M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, crise de l’énergie, crise climatique, crise de l’approvisionnement en intrants : pour les agriculteurs et agricultrices, la peine est triple. De la production à la distribution en passant par le stockage, c’est tout un secteur clé de l’économie française qui est pris en étau.

Avec une hausse des coûts de production de plus de 26 % en un an, la filière agroalimentaire française est aujourd’hui au pied du mur, sans autre perspective que celle du dépôt de bilan pour de nombreux agriculteurs ou d’une répercussion des coûts sur les consommateurs.

Ce sont bien là les seules perspectives parce qu’aucune exploitation ne peut absorber des factures d’énergie en hausse de 400 % quand, dans le même temps, les volumes de ventes sont en baisse.

Pour les communes et les départements, l’inflation subie par nos agriculteurs se répercute directement sur la commande publique : cantines scolaires, centres communaux d’action sociale, établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). La hausse des prix des denrées alimentaires est aussi un poids pour les finances locales, pourtant déjà contraintes.

Elle se répercute ensuite sur les consommateurs et les consommatrices dont le pouvoir d’achat s’effondre sans que les salaires augmentent. L’inflation alimentaire, avec une hausse des prix de 12 % en un an, ne laisse souvent pas d’autre choix que celui de la privation ou du report sur une qualité moindre.

Or les premières concessions et les premiers produits auxquels nos concitoyens renoncent, ce sont ceux qui sont issus de l’alimentation locale et des circuits courts. Ce sont donc des ventes en moins pour notre agriculture locale, pourtant déjà en grande difficulté.

Monsieur le ministre, d’un bout à l’autre de la chaîne de production alimentaire, vous le savez, la situation est grave. Elle l’est avant tout pour nos agriculteurs et agricultrices, qui sont nombreux à rester exclus du bouclier tarifaire et du guichet d’aides.

Quant à l’amortisseur d’électricité prévu pour 2023, il représente une compensation de 25 % de la facture d’énergie. Malgré cette aide, quand la facture subit une hausse de 400 % en un an, elle reste insoutenable.

Je reprendrai d’ailleurs, ici, les mots très justes de mes collègues rapporteurs spéciaux de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » : « C’est tout l’impensé de ce budget agricole. »

Monsieur le ministre, nous parlons du quotidien de centaines de milliers d’hommes et de femmes qui font vivre l’économie la plus créatrice d’emplois et de valeur ajoutée dans le pays. Pour elles et eux, l’urgence est là ; elle l’est également pour les générations de demain. Une agriculture nationale, locale, qui dépose le bilan, c’est une catastrophe non seulement sociale, mais aussi écologique et climatique.

Après plus d’un an de hausse des prix des intrants et de l’énergie, il est plus que temps de soutenir tout notre tissu agricole. Or, en lieu et place de cela, la Présidence française de l’Union européenne a servi, cette même année, à entériner un nouvel accord de libre-échange conclu avec la Nouvelle-Zélande. Le Parlement national ne sera même pas consulté. C’est insupportable dans la période !

À nos agriculteurs qui se demandent si leur exploitation tiendra une année de plus, vous avez envoyé le message suivant : des produits venus de Nouvelle-Zélande dopés à des substances interdites – rappelons-le – dans l’Union européenne parcourront 20 000 kilomètres pour venir concurrencer l’agriculture locale dans nos assiettes !

Peu importe la conjoncture, peu importe la crise écologique, peu importent les conséquences sur nos filières agricoles : ce modèle économique ravageur poursuit ses passages en force jusqu’à s’extraire du contrôle du Parlement.

J’en profite d’ailleurs, monsieur le ministre, pour vous redire qu’une proposition de résolution a été adoptée à l’unanimité pour que l’Accord économique et commercial global, le Ceta, soit inscrit à l’ordre du jour du Sénat, mais que nous n’avons toujours aucune réponse concrète ni de votre part ni de celle d’aucun autre membre du Gouvernement. Pourquoi cela ? Est-ce que vous avez peur du débat ?

