M. Roger Karoutchi. Les factures aussi ! (Sourires.)

M. Stéphane Sautarel. Certes, mon cher collègue ! Nous risquons aussi de renforcer la cohorte des dépossédés, de tous ceux qui se sentent exclus du monde qui advient alors qu’ils travaillent : ils constituent une majorité exclue d’un modèle qu’une élite bien-pensante veut lui imposer.

Alors oui, osons ! Osons innover pour enfin investir, pour enfin moderniser nos voies ferrées – toutes seront bientôt concernées –, mais aussi certaines de nos routes. Comment le faire ? Par un grand emprunt ? Je crains que nous n’en ayons plus les moyens. Par un grand projet européen ? Je crains que nos faiblesses ne nous le permettent plus. Par une société de projet ? Pourquoi pas, puisque la SNCF nous promet des retours sur investissement à trois ans et demi sur certains investissements majeurs. La débudgétisation, la sortie de l’annualité, les perspectives offertes, sur dix ou vingt ans, par la mobilisation de fonds verts et de partenariats public-privé doivent nous le permettre. Essayons, essayons vraiment !

Ce projet de loi de finances confirme aussi que le seul facteur de déséquilibre est constitué par le budget de l’État, alors que les collectivités sont à l’équilibre et que la sécurité sociale s’en rapproche, même si ses perspectives inquiètent. D’où mon dernier point sur les territoires et les collectivités.

Commençons par rétablir la confiance. Nous avons supprimé l’article 23 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, qui prévoyait d’encadrer les dépenses des collectivités territoriales alors que celles-ci n’aggravent pas le déficit. L’attachement aux libertés locales n’est pas compatible avec un encadrement des dépenses des collectivités, mais appelle plutôt à une lisibilité autour d’un pacte de confiance pluriannuel. Le système de contrôle et de sanction proposé n’est pas acceptable. Comment pouvez-vous, au détour de l’emploi du « 49.3 » à l’Assemblée nationale, le réintroduire dans ce projet de loi de finances, à l’article 40 quater ?

La première urgence est donc de revenir sur cette disposition, si vous voulez confirmer que l’exécutif est « ouvert aux propositions » du Sénat, comme le Gouvernement le déclare, et faire confiance aux collectivités qui ont montré qu’elles en étaient dignes.

S’agissant des dépenses des collectivités, sans entrer dans les chiffres, rétablissons quelques vérités. Les collectivités territoriales ne sont pas un problème pour les comptes de la Nation. Les dotations ne sont pas des subventions de l’État, elles ne sont pas un don, mais un dû, car elles sont la contrepartie, à l’euro constant près, soit de la nationalisation d’une fiscalité jusqu’alors locale, soit d’un transfert de charges de l’État vers les collectivités. C’est même un principe constitutionnel !

Au fil des années, plus l’État a prélevé sur les finances locales pour ses besoins, plus son propre déficit s’est accentué. Depuis 2014, 46 milliards d’euros ont ainsi été piochés dans les budgets des collectivités par un État dont le déficit est reparti à la hausse depuis 2018, soit avant le covid-19. C’est d’autant plus pernicieux que les excédents de fonctionnement des collectivités territoriales améliorent la présentation à Bruxelles des comptes publics de l’État.

Mais au-delà des difficultés rencontrées à microéchelle, si l’on peut dire, par chaque commune, la désindexation des dotations générera, à l’échelle macroéconomique, un effet récessionniste. L’hypothèse de croissance retenue par le Gouvernement pour 2023 est de 1 %. Ce chiffre faible, déjà optimiste, sera revu à la baisse si les collectivités territoriales, qui ne représentent en France que 19 % du total de la dépense publique, mais assument plus de 70 % de l’investissement public, se voient privées de leur capacité d’autofinancement en raison de l’effet de ciseaux de la dynamique des charges qu’elles subissent. Car là est bien le véritable sujet, celui de l’autofinancement des collectivités.

Ne pas garantir, en euros constants, les recettes supposées appartenir aux collectivités, via le produit du résidu de fiscalité locale et, surtout, des dotations qui s’y sont substituées, remettrait en cause leur vertu contracyclique de soutien à l’activité en période de difficulté et générera ainsi un effet récessionniste.

