Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin. (Mme Gisèle Jourda applaudit.)

Mme Monique Lubin. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, nous ne pouvons qu’être favorables à la présente proposition de loi relative à la mise en place du calcul de la retraite de base des non-salariés agricoles sur les vingt-cinq meilleures années, dès 2026. Chacun connaît en effet leur situation, bien détaillée par les précédents orateurs ; je n’y reviendrai donc pas.

Si les auteurs de ce texte veulent légitimement mettre fin à cette injustice, cette proposition de loi relève cependant d’un exercice paradoxal : l’objectif est limpide et nécessaire, mais les voies à emprunter pour l’atteindre sont tortueuses et susceptibles d’ajouter de la complexité à un régime de retraite déjà peu lisible.

Notre collègue Raymonde Poncet Monge a d’ailleurs évoqué, lors de nos travaux, un rapport de l’Igas de 2012 qui illustre le défi que se donne la présente proposition de loi. Ses auteurs y soulignent que « l’on ne peut considérer de façon isolée une règle d’un régime de retraite sans examiner l’ensemble des règles de ce régime : un alignement limité à une règle n’est pas une garantie d’équité et peut, au contraire, être inéquitable si certaines règles sont introduites sans d’autres qui constituent leur contrepartie. Si le régime des non-salariés agricoles doit être réformé, cette réforme ne devrait donc pas porter sur la seule règle du calcul sur les vingt-cinq meilleures années, mais sur la globalité du régime ».

Notre projet de changer la règle de calcul des pensions agricoles porte donc en creux une très grande ambition.

Le régime des non-salariés agricoles est en effet une machine complexe, qui a pour caractéristiques, d’une part, de reposer sur un système de points, d’autre part, de se composer d’une retraite de base ainsi que d’une ou de plusieurs retraites complémentaires, à leur tour éventuellement complétées d’une épargne retraite collective ou individuelle.

Cette complexité a une histoire. Éric Rance rappelait en 2002, dans son article La protection sociale des exploitants agricoles en mutation, que c’était la loi du 10 juillet 1952 qui avait instauré un véritable régime d’assurance vieillesse pour les agriculteurs. Il y soulignait toutefois que « le système n’a[vait] été conçu que dans un objectif de protection sociale minimale pour éviter autant que possible le prélèvement sur les revenus agricoles. »

À cette époque, le système en question ne comportait « qu’une seule prestation, l’allocation de vieillesse agricole, d’un montant uniforme, et égal à la moitié de l’allocation aux vieux travailleurs salariés ».

Nous parlons donc d’un régime social agricole en proie, dès ses origines, à une tension entre assurance privée et assurance sociale.

Nous travaillons aujourd’hui à résoudre cette tension : les professions agricoles sont des parties prenantes actives et indispensables à l’aménagement de leur régime de retraite, de manière à ce qu’il évolue vers les mêmes principes que le régime général.

Malgré l’objectif partagé par les parlementaires et les retraités, actuels et futurs, du monde agricole, beaucoup reste à faire pour que la situation nous semble satisfaisante. Si les lois Chassaigne nous ont permis d’avancer en ce sens, c’est leur acquis que le présent texte veut encore améliorer.

L’apport de ces lois est effectivement considérable pour ce qu’elles ont permis d’inscrire coup sur coup dans le marbre.

En 2020, la première loi Chassaigne revalorise le complément différentiel de retraite complémentaire des chefs d’exploitation à hauteur de 85 % du Smic net agricole. Elle concerne les anciens chefs d’exploitation ayant une carrière complète.

En 2021, la deuxième loi Chassaigne porte revalorisation de 100 euros en moyenne par mois des plus petites retraites agricoles, des retraites des conjoints collaborateurs et des aidants familiaux.

Toutefois, ces textes ont perdu de leur portée avec l’écrêtement introduit par amendement gouvernemental lors des débats de 2020 et par les décrets d’application.

L’histoire avait certes mal débuté. Dès mai 2018, le Gouvernement refusait de voter l’amendement d’André Chassaigne visant à faire passer la retraite agricole minimale à 85 % du Smic, au prétexte que cela devait être traité dans la réforme globale des retraites. Ce fut le premier des nombreux actes d’obstruction de l’exécutif sur cette réforme.

