M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. C’est vrai !

Mme la présidente. La parole est à M. Teva Rohfritsch. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Teva Rohfritsch. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ia ora na – bonjour !

Ce projet de loi de finances, le premier du nouveau quinquennat, s’inscrit dans la continuité de l’action de la majorité présidentielle, tout en s’attachant à faire face aux défis stratégiques actuels et à répondre aux attentes des Français face aux crises.

Il poursuit en effet la politique de l’offre menée depuis 2017, en soutien à la compétitivité de nos entreprises et au pouvoir d’achat des ménages.

Alors que plusieurs allégements fiscaux avaient déjà été mis en œuvre sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, de la réforme de l’ISF à la réduction massive de l’impôt sur le revenu, en passant par la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales – soit une baisse d’impôts de plus de 50 milliards d’euros au profit des Français –, le PLF pour 2023 prévoit de nouveaux allégements.

Nous proposons ainsi de supprimer en deux temps – pour moitié dès le mois de janvier prochain, puis définitivement en 2024 – la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

Nous entendons quelques réticences sur ce sujet, mais nous notons aussi que bon nombre de ceux qui s’y opposent aujourd’hui ont proposé cette baisse durant la campagne présidentielle.

Cette réforme bénéficiera à tout notre tissu industriel. Je tiens aussi à souligner que la suppression de la CVAE en deux temps sera intégralement compensée : il n’est pas question d’assécher les comptes des collectivités locales, comme nous avons pu l’entendre. Si nous avons des désaccords sur les modalités de compensation, ce qui est bien normal au sein notre assemblée, mieux vaut discuter, travailler, amender, négocier plutôt que de renoncer purement et simplement à une réforme attendue depuis longtemps par les acteurs économiques du pays.

Soulignons encore que les réformes fiscales et les dispositifs de soutien engagés au cours des dernières années ont porté leurs fruits et se traduisent dans le dynamisme des recettes fiscales, lequel profitera également à nos collectivités.

Chers collègues, le choix que nous avons fait de compenser la suppression de la taxe d’habitation par une part de TVA conduit à une compensation plus dynamique que toutes les réformes fiscales précédentes.

Le pouvoir d’achat des Français a crû de 1 % par an depuis 2017, soit un gain annuel moyen de 300 euros. C’est une performance appréciable, jusque-là inégalée, et d’autant plus notable que nous avons connu deux années de crise sans précédent, au cours desquelles le revenu des ménages n’a pas diminué et l’épargne a atteint des niveaux records.

Notre politique économique porte ses fruits. Il faut bien le reconnaître et l’apprécier collectivement.

Ce PLF pour 2023 est cohérent avec notre cap, parce qu’il vise le plein emploi en prolongeant des dispositifs efficaces et reconnus comme tels.

Après la crise de 2008, le chômage atteignait 9,5 % ; sous le quinquennat suivant, il dépassait même 10,5 %. À l’époque, le seul horizon était l’inversion de la courbe du chômage, comme si la bataille de l’emploi était déjà perdue. Aujourd’hui, la baisse est continue et le chômage est sur le point de passer au-dessous des 7 %. Le plein emploi est à notre portée et le PLF poursuit les efforts engagés.

Nous renforçons le financement de l’apprentissage, dont près de 900 000 jeunes ont bénéficié en 2021. Nous visons désormais le cap du million de bénéficiaires d’ici à 2027. Pour y parvenir, nous y consacrons 3,5 milliards des 31 milliards d’euros crédités au ministère du travail.

Le taux d’emploi des 15-24 ans a progressé de 5,3 points entre fin 2015 et fin 2021. C’est un point fondamental, car l’emploi des jeunes est la clef d’une société prospère. Ces bons résultats auront des conséquences positives sur toute une génération, qui sera le moteur et de notre économie et du financement de notre modèle social dans les prochaines années.

D’autres dispositifs sont également poursuivis : effort de 300 millions d’euros pour l’aide à la formation du fonds national pour l’emploi, dite FNE-formation, visant à soutenir les entreprises et salariés en difficulté ; 84 millions d’euros pour le plan de réduction des tensions de recrutement pour assouplir les frictions sur le marché du travail ; enfin, 50 millions d’euros en faveur du dispositif Transitions collectives.