Nous avions défendu, lors des « dialogues de Bercy », le maintien de la dynamique des bases fiscales sur la fiscalité locale : c’est une mesure importante de stabilité des règles et de respect de l’autonomie financière des collectivités. Je me réjouis qu’à ce stade nous soyons entendus.

Concernant les dépenses, les collectivités devraient pouvoir bénéficier de dispositifs de soutien renforcés face aux prix de l’énergie, comme nous le demandons depuis des semaines, dans l’attente d’une révision à l’échelle européenne du prix de référence de l’électricité. J’insiste sur ce point, qui me semble crucial, car cela nous exonérerait de bien des efforts budgétaires. Monsieur le ministre, le Gouvernement pense-t-il pouvoir enfin obtenir de l’Europe le régime ibérique ?

Bruno Le Maire nous a affirmé tout à l’heure que l’Europe doit faire bloc. Il semble pourtant, hélas, que ce ne soit pas tout à fait le cas aujourd’hui.

La discussion va s’engager de manière constructive et responsable dans cet hémicycle. Notre groupe y participera activement.

Monsieur le ministre, nous allons pouvoir vérifier, dans les jours qui viennent, si vous voulez donner de la lisibilité et de l’efficacité à notre dépense publique, pour renouer avec la confiance et l’espérance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’ère du « quoi qu’il en coûte » s’est refermée. Avec la remontée des taux, la hausse des coûts de l’énergie et l’inflation qui s’installe dans l’économie mondialisée, nous ne pouvons plus dépenser sans compter, mais nous devons compter ce que nous dépensons. C’est ce que vous avez appelé, monsieur le ministre, le « combien ça coûte ».

Je salue ce changement de braquet, qui tire les conséquences d’une situation nouvelle. Il faut prendre les choses comme elles sont, car on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités, comme disait le général de Gaulle. Nous y voilà !

Je ne reviendrai pas sur le contexte global de ce budget, mon collègue Emmanuel Capus ayant déjà expliqué pourquoi notre groupe soutient le texte du Gouvernement. Je me contenterai de présenter quelques pistes d’action complémentaires.

Pour embrayer après le « combien ça coûte », je propose de passer à la vitesse de croisière du « mieux qu’il en coûte ». Désormais, à budget constant, nous devons impérativement améliorer l’efficacité des dépenses publiques.

Nos propositions répondent à cette logique. Je vous en cite trois, qui illustrent l’esprit de ce projet de loi de finances : stimuler l’innovation, la réindustrialisation des territoires et le « produire en France » ; accélérer la transition écologique et protéger la biodiversité ; enfin, renforcer notre souveraineté culturelle.

La réindustrialisation du pays passera à la fois par les territoires et par l’innovation. Si nous voulons éviter notre déclassement en pays de sous-traitance, il ne faut pas « oublier Lisbonne et mourir ». Nous devons investir massivement dans la recherche et dans l’innovation, pour que nos chercheurs et nos entrepreneurs trouvent et développent les solutions aux défis du siècle. C’est également vital pour notre balance commerciale.

C’est tout le sens de la mission d’information dont mon groupe a pris l’initiative, voilà un an, et dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur. L’objectif de cette mission n’était pas d’orner d’un rapport supplémentaire les rayonnages de votre bibliothèque, monsieur le ministre ; il s’agissait de trouver des solutions efficaces et opérationnelles pour contribuer à changer la donne.

L’ensemble de nos propositions peut être divisé en trois : un tiers pour le Gouvernement ; un tiers pour le secteur privé ; un tiers pour le Parlement. Avec les membres de cette mission d’information et son président, Christian Redon-Sarrazy, nous avons pris notre part et proposé des mesures concrètes.

La plus importante, par le signal positif qu’elle enverrait, concerne le crédit d’impôt recherche (CIR). Nous proposons, à enveloppe budgétaire constante, de reventiler une part réduite de l’enveloppe au bénéfice des PME et des ETI, en supprimant le taux de 5 % au-dessus du seuil de 100 millions d’euros de dépenses de recherche et développement.

Rappelons qu’un euro de CIR entraîne 1,4 euro de dépenses privées de recherche chez une PME, contre 40 centimes dans un grand groupe. Dans un cas, cette dépense est utile et créatrice de richesse supplémentaire ; dans l’autre, vous conviendrez qu’elle manque d’efficacité.