L’amendement du Gouvernement à la première loi Chassaigne de 2020 disposait que « les retraités qui touchent déjà au moins 85 % du Smic ne puissent pas prétendre à un tel complément ». Son adoption a eu pour conséquence de subordonner le complément prévu au fait d’avoir demandé l’ensemble de ses droits à retraite, avec un écrêtement opéré en fonction du montant de retraite, tous régimes cumulés.

Le résultat ne s’est pas fait attendre : partout en France, nos retraités agricoles ont reçu de la MSA des relevés de pension, dont certains ont parfois suscité des déceptions.

J’ai moi-même été saisie par un ancien exploitant agricole. Il m’a indiqué ne bénéficier que d’une augmentation très modeste, car le calcul prend en compte ses bonifications pour enfant. Après avoir espéré atteindre une pension de retraite enfin digne, il a acté qu’il ne recevrait pas plus de 940 euros net de pension par mois. Pour lui, la plus-value de la réforme s’est limitée à un gain de 7,44 euros !

Ces multiples problématiques posées par le régime des retraites agricoles se manifestent aussi pour les polypensionnés. Michaël Zemmour souligne, dans son livre sur la protection sociale, que leur situation « est souvent désavantageuse (parfois fortement) car elle conduit à prendre en compte dans le calcul d’une partie de la retraite – celle du premier régime auquel on a été affilié – des années de début de carrière, relativement mal payées, et qui auraient été exclues du calcul si les personnes avaient passé toute leur carrière dans le même régime ».

Au vu de ces complexités, nous nous inquiétons pour la définition des modalités de calcul des pensions de retraite agricole sur la base des vingt-cinq meilleures années que prévoit la présente proposition de loi.

L’adoption, à l’Assemblée nationale, d’un amendement disposant qu’un rapport serait remis dans un délai de trois mois au Parlement permettra peut-être d’y voir plus clair et de surmonter l’obstacle technique et législatif, même si, comme notre rapporteure l’a souligné, les délais paraissent courts pour un dossier aussi complexe.

Ce rapport présentera, par exemple, les scenarii envisagés, les dispositions législatives et réglementaires à modifier, les conséquences sur le montant des cotisations et des pensions et sur l’équilibre financier du régime…

Creusant ce sillon, l’amendement par lequel notre collègue Raymonde Poncet Monge nous propose une amélioration dudit rapport va dans le bon sens. Il s’agit d’y intégrer des critères visant à favoriser la correction d’une partie des défauts du régime des retraites agricoles, mais aussi de parer les effets pervers que pourrait avoir le calcul des retraites sur les vingt-cinq meilleures années porté par le présent texte.

Évaluant en 2012 les modalités d’une réforme semblable à celle-ci, l’Igas signalait notamment ses potentiels effets anti-redistributifs : les retraités les plus aisés risquaient ainsi de bénéficier de la solidarité des moins bien lotis, lesquels, eux, cotiseraient en vain.

Associer un rapport au passage à la méthode de calcul sur la base des vingt-cinq meilleures années est une réponse intéressante pour éviter de tels écueils.

Nous voterons cette proposition de loi, en espérant que les travaux complémentaires attendus permettront une application juste. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Duffourg. (M. Michel Canévet applaudit.)

M. Alain Duffourg. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la première fois, l’intitulé du portefeuille de l’agriculture s’accompagne de la notion de « souveraineté alimentaire ». Que la Nation se montre reconnaissante envers ses agriculteurs, qui la nourrissent depuis plusieurs années tout en percevant des revenus insuffisants et de maigres retraites, revêt une importance particulière.

Il a fallu attendre les lois Chassaigne pour que la retraite des exploitants agricoles soit portée à 85 % du Smic et que celle des conjoints collaborateurs et des aides familiaux soit rehaussée.

La présente proposition de loi, issue de l’Assemblée nationale, tend à établir un calcul de la retraite en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses, ce qui me paraît tout à fait justifié, d’autant que les agriculteurs attendent cette réforme depuis une dizaine d’années.

Il y a effectivement lieu de compenser la baisse des revenus et des retraites, eu égard à leur situation. Dans mon département du Gers, département agricole, comme chacun le sait, les agriculteurs ont subi au cours des années récentes de nombreux dommages : influenza aviaire, dépeuplement des élevages, gel, sécheresse, grêle… Tous ces aléas ont fortement perturbé leur pouvoir d’achat.

Il faut savoir aussi que la main-d’œuvre totale a baissé de 22 % en dix ans et le nombre de chefs d’exploitation de 13 %. À cela s’ajoutent d’importants défis climatiques et énergétiques ainsi que des difficultés en matière de transmission des exploitations.

