Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec trois mois de retard, nous nous retrouvons aujourd’hui pour débattre du programme de stabilité que le Gouvernement s’apprête à transmettre aux institutions européennes et qui décrit le scénario macroéconomique et la trajectoire des finances publiques pour les années 2022 à 2027.

Selon les règles communautaires, ce document doit être transmis avant la fin du mois d’avril. Lorsque le Gouvernement a indiqué son souhait d’attendre la fin de l’élection présidentielle pour le faire, il s’agissait déjà d’une décision assez surprenante et inhabituelle. Claude Raynal et moi-même nous sommes inquiétés et avons demandé si et quand il serait présenté : il devait arriver « bientôt », puis « début juin », puis « après les élections législatives », puis « début juillet ». Enfin, début août, nous y sommes : il est là.

Pourquoi un tel retard ? Pourquoi avoir eu besoin de trois mois supplémentaires pour présenter ce programme de stabilité ?

Certains pensent que le Gouvernement aurait pu vouloir cacher aux électeurs, le temps de la campagne des législatives, ses véritables ambitions et son programme pour le redressement des finances publiques. Toutefois, pour que cette hypothèse tienne, il aurait fallu que le programme de stabilité témoigne d’une ambition et comporte un programme pour la consolidation des finances publiques. Or, dans ce document, vous ne trouverez ni l’un ni l’autre, mes chers collègues.

Pour commencer, le programme de stabilité retrace un scénario macroéconomique qui me paraît pour le moins optimiste.

La prévision de croissance du PIB en volume pour l’année 2022 est de 2,5 % et celle pour l’année 2023 de 1,4 %. Je me réjouis, sur ce point, des bonnes nouvelles annoncées par l’Insee la semaine dernière indiquant que l’activité avait augmenté de 0,5 % au deuxième trimestre 2022, alors qu’elle s’était contractée au premier trimestre.

J’observe néanmoins que ce résultat s’explique surtout par la diminution de nos importations en raison de la hausse des prix et – c’est heureux ! – d’un tourisme un peu plus dynamique que prévu.

Si la prévision de croissance pour 2022 me semble raisonnable, sous réserve que le contexte international ne se dégrade pas davantage, celle qui est retenue pour l’année 2023 me paraît en revanche optimiste, notamment lorsque le Fonds monétaire international (FMI) l’évalue à seulement 1 %.

Pour les années 2024 à 2027, j’ai aussi le sentiment que le scénario de croissance du PIB est, à ce stade, très au-dessus de ce que nous pouvons sérieusement attendre. Imaginez : d’après les prévisions du Gouvernement, le PIB devrait augmenter en volume de 12,6 % entre 2021 et 2027, alors que, dans le scénario du FMI, l’on atteindrait seulement 9,4 %. Cet écart représente – excusez du peu ! – 45 milliards d’euros…

Il est probable que cette surévaluation de la croissance économique soit liée partiellement à une prévision trop optimiste quant à l’évolution du taux de chômage, avec seulement 5,2 % en 2027 d’après les données du programme de stabilité, contre 7,4 % selon le FMI.

Les hypothèses du programme de stabilité concernant l’écart de production me paraissent décalées par rapport à la réalité de notre économie. En effet, le Gouvernement estime que notre économie évoluera, au moins jusqu’en 2023, de près d’un point de pourcentage en dessous de son niveau potentiel.

C’est d’abord une hypothèse très étonnante pour qui sait combien nos entreprises peinent actuellement à recruter, ce qui indique généralement que l’économie a atteint ses capacités limites.

C’est ensuite une hypothèse qui permet d’anticiper des taux de croissance plus forts, puisqu’un écart de production négatif et important signale que l’économie bénéficie d’un fort potentiel de rebond.

C’est enfin une hypothèse qui n’est partagée que par l’OFCE.

Ainsi, la Commission européenne estime qu’en 2023 l’économie évoluera déjà à son niveau potentiel.

La capacité de rebond prévue par le programme de stabilité quasiment tout au long de la période 2022-2027 s’expliquerait non seulement par l’hypothèse d’un écart de production négatif très important en 2022, mais surtout par une prévision de croissance potentielle de 1,35 %, qui me paraît surestimée.