Le Gouvernement soutient le plein emploi, que nous voulons atteindre d’ici à 2027. Alors que nous sommes en pleine semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, nous pouvons tous nous féliciter de la très nette baisse – cinq points depuis 2017 – du taux de chômage des personnes en situation de handicap.

La cohérence de ce budget, c’est enfin un soutien sans précédent aux fonctions régaliennes. Pour la troisième année consécutive, le PLF affiche des trajectoires inédites de progression des crédits : 8 % de hausse du budget de la justice pour la troisième fois ; ouverture de 3 000 postes au ministère de l’intérieur, de 2 300 à la justice et de 1 500 à la défense.

Quand nous avons débattu de la trajectoire pluriannuelle des finances publiques, de nombreux collègues ont exprimé des critiques sur ces points précis. Ce sont pourtant bien ces efforts qui sont financés, tout en proposant de revenir sous le seuil des 3 % de déficit en 2027.

C’est aussi dans cette épure et avec le souci de l’équilibre de nos finances publiques que notre groupe portera des amendements visant à soutenir les collectivités locales face à l’inflation, à renforcer notre tissu productif et à soutenir les territoires qui en ont le plus besoin.

En ce sens, je vous proposerai également un amendement tendant à soutenir les investissements dans nos collectivités d’outre-mer, en particulier celles du Pacifique.

Si vous souhaitez malgré tout une trajectoire budgétaire plus exigeante encore, dites-nous, chers collègues, ce à quoi nous devrions renoncer.

Comment affronter dès lors les défis qui se présentent ? Ils ont été rappelés : soutenir les collectivités locales, réarmer les fonctions régaliennes, rénover notre système éducatif, financer la transition écologique tout en diminuant la pression fiscale qui pèse sur nos entreprises et sur les ménages.

Au fond de vous, vous en conviendrez, ce projet de loi de finances trace une trajectoire cohérente et pertinente pour notre pays. Il vise à répondre efficacement aux attentes légitimes des Français de métropole comme des outre-mer.

C’est la voie de l’action, celle vers le plein emploi, celle qui exprime de manière ciblée les solidarités attendues des Français, de nos entreprises et de nos collectivités.

C’est cette action qui nous est proposée et que nous vous appelons à soutenir. Le groupe RDPI votera le projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Thierry Cozic. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est sous emprise que nous abordons aujourd’hui le projet de loi de finances pour l’année 2023.

Plus précisément, sous l’emprise de l’article 49.3,…

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Pas au Sénat !

M. Thierry Cozic. … certes constitutionnel, mais qui muselle les organes de la démocratie représentative.

Nous avons donc à nous prononcer sur un budget animé par des logiques quasi schizophréniques, tant votre souci de maintenir à flot l’économie par diverses aides se heurte à votre volonté de commencer à instaurer une austérité qui ne veut pas dire son nom.

Car ne nous y trompons pas : il faut bien considérer la loi de finances pour ce qu’elle est, à savoir le deuxième budget le plus austéritaire des vingt dernières années. (M. Teva Rohfritsch fait un signe de dénégation.)

Une fois neutralisé l’impact de la fin des mesures exceptionnelles liées au covid-19, les 65 milliards d’euros de dépenses supplémentaires prévues suffisent tout juste à couvrir le coût de l’inflation.

Ces vingt dernières années, une seule fois le budget des services publics aura connu des restrictions plus importantes par rapport à l’année précédente : en 2018, quelques mois avant la crise des « gilets jaunes ». Comprendra qui voudra !

Ce budget aura un impact sur des tensions sociales déjà substantielles, tout comme il aura un impact, à court terme, sur l’état de nos services publics et donc sur la réponse aux besoins de la population.

Derrière ces arbitrages budgétaires, c’est notre capacité à préparer collectivement l’avenir qui est en jeu ; un avenir auquel nos élus, dans les territoires, peinent à tracer des contours radieux. Leur donner des marges de manœuvre est vital, car ils ne demandent pas l’aumône, mais simplement la capacité à penser le futur sereinement.

Voter l’amendement que je défendrai au nom du groupe socialiste sur l’indexation de la DGF sur l’inflation participe de cette sérénité si nécessaire.

