Un sénateur du groupe Les Républicains. On y arrive…

Mme Cathy Apourceau-Poly. L’étape suivante pourrait être la disparition de l’Unédic et de Pôle emploi du fait de la mise en place de France Travail.

Ce projet de loi est une remise en cause du droit au travail, au libre choix de son travail et à des conditions satisfaisantes de travail, ainsi que de l’assurance interprofessionnelle et solidaire contre le chômage.

Alors que le Sénat débute son examen du texte, le Gouvernement a déjà lancé les concertations avec les organisations patronales et syndicales pour moduler l’indemnité chômage. Ce mépris des parlementaires est d’autant plus inacceptable que, lors de ces réunions de concertation, le ministère du travail a précisé que la modulation consisterait à allonger la période d’ouverture des droits au chômage.

Le relèvement de six à huit mois, sur la période des vingt-quatre derniers mois, de la durée de cotisation permettant l’ouverture des droits au chômage privera d’indemnisation 200 000 personnes, et fera économiser 2 milliards d’euros sur le dos des jeunes, qui seront les principales victimes de la modulation. Ladite modulation ne serait donc qu’un moyen pour faire des économies, en réduisant le nombre d’allocataires…

D’ailleurs, l’ensemble des organisations syndicales de salariés ont renouvelé leur opposition à cette modulation. Même l’Union des entreprises de proximité (U2P), qui n’est pourtant pas une officine du parti communiste – c’est l’organisation des artisans, des professions libérales et des commerçants –, a exprimé ses « doutes notamment sur la corrélation entre la contracyclicité et [la] capacité à recruter plus facilement », ajoutant : « Il nous paraît plus important de travailler sur la formation. » Nous partageons totalement cette analyse.

Le fait que des emplois soient non pourvus dans notre pays est lié non pas à la durée d’indemnisation du chômage, mais au manque d’anticipation et d’investissement dans la formation professionnelle.

Si nous manquons d’ouvriers qualifiés dans l’industrie, d’artisans dans le bâtiment, de techniciens dans les services, c’est non seulement parce que les salaires sont trop faibles et les conditions de travail très difficiles, mais encore parce que, depuis des années, les gouvernements successifs ont cassé l’enseignement professionnel.

La logique du Gouvernement, selon laquelle il faudrait réduire les droits au chômage pour inciter à la reprise du travail, relève d’une vision archaïque de l’emploi.

Le 14 juillet 2022, lorsque le Président de la République a annoncé cette réforme, il a présenté l’assurance chômage comme un obstacle au bon fonctionnement du marché du travail.

Les parlementaires communistes sont particulièrement attachés à l’émancipation des individus dans leur travail, mais cette émancipation n’est pas possible dans la société capitaliste, laquelle grignote toujours davantage la vie personnelle au profit de la vie professionnelle. La dégradation des conditions de travail, les faibles salaires, les comportements parfois toxiques des directeurs des ressources humaines (DRH) conduisent à un mal-être au travail et à une perte de sens. Si les infirmières démissionnent de l’hôpital, c’est justement parce qu’elles se plaignent d’une perte de sens, parce qu’elles ne supportent plus de trier les patients et de les laisser attendre des heures.

L’émancipation par le travail est possible dès lors que les salariés participent aux décisions de l’entreprise et à condition de prévoir une réduction du temps de travail à 32 heures ainsi qu’une augmentation massive des salaires. En attendant, nous refusons d’opposer les travailleurs aux privés d’emploi.

Les travailleurs et les privés d’emploi sont de plus en plus dessaisis de leur droit de choisir librement un emploi qui soit en cohérence avec leurs qualifications ou leur formation. Ils deviennent des variables d’ajustements du marché du travail.

Alors que moins de quatre chômeurs sur dix perçoivent une allocation et que la moitié d’entre eux est sous le seuil de pauvreté, la réforme de l’assurance chômage de 2019 a fait perdre 155 euros par mois à 1 million d’allocataires. Elle a exclu 450 000 personnes de toute allocation et a frappé les plus fragiles, notamment les jeunes. Cette baisse des droits s’est accompagnée d’une éviction des privés d’emploi de l’allocation chômage. Ainsi, en un an, les radiations administratives ont progressé de 40 %.

Avec ce projet de loi, le Gouvernement reprend la main sur l’Unédic qui, depuis 1958, était gérée conjointement par les organisations syndicales et patronales.