Ayons pourtant ce débat sur le modèle alimentaire dans lequel la France s’engage, sur cette course aux traités et sur leur empreinte écologique ! Il est nécessaire, car nous n’avons plus le temps d’attendre. Chaque cataclysme climatique que nous vivons est une preuve supplémentaire qui interroge nos choix économiques.

Il y a quelques mois encore, nous vivions un été caniculaire, d’une ampleur sans précédent. Les sécheresses, les pénuries d’eau et les incendies qui ont ravagé le sud-ouest de la France sont un signal d’alarme. Au total, c’est une surface de forêt six fois supérieure à la moyenne décennale qui a péri dans les flammes.

Ce sinistre record doit être considéré avec sérieux, en renforçant les moyens de l’Office national des forêts. Or c’est là tout l’inverse de ce que propose ce projet de loi des finances, qui poursuit l’assaut sur les effectifs de l’ONF, avec cette année encore 80 suppressions d’emplois.

Pour toutes ces raisons, et en grande responsabilité, pour faire plaisir à mon collègue Bernard Buis (Sourires.), nous voterons contre les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi quau banc des commissions. – M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre Louault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ce projet de loi de finances, la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » donne lieu à un certain nombre d’interrogations ; il s’agit pourtant d’un budget qui apporte des réponses positives.

L’assurance récolte dont on parlait depuis plusieurs années est enfin mise en œuvre, les clés de répartition sur son financement sont clairement établies dans la loi, pour les agriculteurs, pour les compagnies d’assurances et pour l’État.

Toutefois, certains ne sont pas d’accord avec les 560 millions d’euros de crédits inscrits au projet de loi de finances, tout simplement parce que cela ne serait pas suffisant ; honnêtement, aujourd’hui, personne n’est capable de dire combien d’agriculteurs souscriront cette assurance et combien cela coûtera à l’État.

Je veux rappeler, et l’argument vaut preuve, que tant pour le gel de l’année dernière que pour la sécheresse de cette année, ainsi que pour la grippe aviaire, le Gouvernement a su répondre favorablement aux demandes d’aides qui n’étaient pas supportables par la seule agriculture. Pourquoi donc le Gouvernement, alors que cela correspond à un engagement du ministre de l’agriculture, ne débloquerait-il pas des fonds supplémentaires, en plus du budget initial de 560 millions d’euros, dans le cas où cela serait nécessaire ? Il ne serait pas prudent de bloquer 100 millions ou 120 millions d’euros de plus au détriment d’un certain nombre d’opérations.

Le TO-DE est inscrit au budget de ce ministère, alors que, précédemment, il figurait ailleurs sans garantie de durabilité. Je crois que cette inscription nous donne l’espoir que le dispositif sera maintenu définitivement pour soutenir l’agriculture saisonnière, qui en a grand besoin.

En revanche, il est vrai que l’on constate certaines insuffisances. Je voterai donc un certain nombre d’amendements.

Ainsi, il n’est pas normal que le Casdar soit amputé de 10 millions ou 15 millions d’euros chaque année, alors que c’est une recette qui vient de l’agriculture. (Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis, approuve.) Pour ainsi dire, Bercy aime toujours se mettre 10 % ou 15 % de ce compte sous le coude, récupérant ainsi une partie de la recette sans rien dire.

Parmi les points positifs figure l’affectation de recettes à la transition agroécologique. Je crois que les crédits de recherche sont bienvenus, en particulier pour développer la vaccination, grâce à laquelle on évitera que des crises sanitaires comme l’influenza aviaire ne perdurent. Mieux vaut investir davantage dans la recherche sur les vaccins, plutôt que de payer 1 milliard d’euros, comme nous l’avons fait cette année, pour compenser les pertes.

De même, il est positif d’avoir prévu un soutien de 5 millions d’euros à l’agriculture biologique, alors que l’année dernière ce financement relevait de la mission « Plan de relance ».

En revanche, l’absence de bouclier tarifaire pour les engrais n’est pas normale. Les agriculteurs se sentent rassurés pour ce qui est des carburants ; il n’en est pas de même avec les engrais, et cela leur pose de vraies difficultés. Tant que les cours mondiaux seront favorables – chance pour nos agriculteurs ou malchance pour les consommateurs –, l’agriculture pourra tenir le choc.