Alors que la pension moyenne des Français s’élève à 1 500 euros, les agriculteurs arrivent à peine à 800 euros, soit en dessous du seuil de pauvreté ! Ces derniers travaillent pourtant cinquante-quatre heures par semaine en moyenne, et 90 % d’entre eux le week-end. À ce jour, il faut payer les retraites de 1,3 million d’anciens agriculteurs.

Mon groupe soutient bien évidemment cette réforme, qui s’appliquera à compter du 1er janvier 2026, pour répondre à la demande de la MSA, et votera cette proposition de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Klinger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christian Klinger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les retraites agricoles sont une problématique importante, dont nous discutons depuis de nombreuses années déjà.

Pour mémoire, le régime de retraite des non-salariés agricoles s’est construit en marge du régime général de la sécurité sociale.

Créé en 1952, le régime de base comporte deux niveaux : un dispositif forfaitaire – l’assurance vieillesse individuelle – et un dispositif proportionnel – l’assurance vieillesse agricole. Cette pension de retraite proportionnelle fonctionne sur un principe d’acquisition de points cotisés, dont le mécanisme diffère selon le statut de l’assuré.

Je vous perds ?… C’est normal ! Le régime agricole est incompréhensible, en total décalage avec la réalité et d’une grande complexité, qui n’est en rien justifiée par les spécificités du monde agricole.

Les agriculteurs sont désormais les derniers à voir leur retraite calculée sur l’intégralité de la carrière. Ce mode de calcul est une double peine pour celui qui ne peut faire autrement que subir les aléas climatiques et sanitaires et qui subit, en sus, les conséquences de ces aléas dans le calcul de sa retraite.

Rappelons que la retraite des indépendants se calcule sur les vingt-cinq meilleures années et celle des fonctionnaires sur leurs six derniers mois d’activité.

Les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de repousser la demande légitime des agriculteurs de voir le calcul de leur retraite fondé sur les seules vingt-cinq meilleures années de leur carrière. En 2021, au salon de l’agriculture, le Président de la République estimait impossible de revaloriser ces pensions de retraite.

Non, les agriculteurs ne sont pas des actifs de seconde zone !

La première loi Chassaigne prévoyait la revalorisation des pensions de retraite agricole à hauteur de 85 % du Smic agricole, soit 1 045 euros net. La seconde effectuait un pas supplémentaire afin de revaloriser les pensions de retraite des conjoints et aides familiaux – frères, sœurs et enfants – des exploitants agricoles.

Aujourd’hui, permettons aux jeunes agriculteurs qui s’installent d’avoir des perspectives meilleures ! Faisons cesser cette injustice qui veut qu’une disposition bénéficiant à la quasi-totalité des retraités de notre pays soit refusée aux agriculteurs, alors même que ceux-ci cumulent déjà des difficultés tout au long de leur carrière.

Pour mémoire, les agriculteurs sont les actifs travaillant le plus, avec cinquante-quatre heures de travail par semaine en moyenne ; neuf sur dix travaillent le week-end et les deux tiers d’entre eux ne partent pas plus de trois jours consécutifs par an en vacances. Cherchez l’erreur !

Cherchons encore l’erreur, quand on sait que cette même injustice induit une différence de 930 euros entre les retraites des agriculteurs et celles des retraités du régime général : 1 810 euros brut de pension pour les seconds, dès lors qu’ils ont travaillé toute leur vie et validé l’ensemble de leurs droits ; 880 euros brut pour les premiers, dans la même situation.

Les agriculteurs se retrouvent donc sous le seuil de pauvreté, après une carrière complète passée à nous nourrir.

Alors que 50 % des actifs agricoles prendront leur retraite dans les dix ans, sachons rendre ce secteur plus attractif. La question du renouvellement des générations en agriculture est en effet essentielle.

Nos collègues Laurent Duplomb, Pierre Louault et Serge Mérillou, dans leur remarquable rapport d’information sur la compétitivité de la ferme France, dressent un constat terrible sur la lente érosion de notre agriculture. Certes, la balance commerciale est encore excédentaire de 8 milliards d’euros en 2021, mais pour combien de temps ?…

En vingt ans, la France est passée du deuxième au cinquième rang des exportateurs mondiaux de produits agricoles. Nous sommes l’un des seuls grands pays agricoles dont les parts de marché reculent. Plus inquiétant, en trente ans, plus de 57 % des exploitations ont disparu. Les surfaces agricoles utiles se réduisent et les investissements sont en berne, sans compter les difficultés liées à la transmission des terres et des exploitations.