Plutôt que de s’engager à reprendre la dette de 15 milliards d’euros de l’Unédic, produite par le recours à l’activité partielle durant la crise sanitaire, l’État veut transformer par décret l’assurance chômage en simple filet de secours minimum. Cette réforme de l’assurance chômage est un déni de solidarité. Au-delà de la diminution des indemnités des plus précaires, le Gouvernement veut transformer une assurance collective en épargne individualisée.

Cette dénaturation de l’assurance chômage est un processus à l’œuvre depuis plusieurs années, et notamment depuis la substitution en 2018 de la contribution sociale généralisée (CSG) aux cotisations salariales et l’encadrement des négociations par le Gouvernement. L’attaque contre les droits des plus précaires cache des enjeux plus structurels, notamment le fait que le chômage ne sera plus qu’un risque individuel. Il est urgent de renouer avec la logique de solidarité salariale interprofessionnelle garantissant chacun contre le risque social du chômage.

Entre 1992 et 2001, la dégressivité des allocations chômage n’a pas entraîné d’accélération de la reprise de l’emploi. De la même manière, les restrictions d’accès aux droits des intermittents du spectacle et le doublement de leur taux de cotisation n’ont pas augmenté le nombre de CDI dans le secteur. En réalité, les chômeurs n’ont pas le choix de leur emploi et la restriction de l’accès aux indemnités chômage risque de les contraindre à accepter des contrats encore plus précaires.

La droite et le Gouvernement semblent d’accord sur de nombreux points de ce texte ; ma collègue Laurence Cohen y reviendra dans son intervention.

Je tiens à dénoncer la suppression de l’indemnisation chômage pour les salariés qui abandonnent leur poste. Malgré les tentatives des rapporteurs pour consolider le dispositif juridique, la présomption de démission en cas d’abandon de poste est un recul considérable. Le phénomène d’abandon de poste n’étant ni chiffré ni évalué, il est largement précipité de légiférer à cet égard, d’autant que cette rédaction ne manquera pas d’accentuer les risques juridiques. Nos juridictions prud’homales sont actuellement dans l’incapacité de répondre dans un délai d’un mois à une demande des salariés.

Surtout, une telle disposition revient à négliger le fait que l’abandon de poste est avant tout une porte de sortie en cas de conflit avec l’employeur. La création d’une présomption de démission privera les salariés de toute indemnisation chômage et entraînera une explosion du nombre des arrêts maladie.

Face au projet régressif du Gouvernement, nous portons un autre projet, un projet de sécurité d’emploi et de formation, pour sécuriser les parcours de vie.

Les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste rejettent ce projet de loi, qui s’attaque aux droits des salariés et à la gouvernance paritaire de l’assurance chômage. Pour toutes ces raisons, nous avons déposé la présente motion tendant à opposer la question préalable, que nous vous invitons à soutenir. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Olivier Henno, rapporteur. Par principe, je ne suis jamais favorable aux motions tendant à opposer la question préalable et je pense que c’est aussi souvent la position du Sénat. En effet, adopter une telle motion reviendrait à refuser de débattre ; c’est donc une forme de négation de ce que nous sommes, puisque débattre et discuter, c’est en quelque sorte notre raison d’être.

J’opposerai aussi aux auteurs de cette motion un argument juridique : il nous faut bien prolonger la convention d’assurance chômage, car, à défaut, nous ferions peser un risque sur les assurés sociaux.

Par ailleurs, les arguments politiques, déjà évoqués, sont nombreux. Je citerai, tout d’abord, la question du taux d’emploi dans notre pays, duquel dépendent la création de richesse et le financement de notre protection sociale. Pour ce qui concerne la VAE, ensuite, les aidants et les proches aidants, chers à Jocelyne Guidez, attendent cette mesure de valorisation des acquis de l’expérience. Les contrats courts, qui sont nombreux et coûtent 9 milliards d’euros à l’ensemble des assurés sociaux, posent aussi problème. Enfin, les sujets relatifs à la gouvernance de l’assurance chômage et, dans ce cadre, de la place du paritarisme sont importants.

Toutes ces questions doivent être débattues ici et cela n’aurait pas de sens de s’en exonérer. On peut, certes, trouver le match difficile, délicat, mais il faut pouvoir le jouer, y compris dans ce cas !