Mais, et nous n’en sommes peut-être pas loin, si des récoltes venant d’autres pays, par exemple la Russie, envahissent le marché mondial, les prix agricoles s’effondreront, et avec eux l’agriculture dans son ensemble.

Il faudra pérenniser les crédits en faveur de l’agriculture bio. S’il convient, pour autant, de ne pas pousser en avant une agriculture bio qui ne trouve pas ses consommateurs (Protestations sur les travées du groupe GEST.), il faut néanmoins maintenir cette production agricole. (M. Daniel Salmon sexclame.)

Catherine Loisier parlera du bois énergie dans la suite de la discussion.

M. le président. Il faut conclure.

M. Pierre Louault. Monsieur le ministre, il me reste à vous dire que je compte beaucoup sur la prochaine loi d’orientation agricole pour financer la transmission, la formation et l’installation des jeunes agriculteurs, ainsi que la recherche et le développement, la modernisation et la redynamisation des productions qui ont perdu de leur compétitivité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelle agriculture voulons-nous et quels moyens sommes-nous prêts à lui accorder ? Depuis que je siège dans cet hémicycle, j’essaie inlassablement de sensibiliser aux enjeux du secteur agricole et de la méthode à adopter ensemble pour des résultats efficaces.

Les enjeux sont externes, qu’il s’agisse de santé publique, d’indépendance alimentaire, d’adaptation au réchauffement climatique, de préservation de l’environnement et de la ressource en eau, d’emplois non délocalisables, de préservation du foncier, de recherche et d’innovation ; ils sont aussi internes quand ils portent sur les revenus, l’emploi rémunérateur, le bien-être ou la transmission.

S’agissant de la méthode, nous n’appliquons pas suffisamment celle d’une évaluation des effets de nos décisions, car les chiffres signifient peu au regard des enjeux.

Ce budget, par exemple, est en hausse de 15 %, mais les membres des différentes commissions ont quasi unanimement indiqué qu’il n’était pas à la hauteur.

Des questions se posent : quelle vision du bien-être de nos agriculteurs avons-nous ? Quand ouvrirons-nous le chantier du prix rémunérateur et du revenu pour aller au-delà des lois Égalim 1 et 2 ? Quelles actions mener pour favoriser la transmission des exploitations ? Quelle image positive pouvons-nous offrir aux jeunes agriculteurs ?

Quid de la loi foncière ? Depuis des années, je propose des moyens supplémentaires aux sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), via les établissements publics fonciers, pour qu’elles assument pleinement leur rôle dans l’installation et le portage foncier, et ce en toute transparence.

Concernant la prédation du loup, onze pays européens se sont réunis hier à l’invitation du Cercle 12 pour demander une régulation. Quelle est votre position, monsieur le ministre, concernant l’évolution de la convention de Berne, telle qu’elle est demandée ?

Quelles mesures de simplification pouvons-nous encore initier ? Comment, dans un contexte de concurrence exacerbée et d’enjeux climatiques lourds, pouvez-vous plafonner le budget destiné à la recherche ? En effet, le plafonnement du Casdar est fixé à 6 millions d’euros, alors que pour la seule année 2022, la prévision des recettes de la taxe sur le chiffre d’affaires des exploitants agricoles, qui alimente le Casdar, serait estimée entre 143 millions et 148 millions d’euros.

Et l’eau ? Alors qu’elle se raréfie, il faudrait anticiper et parler vrai. Le partage de cette ressource est fondamental et ses usages doivent être raisonnés. La piste de la réutilisation des eaux d’assainissement, par exemple, doit être véritablement étudiée, comme nous l’a d’ailleurs montré l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) à Pech Rouge dans l’Aude. Les procédures doivent être simplifiées ; nous sommes en retard sur ce sujet.

Concernant la gestion des risques, le dossier n’est pas nouveau. Il aura fallu dépenser des millions d’euros, à la suite des épisodes de gel, de grêle, de sécheresse ou d’inondation, pour enfin répondre à la détresse des agriculteurs par la mise en place d’un dispositif universel de couverture des risques.

