M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, vous avez raison, la crise est multifactorielle. C’est bien la raison pour laquelle il nous faut absolument refonder notre système de santé. Et quand je dis « refonder notre système de santé », il s’agit à la fois de l’hôpital et de la médecine de ville. On n’y arrivera pas si l’on ne travaille que sur une seule jambe. Pour que tout aille bien, il nous faut absolument agir à la fois pour la ville et pour l’hôpital.

Je le répète, nous avons contribué à une augmentation de 20 % du budget consacré à la santé depuis 2017, dont 12 milliards d’euros alloués à l’augmentation des salaires – même si nous sommes d’accord qu’il ne s’agissait que d’un rattrapage – et 19 milliards d’euros en investissement.

On peut toujours décréter qu’il faille embaucher 100 000 personnes. Moi, je vais rappeler un chiffre : l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) a embauché 2 200 infirmières en 2022, alors que, entre-temps, 2 800 d’entre elles sont parties.

Mme Laurence Cohen. Et pourquoi ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. L’enjeu, je le redis, est à la fois de mettre en œuvre tous les moyens pour fidéliser les personnels en activité et de rendre les métiers attractifs.

Pour fidéliser les personnels en place, il faut tout d’abord – vous l’avez évoqué – prévoir un rattrapage au niveau des salaires : celui-ci a eu lieu ; il nous faut aussi travailler et travailler encore sur la question de la qualité de vie et coconstruire sur ce sujet.

La fidélisation passe aussi, comme l’a dit le Président de la République, par la refonte des emplois du temps à l’échelle des services.

Il convient également de redonner du sens aux métiers, en permettant aux soignants de rester dans le même service, en leur évitant, comme certains le pensent ou le disent peut-être, de « boucher les trous » dans le service d’à côté.

Il faudra enfin sortir de cette spirale négative et aboutir à ce que chacun se dise que ces métiers de la santé sont de beaux métiers, donner envie aux jeunes de s’engager dans cette filière. On ne réussira que si, à un moment donné, tout le monde en parle positivement.

Pour conclure, je rappellerai que la majoration des indemnités pour travail de nuit a été prolongée dans le cadre de la mission flash sur les urgences l’été dernier.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.

Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, si vous réussissez tout aussi bien que vous le dites, comment expliquer que notre système de santé soit dans l’état dans lequel il est ?

Ensuite, parlons chiffres : excusez-moi, mais la réalité, c’est 1,7 milliard d’euros de moins pour le budget de la santé. Voilà la réalité ! C’est cela que vous avez fait voter !

Vous nous parlez d’argent, mais cet argent existe ! Simplement, ce sont vos choix politiques qui sont en cause : il manque 70 milliards d’euros dans les caisses de la sécurité sociale du fait de l’exonération des cotisations patronales. Eh bien c’est là qu’il faut puiser, car il n’est pas vrai de dire que cette mesure est créatrice d’emplois.

Les besoins dans le domaine de la santé, hors inflation, sont évalués à 10 milliards d’euros.

Vous voyez, madame la ministre, d’un côté, il y aurait 70 milliards d’euros de recettes, de l’autre 10 milliards d’euros de dépenses. Mais vous ne voulez pas faire ce choix-là et vous êtes en train de mettre notre système de santé à genoux.

Certains personnels sont en souffrance et ne se satisfont pas de vos paroles : regardez tous les mouvements qui se développent un peu partout. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’importance de notre débat m’invite à commencer mon propos par une citation de William Arthur Ward : « Le pessimiste se plaint du vent ; l’optimiste espère qu’il va changer ; le réaliste ajuste ses voiles. »

Crise des urgences, tensions engendrées par la triple épidémie de covid-19, de grippe et de bronchiolite, déprogrammation de soins médicaux, déficit criant de personnels hospitaliers, postes vacants, démissions, soignants en burn-out : la liste des notes de cette triste mélodie est bien longue.

La situation de l’hôpital continue d’inquiéter dans un contexte où la demande augmente du fait du vieillissement de la population. Nos services publics d’urgence connaissent des sous-effectifs chroniques et restent sous tension pour faire face à un afflux important de patients.

