M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une nouvelle proposition de loi dont l’objectif affiché est d’améliorer l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé.

Souvenons-nous de la crise liée à la covid-19 et de l’extrême agilité dont ont fait preuve les professionnels pour s’organiser et travailler ensemble, comme jamais auparavant. Ils ont relevé des défis incroyables. Nous avons tous salué cette nouvelle façon de faire ; nous avons tous dit que nous en tirerions les leçons et qu’il fallait laisser le terrain s’organiser.

Mais, avec l’examen de cette proposition de loi, les choses prennent une tout autre tournure… Cet examen intervient en effet alors que les négociations conventionnelles ne sont pas achevées, que les conclusions du Conseil national de la refondation ne sont pas rendues, que l’expérimentation de l’accès direct aux infirmiers en pratique avancée commence à peine, et déjà se termine.

La concorde entre professionnels de santé s’est transformée en défiance. On voit les uns s’opposer aux autres, parfois de manière un peu fleurie. La colère et l’inquiétude sont grandes chez les médecins, qui voient dans les mesures portées par le texte un risque de désorganisation et de dégradation des soins. Les professions paramédicales, elles, l’accueillent avec satisfaction.

J’ai beaucoup échangé avec les professionnels de santé – ces derniers jours encore plus – et tous s’accordent à dire que la montée en compétences et les partages de tâches sont des évolutions positives. Ils sont d’ailleurs nombreux, je crois, à avoir entamé le virage de ces nouvelles pratiques.

Dès lors, quel est le point de crispation ? C’est principalement l’accès direct et le sentiment de dévalorisation qui inquiètent et font monter la colère dans la profession médicale. Ce serait, je pense, une erreur de réduire cette colère à une simple réaction de corporatisme.

Si je vois dans les montées en compétences des métiers un levier d’amélioration de la prise en charge des patients, ainsi qu’un facteur d’attractivité, je n’envisage cette évolution que dans un cadre coordonné autour du médecin traitant, qui est et doit rester le pivot de la prise en charge. C’est pourquoi, avant de légiférer à nouveau, j’aurais préféré que l’expérimentation de l’accès direct aux IPA aille à son terme et nous permette, préalablement à son extension définitive, une véritable évaluation de la mesure.

Je tiens à saluer très sincèrement le travail, qui n’a pas été facile, de la commission et de sa rapporteure Corinne Imbert. De manière pragmatique et équilibrée, il permet de renforcer l’encadrement de l’accès direct aux professions paramédicales, afin d’allier accès aux soins et sécurité du patient.

La suppression des notions d’IPA praticiens ou spécialisés va dans le bon sens, tout comme le fait de réserver l’accès direct aux IPA aux structures de proximité que sont les équipes de soins primaires et les maisons de santé.

L’autorisation de l’accès direct aux kinésithérapeutes dans la limite de cinq séances, comme la commission l’a proposé, me paraît acceptable. À titre personnel, je suis moins favorable à la prescription de l’activité physique adaptée par les kinésithérapeutes, celle-ci demandant un examen plus global du patient.

La création d’un assistant dentaire de niveau II est une bonne chose, de même que la prise en charge des plaies par les infirmières, allant de la prévention jusqu’à la réalisation d’examens complémentaires.

Je partage par ailleurs l’ambition de mettre un coup d’arrêt aux pratiques, inacceptables et préjudiciables à tous, consistant à prendre des rendez-vous et ne pas les honorer. Il est urgent de responsabiliser les patients, afin de libérer des créneaux pour ceux qui en ont vraiment besoin. Toutefois, je doute du caractère opérationnel de l’amendement adopté en commission, susceptible à mes yeux d’être source de nombreux contentieux.

Le temps qui m’est imparti ne me permettant pas d’entrer plus en détail dans le contenu de cette proposition de loi, je m’exprimerai plus avant au cours de l’examen des amendements.

Si la crise de notre système de soins nécessite des réformes profondes et durables – autant de changements qui ne sont pas simples à mettre en œuvre –, si, comme nous en sommes convaincus, le statu quo n’est pas possible, mon groupe demeure vigilant quant à une potentielle désorganisation du parcours de soins, voire une dégradation de ce dernier. Il faut que médecins et professions paramédicales travaillent ensemble de manière coordonnée, mais c’est bien le médecin qui doit rester le pivot de l’équipe.