Cependant, où en est-on s’agissant de la moyenne olympique ? Monsieur le ministre, quelles avancées ont été réalisées avec l’Europe, puisque, in fine, la décision en dépend ?

Autant de questions et de réponses à apporter pour penser le bien-être de nos agriculteurs.

En septembre 2019, la Mutualité sociale agricole (MSA) a révélé l’effroyable : 605 suicides pour la seule année 2015.

Depuis lors, silence radio sur les chiffres, car la « grosse machine » s’est enfin mise en route. Et c’est très bien !

Le film Au nom de la terre, d’Édouard Bergeon, a mis des images et des prénoms sur l’innommable.

Le débat dans cet hémicycle à l’occasion de l’examen de ma proposition de loi, le rapport rédigé par ma collègue Françoise Férat et moi-même, ainsi que celui de notre ancien collègue député Olivier Damaisin, ont sorti de l’oubli les milliers de femmes et d’hommes qui ont choisi de mettre fin à leur vie. Nous avons collectivement porté leurs voix et ouvert la voie.

La feuille de route de prévention du mal-être et d’accompagnement des populations agricoles en difficulté a ainsi été annoncée en novembre 2021 et un coordinateur, Daniel Lenoir, a été nommé.

Ma collègue Françoise Férat et moi-même l’avons longuement rencontré hier et il nous a rassurés sur votre volonté d’avancer. Cependant, sa mission s’achève en février 2023. Et après, monsieur le ministre ?

Il est absolument nécessaire de prévoir une évaluation des mesures. Comment la réaliser ? Grâce à un délégué interministériel ? à une mission ministérielle ? ou encore à un groupement d’intérêt public, qui aurait l’avantage de réunir l’ensemble des acteurs autour de la table ?

Je pense aussi aux associations, comme Solidarité Paysans ou Deux mains pour Demain, qui œuvrent quotidiennement pour aider des agriculteurs en difficulté ou des familles endeuillées. Quel soutien leur apportons-nous réellement ?

Comme les rapporteurs, je regrette la confusion portant, dans ce budget, sur les sommes dédiées à ces mesures. J’aurais également souhaité un document unique détaillant les financements par action, par exemple pour l’aide à la relance des exploitations agricoles, dont le budget prévu est à la baisse. Il s’agit pourtant d’un dispositif d’aide à la relance d’exploitations en difficulté, mais – et c’est un mal français – il est trop méconnu et complexe pour être utilisé.

Malgré cela, mon groupe, le RDSE, ne votera pas contre ce budget, en hausse, même s’il n’est pas à la hauteur des enjeux : il s’abstiendra.

Très symboliquement, j’ai déposé un amendement qui reprend la première proposition de notre rapport : faire de l’agriculture une cause nationale en 2023.

Les paysans nous nourrissent. Leur dédier une année d’actions serait à la hauteur de leurs missions et de nos ambitions. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, mes chers collègues, ce budget entrera dans l’Histoire, monsieur le ministre, puisque voilà presque soixante ans, un pacte a été passé entre les agriculteurs français, la Nation et les pouvoirs publics au sujet de la création du fonds national de garantie des calamités agricoles.

Ce fonds a été créé en 1964, non pas pour faire plaisir aux paysans, mais pour permettre aux agriculteurs d’affronter les différents aléas. À cette époque, il était déjà admis que l’État devait aussi prendre sa part de responsabilité afin que l’assiette soit remplie.

Mon propos n’est pas de remettre en cause la réforme, que nous souhaitions tous, monsieur le ministre. Mon propos, au-delà du sujet du budget, a trait à votre engagement.

En effet, en 1964, s’assurer n’était pas un choix. Le risque était alors systématiquement couvert par les assurances incendie des agriculteurs. Par conséquent, tout le monde par définition contribuait, selon le principe du « un pour un ».

Aujourd’hui, le principe, c’est celui du volontariat, ce qui constitue un enjeu terrible, monsieur le ministre. À cet instant, personne ne peut évaluer le nombre d’agriculteurs qui souscriront réellement ces contrats d’assurance, notamment lorsqu’il s’agit de productions très spécifiques, comme l’élevage à l’herbe.