Cette situation inadmissible, qui continue à se dégrader depuis l’été 2022, est le révélateur de la crise profonde que traverse notre système de santé et témoigne du poids important de l’hôpital, en particulier de l’hôpital public, dans la prise en charge des urgences.

L’engorgement des urgences résulte d’une conjonction d’éléments défavorables.

D’abord, l’accès à une consultation chez un médecin généraliste dans un délai raisonnable devient de plus en plus compliqué. La question du temps médical disponible continuera de s’aggraver avec la croissance des départs à la retraite non remplacés.

Ensuite, les praticiens ne s’installent pas de façon harmonieuse sur le territoire. Le problème des déserts médicaux est récurrent, non seulement en secteur rural et en outre-mer, mais aussi en zone urbaine.

Enfin, il existe un déficit d’information sur la conduite à tenir en cas de problème de santé. Ainsi, de nombreux patients qui se rendent aux urgences de leur propre chef le font faute d’une meilleure orientation.

Il importe de mettre en place des mesures alternatives pour accueillir des soins non programmés, et ce afin de répondre aux besoins des patients qui souffrent d’un mal qui ne relève pas de l’urgence vitale, ce que l’on appelle la petite « bobologie ».

Il serait aussi pertinent d’inciter les médecins de ville installés dans les maisons de santé à maintenir une permanence particulièrement les week-ends, afin de désengorger les urgences.

Néanmoins, ce dispositif ne peut être imposé au niveau national tant les situations sont différentes d’une région à une autre. En revanche, les agences régionales de santé peuvent jouer un rôle moteur dans différentes expérimentations. Je vous mets cependant en garde : à trop attendre, la voie de l’obligation de garde finira par s’imposer.

Au-delà, des adaptations du terrain se révèlent nécessaires : une meilleure coordination des soins, un meilleur partage des compétences, une meilleure répartition du pouvoir de décision et des responsabilités entre médecine de ville et hospitalisation.

Augmentation des capacités d’accueil en médecine de ville, accompagnement au travail collectif, développement de la télémédecine de manière bien encadrée, amélioration de la qualité de vie au travail, réduction du temps perdu dans les démarches administratives sont d’autres pistes de réflexion.

La pénurie de soignants, d’infirmiers et de médecins risque de s’installer dans la durée. Force est de constater que l’augmentation des salaires prévue dans le cadre du Ségur de la santé n’a pas entraîné une nette évolution des recrutements. Afin de résoudre le problème de ressources humaines en santé, il est essentiel d’établir un plan pluriannuel.

Mes chers collègues, face à cette crise, aucune solution simple n’existe. Mais, pour reprendre les mots de Winston Churchill, « mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge ». Hélas, je crois que c’est déjà fait… (Mme la ministre déléguée rit.)

Madame la ministre, notre retard est significatif. N’attendons plus ! Alors que plus de six millions de Français n’ont pas de médecin traitant, une transformation ambitieuse de notre système s’impose. Celle-ci nécessite l’engagement de toutes les professions de santé dans une démarche collaborative pour améliorer l’accès aux soins et garantir la qualité des pratiques.

À l’aube de cette nouvelle année, reconstruisons ensemble notre système de santé.

Avec mes collègues du groupe Union Centriste, je souhaiterais que vous nous exposiez, madame la ministre, votre vision réformatrice, ainsi que le plan d’action du Gouvernement en matière de prévention, de gestion de crise, pour répondre dans l’urgence aux défis auxquels est confronté l’ensemble de notre système de santé avec ses deux piliers, le public et le privé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, 87 % du territoire est un désert médical.

L’hôpital ne va pas bien et c’est bien la raison pour laquelle – je le redis et je pense que je vais le redire encore et encore – il est nécessaire de refonder notre système de santé – médecine de ville et hôpital – et de travailler à une meilleure coordination entre public et privé – vous avez bien fait de le souligner.