Il nous faut rendre attractifs les métiers de l’agriculture. Ce soir, nous en avons rappelé les difficultés ; reconnaissons aussi que ce sont des métiers indispensables, merveilleux, porteurs de sens et d’avenir.

Oui, ces métiers demandent des efforts, mais ils sont passionnants et nos agriculteurs font notre alimentation, en nous vendant des produits de très grande qualité.

La guerre en Ukraine nous le rappelle tous les jours depuis bientôt un an : nous avons besoin d’une souveraineté alimentaire solide et effective, laquelle passe notamment par une politique de protection de ceux qui nous nourrissent, par la revalorisation de leur métier et de leur retraite. Ce soir, sachons protéger les sortants et donnons des garanties aux entrants ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et SER. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Dussopt, ministre. Je voudrais tout d’abord remercier l’ensemble des intervenants et me féliciter de l’unanimité qui, à l’écoute de chacun d’entre eux, semble se dégager.

Elle nous permettra d’avancer et d’affronter les difficultés techniques évoquées par beaucoup. Ces difficultés existent bel et bien, nous les connaissons. Nous aurons beaucoup à faire dans les prochains mois, à la fois pour rendre le rapport qui sera dû au Parlement et pour mettre en œuvre le dispositif arrêté.

Mme la sénatrice Nadia Sollogoub m’a interpellé sur un des aspects des lois Chassaigne : effectivement, pour bénéficier de la garantie prévue, les agriculteurs doivent disposer d’une carrière complète. Or il arrive malheureusement que certains d’entre eux soient contraints d’interrompre leur carrière et de partir à la retraite plus tôt, du fait d’une inaptitude physique ou d’une incapacité constatée par un praticien médical.

Dans le cadre du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale portant réforme des retraites, et que je pense avoir l’occasion de vous présenter dans quelques semaines, nous prévoyons de réparer cette difficulté en considérant comme complète la carrière des exploitants agricoles contraints de l’interrompre quelque temps avant son terme du fait d’une incapacité ou d’une inaptitude physique. Cela permettra d’élargir le bénéfice de la loi à 45 000 exploitants supplémentaires, contraints d’arrêter plus tôt leur carrière pour raisons de santé.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles  en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 1

Article 1er

(Non modifié)

I. – Après l’article L. 732-24 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 732-24-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 732-24-1. – I. – La Nation se fixe pour objectif de déterminer, à compter du 1er janvier 2026, le montant de la pension de base des non-salariés des professions agricoles en fonction des vingt-cinq années civiles d’assurance les plus avantageuses.

« II. – Les modalités d’application du I sont définies par décret en Conseil d’État. »

II. – Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport précisant les modalités de mise en œuvre de l’article L. 732-24-1 du code rural et de la pêche maritime dans le respect des spécificités du régime d’assurance vieillesse des non-salariés des professions agricoles et de la garantie du niveau des pensions et des droits acquis.

Le rapport prévu au premier alinéa du présent II présente notamment :

1° Le détail des scénarios envisagés et des paramètres retenus pour l’application de l’article L. 732-24-1 du code rural et de la pêche maritime ainsi que, le cas échéant, les dispositions législatives et réglementaires qu’il convient de modifier ;

2° Les conséquences sur les cotisations dues par les assurés du régime d’assurance vieillesse des non-salariés des professions agricoles, sur le montant des pensions dont ils bénéficient ainsi que sur l’équilibre financier du régime et les modalités de son financement, en évaluant l’opportunité d’une entrée en vigueur progressive de la réforme ainsi que la possibilité d’un rapprochement des taux des cotisations d’assurance vieillesse des non-salariés des professions agricoles de ceux du régime général ;

3° Les mesures permettant de renforcer les dispositifs de redistribution ;

4° Les mesures permettant d’améliorer la lisibilité du régime d’assurance vieillesse des non-salariés des professions agricoles.

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, sur l’article.

Mme Gisèle Jourda. Je m’exprime avec beaucoup d’émotion, tant fut longue la marche qui nous conduit aujourd’hui à réparer une injustice.