La responsabilité est énorme, tant pour l’avenir des agriculteurs que pour l’assiette des Français, tant pour l’économie de notre pays que pour les entreprises agroalimentaires. Il est difficile de le mesurer.

Je souhaiterais que, à l’occasion de vos réponses, monsieur le ministre, le Gouvernement s’engage, au-delà du sujet assurantiel, à être aux côtés des agriculteurs, afin de garantir les conditions de production, si nécessaire, et de leur offrir des perspectives.

Le deuxième sujet, monsieur le ministre, concerne les conséquences de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim.

Encore une fois, mon propos n’est pas d’inciter à un retour en arrière, mais de vous alerter.

Il nous reste pratiquement un an. D’ici là, les 300 000 exploitations agricoles auront dû recevoir un conseil stratégique phytosanitaire afin de pouvoir continuer d’acheter des produits phytopharmaceutiques.

Monsieur le ministre, je pense que vous disposez des mêmes chiffres, qui indiquent que très peu d’exploitations y ont eu recours.

Aujourd’hui, je ne vois pas dans ce budget – cela a été évoqué à propos du Casdar – les moyens de donner un souffle nouveau, d’ici au 31 décembre 2023, pour que la ferme France puisse continuer d’être performante. Ce sujet fait également partie des défis à relever.

Monsieur le ministre, le prochain sujet a trait à la situation actuelle. L’inflation, qui frappe l’agriculture et les entreprises agroalimentaires, n’est pas uniquement française ; elle est européenne.

Une fois encore, nous avions pensé mettre en place un système pour protéger et réassurer les agriculteurs pour garantir leurs revenus.

J’avancerai quelques chiffres. S’agissant du prix du lait, avant la loi Égalim, la France se situait largement au-dessus de la moyenne du cours du lait payé aux paysans européens. Aujourd’hui, vous le savez, monsieur le ministre, nous sommes presque les derniers de la classe, seuls deux pays étant classés derrière nous.

La différence de prix pour 1 000 litres de lait, avec l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Belgique, est de 60 à 100 euros, alors que nous avons les mêmes charges.

Le problème de la compétitivité et du revenu permettant aux agriculteurs d’affronter cette situation très particulière est devant nous. Or ce projet de budget ne nous apporte aucune réponse.

Le dernier point, monsieur le ministre, concerne la forêt. Depuis un an – c’est également assez historique –, jamais autant de moyens n’auront été consacrés à l’accompagnement des forestiers, des communes, des territoires en matière de reforestation et de plantation.

Cependant, vous le savez, quand on plante un arbre, on n’a jamais la certitude qu’il pourra grandir. Pour cela, des moyens humains sont nécessaires, essentiellement pour accompagner sa croissance. Or un important déficit existe en la matière dans le secteur forestier.

Le travail réalisé, à l’occasion des Assises de la forêt et du bois, suscite également une certaine déception.

Nous avions proposé que le régime des TO-DE soit élargi aux forestiers, qui en avaient tant besoin. Nous n’avons pas eu gain de cause.

Je conclurai mon propos en vous posant une question, monsieur le ministre : où est l’ambition française de reconquête de l’indépendance alimentaire et de l’indépendance stratégique de notre forêt ?

Pour cette raison, nous voterons contre ce budget pour 2023. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le monde agricole a connu une année 2022 particulièrement complexe : volatilité des cours, hausse des coûts de l’énergie, des prix des intrants et des fourrages, augmentation des coûts de production et des charges, conditions climatiques difficiles, mais également retour de l’épidémie d’influenza aviaire.

Dans un tel contexte, le soutien de l’État est absolument essentiel pour surmonter la crise et adapter notre agriculture. Dans ce budget, les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » sont en hausse de 30 % cette année, soit 900 millions d’euros, notamment en raison du financement de l’assurance climatique.

Pour son année de lancement, le soutien public au financement de cette réforme s’élève donc à 560 millions d’euros, dont 255 millions d’euros sont portés par la mission. Or, force est de constater qu’il pourrait manquer 120 millions d’euros, sur les 680 millions d’euros, pourtant annoncés par le Président de la République en septembre dernier.