Telle est, monsieur le ministre, notre conception du « mieux qu’il en coûte ». Je sais que le Gouvernement ne souhaite pas toucher à ce dispositif, dont je conviens qu’il contribue à l’attractivité du pays. Pourtant, alors que nos concitoyens exigent davantage de justice fiscale, l’argent public ne doit pas servir à faire venir des entreprises étrangères pour de mauvaises raisons. Nous préférons qu’il finance directement l’innovation des PME et ETI de nos territoires.

Par ailleurs, pour accélérer la transition écologique, nous voulons ouvrir le bénéfice du régime du mécénat aux particuliers et aux entreprises qui consentent des dons aux communes forestières pour aménager des accès ou encore replanter des essences résilientes. Après les mégafeux qui ont ravagé nos forêts cet été, nous souhaitons permettre aux Français d’agir, de façon locale et concrète, pour les préserver.

Ce dispositif a été adopté par notre commission des finances, grâce au travail mené par mon collègue Vincent Segouin. J’espère que nous pourrons l’intégrer au budget, afin de le rendre opérationnel dès le 1er janvier 2023 et de préparer ainsi l’avenir.

Enfin, pour renforcer notre souveraineté culturelle, nous proposons également de mobiliser davantage de capitaux privés.

C’est essentiel, car le monde de la culture a été fortement frappé par la pandémie. Dans le même temps, l’encours global sur les livrets d’épargne réglementés, dont le livret A et le livret de développement durable et solidaire (LDDS), a dépassé 500 milliards d’euros, soit cinq fois le montant total du plan de relance : c’est considérable !

C’est pourquoi nous proposons de créer un nouveau livret d’épargne réglementée, dénommé Livret C, comme « culture », afin de mobiliser les capitaux privés pour le financement des lieux culturels, notamment patrimoniaux, et de la création. D’autres propositions, dont celle de ma collègue Colette Mélot en faveur de l’art numérique, vont dans le même sens. J’espère qu’elles pourront enrichir le texte du Gouvernement, en l’orientant dans la voie du « mieux qu’il en coûte ». (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. Patrice Joly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de ce budget pour 2023 se tient dans des conditions particulières, que d’autres orateurs ont rappelées avant moi : crise énergétique, inflation, perte de pouvoir d’achat. On observe une augmentation importante du coût de l’énergie et des produits alimentaires, catégories qui pèsent tout particulièrement sur les plus modestes, compte tenu de la structure de leurs dépenses.

C’est pourquoi, cette année plus encore qu’à l’ordinaire, nous devons être dans ce budget à l’écoute de nos concitoyens, de nos collectivités, de nos entreprises et de tous les acteurs économiques, dont les voix se font toujours plus criantes pour formuler plusieurs demandes.

Ils demandent que l’État redevienne davantage opérateur, en fournissant des services publics et en intervenant directement dans la vie économique française et la production de biens et de services.

Ils demandent que l’État redevienne davantage régulateur, en garantissant le fonctionnement du système complexe qu’est notre société.

Ils demandent que l’État redevienne davantage régalien, pour protéger et garantir l’ordre public, mais aussi, de manière plus générale, pour assurer la sécurité dans ces différents domaines.

Ils demandent que l’État redevienne plus fort pour lutter contre les inégalités sociales et rétablir la justice fiscale.

En somme, ils demandent à l’État d’être de nouveau pleinement en phase avec les besoins de nos concitoyens.

Mais comment les rassurer, alors même que nous venons d’achever les débats sur un projet de loi de programmation des finances publiques peu ambitieux ? Le Gouvernement a renoncé à faire payer celles et ceux qui bénéficient aujourd’hui de la crise. Il a renoncé à donner à l’État l’élan nécessaire pour venir en aide aux territoires et aux populations les plus fragiles, dont le nombre va toujours grandissant, comme le souligne le rapport sur l’état de la pauvreté en France établi par le Secours catholique.

Comment ne pas être inquiet pour nos concitoyens en examinant ce budget pour 2023 ?

Vous continuez à vouloir ramener le déficit public à moins de 3 % d’ici à 2027, au nom de la maîtrise de la dépense publique.

Si vous n’aviez pas fait le choix de réduire de 54 milliards d’euros les prélèvements obligatoires entre 2017 et 2023, notre déficit aurait pu être maîtrisé sans rogner sur les dépenses publiques. Visiblement, il ne suffit pas de s’autoproclamer bon gestionnaire pour l’être !