En six mois, j’ai effectué environ quarante déplacements, souvent lointains. Je peux vous assurer, et ce que vous avez dit sur le sujet est très juste, que nous ne pouvons pas appliquer la même méthode en Île-de-France, qui est le plus vaste désert médical, que dans la Drôme, où je suis allée récemment. C’est donc bien à partir des territoires et avec les territoires que nous allons élaborer les réponses.

Je suis raisonnablement optimiste parce que nous constatons que les territoires apportent des solutions efficaces. La volonté et la résilience des professionnels, de tous les professionnels, il faut le souligner, nous rendent raisonnablement optimistes et vont nous permettre, en complément de la feuille de route établie par le Président de la République et des travaux du CNR, de vous faire des propositions.

Ce dont nous sommes convaincus, c’est qu’il nous faut mieux répartir la tâche – c’est particulièrement vrai pour ce qui concerne la permanence des soins. Nous ne pouvons pas laisser à quelques médecins seulement la charge d’assurer cette permanence. Il nous faut développer sur le thème de la responsabilité collective une logique de « gagnant-gagnant ». C’est ce que nous sommes en train de faire, notamment dans le cadre de la négociation collective menée avec les médecins.

Comme je viens de le dire, il nous faut donc mieux répartir la charge de la permanence des soins. C’est ce sur quoi nous travaillons et c’est l’une des réponses que je peux apporter à vos nombreuses questions.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, selon le préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous […] la protection de la santé ». Mais ça, c’était avant !

Depuis le début de la présidence En Marche, les Français ont pourtant entendu tant de promesses : dès 2018, le président Macron présentait un grand plan pour la santé appelé Ma santé 2022, censé structurer notre système pour les cinquante prochaines années. En 2020, c’était le Ségur de la santé, en 2021, le plan Innovation Santé 2030 puis, en 2022, l’annonce brutale de la refondation d’un système que vous jugez « à bout de souffle ».

Notre système de santé, envié par le monde entier, a été saccagé en quelques années.

Car la réalité de votre politique, la voilà : 4 300 lits fermés à l’hôpital public en 2021, 5 700 lits fermés au cœur de la pandémie en 2020 ! Au total, 21 000 lits ont été supprimés en cinq ans, lesquels viennent s’ajouter aux 10 000 lits fermés sous François Hollande et aux 37 000 fermés sous Nicolas Sarkozy.

On comptabilise près de 100 000 lits fermés en vingt ans alors que notre population augmente et que son vieillissement nécessite davantage de soins et, donc, de moyens.

Les déserts médicaux concernent la France rurale, mais aussi une partie de la France urbaine, jusqu’à nos hôpitaux où nous trouvons porte close devant les urgences.

Notre système de santé encourage à faire du chiffre, ne promeut plus la qualité des soins et essore le personnel soignant.

Les images qui nous viennent de tous les hôpitaux de France sont déplorables : depuis le début de décembre, 150 patients seraient morts aux urgences faute de prise en charge.

Je veux aussi vous dire, madame la ministre, que des milliers de soignants non vaccinés viennent, pour la deuxième fois, de passer les fêtes de Noël suspendus, sans salaire et sans indemnités de chômage. La France est le dernier pays européen à ne pas les avoir réintégrés ! Le dernier ! Vous qui n’avez de cesse de vous référer en toutes circonstances à nos voisins européens, qu’attendez-vous pour les imiter ?

Je manque de temps pour évoquer les pénuries enregistrées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, conséquence de notre dépendance à la production étrangère.

En ce début d’année où nous échangeons des vœux de bonne santé – que je vous adresse bien sincèrement, madame la ministre –, quelles sont les actions concrètes qu’a déjà engagées votre gouvernement pour creuser les « oasis » nécessaires au milieu de ce désert médical national ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, vous avez beaucoup parlé d’Europe. Je vous invite, puisque vous observez ce qui se passe à l’étranger, à regarder l’état dans lequel se trouvent les systèmes de santé des autres pays européens : le manque de professionnels est mondial, j’y insiste.