L’État doit absolument tenir ses engagements. Pourriez-vous nous rassurer sur ce sujet ? Il y va de la crédibilité du dispositif et surtout, au travers de cette crédibilité et de cette sécurisation, de l’adhésion des agriculteurs.

Très attendue sur le terrain, cette réforme doit permettre une diffusion nettement plus importante de l’assurance récolte ainsi que l’amélioration des conditions d’indemnisation, afin qu’elles deviennent plus équitables et plus protectrices.

Nous devons maintenant faire en sorte que de nombreux agriculteurs s’inscrivent dans ce mouvement et dans cette démarche. L’attractivité de l’offre assurantielle est en cela essentielle.

Il faudra également avancer sur d’autres volets, comme ceux de l’évolution des pratiques et des techniques agricoles, de la recherche et de l’innovation, ou celui d’une meilleure gestion de l’eau, autre levier absolument essentiel en matière de gestion des risques en agriculture.

C’est pourquoi je voudrais vous faire part de nos interrogations concernant les crédits dévolus au Casdar et leur plafonnement à 126 millions d’euros.

En effet, le Casdar finance l’accompagnement à la recherche et au développement en agriculture. Il s’agit d’un outil essentiel permettant aux exploitations agricoles d’innover afin de répondre aux enjeux multiples que sont notamment l’adaptation au changement climatique et son atténuation, le renouvellement des générations. Ces moyens doivent donc être renforcés.

J’évoquerai également notre élevage et nos éleveurs. Ceux-ci sont confrontés aux aléas climatiques, aux sécheresses à répétition, à la hausse des coûts de production, due notamment à celle des prix de l’énergie et des aliments, à la crise sanitaire de l’influenza aviaire et surtout aux grandes difficultés à répercuter les hausses de charges sur les prix de vente, comme Daniel Gremillet vient de l’expliquer, alors que le prix du lait se situe parmi les plus bas d’Europe.

J’y ajouterai également la pression sociétale, la pénibilité du travail et l’agribashing. Ces phénomènes se traduisent par une décapitalisation du cheptel français sans précédent. En effet, les effectifs de bovins viande décroissent de 3 % et ceux des bovins lait de 1,5 %.

La fragilisation de la couverture vétérinaire, maillon essentiel des filières d’élevage, s’ajoute encore aux difficultés que connaissent nos territoires. À ce sujet, il semble absolument nécessaire de soutenir le maintien des stages tutorés. Quelle initiative comptez-vous prendre, monsieur le ministre, en la matière ?

Au-delà se joue l’avenir de la filière élevage en tant que telle. La compétitivité de l’élevage doit absolument être réarmée et accompagnée. En effet, de l’élevage découlent toute une filière de transformation et notre souveraineté alimentaire.

Je voudrais d’ailleurs saluer le travail sur le service de remplacement effectué par nos collègues, notamment au travers de la pérennisation du crédit d’impôt et du relèvement de son taux, ce qui contribue à l’amélioration et à l’attractivité du métier.

L’enseignement agricole est un autre levier important de la transition de notre agriculture soutenue par ce budget. C’est un élément indispensable pour répondre aux défis du renouvellement, notamment des générations.

Enfin, concernant l’ONF, je veux saluer l’annulation des baisses d’effectifs prévues, à hauteur de 80 équivalents temps plein, même si 20 ETP demeurent encore à la charge de l’ONF. Pour cette raison, j’apporte tout mon soutien aux amendements des rapporteurs ayant trait au financement de ces 20 ETP.

En effet, nous avons besoin de plus de compétences et d’effectifs sur le terrain pour faire face aux défis immenses du renouvellement forestier dans nos territoires.

Pour conclure, la progression de ce budget doit être saluée. Néanmoins, celui-ci est en trompe-l’œil, car il ne traduit pas encore assez l’ambition de répondre à la perte de compétitivité de notre agriculture.

L’agriculture française est porteuse de nombreuses solutions pour relever le défi climatique, notamment grâce au stockage et au captage du carbone, mais aussi pour assurer la souveraineté alimentaire ainsi que notre souveraineté énergétique.