Au nom de la maîtrise de la dépense publique, monsieur le ministre, des cataclysmes se profilent : toujours moins de services publics, alors que les besoins s’en font plus que jamais sentir ; toujours moins de justice sociale et fiscale, alors que notre société croule sous les inégalités ; toujours moins de réponses à la crise écologique, alors que l’humanité est menacée ; toujours plus de misère, plus de crises dans les hôpitaux et les écoles, plus de files d’attente à la pompe et à l’aide alimentaire !

Monsieur le ministre, nous nous interrogeons sur de nombreux points de votre texte.

Tout d’abord, quelles protections apportez-vous aux habitants de nos territoires ?

Une récente étude de l’UFC-Que Choisir a montré l’ampleur de la crise sanitaire en France et, surtout, dans les territoires ruraux : il y est devenu particulièrement difficile, voire impossible, de consulter un médecin généraliste ou des spécialistes.

Parallèlement, l’hôpital s’effondre sous les coups de l’austérité budgétaire ; les démissions se multiplient, reflétant l’exaspération des personnels soignants.

À titre d’exemple, dans mon département de la Nièvre, les élus et les habitants assistent, contre leur gré et malgré leurs nombreuses protestations, à des fermetures de services dans différents établissements : fermetures de services de médecine, de lits de long séjour, ou encore de maternités et de centres périnataux faute de sages-femmes.

Alors, il faut investir fortement pour améliorer les conditions de travail, augmenter les salaires du secteur de la santé et permettre le recrutement de personnel, afin que plus jamais un être humain habitant ce pays ne puisse mourir dans un couloir sur un brancard, faute de soins ou dans l’attente d’être transporté dans un hôpital.

Ensuite, quels services publics souhaitez-vous encore maintenir sur nos territoires ?

Aux yeux du Gouvernement, c’est toujours l’objectif obsessionnel de maîtrise budgétaire qui est prioritaire. Vous considérez les services publics uniquement comme une dépense, sans jamais vous interroger sur ce que coûte leur absence ni sur ce qu’ils peuvent apporter en matière de cohésion sociale, d’accès aux droits, d’emploi, de lutte contre le réchauffement climatique, mais également de développement économique et de création de valeur ajoutée.

Enfin, quels secours donnez-vous à nos collectivités ?

Celles-ci ne peuvent se satisfaire de leurs dotations actuelles, d’autant qu’elles subissent depuis plusieurs mois une augmentation sans précédent de leurs charges de fonctionnement du fait de la crise inflationniste.

Je prends acte des mesures que vous proposez, monsieur le ministre, mais expliquez-nous comment les collectivités peuvent aujourd’hui entretenir les écoles, les collèges, les lycées, ou encore les piscines, tout en s’adaptant aux bouleversements irréversibles dus au dérèglement climatique, alors que leurs dépenses ne devront progresser que d’un rythme inférieur de 0,5 point au taux de l’inflation.

Votre budget promet une cure d’austérité, que vous souhaitez voir supportée par les collectivités, qui deviennent les grandes perdantes de ce projet. Les associations d’élus sont unanimes : les mesures retenues par le Gouvernement en direction des collectivités ne sont pas à la hauteur des défis auxquels elles doivent faire face.

Mes chers collègues, j’ai envie de faire miennes les paroles de Victor Hugo : « Je ne suis pas […] de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde ; […] mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. »

Face à un tel niveau d’urgence, il est temps de renverser votre logique et de repenser le budget de la France en partant des besoins de la population et de la planète, pour aller ensuite chercher les moyens nécessaires. Cela suppose au préalable d’imposer un partage des richesses, une plus grande participation du capital et une redistribution des revenus, au sens large. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’année dernière, nous avions sans doute trop rapidement écourté l’examen du projet de loi de finances, à l’issue de sa première partie. J’en exprime le regret. Les années se suivent, mais ne se ressemblent pas forcément : c’est cette fois l’Assemblée nationale qui a vu ses débats interrompus.

Pour autant, les sénateurs centristes saluent le maintien dans le texte de certains dispositifs de bon sens, parfois issus d’amendements présentés par différents groupes d’opposition.