Je vous invite donc, mes chers collègues, à rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable afin que nous puissions entamer le plus vite possible notre débat. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains, ainsi quau banc des commissions. – M. Martin Lévrier applaudit également.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, ministre. Sans surprise, le Gouvernement est défavorable à cette motion.

Je peux entendre un certain nombre d’arguments, qui fondent sur des principes l’opposition de leurs auteurs au texte.

En revanche, certains des arguments invoqués par Mme Apourceau-Poly ne reflètent pas ce que nous voulons faire et l’un d’eux ne correspond pas à la réalité.

Vous dites, madame la sénatrice, que France Travail a comme objectif de faire disparaître Pôle emploi. Ce n’est pas le cas. J’ai eu l’occasion de dire devant les commissions des affaires sociales du Sénat et de l’Assemblée nationale que nous étions en train d’étudier une meilleure coordination entre les deux organismes, mais que nous n’envisagions en aucun cas la disparition de Pôle emploi.

Vous présentez comme acté, du fait de la modulation prévue, le relèvement de six à huit mois de la durée de cotisation sur les vingt-quatre derniers mois. Or rien de tel n’est décidé. Je ne veux pas préjuger des résultats de la concertation avec les partenaires sociaux, mais je peux d’ores et déjà vous dire que, si nous devions modifier les conditions d’affiliation, je préférerais à titre personnel – j’emploie volontairement cette formule – que nous modifiions la période de référence plutôt que la durée exigée, car l’entrée sur le marché du travail se fait souvent sous la forme d’un CDD de six mois, lesquels sont plus nombreux que les CDD de sept ou huit mois.

Vous dites, par ailleurs, que cette réforme a pour objectif de baisser le montant des indemnités : c’est faux. Je l’ai dit, et cela est précisé dans le document de concertation qui a été adressé aux partenaires sociaux, la réforme de 2019, via la modification du salaire journalier de référence (SJR), a ramené le taux de remplacement de l’allocation chômage en France dans la moyenne européenne, c’est-à-dire 57 %, et nous ne souhaitons pas le modifier.

Enfin, vous avez indiqué que le nombre de radiations administratives avait augmenté de 50 % en 2022. Or, lorsque l’on compare le nombre de ces radiations sur la période de janvier à août 2022 à celui de la même période de l’année 2019, en tenant compte des objectifs de contrôle de la recherche d’emploi et de la qualité administrative des fichiers, on constate que cette augmentation n’est que de 14 % : nous sommes loin des 50 % que vous avez évoqués !

Pour toutes ces raisons, encore une fois, l’avis du Gouvernement est défavorable sur cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Le plus souvent, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’abstient, par amitié pour le groupe CRCE, sur les motions de ce dernier tendant à opposer la question préalable…

Mme Éliane Assassi. Quand il ne vote pas contre !

Mme Laurence Rossignol. C’est plus rare…

Nous ne votons généralement pas pour ces motions parce que nous pensons effectivement que, le plus souvent, il y a lieu de débattre et parce que, comme nous sommes d’irréductibles optimistes, nous espérons même améliorer les textes à l’issue des débats…

Cela dit, j’ai trouvé notre collègue Cathy Apourceau-Poly extrêmement convaincante, d’autant que l’on peut se demander s’il y a vraiment lieu de débattre sur ce texte. En effet, de quoi allons-nous discuter ? De vos représentations du chômage ? Des présomptions qui pèsent sur les chômeurs ? De l’idée selon laquelle les gens sont au chômage parce qu’ils le veulent bien et qu’il suffirait de réduire l’accès à l’indemnisation pour qu’ils retrouvent la voie de l’emploi ? Voilà de quoi nous allons parler !

Or nos chances d’améliorer ce texte sont à peu près nulles, puisque le Gouvernement va trouver avec la majorité de droite du Sénat de nombreux points de convergence sur toutes ces analyses, que l’un et l’autre partagent.

Si je le résume, ce projet de loi est la traduction législative d’une formule présidentielle ; et encore, le mot « législative » ne correspond pas tout à fait à la réalité, puisque, en l’occurrence, le Parlement est appelé à débattre d’un texte qui fait déjà l’objet de discussions avec les partenaires sociaux et qui donnera lieu, à la fin, à des décisions prises par voie réglementaire. Voilà donc un texte à peine législatif !