Les crises sanitaire, énergétique et sociale malmènent nos collectivités, qui sont en première ligne et dont certaines ne savent pas comment boucler leur budget. La hausse des dépenses d’énergie s’élève à pas moins de 11 milliards d’euros.

Ce n’est pas un hasard, monsieur le ministre, si le 49.3 a été déclenché à l’Assemblée nationale avant l’examen des articles relatifs aux collectivités locales. Vous êtes même allé jusqu’à intervertir ce chapitre avec celui de la justice, repoussant la discussion sur les collectivités au vendredi suivant pour finalement ne jamais l’aborder !

Ici, au Sénat, vous ne pourrez pas vous dérober. D’ailleurs, vos chinoiseries parlementaires (Sourires.) ne témoignent que trop bien du malaise qui vous habite sur la question.

Les collectivités payent votre volonté de rigueur. Votre cadrage budgétaire est d’ailleurs symptomatique : vous souhaitez de toute force atteindre les 5 % de déficit en 2023 tout en baissant les impôts des entreprises. Mais qui peut croire un instant que ces mesures, pourtant si antinomiques, permettraient de financer les services publics ou de dégager les marges de manœuvre nécessaires au financement de la transition écologique ?

Si je devais résumer votre ambition budgétaire en matière environnementale, il me suffirait d’une phrase : un peu plus de vert et beaucoup plus de gris. Qu’on se le tienne pour dit : je peine à voir ce qu’il y a de « vert » à poursuivre les baisses d’impôts sans contreparties environnementales, tout en subventionnant massivement la consommation d’énergies fossiles.

Depuis cinq ans, votre politique de l’offre a permis la disparition de 50 milliards d’impôts de production au bénéfice des entreprises afin, selon vos propres mots, monsieur le ministre, de « favoriser la croissance et l’emploi ». Le tout sans jamais demander de contreparties sociales et environnementales !

La Chambre Haute n’a pas ignoré les 1,5 milliard d’euros destinés, par le biais du fonds vert, à accompagner les efforts des collectivités territoriales en matière de transition écologique. Nous serons attentifs à ce que, comme s’y est engagé le Gouvernement, ce montant soit intégralement engagé en 2023. Nous serons tout aussi vigilants pour vérifier jusqu’où la mesure vient s’ajouter, et non se substituer, aux dépenses préexistantes.

Je note que, d’ores et déjà, la dotation annoncée de 150 millions d’euros pour la stratégie nationale pour la biodiversité en 2023 sera portée par le fonds vert. Or, en tout état de cause, ce fonds est très insuffisant pour permettre aux collectivités de réaliser les investissements de leur compétence afin d’atteindre les objectifs nationaux de neutralité carbone. Selon l’Institut de l’économie pour le climat, il faudrait investir chaque année environ 10 milliards d’euros, soit près du triple de ce qui est actuellement réalisé.

Nos collectivités territoriales ne sont absolument pas réticentes à engager le virage écologique que l’époque nous intime urgemment d’amorcer. Elles ont toutefois besoin d’être soutenues en accélérant les décaissements du fonds vert en matière de rénovation thermique des bâtiments.

Nos collectivités ont surtout besoin de retrouver des marges de manœuvre fiscales. Nous vous proposons de leur permettre, si elles le souhaitent, d’augmenter la taxe d’habitation pour les résidences secondaires.

Les grands changements sociétaux et écologiques de l’époque nous obligent à regarder l’avenir non pas avec les lunettes du passé, mais avec celles de demain. Nous soutiendrons plusieurs amendements guidés par le souci de défendre une vision du monde plus altruiste, mais tout aussi exigeante. Durant des semaines, vous nous avez vanté votre sens du compromis et de la coconstruction. Par votre soutien à nos amendements, nous pourrons vérifier si tout cela n’était qu’incantatoire.

Winston Churchill disait : « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge. » Avec ce budget, monsieur le ministre, je crains que vous ayez mordu l’avenir seul et que nous soyons, à la fin, tous pris à la gorge. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici donc venu le temps d’examiner au Sénat le PLF pour 2023, un budget dont vous disiez, lors de sa présentation à la fin du mois de septembre dernier, qu’il était destiné à « protéger les Français ». Il nous faut donc examiner le texte à l’aune de cette belle ambition de communication.