J’observe que, d’après le Gouvernement, la croissance potentielle serait principalement soutenue par certaines réformes du marché du travail et de l’emploi : réforme des retraites et de l’assurance chômage, par exemple. Or, pour l’essentiel, le contour de ces réformes est loin d’être défini et leur adoption prendra du temps.

Aussi, la prévision de croissance potentielle retenue par le Gouvernement ne me paraît pas raisonnable.

Pourtant, comme l’a très justement relevé le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), ces hypothèses sont très optimistes si l’on tient compte du fait que la demande de biens et services de nos partenaires pourrait progresser moins rapidement qu’anticipé et que le resserrement de la politique monétaire et des conditions de financement devraient, au contraire, ralentir la progression des investissements.

Le scénario macroéconomique du programme de stabilité repose donc sur des hypothèses que je juge précaires et peu détaillées.

En tout état de cause, c’est sur ce scénario macroéconomique qu’est construite la trajectoire des finances publiques retenue par le Gouvernement.

Que peut-on en dire ?

Pour commencer, cette trajectoire est peu ambitieuse.

Les dépenses publiques atteindraient environ 1 675 milliards d’euros en 2027, soit une augmentation, hors mesures de soutien face à la crise sanitaire et à l’inflation, de plus de 250 milliards d’euros par rapport à 2022.

On peut relever que le Gouvernement s’engage à ne laisser progresser les dépenses publiques en volume que de 0,6 % par an en moyenne. En pratique, cet effort ne concernera que les seules années 2024 à 2027, puisque les dépenses publiques neutralisées des mesures de soutien face à la crise sanitaire et à l’inflation progresseront de 3,5 % en volume en 2023.

Ainsi, rapporté à l’ensemble du quinquennat, l’effort consenti consistera en une croissance moyenne en volume des dépenses publiques ordinaires de l’ordre de 1,2 % par an et non de 0,6 %.

On peut également observer que le Gouvernement propose de faire peser les efforts sur la seconde moitié du quinquennat plutôt que sur le début, ce qui ne manque pas de surprendre. Chacun sait en effet que c’est en début du quinquennat que les mesures les plus volontaires, éventuellement les plus difficiles à prendre, doivent être décidées.

Finalement, avec un effort aussi limité, notre déficit public refluera assez lentement et ne reviendrait en dessous de 3 % du PIB qu’en 2027, et encore de 0,1 point ! Notre endettement public continuerait de s’accroître et ne refluerait qu’en 2027 pour revenir au même niveau que l’année dernière, c’est-à-dire 112,5 % du PIB.

Monsieur le ministre, cette trajectoire manque aussi de réalisme : aucune documentation ne l’accompagne.

Ainsi, d’après ses propres estimations, la trajectoire de dépense du Gouvernement représenterait une économie d’environ 45 milliards d’euros en 2027 par rapport à un scénario à législation inchangée.

Au-delà de la réforme des retraites régulièrement mise en avant par le Gouvernement, alors qu’elle ne produira pas d’effets budgétaires à court terme, je relève qu’une bonne part des économies attendues pourrait être réalisée sur les dépenses de chômage. Celles-ci ne représenteraient plus que 1,2 % du PIB en 2022 et 0,9 % du PIB en 2027, alors même qu’elles étaient beaucoup plus élevées entre 1995 et 2019.

Il s’agirait donc d’une maîtrise considérable des dépenses de chômage obtenue notamment à la faveur d’une forte décrue du taux de chômage, qui passerait selon le Gouvernement à 5,2 % en 2027. Reste que, à ce jour, le Gouvernement n’a fourni aucune explication sur les moyens qui lui permettraient d’atteindre sa cible en matière d’emploi.

Je le dis sans ambages : à ce stade, revendiquer un objectif global d’économies des dépenses publiques dont la réalisation repose sur des perspectives d’évolution du marché de l’emploi aussi fragiles que celles qu’a retenues le Gouvernement ne me paraît pas sérieux.

Mes chers collègues, je prends acte aujourd’hui du fait que le Gouvernement s’est contenté du service minimum pour construire ce programme de stabilité, en retenant des hypothèses macroéconomiques et de maîtrise des dépenses que j’estime peu crédibles.

J’espère très sincèrement que, comme l’y a invité le Haut Conseil des finances publiques, le Gouvernement fera preuve de plus de sérieux dans la préparation du projet de loi de programmation des finances publiques, que nous attendons pour l’automne prochain. Ce texte devra notamment décrire les moyens que le Gouvernement entend mobiliser pour réduire la dépense de l’État de 0,4 % en volume et celle des collectivités locales de 0,5 % en volume, en moyenne, jusqu’à la fin du quinquennat.