Il s’agit donc, disais-je, de la mise en œuvre de la fameuse formule présidentielle selon laquelle il n’y a qu’à traverser la rue pour trouver du travail…

Comme nous ne partageons pas cette opinion, nous voterons cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Je n’ai pas vu dans ce projet de loi de points qui soient préjudiciables aux salariés.

Il est nécessaire que les règles relatives à l’indemnisation chômage soient prolongées ; à défaut, elles prendraient fin le 1er novembre prochain. En outre, il est, bien sûr, nécessaire que les partenaires sociaux participent aux discussions qui ont trait à ce régime, que le Gouvernement a tout loisir d’améliorer.

Je le rappelle, le nombre d’offres d’emploi est actuellement élevé, donc vouloir faire en sorte que l’on ne puisse pas refuser trois propositions de CDI à l’issue d’un CDD, ce n’est pas être contre le salarié !

En outre, le bonus-malus est amélioré.

Par ailleurs, contrairement à ce que vous affirmez, madame Apourceau-Poly, il ne faut pas revenir sur la position de la commission relative à l’abandon de poste. Selon moi, un salarié qui a abandonné son poste ne doit pas être indemnisé comme un salarié licencié ou ayant signé une rupture conventionnelle. Les salariés ont des droits, bien évidemment, mais ils ont aussi des devoirs. Un abandon de poste, c’est très préjudiciable pour une PME !

Enfin, je salue la disposition relative à la VAE, dont le niveau était voilà dix ans deux fois plus élevé qu’aujourd’hui. La VAE doit répondre au marché du travail et être renforcée, notamment pour les emplois à domicile ou dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et dans le secteur médico-social en général. C’est très important pour valoriser les personnes concernées, qui en ont besoin ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Sous prétexte de prolonger au-delà du 1er novembre un délai de carence – mais qu’avez-vous fait pendant ce temps ? C’est un peu un piège… –, ce projet de loi fait un affront au débat parlementaire et au paritarisme.

Nous sommes en effet sommés de prolonger une réforme antisociale qui, depuis l’étude alarmante de l’Unédic, n’a pas été évaluée, tout cela pour permettre au Gouvernement – telle est la véritable raison de ce texte ! – de « légiférer », si je puis dire, par décret, début 2023, lorsque les négociations avec les partenaires sociaux auront échoué.

En effet, comment croire que ceux-ci pourront accepter une réforme prenant pour modèle le système canadien (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.), lequel a multiplié les radiations, fait chuter le nombre d’allocataires sans amoindrir le halo du chômage et aggravé la précarité et la pauvreté des demandeurs d’emploi ?

Votre gouvernement prend le problème à l’envers, madame, monsieur les ministres, en ciblant essentiellement les demandeurs d’emploi. En reportant sur ces derniers la responsabilité de leur situation et en fantasmant la figure du chômeur, qu’il conviendrait d’activer et qui profiterait des prestations, vous faites l’économie des réflexions structurelles à avoir sur la qualité des offres d’emploi sur le marché du travail, sur la nécessité de changer de travail et sur le nombre réel d’offres non pourvues, nombre qui tourne, année après année, autour de 6 % des offres. Sans compter que ce texte a été redessiné, pour être aggravé, par la commission…

Le bonus-malus est neutre, quand la réforme pèse essentiellement, et pour des milliards d’euros, sur l’économie et sur les chômeurs !

Partageant le constat du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, nous nous joignons à leur demande de rejet du projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.

M. Philippe Mouiller. Nous n’avons pas du tout le même point de vue que l’oratrice précédente.

Nous rencontrons en permanence, dans nos territoires, des chefs d’entreprise, notamment de PME, et des artisans qui nous font part de leurs difficultés à trouver du personnel et à le conserver. Il arrive même parfois que des entreprises soient obligées de modifier leur stratégie, quand d’autres ne peuvent même plus se développer ou s’implanter.

La situation n’est certes pas la même dans toute la France, il faut mener une analyse plus précise, mais on voit bien que cette situation est, aujourd’hui, généralisée.

Par ailleurs, nous constatons, même si l’on peut discuter des chiffres, que le nombre d’emplois non pourvus est en augmentation. Cette réforme ne sera d’ailleurs pas suffisante à elle seule et nous devrons travailler en parallèle à la question de l’accompagnement.