Rappelons d’abord le cadre général dans lequel il s’inscrit : ni la crise dite des « gilets jaunes », ni la pandémie de covid-19 ni, enfin, la guerre en Ukraine et ses conséquences concrètes sur notre vie quotidienne n’auront eu raison de votre dogme absolu de réduction, coûte que coûte, de la dépense publique.

Votre gouvernement a transmis, à la mi-août, son programme de stabilité à la Commission européenne. Ce document décrit la stratégie relative aux comptes publics pour la période 2022-2027. Son fil directeur est de contenir la hausse de l’ensemble des dépenses publiques à 0,6 %. Bercy promet donc de réduire les dépenses de l’État et des collectivités locales pendant le quinquennat.

Indépendamment des crises que notre pays traverse, cela nous rappelle le retour à l’orthodoxie budgétaire, telle que le décrivent les traités de Maastricht et de Lisbonne. Vous n’aimez pas ces mots, monsieur le ministre, mais votre politique est bien une austérité qui ne dit pas son nom.

L’effort en dépenses exigé des administrations en 2023 pris pour les années suivantes est assumé par le Gouvernement. Monsieur le ministre, vos documents budgétaires envisagent, sur la période 2022-2027, une croissance moyenne de la dépense publique de 0,6 % et précisent que cette maîtrise de la dépense sera portée par l’ensemble des administrations publiques.

La politique fiscale menée pendant le précédent quinquennat a surtout favorisé les entreprises et les ménages les plus aisés. On compte ainsi 54 milliards d’euros de recettes en moins sur cinq ans au bénéfice, pour moitié, des entreprises.

Le Gouvernement prévoit une diminution des recettes publiques liées aux prélèvements, qui passeraient ainsi de 45,2 % du PIB en 2022 à 44,7 % en 2023.

Vos choix continuent d’amenuiser de manière pérenne les recettes publiques. Vous faites supporter l’intégralité de l’effort sur des services publics déjà exsangues. Vous persistez dans le refus d’activer le levier fiscal, lequel pourrait permettre de répartir l’effort budgétaire de manière redistributive.

Le débat sur la taxation des dividendes s’était imposé au cœur de l’été, lors de l’examen du premier projet de loi de finances rectificative. À l’époque, M. Le Maire disait ne pas savoir ce qu’étaient les superprofits : j’imagine que ces derniers mois ont éclairé sa lanterne !

Le débat n’est pas clos ; il traverse même toute l’Europe. Selon l’ONG Observatoire des multinationales, les dividendes versés par les entreprises du CAC 40 avaient atteint l’an dernier, comme certains d’entre nous l’ont déjà souligné, un montant record de 57,5 milliards d’euros. L’année 2022 s’annonce encore plus prolifique.

Aux dividendes en hausse de 32 % par rapport à 2020, il faut ajouter les rachats d’actions visant à soutenir artificiellement les cours en Bourse, soit une gratification de 23 milliards d’euros en 2021 pour les actionnaires.

Dans son commentaire, l’ONG indique que la contribution fiscale des groupes du CAC 40 semble croître bien moins rapidement que leurs profits et dividendes.

Rappelons enfin que 14 % de l’ensemble des filiales du CAC 40 sont localisés dans des paradis fiscaux et que la rémunération moyenne d’un dirigeant de ces grands groupes a progressé de 26,4 % entre 2019 et 2021.

Votre position est d’autant plus inacceptable que ces mêmes groupes bénéficient, sous les formes les plus diverses, de subventions publiques. Une étude récente montrait ainsi qu’en avril 2019 près de 160 milliards d’euros leur avaient été versés. Ce montant représente le premier poste de dépenses de l’État ; en 1980, il n’atteignait pas 10 milliards. En outre, ces aides ne sont aucunement conditionnées.

À l’évidence, il faudrait a minima réfléchir à imposer des contreparties, par exemple un encadrement du versement des dividendes, afin de soutenir plutôt les salaires et les investissements écologiques de long terme, d’autant que plus de 30 % des bénéfices des multinationales sont allègrement transférés dans les paradis fiscaux.