Nos collègues ont développé tous les argumentaires techniques – je n’y reviendrai pas. Je veux toutefois insister sur le fond : certes, le système mis en place pour l’agriculture n’a pas été aligné sur le système général, mais pourquoi en avoir freiné la remise à plat pendant des décennies, toujours avec les mêmes arguments ? Sénatrice depuis 2014, j’ai déjà assisté à des discussions sur ce sujet, dans ce même hémicycle, en 2018, en 2020… Nous sommes en 2023 !

Le climat de travail semble enfin propice pour faire avancer les choses. J’y insiste, il ne s’agit que de réparer une injustice, de corriger une iniquité. Or j’entends que ce pas positif serait freiné par des difficultés techniques. Je peux comprendre que la MSA en rencontre, mais on évoque une mise en œuvre en 2026 d’un texte dont nous discutons en février 2023 : trois ans, c’est bien long !

Eu égard à la volonté parlementaire qui s’exprime aujourd’hui, dans le sillon de la volonté transcrite dans les deux lois Chassaigne, peut-être faudrait-il donner le coup de collier nécessaire pour soulager les agriculteurs qui attendent. En effet, il y a les futurs retraités agricoles, ceux des années à venir, mais il y a aussi les agriculteurs qui vont déposer leur dossier de demande de retraite demain ou dans les mois prochains. Pour eux, rien ne va changer !

Par conséquent, autant je salue la démarche que nous menons et je suis heureuse de contribuer positivement à ce vote, autant je suis extrêmement dubitative sur la volonté de différer cette réforme et d’attendre trois ans pour la mettre en application.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.

M. Marc Laménie. Je salue l’initiative de nos collègues députés du groupe Les Républicains pour cette proposition de loi adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, ainsi que le travail de la commission des affaires sociales, de sa rapporteure et de l’ensemble des collègues, sous l’autorité de la présidente Catherine Deroche.

Les orateurs ont tous rappelé la faiblesse des pensions de retraite agricoles et la complexité du dispositif. Ce texte est surtout un message de reconnaissance adressé aux agriculteurs pour leur engagement : même si ce sont des passionnés, leur métier est très difficile et soumis à beaucoup de contraintes et d’aléas climatiques, sanitaires et économiques. À cet égard, je citerai cet extrait du rapport indiquant que « les non-salariés agricoles perçoivent une pension moyenne inférieure de 700 euros par mois à celle de l’ensemble des retraités ».

Cette réforme visant à calculer la retraite de base des travailleurs non-salariés agricoles sur la base des vingt-cinq meilleures années de revenu était attendue par le monde agricole, dans la lignée des deux lois Chassaigne de 2020 et 2021. C’est un soutien important apporté au monde rural, aux exploitants, à leurs épouses et à leurs familles.

Je tiens également à souligner le travail commun mené avec la MSA et l’ensemble des partenaires.

Équité, justice et, de nouveau, message de respect et de reconnaissance adressé au monde agricole : pour ces raisons, je voterai naturellement cet article unique et la proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, sur l’article.

M. Jean-Claude Tissot. Il s’agit du troisième texte portant sur les retraites agricoles que nous examinons depuis 2020.

Il faut bien évidemment se féliciter des avancées obtenues – relèvement des retraites des anciens chefs d’exploitation agricole et hausse des petites retraites des conjoints collaborateurs d’agriculteurs. J’ai d’ailleurs une pensée particulière pour l’ensemble du travail réalisé par notre collègue député André Chassaigne.

Toutefois, il faut aussi s’interroger sur le rythme particulièrement lent de ces évolutions.

Alors que l’écart du niveau de retraite entre un agriculteur et un retraité du régime général atteint 930 euros pour des carrières complètes, ce passage à un calcul sur les vingt-cinq meilleures années pour les retraites des non-salariés agricoles est une bonne chose. Mais n’oublions pas pour autant qu’un rapport de l’inspection générale des affaires sociales sur ce passage était prêt depuis mars 2012 et qu’il a totalement été laissé de côté !

Comme l’a souligné Gisèle Jourda, la date d’entrée en vigueur de cette réforme, fixée au 1er janvier 2026, pose aussi question. Le Gouvernement et les administrations agissent un peu plus rapidement lorsqu’il s’agit de supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) !