Je pense tout particulièrement à la hausse du plafond défiscalisé des tickets-restaurant, à la prolongation du taux réduit de TVA à 5,5 % pour les produits liés au covid-19, ou encore à la mise en place d’un bouclier protégeant les collectivités de l’envolée des prix de l’énergie. Encore ce dernier dispositif reste-t-il à améliorer. C’est pourquoi notre groupe proposera un bouclier énergétique plus performant en faveur des collectivités, défini à partir de critères simples et clairs. Notre rapporteur général a livré une proposition utile, qui mérite débat et enrichissements.

Bien que s’appuyant sur des hypothèses optimistes, le Gouvernement prévoit – devrais-je dire, après avoir entendu M. le ministre de l’économie et des finances : « prévoyait » ? – pour 2023 une simple stabilité du déficit public effectif, une amélioration au mieux limitée du solde structurel et une quasi-stabilité du ratio de dette.

Or « le redressement des finances publiques s’annonce ainsi lent et très incertain en 2023 », souligne le Haut Conseil des finances publiques. Le Gouvernement a-t-il bien saisi l’urgence de retrouver la maîtrise de nos finances publiques ?

À l’écoute des propos tenus tout à l’heure par M. Le Maire, je suis porté à le croire, mais il nous faudra en recevoir des preuves au cours de la discussion des amendements. Le groupe de l’Union Centriste a toujours défendu une exigence de redressement des finances publiques. Encore faut-il, pour qu’il y ait accord au sein de la majorité sénatoriale, que le compromis soit clair et partagé.

La soutenabilité de notre budget nous appelle en effet à la plus grande vigilance.

Les deux dernières années ont démontré l’exigence d’un retour à des niveaux de dette raisonnables, garantissant à la France de disposer de marges de manœuvre suffisantes. C’est nécessaire pour affronter de nouveaux chocs macroéconomiques ou financiers et faire face à des besoins importants d’investissement public. Cet effort collectif repose sur la maîtrise de la dépense, couplée à la recherche d’une plus grande efficacité de celle-ci.

Les crédits des ministères augmentent de 24 milliards d’euros, la charge de la dette tutoie les 60 milliards d’euros et les dépenses d’assurance maladie inscrites dans l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), hors dépenses liées à la crise sanitaire, sont en augmentation et toujours supérieures aux dépenses d’avant la crise sanitaire. En effet, une fois la baisse des dépenses exceptionnelles neutralisée, la hausse en volume de la dépense publique est estimée à 0,7 %. Ces chiffres seront nécessairement au centre de nos discussions.

Les dépenses courantes vont encore augmenter de 62 milliards d’euros et 11 000 fonctionnaires vont être recrutés.

Au moment même où les taux d’intérêt remontent, voire dépassent les 2,5 %, la France va emprunter 270 milliards d’euros sur les marchés, un record dont nous nous serions sans doute bien passés.

Prenant ses responsabilités pour apporter des solutions concrètes à ces hausses des taux d’intérêt, le groupe UC s’est accordé pour déposer plusieurs amendements à ce projet de loi de finances pour 2023 visant à concourir au redressement de nos finances publiques. Dès lors, et en gardant à l’esprit, comme M. le ministre l’a lui-même souligné, qu’en cette période d’incertitude et de risques nous devons éviter d’ajouter à la situation actuelle une absence de discussion budgétaire, nous serons force de proposition.

Nous aurons un sujet de discussion : l’instauration d’une contribution exceptionnelle de solidarité sur les superprofits, étendue à l’ensemble des secteurs d’activité économique et ciblant les plus grandes entreprises. La solidarité est l’affaire de tous ; la cohésion passe aussi par des symboles.

Opposés à des baisses d’impôts non financées, nous proposerons par ailleurs le report de la suppression de la CVAE, mesure perçue de surcroît comme un énième coup porté à l’autonomie financière des collectivités. La position de la commission des finances sur cette question peut être un point d’atterrissage ; revenir dessus serait problématique.

Le financement des collectivités est devenu incompréhensible pour une grande majorité de ces dernières ; le calcul de la DGF en est le meilleur exemple. Nous saluons l’augmentation de 320 millions d’euros de cette dotation et la création du fonds vert destiné aux collectivités locales.