On ne peut pas se satisfaire de cette réponse, mais on ne peut pas non plus dire que l’herbe est plus verte ailleurs. Regardez bien ce qu’il se passe en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Espagne et même aux États-Unis : le manque de professionnels de santé, je le répète, est mondial.

Il nous faut trouver des moyens pour notre pays : c’est ce à quoi nous travaillons et c’est ce que nous allons faire grâce à la feuille de route fixée par le Président de la République.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réplique.

M. Stéphane Ravier. Madame la ministre, j’avoue mon humilité : je suis sénateur français, c’est donc le système médical français et nos compatriotes qui m’intéressent. Je ne peux me contenter d’entendre dire qu’ailleurs c’est pire ou de vous écouter justifier la situation qui est la nôtre, laquelle est pourtant le résultat direct des politiques menées par les gouvernements français.

Faisons preuve d’un peu d’audace, de réflexion et d’autonomie pour que les idées franco-françaises permettent à notre système de santé d’évoluer de nouveau selon une pente favorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux. (M. Henri Cabanel applaudit.)

M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout au long du XXe siècle, la France avait le meilleur système de santé du monde. Mais depuis trente ans, si l’excellence est toujours là, notre système de santé publique connaît sans doute l’une des plus grandes crises de son histoire.

C’est bien simple, trop de nos concitoyens, ruraux en particulier, ne trouvent plus de médecins de ville et les médecins qui restent n’en peuvent plus.

C’est tout le système de santé qui doit donc se réinventer, moyennant l’investissement de tous, à la mesure de ses moyens, et grâce à la responsabilité de chacun.

Lors de ses vœux aux personnels soignants, le Président de la République a évoqué quelques pistes d’action, dont certaines méritent d’être précisées.

Parfois, ce qui paraît être une bonne idée peut s’avérer complexe. Je citerai un exemple, celui des 600 000 malades chroniques. Un malade chronique peut souffrir de diabète, d’une entorse au pied ou d’une dépression. Pas de chance, me direz-vous, mais à qui devra-t-il alors s’adresser, sachant que le médecin de ville est la personne à qui l’on parle de tout ?

Vous me permettrez en effet d’adopter un point de vue, celui du patient qui cherche, qui parfois a peur et qui doit être aiguillé, parce que ce n’est pas son métier. À ce titre, le préadressage est essentiel. Nous souhaitons rapidement surdoter les centres 15 et 18 dans chaque département. Nous demandons la prompte mise en œuvre des plateformes de service d’accès aux soins (SAS), prévues pour orienter convenablement les patients, selon une logique de pluridisciplinarité. Nous pensons qu’il est utile de généraliser des plateaux techniques avec des infirmiers en pratique avancée, permettant de traiter la « bobologie », quand cela est opportun, ou de préadresser les patients aux urgences avec des examens déjà réalisés.

Le Président de la République a évoqué une sorte de donnant-donnant visant à rétablir des permanences de santé contre une consultation mieux rémunérée. Des maisons médicales de garde ouvertes le week-end seraient, à nos yeux, un objectif prioritaire. Les plateformes SAS pourraient déjà disposer de créneaux de réservation de rendez-vous des médecins de ville, des kinésithérapeutes ou des infirmiers. Nous souhaitons en retour que les rendez-vous non honorés soient sanctionnés quand l’abus est manifeste, parce que ces créneaux sont des trésors.

Nous avons besoin d’une réelle régulation publique, décentralisée et pluridisciplinaire.

Où concentrer nos efforts à moyen terme ? Dans les territoires, avec les acteurs locaux, et ce dès le début de la scolarité supérieure. Nous avons constaté que les plus jeunes médecins et infirmiers souhaitaient pratiquer la médecine de façon collégiale, une proposition identique devrait alors être faite – je le crois – à nos étudiants.

Nous déplorons tous l’installation des jeunes médecins ailleurs que dans nos territoires ruraux ou sous-dotés. Cependant, c’est oublier que la cassure territoriale se produit dès le premier stage d’internat. Nous proposons ainsi la création de lycées médicaux, ou d’options médicales, sur le modèle des lycées agricoles.