Nous portons donc un regard plutôt bienveillant sur ce texte.

En outre, les articles relatifs à la VAE sont une plus-value, notamment dans le domaine médico-social.

Je salue le travail de la commission, qui a fait preuve de vigilance sur le renforcement du paritarisme, un dispositif auquel nous prêtons une grande attention et qui, nous le savons, fonctionne bien. Sur ce sujet, nous avons quelques points de divergence avec le Gouvernement, que la commission a su corriger.

Au regard de ces observations, nous voterons contre la motion. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains – Mme Colette Mélot applaudit également.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 73, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 11 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l’adoption 92
Contre 252

Le Sénat n’a pas adopté.

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi
Article 1er

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la continuité de la motion présentée par Cathy Apourceau-Poly, je souhaite dénoncer la philosophie qui sous-tend ce projet de loi, selon laquelle les chômeurs ne voudraient pas « traverser la rue » pour trouver un emploi.

Vous considérez les privés d’emploi comme des fainéants et des profiteurs, alors même qu’un tiers d’entre eux ne font pas valoir leurs droits. Le chômage est source de souffrance et de mal-être, et il entraîne le plus souvent une perte de confiance en soi, ce que vous refusez obstinément de prendre en compte.

Faut-il rappeler ici que l’assurance chômage est un droit ? Les difficultés de recrutement invoquées par les entreprises ne justifient pas une remise en cause globale des droits de l’ensemble des salariés. Ce n’est pas en modulant les indemnités chômage que vous allez trouver des électriciens, des couvreurs ou des aides à domicile. Pour y parvenir, il faut investir dans la formation professionnelle et améliorer l’attractivité des métiers, notamment en revalorisant les salaires et en améliorant les conditions de travail.

L’article 1er suspend la gouvernance paritaire du régime d’assurance chômage au profit du Gouvernement, qui pourra décider seul de moduler l’indemnisation chômage. La modulation de cette indemnisation selon la conjoncture et les territoires entraînera une fracture géographique et une disparité temporelle entre les droits au chômage.

La modulation est une remise en cause du principe d’égalité. Le Gouvernement peut donc remercier la majorité de droite au Sénat, jamais avare d’un recul social supplémentaire, d’avoir inscrit dans le texte le principe de contracyclicité. Un article du journal Les Échos du 20 octobre dernier analysait ainsi la situation : « Les sénateurs LR ont-ils sauvé la mise à la réforme de l’assurance chômage ? Ils ont ajouté un article au projet de loi pour que les paramètres liés à l’ouverture des droits à l’allocation et à la durée d’indemnisation puissent évoluer en fonction d’indicateurs conjoncturels sur le marché du travail. »

Ce recul s’ajoute à l’adoption, à l’Assemblée nationale, sous pression du Medef (Mouvement des entreprises de France) et du groupe Les Républicains, de la présomption de démission en cas d’abandon de poste, que les rapporteurs de notre commission ont tenté d’encadrer, sans s’attaquer toutefois au problème de fond. En effet, en l’absence de données statistiques et d’études sur les abandons de poste en France, la disposition repose sur une instrumentalisation de cette notion. Elle aurait surtout pour effet de créer une procédure déséquilibrée pour les salariés et totalement inadaptée à la réalité de la justice prud’homale.

Ne se satisfaisant pas des régressions de ce projet gouvernemental, la droite sénatoriale a ajouté un article qui supprime l’indemnisation chômage des salariés en CDD en cas de refus à trois reprises d’un contrat à durée indéterminée. Autrement dit, il faudrait accepter n’importe quoi, quels que soient les conditions de travail, le trajet ou les salaires proposés. Cette remise en cause des droits à l’assurance chômage n’est pas acceptable ! Elle l’est d’autant moins que ce sont les mêmes qui, hier, ont favorisé le développement des CDD et ont refusé l’augmentation des salaires, et, aujourd’hui, souhaitent pénaliser les salariés.

De la même manière, la majorité de droite de la Haute Assemblée veut favoriser le recours à l’intérim, alors que ce type de contrat déséquilibre lourdement le financement du système et contribue à la précarité dans notre pays.

Enfin, la droite a tué le dispositif de bonus-malus du Gouvernement, en limitant tellement le malus que celui-ci a quasiment disparu.