Gardons-nous d’une inflation de propositions de loi n’apportant aucune réponse structurelle. L’urgence est de former des médecins, de rendre l’exercice des professions de santé attractif, de donner envie aux jeunes de s’installer, de répondre à une crise identitaire que traverse la médecine générale. Pour cela, il faut restaurer la confiance.

Je formule donc le vœu qu’en ce jour de Saint-Valentin, nous parvenions à réunir tous les professionnels, médicaux et paramédicaux, autour d’un projet commun de refondation profonde de notre système de santé. Nous devons le faire avec eux, et pas contre eux ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a rappelé Corinne Imbert dans son rapport, la question de la répartition des compétences entre les différentes professions de santé était déjà posée dans le rapport du professeur Yvon Berland, qui invitait à « redéfinir les missions des médecins avec le souci qu’ils soient utilisés de manière optimale à leur juste niveau de formation ». C’était il y a vingt ans !

En 2014, dans un rapport cosigné par Catherine Génisson, notre collègue Alain Milon invitait à ce nouveau partage des tâches, alors que la formation des médecins s’allongeait et que se renforçait dans le même temps celle des paramédicaux.

Il y a donc bien une voie à explorer, dans laquelle notre pays s’est engagé plus tardivement et moins fortement que d’autres du fait de son histoire et, probablement, de l’expérience des officiers de santé, passée à la postérité sous les traits peu flattés de Charles Bovary et l’épisode du pied bot du malheureux Hippolyte.

Pourtant, cette évolution est d’autant plus nécessaire que le temps médical se fait plus rare et que nous souhaitons parallèlement développer la coopération des professionnels de santé autour du patient.

Je crois pouvoir dire que cet objectif est plutôt consensuel ; nous le voyons quotidiennement sur le terrain, au sein des équipes de soins primaires ou des maisons de santé pluriprofessionnelles de nos territoires. Ce qui l’est beaucoup moins, c’est la manière dont cette coopération doit s’opérer concrètement.

Les infirmiers en pratique avancée, créés par la loi de 2016, n’ont connu qu’un développement limité, entravé par des textes réglementaires restrictifs.

Les expérimentations adoptées dans différents projets de loi de financement de la sécurité sociale n’ont pas été jugées suffisamment prioritaires pour se voir dotées d’un décret d’application.

Plus récemment, l’annonce d’un accord intervenu dans le cadre d’un comité de liaison entre les différents ordres, le Clio, a rapidement fait place à un niveau de défiance très élevé entre les professions et à l’égard du Gouvernement.

Pour compliquer encore le dossier, son calendrier est parallèle à celui des négociations conventionnelles entre l’assurance maladie et les syndicats de médecins, ces derniers ayant quitté la table des négociations le 20 janvier dernier.

Tel est le contexte, devenu tendu – chaque partenaire prête à l’autre les intentions les plus sombres –, dans lequel nous sommes appelés à légiférer.

Tout en partageant l’objectif, je ne crois pas que la méthode soit adaptée, notamment lorsqu’il s’agit de pérenniser une expérimentation prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, dont l’encre est à peine sèche, mais aussi d’ajuster, parfois de façon très pointilliste, les compétences de tel ou tel professionnel. Cette matière étant réglementaire, l’intervention du législateur produit des résultats peu concluants dans ce domaine.

Est-ce à la loi d’entrer dans un tel niveau de détail ? Sans doute pas. Faut-il utiliser le débat parlementaire dans le cadre de négociations conventionnelles ? Je ne le crois pas non plus.

C’est pourquoi notre commission a supprimé les dispositions relatives à l’engagement territorial des médecins. Elles étaient trop floues pour produire elles-mêmes des effets normatifs. Par ailleurs, elles sont censées être traitées par la voie conventionnelle ; souvenons-nous de l’article 35 voté en loi de financement de la sécurité sociale. Enfin, elles étaient de nature à agiter inutilement un chiffon rouge dont il serait plus judicieux de se passer.

Rappelons également que notre système de santé est abîmé par une crise structurelle, avec des professionnels confrontés à une perte de sens.

Avec la rapporteure Corinne Imbert, nous aurions préféré un report du texte, le temps qu’un nécessaire apaisement soit obtenu. Cela n’a pas été possible. Nous invitons donc le Sénat à garder le cap d’un nécessaire partage des tâches, à retrouver les conditions d’une indispensable sérénité entre les professionnels et à sécuriser les questions de responsabilité et de formation. C’est toujours l’intérêt du patient qui doit nous guider.