En refusant d’utiliser la taxation, vous privilégiez le recours à la dette. En effet, nous emprunterons l’an prochain 270 milliards d’euros, alors que nos recettes fiscales prévues s’établissent à 345 milliards. La contrainte budgétaire extrêmement forte pesant sur les différentes administrations conduira directement à de nouvelles dégradations.

Plusieurs conséquences concrètes de cette austérité peuvent d’ores et déjà être identifiées. À titre d’illustration, le PLF affiche ainsi une baisse de 1 % du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », avec la fermeture de plus de 20 000 places. De même, on observe une baisse de 23,8 % des crédits alloués à la stratégie interministérielle de prévention et de lutte contre la pauvreté des jeunes.

Monsieur le ministre, nous sommes à quelques jours de l’ouverture, à Paris, du 104e congrès des maires de France, qui va rassembler pas moins de 10 000 élus locaux. Depuis la communication des éléments du budget 2023, les réactions de toutes les associations d’élus n’ont pas manqué, mais la mesure la plus critiquée est l’annonce de la suppression de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises. Ce sont ainsi plus de 8 milliards d’euros qui vont disparaître des caisses des collectivités.

Après la suppression de la taxe professionnelle voilà douze ans, celle de la taxe d’habitation ensuite et celle de la CVAE aujourd’hui, sans jamais aucune concertation, nous rêvons tous d’une République où l’on demanderait leur avis aux maires et aux élus locaux avant toute décision de suppression d’un impôt revenant légitimement aux collectivités locales. (Mme Nathalie Goulet marque son approbation.)

Pour justifier ce choix, vous nous expliquez que les collectivités doivent, elles aussi, contribuer à l’effort de redressement des comptes publics.

C’est d’abord injuste, car les collectivités n’ont aucune responsabilité dans le déséquilibre des comptes de la Nation. De par la loi, elles sont tenues de voter un budget à l’équilibre. L’État emprunte pour financer son fonctionnement, les collectivités pour investir. La part des collectivités dans la dette globale du pays représente environ 8 % du total, et ce chiffre n’a pas varié depuis trois décennies.

D’ailleurs, l’effort demandé aux collectivités a déjà été effectué. Elles ont ainsi participé, ces dernières années, pour 46 milliards d’euros au redressement des comptes publics.

Vous laissez entendre que les collectivités seraient assises sur un matelas de pièces d’or. Or la réalité est que les recettes et les dépenses s’équilibrent : il n’y a pas de gras. Les comptes 2021 ne sont bons que par rapport à ceux de 2020, lorsque les collectivités ont subi la crise sanitaire.

Si l’on compare ces chiffres à ceux de 2019, les dépenses d’équipement des communes sont en recul de 12,5 %. Et si les fonds de roulement sont en excédent d’un an et demi, c’est parce que les communes, intercommunalités, départements et régions n’ont pu en 2020 engager l’ensemble des investissements votés avant la crise.

Une stabilité des dotations générera, sur le plan macroéconomique, un effet récessionniste. Rappelons que les collectivités sont un levier économique essentiel pour les territoires, où elles réalisent encore plus de 70 % de l’investissement public – 70 % de l’investissement public, 8 % de la dette publique et 0 % du déficit public : quel bilan magnifique ! Qui dit mieux ?

Monsieur le ministre, après la crise sanitaire, qui a coûté près de 7 milliards d’euros aux collectivités, ces dernières font face à l’explosion du prix des matières premières, des denrées alimentaires et de l’énergie. Certaines d’entre elles voient leurs dépenses d’énergie bondir, de façon vertigineuse, jusqu’à 600 % !

Les maires s’inquiètent de leur capacité à faire face à leurs factures et, quand elles seront acquittées, du niveau d’excédent qui sera constaté l’an prochain pour engager les investissements nécessaires au développement de leur commune, au service de leur population.

Il conviendrait tout d’abord de permettre aux collectivités d’absorber le choc énergétique. À l’évidence, les quelques annonces de ces dernières semaines n’y suffiront pas. Elles ne sont pas de nature à rassurer les élus locaux. Seuls une indexation de la DGF sur l’inflation et le retour aux tarifs réglementés de vente de l’énergie à l’ensemble des collectivités seraient des signaux forts et rassurants.