Face aux projets du Gouvernement et de la droite sénatoriale, nous portons un autre projet, qui passe par de nouveaux moyens de financement et par une lutte effective contre la précarité et les licenciements.

Pour les salariés, il est indispensable de rétablir les cotisations sociales à l’assurance chômage, en supprimant en contrepartie la CSG, et de financer un service public unifié de l’emploi et de la formation professionnelle. Pour les privés d’emploi, il faut mettre en place une véritable sécurité sociale professionnelle, qui repose sur l’universalité de l’ensemble des salariés, afin de permettre à ceux-ci d’acquérir des droits individuels entièrement transférables et garantissant un montant d’indemnisation chômage pendant vingt-quatre mois. Bref, un projet aux antipodes de celui qui est proposé par le Gouvernement et la majorité sénatoriale…

Voilà autant de raisons pour lesquelles les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par saluer les rapporteurs pour l’excellent travail qu’ils ont mené avec la commission des affaires sociales.

Nous connaissons tous, près de chez nous, un patron qui souhaite embaucher, mais qui ne trouve pas de personnel. Nous entendons tous aussi les cancans contre le beau-frère de la copine du voisin qui profite du chômage, voire du RSA (revenu de solidarité active), et qui gagne plus que celui qui travaille.

Ces faits existent, bien entendu, mais pensez-vous honnêtement que la vendeuse de Camaïeu licenciée puisse être demain serveuse chez Raoul le restoroute ? Question de profil bien sûr, de salaire peut-être, mais aussi de conditions de travail – vous les avez évoquées, monsieur le ministre –, de transport, de garde d’enfants, de formation…

Alors, que faire ?

Je pense comme vous que, plus qu’un objectif ou l’intitulé d’un texte ministériel, le plein emploi est une réalité concevable et même atteignable. Le travail est un droit, rappelons-le, constitutionnel et même universel. Le devoir de l’État est donc de donner à chacun les moyens d’y accéder. Mais quel chantier !

Ce texte n’a pas la prétention de répondre à toutes les questions. En réalité, il répond davantage à l’urgence normative du régime d’assurance chômage qu’à l’urgence du plein emploi.

Certes, son adoption permettra de sécuriser l’indemnisation des demandeurs d’emploi une fois passée la date du 1er novembre prochain et d’offrir un délai pour engager les concertations nécessaires, mais ce délai doit surtout nous permettre de lancer le véritable chantier de l’assurance chômage : sa gouvernance. Sans réforme globale et profonde, le paritarisme, auquel – vous le savez – je suis attaché tout comme le sont la commission et mon groupe, aura vécu.

Je crois sincèrement à la capacité des partenaires sociaux à s’illustrer ailleurs que sur des dépôts pétroliers ou dans la rue. Il leur revient de trouver les solutions pour équilibrer les comptes, sinon l’État reprendra la main. Nous pourrons le déplorer, mais il sera difficile de s’en étonner.

Ce texte n’est en réalité qu’une petite partie de la solution pour atteindre le plein emploi. Pour prétendre y parvenir, nous devons changer de paradigme, et c’est là que l’on attend France Travail. Je vous en conjure, monsieur le ministre, pas d’usine à gaz, pas de superstructure miracle, pas de révolution, pas de fusion de tous les acteurs de l’emploi !

Au fond, nos attentes sont simples : ce sont celles des demandeurs d’emploi. Un guichet unique, un accompagnateur unique et un parcours personnalisé jusqu’à l’entreprise, en passant, s’il le faut, par la case formation. Sans cela, sans cette capacité à mettre enfin sous le même toit et avec un coordonnateur la formation, l’insertion sociale et le recrutement économique, pas de plein emploi !

Les exemples sont nombreux. La Maison de l’emploi, de l’entreprise et de la formation de Vitré me paraît le plus abouti. La Maison des chômeurs d’Arras devenue Maison de l’emploi et des métiers en est un autre, imparfait certes, mais loin d’être isolé, et je pourrais encore citer Calais, Saint-Quentin, Bonneville ou bien d’autres que je connais.

Cet engagement suppose de ne plus fonctionner en vase clos, de dépasser la notion de chômage, afin de permettre à chacun de trouver ou de retrouver le chemin de l’activité ; alors seulement, le plein emploi deviendra réalité.

D’ici là, le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme le rapporteur applaudit également.)