Dans l’intérêt du patient, justement, nous invitons le Gouvernement à changer de méthode, à utiliser prioritairement le levier conventionnel, puis à réinscrire ce texte dans un chantier plus large, qui comprendrait notamment une refonte de l’ingénierie de formation des paramédicaux.

Néanmoins, tout en exprimant un grand nombre de réserves, nous avons trouvé un équilibre fragile. C’est notre rapporteure Corinne Imbert qui a réalisé cet exercice délicat d’équilibriste, et je l’en remercie. Parce qu’il nous semble important de préserver le fruit de ce travail, je vous demande de voter ce texte, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, porter « amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé » : voilà un objectif ambitieux, que nous partageons sans doute tous.

Oui, l’accès aux soins doit être renforcé dans notre pays, où beaucoup de territoires sont considérés comme des déserts médicaux et où 6 millions de personnes n’ont pas de médecin traitant. Oui, il faut redonner du temps médical aux médecins. Oui, il faut renforcer l’attractivité des métiers de la santé et former davantage d’infirmières, notamment d’IPA.

Si nous partageons le constat et l’objectif affiché dans la proposition de loi, les moyens pour l’atteindre ne font en revanche pas l’unanimité. Au contraire, le texte a largement divisé, au sein même des professionnels de santé. Je remercie Mme la rapporteure Corinne Imbert d’avoir essayé de l’améliorer.

La proposition de loi vise à élargir les compétences de certaines professions de santé et à permettre l’accès direct à trois d’entre elles. Certains articles remettant en question l’organisation du parcours de soins du patient, nous devons nous montrer prudents, afin que réorganisation ne rime pas avec désorganisation.

L’article 1er, notamment, tend à autoriser l’accès direct aux infirmiers en pratique avancée.

Les IPA devraient aujourd’hui apporter un appui précieux aux équipes de soins, en assurant le suivi de patients chroniques qui leur sont confiés par les médecins, ce qui permet à ceux-ci d’augmenter leur temps médical. Nous ne souhaitons remettre en cause ni les compétences ni la légitimité des IPA. Vous l’avez dit, madame la ministre, c’est une chance d’avoir ces professionnels, à condition qu’ils soient bien utilisés par délégation des médecins.

Les IPA sont formés à la prise en soins des pathologies chroniques stabilisées. Ces formations ne peuvent pas remplacer les dix ans d’études des médecins en sémiologie, physiologie et pathologie, assorties d’une expérience de plusieurs années en internat dans les services hospitaliers.

Le médecin doit donc garder la compétence du diagnostic. Nous pensons que médecins et IPA doivent travailler ensemble, en synergie et par délégation, et ce afin de sécuriser tant la prise en charge du patient que l’activité de l’IPA elle-même. Les travaux portant sur ces professions dans d’autres pays montrent d’ailleurs des preuves d’efficacité uniquement lorsqu’il existe une collaboration réelle entre médecin traitant et infirmier.

J’en viens à l’article 2, relatif aux kinésithérapeutes. Si nous pensons que les médecins doivent conserver la prescription, nous avions déposé un amendement tendant à autoriser les kinésithérapeutes à renouveler des séances, avec l’avis du médecin, en cas d’exercice en Ehpad.

L’accès direct aux orthophonistes mérite d’être soutenu, compte tenu du type de prise en charge très ciblée que ces professionnels sont amenés à assurer.

Les nouvelles compétences octroyées aux assistants médicaux dits de niveau II, aux orthoprothésistes et aux opticiens semblent constituer des solutions pratiques.

Dans l’article 1er bis, relatif à la prise en charge par les infirmiers de la prévention et du traitement des plaies chroniques, il serait important de préciser que le renouvellement pourra se faire par l’infirmier diplômé d’État, après avis du médecin. En effet, si une plaie chronique ne guérit pas, cela peut révéler une mauvaise prise en charge par non-détection d’un trouble artéritique ou une mauvaise contention effectuée sur une insuffisance veineuse et, dans ce cas, l’intervention du médecin est nécessaire.

