. Elle n’est prévue que pour le temps que la situation se stabilise dans leur pays de résidence. Elle ne répond donc pas à la problématique de la résidence unique détenue par les Français de l’étranger.