Nous croyons également nécessaire d’introduire, de nouveau, un entretien dans le cadre des inscriptions en école d’infirmiers et en faculté de médecine, afin d’éviter de trop nombreux abandons, mais aussi de permettre le redoublement de la première année pour empêcher les fuites à l’étranger.

Nous proposons l’agrandissement des instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) et la création de petits centres universitaires médicaux décentralisés dans des villes moyennes, adossés à des logements. Ainsi, les étudiants en médecine, insupportablement sous-payés, pourront découvrir, avec leurs amis, la réalité de nos territoires, dans le cadre d’une démarche contractualisée. Ils n’auront plus à s’inquiéter de trouver un toit ni de chercher à revendre leurs tours de garde à des camarades plus riches afin d’assurer leur subsistance. Les collectivités locales y sont prêtes. Les Alpes de Haute-Provence y sont prêtes, car nous savons combien un soignant en devenir, ou en place, est précieux.

Cela me conduit à mon dernier point.

Nos territoires sous-dotés ont dû investir dans le recours à des médecins intérimaires hospitaliers, parce que rien ne marchait. Nous ne cautionnons pas ces pratiques, mais il est cependant nécessaire de faire avec l’existant. Le Conseil constitutionnel a censuré une disposition du projet de loi de financement de la sécurité sociale limitant ce recours, tandis que la loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite loi Rist, prévoyait une restriction d’emplois au cours de cette année. Le flou profite déjà aux intérimaires, qui dressent des listes d’établissements acceptant ces pratiques, et il est bien évident que nos établissements publics hospitaliers ne pourront pas s’aligner.

Madame la ministre, comment nos hôpitaux, déjà exsangues, pourront-ils tenir s’ils sont désertés du jour au lendemain par ces intérimaires ? Ne pourrions-nous pas créer, dans ces cas précis, des postes fixes dans les structures concernées ? (M. Henri Cabanel applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Monsieur le sénateur, vous m’avez posé de nombreuses questions, aussi vais-je essayer de répondre à quelques-unes d’entre elles.

S’agissant de nos 657 000 concitoyens souffrant d’une affection de longue durée (ALD), donc suivis pour une pathologie chronique, c’est l’urgence. Nous devons apporter des réponses à leur situation, collectivement avec les médecins.

Le cap a été fixé par le Président de la République : avant la fin de l’année, chaque patient atteint d’une ALD doit avoir accès à un médecin traitant. Ce travail sera réalisé avec la Caisse nationale d’assurance maladie.

Nous allons rapidement pouvoir appeler chaque patient souffrant d’une ALD et le mettre en contact avec un médecin traitant. Nous sommes dans une logique de « gagnant-gagnant ». Les médecins sont les premiers concernés, si je puis dire, et veulent absolument nous accompagner afin de répondre à ce besoin. Un patient atteint d’une ALD, par exemple en situation de décompensation diabétique, se retrouvera alors aux urgences. Il nous faut donc travailler très rapidement sur ce sujet.

Nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer dans cet hémicycle : la réforme ou l’évolution du parcours de formation de nos infirmières et de nos infirmiers est nécessaire ; nous le savons.

Un taux de fuite s’élevant à 30 % en première année, puis à 20 % à la fin de la formation, signifie que 50 % de nos jeunes qui ont commencé une formation d’infirmier ou d’infirmière ne la poursuivent pas jusqu’à son terme. Cela veut dire qu’un problème existe. Le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) est très clair sur ce point. Nous allons aussi, rapidement, faire des propositions afin d’éviter cet écueil.

Au sujet des rendez-vous non honorés, nous pouvons tous apporter des réponses si nos concitoyens nous y aident. Les besoins de santé ne sont pas des besoins de consommation et un rendez-vous n’est pas un bien de consommation comme un autre : je prends un rendez-vous, je l’honore, car si je ne m’y rends pas, cela signifie que quelqu’un d’autre n’a pas pu être pris en charge. Nous allons donc travailler et faire des propositions.