L’article 4 septies fait bénéficier les pédicures-podologues d’une consultation tous les trois mois par prescription pour les patients diabétiques. Pourquoi ne pas l’autoriser en accès direct ? Si un patient diabétique a besoin d’une consultation plus fréquente qu’une fois par trimestre, cela peut traduire un risque d’artérite et révéler la nécessité de consulter un médecin.

Je soutiens enfin l’extension de la possibilité de faire renouveler une prescription par le pharmacien et je regrette qu’aucun de mes amendements élargissant les compétences en question n’ait été accepté. Je suis aussi favorable à l’extension de la vaccination aux infirmiers.

La place du médecin traitant doit rester centrale, tout simplement, car c’est le professionnel qui détient aujourd’hui, du fait de sa formation, les meilleures compétences pour assurer la coordination du parcours de soins du patient.

L’ensemble des amendements que j’ai déposés ou que je soutiendrai vont dans ce sens, pour les patients et pour sécuriser les professions paramédicales. Madame la ministre déléguée, nous devons plus écouter les médecins et les professionnels de santé ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une nouvelle proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans notre pays.

Ce texte, déposé par la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, a été très largement amendé par le Gouvernement, puisque pas moins de neuf articles ont été ajoutés à la proposition de loi initiale.

Peut-être serait-il temps pour le Gouvernement de nous proposer enfin le projet de grande loi sur la santé que nous appelons de nos vœux dans cette assemblée et que plusieurs de mes collègues ont évoqué.

Je commence par remercier Mme la rapporteure Corinne Imbert de son travail et de son écoute des professionnels de santé. La commission a supprimé ou modifié des dispositions qui nous apparaissaient comme favorisant la destruction du parcours de soins. Je pense par exemple à la création des IPA praticiens, car on ne voyait pas ce que cette appellation recouvrait. Nous sommes également favorables au retrait des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) du nombre des structures autorisant l’accès direct : ce n’est pas leur rôle. La réduction du nombre de séances en accès direct chez un kinésithérapeute est également bienvenue.

Nous soutenons la création de la profession d’assistant en médecine bucco-dentaire, et nous saluons la reconnaissance de la qualité de professionnels de santé aux assistants de régulation médicale, qui sont le premier maillon de la chaîne de secours.

Néanmoins, je tiens à rappeler l’attachement de notre groupe au respect du parcours de soins et à l’exercice coordonné de la médecine, et son refus d’une médecine dégradée et à deux vitesses.

Je regrette que la médecine coordonnée, qui est – nous le savons bien – l’avenir de l’exercice de la médecine et qui constitue une partie de la réponse à la problématique de l’accès aux soins, ne soit pas la question centrale de ce texte.

Celui-ci traite toutes les professions de santé en silo, article après article : IPA, kinésithérapeutes, orthophonistes, podologues, opticiens, orthoprothésistes… Au lieu de cela, il faudrait repenser l’exercice collectif, collaboratif, de la médecine. Pourtant, seule une organisation centrée sur un partage des tâches – je dis bien un partage des tâches – entre le médecin traitant et les autres professionnels de santé, dont les IPA, au travers de projets dûment établis par l’ensemble de l’équipe traitante, permettra de dégager du temps médical, afin de favoriser l’accès aux soins pour l’ensemble de la population.

Il s’agit d’ailleurs d’un souhait de l’ordre des médecins, qui propose de le rendre obligatoire dès 2027. Nous l’avons repris au mois de décembre à l’article 2 de notre proposition de loi visant à rétablir l’équité territoriale face aux déserts médicaux.

La présente proposition de loi consacre l’accès direct des patients et octroie la primo-prescription à différentes professions de santé. Nous saluons à cet égard la possibilité d’un accès direct aux kinésithérapeutes ou aux orthophonistes formés au diagnostic.

De plus, si nous soutenons le développement du rôle des IPA, celui-ci n’a de sens que dans le cadre d’un exercice coordonné, comme une convention d’équipes de soins primaires, une maison de santé pluriprofessionnelle ou un centre de santé.

Afin de développer la présence des IPA sur notre territoire, il est indispensable non seulement de renforcer leur formation, mais aussi de mettre en place des aides financières pour les soutenir face au coût et aux sacrifices que représente la formation de deux ans.

Enfin, le texte prévoit à l’article 3 bis, pour gagner du temps médical, de sanctionner les patients qui ne se présentent pas aux rendez-vous. Cette idée nous paraît simpliste et inefficace.