J’espère tout aussi sincèrement que les engagements de maîtrise des dépenses qui y figureront seront plus ambitieux, mais surtout plus crédibles et mieux documentés que ceux qui figurent aujourd’hui dans ce programme de stabilité.

Alors même que nous assistons à un changement de régime dans le financement de notre endettement public, nous avons l’obligation de démontrer notre sérieux en matière budgétaire.

Pour conclure, je rappelle que toutes les économies que les administrations publiques sauront dégager sont autant de ressources que nous pourrons mobiliser pour engager la réduction de la dette écologique, qui préoccupe à juste titre les jeunes générations et, à vrai dire, tous les Français. C’est assurément un défi que nous devons relever ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous vivons des temps politiques extraordinaires. Il y a peu, certains étaient diabolisés en raison de leur supposée désobéissance aux règles européennes ; aujourd’hui, surprise, ce sont ceux-là mêmes qui se présentaient comme les hérauts de la doxa européenne qui se permettent de désobéir à ces règles…

Le Gouvernement nous présente, en effet, ce programme de stabilité qui aurait dû être transmis à la Commission européenne à la fin du mois d’avril dernier. Et que l’on ne nous dise pas que c’est à cause de l’élection présidentielle : en 2012, comme en 2017, cette échéance n’avait pas empêché la présentation dudit programme par les gouvernements sortants.

Circonstance aggravante, nous nous retrouvons pour en débattre au début du mois d’août, dont on conviendra qu’il s’agit d’une période particulièrement peu favorable à un débat parlementaire approfondi. Comme pour les autres textes de finances publiques, monsieur le ministre, vous avez fait le choix de retarder le calendrier à l’extrême, ce qui n’est absolument pas satisfaisant.

Quelques indiscrétions concordantes, rapportées par la presse, nous indiquent cependant que vous auriez demandé à votre administration de tordre quelque peu les chiffres pour que ceux-ci soient raccord avec votre discours. (MM. Roger Karoutchi et Bruno Sido sétonnent.) Ceci explique peut-être cela…

Que dire, qui plus est, du fait que l’information est transmise à la presse plus de dix jours avant de l’être au Parlement, mettant celui-ci dans l’impossibilité de répondre aux affirmations souvent péremptoires du Gouvernement ? C’est une méthode absolument inadmissible !

Ce point étant rappelé, je tiens à dire combien ce document peut laisser perplexe, comme d’ailleurs cela transparaît dans l’avis très réservé du Haut Conseil des finances publiques.

Bien sûr, nous avons l’habitude, comme la Commission européenne malheureusement, que le programme de stabilité français soit optimiste, peu crédible, renvoyant régulièrement les mesures les plus difficiles pour la fin de la période – prière d’y croire…

De ce point de vue, la relecture du programme de stabilité des finances publiques pour les années 2018-2022 ne manque pas de sel, mais il faut dire que la crise des « gilets jaunes », la pandémie et la crise ukrainienne étaient, sauf peut-être pour la première, difficilement prévisibles.

Cependant, la leçon devrait nous servir : l’ampleur des incertitudes géopolitiques et macroéconomiques doit, me semble-t-il, nous inciter à davantage de prudence, à tout le moins, à présenter des scénarios plus étayés.

Je ne reviens pas sur les chiffres fournis tout à l’heure par le rapporteur général, mais je ne peux que souligner l’existence d’aléas très négatifs, comme les qualifie le HCFP : baisse de la croissance en Allemagne, conflit en Ukraine, difficultés de la Chine, etc.

Je doute aussi que votre scénario intègre l’effet récessif des mesures de ralentissement de la dépense publique que vous préconisez par ailleurs, monsieur le ministre. Selon vos termes, vous prévoyez l’augmentation en volume de la dépense publique la plus faible depuis vingt ans. En raison du contexte politique et social, cela ne semble ni raisonnable ni réaliste, d’autant que ce scénario en dépenses n’est pas très étayé. Vous en restez à des objectifs très généraux, qui peuvent d’ailleurs être partagés par tous : la priorisation des dépenses d’avenir et la réduction des dépenses inefficientes, qui peut être contre ?