Concernant le pacte avec les collectivités, souhaité par le Président de la République, celui-ci est nécessaire. Mes nombreux déplacements montrent à quel point l’investissement des collectivités, afin de rendre le territoire attractif et d’accueillir de jeunes internes ou de jeunes médecins, est intéressant.

La maison des internes et des soignants à Morteau est un bel exemple de travail de coconstruction entre les collectivités, les ARS et les soignants, afin de permettre aux jeunes de découvrir le milieu rural ou semi-urbain et d’éventuellement s’y installer.

Enfin, s’agissant de l’intérim, nous avons pris la décision d’une mise en application à partir du mois de mars : cette loi est votée et doit donc être appliquée. Nous avons trouvé une voie avec les ARS et les hôpitaux. Les ARS sont prévenues, mais évidemment, il nous faut trouver les personnels… (M. Jean-Yves Roux acquiesce.)

M. le président. Madame la ministre déléguée, veuillez conclure.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Oui, monsieur le président. Je compléterai ma réponse tout à l’heure.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de ses vœux aux acteurs du secteur, le Président de la République a tenté de fixer un nouveau cap pour la santé dans notre pays.

Ce cap était nécessaire et attendu. Après trois ans d’une pandémie qui a épuisé les soignants et qui continue de les mobiliser quotidiennement, il se devait d’aller au-delà d’une sorte de rediffusion de Ma santé 2022 voire d’un « autosatisfecit » presque gênant.

Le constat dressé par le Président de la République est largement connu et partagé. Les annonces, en revanche, manquent de contenu et, concrètement, de crédibilité au service de la santé des Françaises et des Français.

La médecine de ville est en crise, tiraillée entre des besoins plus importants de la population, des « déserts médicaux » toujours plus préoccupants et des professionnels de santé qui, en nombre insuffisant, peinent à dégager le temps médical nécessaire.

Face à cela, nous avons eu droit au catalogue des annonces relatives au système de santé des cinq dernières années.

Quelle signification concrète pour la solidarité collective, les revalorisations différenciées, la valorisation de l’exercice coordonné ? Certes, ce n’est pas simplement une question de moyens, mais nous sommes au milieu d’une négociation conventionnelle particulièrement tendue !

D’un seul coup, le seuil de 20 % de téléconsultations ne serait plus pertinent. Quelle médecine voulons-nous ? Une médecine sans examen clinique pratiquée dans des centres d’appels éloignés des populations ? Une médecine à deux vitesses vidant un peu plus encore les territoires ? La télémédecine est un outil complémentaire, mais ne doit pas être un substitut « ubérisé » à une médecine de qualité.

Il faut embaucher davantage d’assistants médicaux, nous dit le Président de la République. Soit ! Cependant, pour ce qui est du financement, aucune précision !

Bien sûr, le Président de la République s’est aussi prononcé sur la délégation d’actes, estimant qu’elle devait être « simplifiée, généralisée » et qu’« il ne faut pas qu’il y ait de conflits entre les professions ». Quels choix cette formule sibylline traduit-elle ? Que veut dire concrètement apporter une « solution de santé en incitant les acteurs de santé sur un territoire à coopérer entre eux » ? Quid, par exemple, des infirmiers en pratique avancée, à peine cités par le Président de la République ?

Au chapitre des solutions simples, le Président de la République a annoncé, concernant les 6 millions de Français sans médecin traitant, que les 600 000 malades chroniques qui n’en disposent pas s’en verraient prochainement proposer un par la Caisse nationale de l’assurance maladie. On se demande pourquoi cette annonce n’est pas venue plus tôt…

Surtout, se poser la question du nombre de Français dépourvus de médecin traitant est une chose ; se demander quel est le rôle de ce dernier aujourd’hui dans le système de soins en est une autre. Or, pour cette seconde question, aucune vision n’est portée par l’exécutif. « Le médecin traitant doit être la porte d’entrée, mais pas le verrou de notre système » : en disant cela, certes, on ne fâche personne, mais on ne résout aucun problème.