Bien évidemment, comme l’a rappelé ma collègue Monique Lubin, nous soutiendrons ce texte, qui va dans le bon sens. Nous serons vigilants quant à son application, particulièrement en ce qui concerne les potentiels effets pervers d’une telle réforme sur les petits revenus et sur les personnes ne bénéficiant pas des minima de pension agricole – carrière incomplète ou polypensionnés. La remise d’un rapport par le Gouvernement, prévu à l’article 1er, sera le bienvenu pour mener ce travail.

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, sur l’article.

Mme Frédérique Espagnac. La France compte aujourd’hui 1,3 million de retraités anciens non-salariés agricoles, lesquels bénéficient d’une retraite moyenne de 1 150 euros brut, soit environ 800 euros net, montant bien inférieur à la pension moyenne des autres assurés, qui s’élève à 1 500 euros brut environ.

Cette proposition de loi a pour ambition de faire cesser l’injuste mode de calcul de la retraite de base des non-salariés agricoles. Exploitants agricoles, aides familiaux, collaborateurs, tous voient leur retraite calculée sur la totalité de leur carrière : une situation bien singulière, qui ne concerne qu’eux.

Les lois Chassaigne ont été gages de progrès significatifs, avec la garantie d’un niveau minimum de pension de 1 035 euros, soit 85 % du Smic net agricole. Si j’osais, je dirais que c’est le bon sens paysan qui dictait ces mesures ! Ce même bon sens paysan doit nous mener aujourd’hui à aligner le mode de calcul des retraites des non-salariés agricoles sur le régime de base, en prenant en compte les vingt-cinq meilleures années de leur carrière.

À l’heure où le débat sur les retraites occupe la totalité de l’espace médiatique, il est un sujet connexe que l’on ne peut passer sous silence : les non-salariés agricoles œuvrant chaque jour pour nourrir nos compatriotes, dont la pénibilité du travail est incontestable, pâtissent de revenus trop bas. Sans une augmentation significative de leurs revenus d’activité, leurs pensions de retraite resteront beaucoup trop faibles.

Ce texte n’est pas exhaustif. Il est donc imparfait, nous en convenons. Il doit toutefois être un vecteur de progrès social pour le monde paysan, raison pour laquelle il récoltera nos suffrages.

Deux questions d’importance subsistent.

La première concerne la date d’entrée en vigueur, déjà évoquée par certains de mes collègues. Le délai de trois ans est beaucoup trop long, notamment pour ceux qui déposent aujourd’hui des dossiers de retraite.

La seconde porte sur les pensions des compagnes d’agriculteurs déjà à la retraite qui, elles, ne peuvent justifier de vingt-cinq années de cotisations ou qui n’ont quasiment pas du tout cotisé. Nous devrons remettre l’ouvrage sur le métier pour ces femmes.

Cette réforme est attendue de longue date, mais nous serons vigilants sur sa mise en œuvre, qui devra préserver les retraites des plus faibles. Nous y comptons !

Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Benarroche, Breuiller, Salmon, Parigi, Labbé, Gontard, Fernique et Dossus, Mme de Marco et M. Dantec, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 4

1° Remplacer le mot :

trois

par le mot :

six

2° Après le mot :

loi,

insérer les mots :

après consultation de l’ensemble des parties prenantes,

II. – Alinéa 5 :

Après les mots :

présent II

insérer les mots :

étudie les paramètres choisis pour l’application du même article L. 732-24-1 en considérant particulièrement les scénarios qui permettent à une large majorité d’assurés de voir leur pension revalorisée et permettent une revalorisation significative des pensions les plus faibles. À ce titre, il

III. – Alinéa 6 :

Après le mot :

retenus

insérer les mots :

, précisés par des simulations chiffrées pour les différentes catégories d’assurées,

IV. – Alinéa 8 :

Compléter cet alinéa par les mots :

, notamment afin de revaloriser les pensions agricoles les plus faibles : des non-salariés des professions agricoles aux revenus les plus faibles, des non-salariés des professions agricoles ayant exercé sous un statut autre que chef d’exploitation, que ce soit en tant que conjoint collaborateur, ou aide familial, des non-salariés des professions agricoles ne bénéficiant pas d’une carrière complète, des non-salariés des professions agricoles concernés par les dispositifs d’écrêtement à 85 % du Smic, qui les prive de différents mécanismes de bonification, et des non-salariés des professions agricoles polypensionnés. Les mesures proposées prendront spécifiquement en compte l’amélioration des droits des assurés qui ne bénéficient pas des minima de pensions ;

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.