Pour les administrations publiques locales, les modalités de leur contribution sont pour le moins nébuleuses. Les administrations de sécurité sociale devront participer à l’effort avec la poursuite de la transformation du système de santé, dont on ne mesure pas bien les effets en termes d’économies.

Les seules dispositions concrètes citées sont les réformes des retraites et de l’assurance chômage.

Or il paraît difficile que la réforme des retraites, qui devait à l’origine être une mesure non pas d’économies budgétaires, mais d’équité, puisse apporter rapidement des recettes.

Concernant l’assurance chômage, vous tablez sur une amélioration durable du marché du travail. Nous l’espérons comme vous, mais sur quels fondements cette prévision optimiste repose-t-elle ?

Concernant les recettes, vous annoncez une poursuite des baisses d’impôts, tournées cette fois vers les seules entreprises, au nom d’une « politique de l’offre » qui viendra fragiliser encore davantage nos finances publiques. Je doute fort que le problème de compétitivité de nos entreprises relève avant tout d’un problème fiscal.

En contrepartie, vous évoquez la remise en cause de niches fiscales et sociales peu efficaces, mais sans aucune illustration ni chiffrage. Bref, vous ne dites rien !

Quoi qu’il en soit, il me semble plus que jamais nécessaire de consolider nos recettes fiscales pour financer les politiques publiques dont notre pays a besoin, notamment en matière d’investissements.

J’espère que le projet de loi de programmation des finances publiques précisera une trajectoire des finances publiques aujourd’hui à peine ébauchée et, au fond, peu crédible en l’état.

Finalement, monsieur le ministre, votre feuille de route budgétaire ressemble franchement plus à une mise en garde pour vos collègues dépensiers du Gouvernement qu’à une proposition sérieuse transmise à la Commission européenne et aux parlementaires. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Mouiller, vice-président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà donc tardivement réunis afin d’examiner le projet de programme de stabilité pour 2022-2027, lequel aurait dû nous être soumis au mois d’avril.

Je consacrerai naturellement mon propos aux administrations de sécurité sociale, qui, comme vous l’indiquez dans le document qui nous a été transmis, monsieur le ministre, représentent la moitié des dépenses publiques.

Ce programme souligne ce que la commission des affaires sociales a déjà pu observer par elle-même : après un exercice 2020 extraordinaire à tous égards, les dépenses de la sécurité sociale stricto sensu, à commencer par celles de la branche maladie, ont encore crû fortement en 2021. La hausse restera significative en 2022.

Seul un bond spectaculaire des recettes, principalement sous l’effet de l’évolution de la masse salariale, a permis de contenir quelque peu les déficits, à un niveau cependant très élevé : 24 milliards d’euros en 2021.

En revanche, je me réjouis de l’amélioration de la situation financière de l’assurance chômage, en espérant qu’elle sera durable et qu’elle permettra au régime de retrouver un niveau d’endettement supportable.

Pour l’avenir, de façon assez traditionnelle, le programme de stabilité dessine une trajectoire financière optimiste, qui demande à être vérifiée, notamment pour ce qui concerne l’accélération de la croissance, que vous anticipez à partir de 2024.

De ce fait, prises dans leur ensemble, les administrations de sécurité sociale retrouveraient une capacité de financement dès 2022, leur excédent global atteignant même 1,3 % du PIB en fin de période. J’en prends acte.

Néanmoins, je tiens à souligner que les dernières lois de financement de la sécurité sociale dessinaient une trajectoire financière bien plus sombre, a priori incompatible avec l’extinction de la dette de la sécurité sociale avant la fin de l’année 2033, comme l’impose d’ailleurs la loi organique en vigueur.

Le retard de quatre mois de la présentation de ce programme de stabilité n’a pas permis – hélas ! – au Gouvernement de présenter au Parlement une stratégie de sortie de crise et les grands choix qui nous permettront de revenir à une trajectoire financière plus équilibrée. Tout juste est-il précisé que « la maîtrise des dépenses publiques repose principalement sur des réformes structurelles, la réforme des retraites notamment ». Dont acte ! Vous indiquez ensuite que « le Gouvernement aura l’occasion d’exposer de manière détaillée l’ensemble des mesures mises en œuvre pour assurer cette stratégie à l’automne, lors de l’élaboration de la nouvelle loi de programmation des finances publiques ». Nous continuerons donc d’attendre.