Ainsi, même si quelques mesures vont dans le bon sens, le groupe SER ne votera pas en faveur de ce texte. Compte tenu du manque de moyens dans la santé en général, du non-respect du processus de négociation des conventions médicales et de l’absence de vision d’ensemble, de cohérence et d’ambition pour l’accès à la santé en France, notre groupe s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Florence Lassarade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, face à la désertification médicale et à l’insuffisance de l’offre de soins, cette proposition de loi cherche à renouveler notre façon d’aborder la prise en charge médicale. L’esprit du texte est de favoriser l’accès aux soins pour nos concitoyens. Nous ne pouvons que partager un tel objectif, tout en nous interrogeant sur les modalités retenues et les choix mis en œuvre par le Gouvernement et sa majorité.

Il y a bien urgence, car 6 millions de Français sont aujourd’hui dépourvus de médecin traitant ! Et 600 000 d’entre eux sont atteints d’affection de longue durée, alors que leur maladie chronique exige prévention, dépistages et soins. Cette absence de médecin traitant entraîne des complications et des hospitalisations, ce qui est très grave.

La présente proposition de loi cherche à pallier de telles difficultés en ouvrant l’accès direct et en élargissant les compétences de plusieurs professionnels de santé. L’objectif est de fluidifier le parcours de soins du patient et de libérer du temps médical.

Le texte donne la possibilité aux patients de consulter en première intention un professionnel de santé sans devoir passer par un médecin. Trois professions sont concernées par cet accès direct : les IPA, les masseurs-kinésithérapeutes et les orthophonistes.

Il propose aussi d’étendre le champ de compétence des IPA à la prescription de produits de santé et de prestations soumises à des prescriptions médicales obligatoires. N’aurait-il pas été préférable d’attendre la fin de l’expérimentation en cours pour envisager une telle extension ? Ce texte ne précise d’ailleurs pas les conditions d’exercice et les protocoles de prises en charge. Concrètement, comment se ferait cette ouverture ?

Il ne s’agit pas de contester les compétences des IPA, mais je voudrais partager mes inquiétudes, en ma qualité de médecin ayant exercé de longues années en milieu hospitalier et en libéral. Jusqu’où les IPA et les masseurs-kinésithérapeutes pourront-ils aller avant de pratiquer la médecine ? Comment pouvons-nous déterminer leurs responsabilités en cas d’erreur médicale ? Qui endossera la responsabilité d’un acte qui aura été mal effectué ? Les médecins devront-ils endosser la responsabilité des actes réalisés en premier recours par les IPA ? Vous évoquez une responsabilité collective, mais comment cela se traduira-t-il juridiquement ? Ce n’est pas clair du tout ! Il convient d’encadrer formellement le dispositif. J’aurais aimé que nous puissions être éclairés sur cet aspect avant de voter le texte.

Les IPA pourront donc intervenir en premier sur des pathologies courantes et bénignes. Mais, pour affirmer que c’est bénin, il faut poser un diagnostic, donc intervenir comme un médecin. La bénignité apparente peut aussi parfois cacher une pathologie grave.

Madame la ministre, il faut également entendre les médecins sur ces évolutions du système de santé.

En premier lieu, je m’étonne que l’examen de ce texte coïncide avec les négociations sur la revalorisation du tarif de la consultation. Cette revalorisation est d’autant plus nécessaire que l’inflation est importante. Or, la seule hausse tarifaire proposée est de 1,50 euro pour l’acte de base ! Cela ne rattrape même pas l’inflation liée au blocage des honoraires depuis 2016… C’est inacceptable ! De surcroît, aucune valorisation financière n’est prévue dans le texte, car il est impossible de créer une charge pour les finances publiques dans une proposition de loi. Ainsi, la revalorisation des actes reste encore dans les limbes.

Sans exclure la nécessité de mieux considérer les professions paramédicales, je considère que le médecin doit rester au cœur de notre système de santé.

Je rappelle que dix années à quinze années sont nécessaires pour former un médecin, afin de lui permettre de poser des diagnostics, d’éliminer des diagnostics différentiels et de donner la bonne indication au bon moment. Les infirmiers font les soins pour lesquels ils ont été formés. C’est très différent, et les formations sont différentes ! Nous sommes complémentaires, mais pas substituables. Les soins peuvent être partagés avec d’autres professionnels de santé, à condition de travailler en coordination avec les médecins.