À l’heure où cet hémicycle va connaître de longs débats, le groupe UC souhaite des échanges équilibrés, intelligibles et respectueux, à l’image du travail fourni au Sénat. Cette approche permet un dialogue entre les différents groupes. Nous espérons que les propositions faites par le Sénat, et notamment par les sénateurs centristes, sauront susciter l’adhésion du plus grand nombre, ce qui nous permettra d’adopter ce budget tel que modifié par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je remercie l’ensemble des orateurs qui se sont succédé. Nous aurons, au cours des prochains jours, des prochaines semaines, des débats nombreux, riches et denses, qui nous donneront l’occasion de revenir sur beaucoup des sujets évoqués.

Monsieur Breuiller, vous avez abordé un certain nombre de sujets qui me tiennent à cœur. Vous avez évoqué notre politique culturelle ; je pourrais parler longuement de notre action autour du pass Culture ou de la rénovation du patrimoine de notre pays. Mais je retiendrai de votre intervention la question de l’éducation, question centrale, fondamentale, afin d’insister de nouveau sur la hausse, d’une ampleur inédite, du budget du ministère de l’éducation nationale.

Quand il a été élu Président de la République, François Hollande a lancé un grand plan de recrutement et de réarmement pour l’éducation nationale, qui s’était traduit, dans le PLF 2013, par un rehaussement de 1,7 milliard d’euros du budget de ce ministère. Dans le PLF pour 2023, ce budget augmente de 3,7 milliards d’euros.

Cela permettra de mettre en place des actions très concrètes, au service des méthodes pédagogiques, de revaloriser, à hauteur de 10 %, la rémunération des enseignants pour faire en sorte, comme nous nous y sommes engagés, qu’aucun d’entre eux ne démarre sa carrière à moins de 2 000 euros net par mois, ou encore de recruter 4 000 accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), qui bénéficieront eux aussi, grâce à l’adoption, à l’Assemblée nationale, d’un amendement de la majorité présidentielle retenu par le Gouvernement dans le texte considéré comme adopté, de la revalorisation salariale de 10 %.

Monsieur Rohfritsch, je vous remercie de votre intervention. Vous avez souligné la hausse importante dont bénéficie le budget du ministère des outre-mer, qui atteint près de 3 milliards d’euros. Cette hausse, déjà prévue dans la rédaction initiale du PLF, a été encore accrue par l’adoption d’amendements conservés dans le texte à la suite de la discussion à l’Assemblée nationale. Je pense notamment à l’amendement tendant à abonder de 30 millions d’euros le dispositif des contrats d’accompagnement des communes d’outre-mer en difficulté financière (Corom), pour les villes qui en sont signataires, ou encore à l’aide de 10 millions d’euros destinée aux entreprises industrielles ou de services situées dans les départements et régions d’outre-mer (Drom). Les discussions du Sénat sur le budget des outre-mer seront très importantes pour nous.

Monsieur Cozic, parmi les critiques que vous formulez à l’encontre de ce PLF, je retiendrai que vous nous reprochez de « subventionner des énergies fossiles ». Et vous avez raison : à titre personnel, je trouve aussi que nous subventionnons encore trop les énergies fossiles et je souhaiterais évidemment qu’il en aille autrement. Mais de quoi s’agit-il ? Du bouclier tarifaire, qui permet de limiter la hausse du prix du gaz, qui est une énergie fossile. C’est très concret, pour les Français, de ne pas devoir payer, l’année prochaine, une facture mensuelle en augmentation de 160 euros et de subir une hausse de 15 % seulement au lieu de 120 %.

Sans doute, cela implique que les finances publiques « subventionnent » le gaz ou, en tout cas, compensent la hausse de son prix. C’est ce que vous appelez, je suppose, le « subventionnement des énergies fossiles ». Nous préférerions évidemment nous en passer, mais je ne conçois pas de ne prendre aucune mesure pour faire face à l’explosion des prix de l’énergie que l’on constate partout dans le monde et qui affecte le pouvoir d’achat des Français.

De la même manière, eu égard à nos ambitions en matière de transition énergétique, nous ne nous réjouissons pas d’avoir instauré la ristourne sur le carburant, qui nous aura coûté 8 milliards d’euros en 2022. Mais cet investissement était nécessaire pour limiter la facture des Français : il aura permis à l’automobiliste moyen d’économiser 120 euros d’essence cette année. L’année prochaine, nous allons passer à un dispositif ciblé, afin de garder des marges de manœuvre permettant de renforcer nos mesures de soutien à la conversion des véhicules avec le bonus écologique et la prime à la conversion.