Monsieur le ministre, pourriez-vous cependant nous préciser le calendrier de présentation de ce texte, voire dès à présent le niveau d’économies que vous attendez d’une réforme des retraites ?

Mon dernier mot sera pour souligner que le programme de stabilité revient assez longuement sur les évolutions du cadre organique des lois de finances. Le Gouvernement y voit un outil qui permettra au Parlement de mieux contrôler les finances publiques.

Je me permettrai simplement de vous rappeler, monsieur le ministre, que le cadre organique des lois de financement de la sécurité sociale changera, lui aussi, dès le mois de septembre, grâce à l’entrée en vigueur de la loi organique du 14 mars 2022. Bien que ce texte n’ait pas repris les propositions les plus ambitieuses du Sénat, il devrait permettre, si nous le faisons vivre, d’améliorer le contrôle parlementaire sur les finances sociales, notamment grâce à une disposition importante : la clause de retour au Parlement en cas de dérapage en cours d’exercice.

Il reviendra à chacun d’entre nous de nous emparer de ces outils. Pour sa part, monsieur le ministre, le Gouvernement devra se départir de l’idée solidement ancrée, comme nous l’avons encore vérifié en 2020 et en 2021, que, dès lors que c’est la sécurité sociale qui paie, il fait ce qu’il veut, en dehors de tout contrôle parlementaire. Nous comptons sur vous pour faire évoluer cette culture. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à M. Patrice Joly. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrice Joly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de programme de stabilité nous est présenté avec plusieurs mois de retard, cela a été dit, et nous est transmis dans un délai qui frise l’irrespect du Parlement. Même si rien ne vous oblige, quel mauvais signal en ce début de mandature !

Nous y étions habitués sous le précédent quinquennat, mais nous avions un peu d’espoir, puisque nous pensions avoir compris que le Gouvernement voulait favoriser le dialogue avec les parlementaires. M. le ministre nous disait il y a encore une semaine combien il était important de laisser le Parlement travailler en amont sur les textes. Visiblement, cela reste pour l’instant un vœu pieux !

Sur le fond, ce document soulève des interrogations en raison notamment de l’insuffisance des informations fournies. Ainsi, on comprend que la stratégie gouvernementale se fonde sur une réduction de la dette à compter de 2026 et sur un passage sous la barre des 3 % du déficit en 2027. Or l’OFCE met en doute ces prévisions. Selon vous, ce résultat serait atteint grâce à une maîtrise de l’augmentation de la dépense publique de 0,6 % par an.

Au regard du contexte économique et social, d’une part, et de la dynamique naturelle de la dépense publique, d’autre part, comment allez-vous vous y prendre ?

Nous sommes en droit de partager l’analyse du Haut Conseil des finances publiques, qui parle d’une trajectoire de finances publiques qui s’appuie sur une prévision de croissance un peu trop optimiste, sur des réductions de dépenses à ce stade non documentées par une description précise des réformes et des mesures en dépenses.

J’évoquerai tout d’abord vos prévisions de croissance trop optimistes. À contre-courant des prévisions de la direction générale du Trésor, du Fonds monétaire international (FMI), de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de la Banque de France, vous annoncez une croissance de 1,8 % en 2027, en sous-entendant qu’elle découlera de la baisse des impôts de production, des réformes des retraites, du marché du travail, de la formation, du chômage, du RSA, mais aussi de la poursuite des dépenses des plans France Relance et France 2030.

Mais la réalité sera tout autre, monsieur le ministre ! La cure d’austérité que vous allez imposer aux Français du fait de la baisse continue des dépenses publiques en valeur réelle, notamment pour le financement des services publics, et de l’insuffisance des revalorisations des dispositifs sociaux, ne pourra générer qu’une croissance molle. En outre, elle créera une insécurité pour nos concitoyens, dont le pouvoir d’achat sera altéré.

Permettez-nous, dès lors, d’avoir de sérieux doutes sur vos capacités à atteindre le plein emploi et des interrogations sur l’accélération, pourtant nécessaire, de la transition écologique.

J’évoquerai à présent la réduction des dépenses. Il est très clair que nous manquons cruellement de précisions. Pourtant, nous savons qu’une hausse des dépenses en volume est prévue pour financer le Ségur de la santé, le plan d’urgence pour l’hôpital public et le plan urgences. Pourquoi ne disposons-nous pas de chiffres précis ? Quid du financement du cinquième risque, qui a aujourd’hui totalement disparu des radars et dont on connaît pourtant l’impact budgétaire ?