Les services publics de proximité doivent être confortés. Le service public est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Les affaiblir aura pour conséquence d’aggraver les fractures géographiques et sociales et donc, en fin de compte, d’amplifier la crise civique, voire politique que nous traversons.

Pour conclure, je voudrais évoquer votre méthode. Si nous contestons, au fond, les choix régressifs du PLF pour 2023, nous en contestons tout autant la forme. Dans une interview au site lagazette.fr, en date du 26 septembre dernier, vous évoquiez, monsieur le ministre, les contrats de confiance que vous souhaitiez mettre en place avec les collectivités.

En évoquant la maîtrise de leurs dépenses, vous avez souligné que si jamais des collectivités et des strates ne faisaient pas l’effort de maîtrise de la hausse de leurs dépenses de fonctionnement, il pourrait y avoir une incitation. Jusque-là, tout va bien. (M. le ministre délégué en convient.) Vous ajoutez ensuite : « La première année, ce sera l’absence d’accès à toute dotation de l’État (DSIL, DETR, fonds vert…) pour les collectivités n’ayant pas respecté l’objectif, au sein d’une catégorie qui ne l’a pas atteint non plus. Ensuite, si manifestement il n’y a vraiment pas de volonté de s’inscrire dans cette trajectoire alors que les autres collectivités le font, il pourrait y avoir des reprises. » Ne s’agit-il pas là une atteinte directe à l’article 72 de la Constitution, consacrant le principe de libre administration des collectivités ?

Vous prenez, monsieur le ministre, un risque économique et politique considérable à corseter ainsi les administrations publiques et les collectivités. Elles sont, les unes et les autres, une réponse concrète quotidienne à la fracture sociale qui s’aggrave sans cesse dans notre pays.

Votre budget ne prend pas en compte l’état réel de notre société, nous ne pourrons dès lors que le rejeter. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Sylvie Vermeillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste aborde le projet de loi de finances pour 2023 dans le même esprit que lors de l’examen des précédents textes financiers : rigueur budgétaire et recherche du plus faible déficit possible.

Avec M. le ministre Le Maire, nous sommes « à l’euro près ». Avec vous, monsieur le ministre Attal, nous voulons éviter « le dérapage budgétaire ». Pour cela, nous proposons une trajectoire différente de la vôtre, en recettes et en dépenses. Mes collègues compléteront mon intervention ; je vais, pour ma part, aborder les recettes.

Il manque des recettes dans ce PLF pour 2023, notamment une contribution exceptionnelle générale sur les bénéfices et la CVAE.

Monsieur le ministre, pas plus que vous, nous n’avons envie de prélever des impôts. Pas plus que vous, nous n’imaginons freiner l’allant de nos fleurons du CAC 40. Mais bien autant que vous, nous anticipons les milliards d’euros de dépenses exceptionnelles auxquelles l’État devra consentir pour protéger nos concitoyens et nos entreprises des crises à venir.

Aussi, nous devons saisir toutes les marges de manœuvre afin de nous prémunir contre des déficits irréversibles.

M. le ministre Le Maire explique très bien pourquoi nous devons éviter la spirale inflationniste et se dit inquiet de la situation britannique. Mais il se trouve que, dès 2023, la France devra emprunter 270 milliards d’euros pour financer sa dette, soit 10 milliards d’euros de plus que l’an passé.

Le taux auquel elle empruntera ne sera plus négatif, mais bondira à 2,5 %, voire à 3 % pour les obligations assimilables du Trésor (OAT) à dix ans, ce qui nous entraîne dans un début de spirale qu’il sera impossible de contrer d’ici à quelques années.

Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !

Mme Sylvie Vermeillet. À ce jour, la maturité de notre dette, d’environ huit ans, et les taux d’emprunt sans cesse décroissants des décennies antérieures ont rendu le coût de nos emprunts dérisoire. Mais c’est terminé : nous voyons, pour 2023, et des remboursements d’emprunt qui augmentent et des taux d’intérêt alarmants. Voilà qui nous ordonne de réduire le déficit public.