Enfin, cette proposition de loi met bel et bien en œuvre une santé à deux vitesses. Il y aura ceux de nos concitoyens qui auront un médecin et ceux qui auront accès à des non-médecins pour établir un diagnostic et prescrire un traitement. C’est le choix du Gouvernement et de sa majorité.

Sur l’initiative de la rapporteure Corinne Imbert, dont je salue le travail, le texte que nous allons examiner a fait l’objet de nombreuses modifications bienvenues, notamment pour conserver le rôle central du médecin dans la coordination et le suivi des patients. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Demas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme toutes les Françaises et tous les Français, je partage l’exigence d’un accès aux soins pour tous, soumis à une saine régulation, surtout lorsqu’on sait que 6 millions de nos concitoyens n’ont pas de médecin traitant, que chaque médecin partant à la retraite laisse orphelins, en moyenne, 1 550 patients, et qu’au regard de leur pyramide des âges et des effets tardifs attendus de la suppression du numerus clausus, tout laisse à penser que la situation ne peut que s’aggraver.

Ce constat d’urgence, alarmant, nous pose un cas de conscience. Pour y répondre, une évolution de notre système de santé est indispensable.

Le Gouvernement a annoncé vouloir développer la profession des IPA pour lutter contre les déserts médicaux et soigner le système de santé. Son objectif était d’atteindre un effectif de 5 000 IPA en 2022. Ils sont quelque 1 700 en 2023. C’est bien peu…

Dans la mesure où les IPA trouveront leur place, ils pourraient être rapidement plus nombreux à remplir un rôle important dans la régulation d’un secteur au bord de l’asphyxie, mais aussi dans la résorption de situations de soin dégradées, par manque de médecins.

Ils pourraient être, de plus, un levier non négligeable de reconnaissance et d’attractivité pour les soignants. Cela étant, le statut des IPA mérite d’être mieux encadré et surtout mieux compris, lorsqu’il s’agit d’accès direct ou de primo-prescription, comme le prévoit la proposition de loi Rist.

Je félicite d’ailleurs notre rapporteure Corinne Imbert de la qualité de son travail, qui a permis de rééquilibrer le texte. Élue de la ruralité, aux prises directes avec les problématiques de désertification médicale, je me suis essentiellement attachée aux implications concrètes que ce texte aura au quotidien : c’est mon principal, sinon unique baromètre. Les patients trouveront-ils demain davantage d’IPA dans les déserts médicaux ? Je pense particulièrement aux territoires ruraux ? Ce n’est pas certain. Il faudrait que les IPA soient suffisamment nombreux et incités à s’installer dans un périmètre géographique dépourvu de médecin généraliste.

Il conviendrait aussi que l’accès et la prise en charge durant les formations d’IPA soient les mêmes pour tous les infirmiers, ce qui n’est pas le cas. Il y a effectivement une rupture d’équité inacceptable qui frappe les infirmiers libéraux et qui est défavorable aux territoires sous tension, où ils exercent souvent. J’invite donc le Gouvernement à encourager l’émergence de nouvelles passerelles et à favoriser celles qui sont censées exister, mais dont l’application varie d’un département à l’autre.

Il y a d’autres points d’interrogation périphériques, en lien néanmoins avec le sujet : celui des assistants médicaux, par exemple, censés décharger les médecins des tâches administratives. J’aimerais comprendre pourquoi, au regard des besoins exprimés par la profession, nous sommes encore si loin du compte. Dans la lutte contre les déserts médicaux, je voudrais revenir sur l’appel à des médecins étrangers comme à une autre solution insuffisamment exploitée, ce qui est regrettable. Enfin, j’ai le souvenir d’avoir voté, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, un article prévoyant un stage en dernière année de médecine générale, en priorité dans les zones sous-denses. Qu’est devenue cette disposition ?

Notre système de santé est malade ; nous le savons. Il nous faut agir avec lucidité, mais aussi avec courage. Je plaide ce soir pour notre système de santé collective, dont les besoins évoluent au fur et à mesure que notre population vieillit, pour davantage de fluidité, de flexibilité, d’efficacité et de reconnaissance. Je plaide pour un système de santé évolutif, finalement utile à tous les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)