J’en viens aux collectivités, lesquelles, vous n’êtes pas sans le savoir, ont une obligation de gestion équilibrée de leur budget. J’attire votre attention sur le fait qu’elles sont, d’une part, des pourvoyeuses de services publics, souvent pour compenser le retrait de l’État dans les territoires, et, d’autre part, qu’elles réalisent 70 % des investissements publics. Vous prévoyez qu’elles seront de nouveau associées à l’effort de maîtrise de la dépense publique. Attention à ne rien briser !

Vous vantez dans ce document les bons résultats obtenus en matière de baisse du chômage. Vous avez un art certain d’enjoliver la réalité ! Il faut mettre cette baisse en relation avec une augmentation des dispositifs conduisant à une sortie du chômage, notamment les contrats en alternance et les contrats d’apprentissage.

Il ne faut pas oublier que le chômage des jeunes âgés de 15 ans à 24 ans est 3,3 fois plus élevé que celui des personnes âgées de 50 ans ou plus. Aujourd’hui, le chômage en France reste à des niveaux élevés et touche 5,4 millions de personnes – ce n’est pas rien ! Enfin, 1,9 million de personnes sont exclues des statistiques du chômage, car elles sont inactives, malgré leur désir de travailler.

De plus, monsieur le ministre, nombre de nos concitoyens n’ont désormais pas d’autres choix que d’occuper des emplois précaires ou au statut non sécurisé : ils sont autoentrepreneurs, ubérisés ou en contrat à durée déterminée. Nous sommes en droit de vous demander quel avenir se dessine pour eux !

D’une manière générale, vous ne pouvez pas évacuer la question de l’explosion de la paupérisation de nos concitoyens. La crise sanitaire a augmenté d’un million le nombre de pauvres dans notre pays ; ceux-ci représentent désormais 14,6 % de la population. Cela explique, selon le rapport du Secours catholique, que 7 millions de Français aient eu recours à l’aide alimentaire en 2021.

À l’autre bout de la chaîne, au contraire, une petite élite peut s’estimer très satisfaite de votre politique, car c’est pour elle que vous gouvernez depuis maintenant cinq ans.

En cinq années, Emmanuel Macron a ainsi supprimé 80 milliards d’euros de recettes fiscales pérennes. Les commentateurs économiques insistent beaucoup sur le « quoi qu’il en coûte » des dépenses du Président. Il ne faudra pas oublier désormais d’y ajouter le « quoi qu’on en perde » des recettes !

Alors que vous réduisez l’aide personnalisée au logement (APL) pour les ménages, vous diminuez dans le même temps les prélèvements obligatoires pour les détenteurs du capital : suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, création de l’exit tax, plafonnement de l’impôt sur les revenus du capital. Au total, ce sont 4 milliards d’euros par an de cadeaux qui sont faits à ces catégories sociales.

À cela s’ajoute la suppression de la taxe d’habitation, y compris pour les 20 % de ménages les plus riches. Au total, les finances publiques auront ainsi été privées en deux ans de quelque 17 milliards d’euros, sans oublier les 10 milliards d’euros de baisse des impôts de production et la diminution de l’impôt sur les sociétés.

Cette baisse de la fiscalité est incompréhensible alors qu’il faudrait faire contribuer les plus riches, en particulier ceux qui ont profité des crises récentes, qu’elles aient été sanitaire, géopolitique ou autre.

En définitive, rien dans ce programme de stabilité ne donne l’espoir de créer un monde d’après.

Si la crise sanitaire a fait exploser les budgets et gonfler la dette, le cap demeure le même : pas de contreparties aux aides de l’État, pas de mise à contribution des très riches à l’effort national. Pis, malgré le Ségur, on continue de fermer des lits d’hôpital, car le paradigme gestionnaire à courte vue perdure.

De même, la crise sanitaire mondiale, la guerre en Ukraine, les tensions sur les prix de l’énergie, l’inflation qui croît, tout ce cocktail a révélé la nécessité d’un changement de politique de grande envergure.