Quelle est la feuille de route poursuivie par la multiplication désordonnée des accès directs ? Comment ces derniers sont-ils justifiés, mis en cohérence ? Au-delà d’être la « porte d’entrée », comment donner réellement au médecin traitant les moyens d’être le pivot ?

En Suède, où s’est rendue la commission des affaires sociales, le rôle du médecin traitant n’est pas de s’occuper de la régulation, laissée souvent aux infirmiers, mais bien du diagnostic médical et de la coordination des soins. Est-ce le choix qui nous est annoncé ?

S’agissant de l’hôpital, qui connaît une crise tout aussi profonde et durable, malheureusement, le discours présidentiel n’était pas beaucoup plus clair.

Bien sûr, l’annonce « choc » relative à la tarification à l’activité a fait couler beaucoup d’encre. Derrière ce slogan d’une fin de la T2A, le Président de la République n’a fait que reprendre ce que la commission d’enquête du Sénat appelait de ses vœux l’an dernier : un modèle de financement mixte, avec une part de dotation communément appelée populationnelle, un financement lié à la qualité et, bien sûr, une part demeurant assise sur l’activité.

Cette annonce ne suffira pas à rassurer les professionnels de santé, car, répétons-le, le problème de la T2A n’est pas de lier le financement à l’activité, mais bien d’appliquer un tarif qui ne couvre pas réellement les charges des établissements. Se tromper de problème, c’est apporter une mauvaise solution.

Par surcroît, on nous dit aujourd’hui qu’il n’y aura pas de transition et que le nouveau modèle sera voté dès le PLFSS pour 2024 ! Que de promesses quand nous voyons que le Gouvernement n’a même pas conduit l’expérimentation d’un tel modèle de financement, pourtant votée dans le cadre de la LFSS pour 2021, et que les réformes du financement des soins de suite ou de la psychiatrie, jamais passés à la T2A, ne sont toujours pas effectives.

J’aimerais, pour ma part, que le Gouvernement nous fasse l’exégèse du verbe présidentiel quand il proclame qu’« on doit sortir de la tarification à l’activité dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale », tout en annonçant plus loin « une part de rémunération à l’activité qui est tout à fait légitime et qui doit continuer ».

Surtout, en évoquant un changement de modèle de financement, le président Macron évite précautionneusement le sujet de la dépense et de sa régulation. Alors que l’on nous annonce des revues de dépenses et que la maîtrise de la dépense publique est une nécessité, quelle part le Gouvernement veut-il réellement consacrer à l’hôpital ?

Madame la ministre, si le nouveau modèle de financement n’est qu’une nouvelle règle de partage du même gâteau, économisons-nous des débats techniques et gardons le système actuel !

Le premier engagement à prendre à l’égard de l’hôpital est celui de l’humilité. La commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France avait choisi de ne pas appeler à une nouvelle loi Santé, comme elle avait revendiqué de ne pas engager de nouveau des modifications de la gouvernance, estimant que le cadre issu des réflexions du professeur Claris laissait la souplesse nécessaire pour revaloriser le service, d’une part, et pour « médicaliser » la direction, d’autre part.

Cessons d’annoncer de fausses révolutions et des changements de paradigme en trompe-l’œil : le véritable besoin des soignants aujourd’hui, ce sont les effectifs. Où en sont les recrutements ? Comment les hôpitaux sont-ils en capacité de renouer avec l’attractivité des postes, des carrières, et en capacité de financer davantage de soignants auprès du lit des patients ?

C’est cela la réalité des prix, madame la ministre ; c’est cela la réalité de la politique que vous avez à mener.

La feuille de route donnée par le Président de la République ne permet de déceler aucune ambition concrète pour les soignants et le système de santé qu’ils portent et, je le crains, n’annonce aucune politique structurée de la part du Gouvernement face à la crise que nous connaissons.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, cette année 2023 commence par des annonces qui n’en sont pas, pour des réalisations dont je crains qu’elles n’en soient pas. Des mots, toujours des mots, les mêmes mots, rien que des mots… Je vous souhaite néanmoins, madame la ministre, une excellente année 2023. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)