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre agriculture se trouve aujourd’hui au cœur de problématiques multiples et cruciales pour notre avenir : augmentation des coûts de l’énergie et des matières premières, effondrement de la biodiversité et dérèglement climatique, faiblesse des prix payés aux producteurs, mal-être des agriculteurs, montée de la précarité alimentaire, renouvellement des générations.

Autant de défis nécessitant une politique ambitieuse, pour accompagner les transitions agricoles et alimentaires vers plus de résilience et de justice sociale.

Dans ce contexte, le Gouvernement propose un budget qui est, à nos yeux, insatisfaisant. Il ne soutient pas suffisamment les systèmes vecteurs de solutions de substitution, d’innovation et de résilience.

Je commencerai par évoquer l’agriculture biologique – cela ne surprendra personne –, qui est la grande oubliée – une nouvelle fois – de ce projet de loi de finances, alors qu’elle est porteuse de nombreuses solutions d’avenir.

Ainsi, l’entretien de la vie des sols limite les consommations d’eau et d’intrants, mais aussi préserve la qualité de l’eau. La diversification des productions permet de mieux faire face aux aléas. Enfin, l’économie territorialisée, résultant de l’agriculture biologique, est moins sensible au contexte géopolitique.

Ses atouts sont donc multiples, sans compter les externalités positives qu’engendre ce mode de production, qui sont à comparer aux externalités négatives issues d’une autre forme d’agriculture.

À ce sujet, une étude portant sur les coûts cachés des pesticides a été publiée la semaine dernière. L’estimation basse de ces coûts est de 370 millions. Les effets des pesticides sur la santé et l’environnement sont donc chiffrés à au moins 370 millions d’euros !

J’ignore si vous disposez de ces chiffres, monsieur le ministre. Vous pourrez me répondre tout à l’heure, peut-être. Mes chers collègues, je ne sais pas si vous en disposez également. Il s’agit d’une étude franco-belge à laquelle a participé le professeur Philippe Baret, qui était intervenu lors d’un colloque que j’avais organisé et qui portait sur l’agroécologie. Ces scientifiques mettent les chiffres sur la table, nous en avons besoin. Il serait d’ailleurs intéressant d’inviter ces experts et – pourquoi pas ? – d’organiser un débat contradictoire sur ces sujets.

Ces constats ne semblent toujours pas avoir été pris en compte par le Gouvernement. Ainsi, qu’en est-il de la prolongation du crédit d’impôt haute valeur environnementale (HVE), alors que cette certification brouille le message adressé au consommateur et n’apporte que peu de garanties environnementales ?

Au-delà de l’agriculture biologique, ce sont l’ensemble des solutions agroécologiques et paysannes qui sont insuffisamment soutenues par ce budget.

S’agissant de la grippe aviaire, les mesures de biosécurité sont inadaptées et pénalisent très fortement les systèmes d’élevage en plein air et les petits élevages. Pourtant, ces modèles limitent bien souvent les risques sanitaires, grâce à des densités et des déplacements d’animaux moins importants. Ils devraient donc bénéficier de mesures et d’un accompagnement spécifiques pour faire face à ces problématiques.

À propos du volet alimentation, alors que la précarité alimentaire augmente, nous regrettons le manque de soutien accordé aux collectivités en faveur du maintien d’une restauration collective accessible à tous et conforme aux objectifs de la loi Égalim en matière de qualité des repas. C’est la loi, je le rappelle. Pourtant, nous sommes loin d’avoir atteint le taux de 20 % de produits issus de l’agriculture biologique dans la composition de ces repas.

En outre, il est essentiel de se diriger vers la mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation, et dans un premier temps, peut-être, d’une allocation pour une alimentation durable, construite en lien avec les usagers, les acteurs agricoles et ceux de la solidarité.

Enfin, je souhaite également aborder le sujet de la forêt. Alors que les incendies ont révélé l’importance d’une politique cultivant la résilience de nos forêts, ce budget ne comporte aucune augmentation des moyens de l’ONF, institution pourtant cruciale pour notre pays. Nous espérons que le Gouvernement se décidera enfin à amorcer une hausse de ses effectifs.

En conséquence, nous serions prêts à voter ce budget, si l’essentiel de nos amendements étaient retenus. (Sourires. Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)