Je rappelle les engagements extrêmement forts que nous avons pris sur ce sujet : nous voulons que la France soit le premier grand pays à sortir des énergies fossiles. Nous nous en donnons les moyens, avec le réinvestissement dans des sources d’énergie décarbonée. Je pense au réinvestissement massif dans le nucléaire, au développement important des énergies renouvelables ou encore à des mesures fortes prises à la suite de la conférence de Glasgow qui se retrouvent dans les textes budgétaires, telles que la fin des garanties à l’export pour les projets fossiles. La France a été le premier pays au monde à interdire, en 2017, la recherche et l’exploitation d’énergies fossiles sur son sol. Autant d’engagements majeurs qui me semblent très largement partagés.

Monsieur Bocquet, vous avez parlé, pour commenter la trajectoire proposée par le Gouvernement pour les années à venir, d’une « baisse des dépenses des collectivités territoriales ». Je vous rassure sur ce point : il n’est absolument pas prévu de faire baisser les dépenses des collectivités territoriales. Ce que nous souhaitons, c’est que la dépense publique globale soit maîtrisée au cours des années à venir, qu’elle progresse, mais de manière maîtrisée.

Ainsi, selon la trajectoire que nous proposons, les collectivités territoriales, qui auront dépensé 295 milliards d’euros cette année, dépenseront, en 2027, 326 milliards d’euros, ce qui représente 31 milliards d’euros de dépenses supplémentaires en cinq ans. Les dépenses vont donc bien progresser, ce qui est légitime au regard des défis que l’on évoque régulièrement dans cet hémicycle – transition écologique, transition démographique, transition numérique…

Nous avons donc besoin que les collectivités continuent de dépenser, tant en investissement qu’en fonctionnement. Je ne prétends nullement que les dépenses de fonctionnement des collectivités doivent baisser de manière brutale ; nous souhaitons simplement une progression maîtrisée, pour les collectivités comme pour l’État.

Cela me semble sain, car si nous ne sommes pas en mesure de démontrer que nous maîtrisons la croissance de nos dépenses, le risque couru est celui d’une explosion de nos taux d’intérêt, laquelle emporterait des conséquences sur la dette non seulement de l’État, mais également des collectivités territoriales. En effet, pour mener à bien leurs projets d’investissement, ces dernières ont besoin d’emprunter ; si les taux d’intérêt explosent, elles ne pourront plus se financer dans les mêmes conditions pour réaliser les projets attendus par tous les Français, notamment en matière de transition écologique.

Par ailleurs, j’y insiste, les contrats de confiance que nous proposons d’instituer, qui contiennent les incitations que vous évoquiez, ne concernent que les 500 plus grandes collectivités, dont le budget dépasse 40 millions d’euros. Je ne voudrais pas laisser penser que ce dispositif s’adresse à l’ensemble des collectivités territoriales.

Vous avez en outre soulevé la question de l’autonomie des collectivités locales et avez affirmé que ce dispositif ne respectait pas la Constitution à cet égard. Cette question avait déjà été soulevée lors de la conception des contrats de Cahors et, si je me souviens bien, le Conseil constitutionnel avait jugé qu’ils étaient conformes à la Constitution. Or les contrats de confiance en sont très loin, comme l’ont souligné un certain nombre d’associations d’élus. Selon Intercommunalités de France, par exemple, « le Gouvernement tourne la page des contrats de Cahors avec ce dispositif ». De même, l’Assemblée des départements de France a indiqué, par la voix de son président, François Sauvadet, que ce dispositif lui convenait dès lors que l’on sortait des dépenses prises en compte les allocations individuelles de solidarité (AIS), ce à quoi j’ai toujours été favorable, depuis le début des discussions.

Je veux vous rassurer sur un autre point, monsieur Bocquet : nous ne baissons pas, heureusement, le budget de l’hébergement d’urgence. Bien au contraire, nous l’avons augmenté comme aucun gouvernement ni aucune majorité avant nous. En 2017, quand Emmanuel Macron a été élu, ce budget s’élevait à 1,7 milliard d’euros ; en 2023, il sera de 2,8 milliards d’euros, soit une augmentation de 1,1 milliard d’euros en cinq ans. C’est loin d’être une baisse, une saignée, une coupe !