Nous partageons l’analyse de Philip Lane, chef économiste de la Banque centrale européenne, qui craint l’accumulation de déficits de plus en plus difficiles à financer, ainsi que leur effet inflationniste. Il est donc favorable à notre taxation.

En effet, augmenter le déficit alimente davantage l’inflation que de prélever l’impôt pour le redistribuer. C’est la première raison pour laquelle nous proposons une contribution exceptionnelle sur les bénéfices, élargie à tous les secteurs d’activité.

Plus précisément, nous avons révisé l’amendement que nous avions déposé en août dernier, en relevant le seuil d’imposition aux entreprises réalisant plus de 10 millions d’euros de bénéfice net et en le calant sur la taxation européenne. Ainsi, nous appliquons le même taux de 33 % aux bénéfices 2022 supérieurs de 20 % à la moyenne des trois meilleurs résultats nets de 2018 à 2021.

La différence, c’est que nous souhaitons une participation de toutes les entreprises ayant réalisé des profits exceptionnels, pas seulement celles du secteur énergétique, que vous ponctionnez sans limites, monsieur le ministre, à la faveur du reversement intégral de leurs bénéfices via le bouclier tarifaire. Vous le faites à hauteur de 29 milliards d’euros et c’est parfait ! Mais pourquoi d’autres secteurs y échappent-ils ? (Mme Nathalie Goulet approuve.) Pourquoi ne pas mettre à contribution le transport, le luxe, les laboratoires, les assurances et les banques, celles qui remontent leurs taux d’intérêt ? (MM. Éric Bocquet et Rémi Féraud approuvent également.)

En août dernier, lors de l’examen du premier projet de loi de finances rectificative, M. le ministre Le Maire s’opposait à cette contribution exceptionnelle, préférant que les entreprises fassent elles-mêmes des efforts en direction du pouvoir d’achat des Français.

En ont-elles fait ? Pour la plupart, aucun ! Quelques autres ont fait de timides gestes, sans commune mesure avec les dividendes qu’elles ont distribués. Non, elles n’ont pas écouté M. Le Maire. Alors nous ferons ce qui est juste : prélever une contribution exceptionnelle, sur des profits exceptionnels, pour financer des dépenses exceptionnelles.

Car l’État ne peut pas toujours dépenser tout seul pour tout le monde ; quand ça va bien, en supprimant les impôts ; et quand ça va mal, en versant des aides. Il est normal qu’il récupère un peu, quand certains s’enrichissent beaucoup. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, GEST et SER. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

Exactement comme le dit M. Le Maire, nous allons chercher l’argent là où il est : pas seulement chez les gens du numérique ou de l’énergie, mais partout, car cela est juste, à l’instar des baisses d’impôts précédentes, qui ont servi tous les secteurs. Et nous nous engageons à ce que cette mesure ne soit pas pérenne, mais reste exceptionnelle.

Je voudrais enfin évoquer le report de la suppression de la CVAE. Je dis bien « report », même si nombre de mes collègues souhaitent l’abandon de cette mesure.

Oui, le Sénat et les collectivités tiennent à cet impôt, à ce lien tangible entre l’établissement public de coopération intercommunale et l’entreprise, entre le nid et l’oiseau.

Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021, qui prévoyait la suppression de 10 milliards d’euros de recettes de CVAE, j’avais déposé un amendement visant à substituer à cette mesure la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), impôt taxant bêtement le chiffre d’affaires, même en cas de bénéfice. Il semble qu’il y ait matière à y réfléchir de nouveau.

Pour l’heure, nous estimons ne pas pouvoir nous permettre de creuser notre déficit de 4 milliards d’euros pour compenser la suppression de cette année et autant l’an prochain.

L’État a besoin d’entreprises fortes et agiles, mais il a tout autant besoin de collectivités fortes et agiles. C’est pourquoi nous souhaitons remettre à plus tard, voire à jamais, la suppression de la CVAE.

Voilà donc deux propositions apportant quelques milliards d’euros de recettes supplémentaires, qui ne peuvent que tenter le ministre des comptes publics. Mais peut-être sommes-nous assez riches ? Je sais, en tout cas, que le Sénat le sera dans ses débats. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et Les Républicains. – M. Bernard Fialaire applaudit également.)