Nous n’avons plus le choix : nous devons désormais nous prémunir contre les crises à venir et protéger les plus vulnérables d’entre nous. Il nous faudra atténuer, voire résoudre, les crises, qu’elles soient sociales, économiques ou écologiques, et résorber les inégalités qui fragilisent la cohésion sociale et la démocratie.

Il n’est plus tenable de faire « en même temps » des cadeaux fiscaux aux plus riches et de prétendre vouloir soutenir les plus démunis avec des primes ou des baisses éphémères de quelques centimes des prix à la pompe. Le ruissellement ne fonctionne pas et la loi du marché ne réduit pas les inégalités.

Lors de son discours de politique générale, la Première ministre Élisabeth Borne a demandé de « cesser de croire que, face à chaque défi, la solution consiste à créer une taxe. » On lui rétorquera volontiers qu’il serait également bon que le Gouvernement cesse de penser que, face à chaque défi, la solution consiste à baisser les impôts !

Un État fort est un État capable d’agir, grâce à des marges budgétaires importantes issues des recettes fiscales. Nous avons besoin de ces recettes pour lancer le plan grand âge, renforcer davantage l’hôpital, financer les dépenses de retraite et de santé, répondre aux besoins de l’éducation, de la recherche, ou encore pour faire face à la transition écologique et nous adapter au changement climatique. Nous en avons également besoin pour réaliser les investissements nécessaires pour accroître notre souveraineté économique.

Sauf à tuer nos services publics et à décourager définitivement ceux qui voudraient y travailler – je pense aux soignants et aux enseignants –, il faudra bien améliorer les conditions de travail et de rémunération.

La dynamique structurelle des économies riches va historiquement dans le sens de plus grandes dépenses publiques. Que faisons-nous ?

Des recettes existent. On pourrait ainsi rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune, créer une tranche supplémentaire de l’impôt sur le revenu, supprimer la flat tax et augmenter la taxe sur les services numériques, la taxe Gafam. En outre, on pourrait lutter plus sévèrement contre la fraude fiscale : selon le syndicat Solidaires-Finances publiques, les pertes de recettes s’élèvent à près de 100 milliards d’euros par an.

D’autres solutions existent. À l’échelon européen, il nous faut déjà redéfinir un cadre budgétaire et monétaire durable et rebâtir nos politiques à la hauteur des enjeux qui sont devant nous.

À cet égard, une question devient de plus en plus prégnante, celle des ressources propres. L’adoption de la taxe de 15 % sur les multinationales est actuellement bloquée par un veto hongrois, lequel pourrait être contourné en ayant recours à la procédure de coopération renforcée : les pays volontaires pourraient mettre en place cette taxe de manière individuelle et concertée.

D’autres ressources peuvent être mobilisées : le scandale des Pandora Papers, qui a révélé que 11 300 milliards de dollars étaient placés dans des paradis fiscaux, nous rappelle l’urgence pour les États membres de coopérer entre eux afin de renforcer la transparence et, ainsi, de mettre un terme à ces pratiques fiscales dommageables.

Un système fiscal plus équitable à l’échelle européenne est un impératif pour mieux lutter contre les inégalités en matière de revenus et de richesse.

Il devient essentiel de franchir le pas vers une fiscalité commune. Il est désormais temps de mettre en place une imposition commune des bénéfices des sociétés et de conclure les négociations afin d’instaurer une taxe sur les transactions financières d’ici à 2026.

Enfin, nous devons revenir sur ces règles budgétaires européennes – un déficit public annuel inférieur à 3 % et une dette publique n’excédant pas 60 % du PIB –, qui sont incompatibles avec l’urgence à investir massivement. On se demande toujours aujourd’hui sur quoi de telles règles sont fondées ! Leur suspension pendant la période de pandémie est révélatrice de leur inadéquation face aux défis et crises que doit surmonter l’Union européenne.

C’est pourquoi le pacte de stabilité et de croissance doit être mis au service des mutations économiques et sociales nécessaires à la réussite des transitions climatique et numérique engagées.

Dans cette perspective, il est indispensable de dépasser la seule logique du PIB, qui doit être assortie de nouveaux indicateurs de croissance et de richesse, et de réviser notre approche conservatrice et libérale de l’endettement public. Ce dernier est non pas une charge, mais l’une des conditions pour réussir les transitions nécessaires qui sont devant nous.

Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, de grands chantiers s’ouvrent devant nous, mais ils supposent au préalable que nous révisions nos outils de coordination économique, dont cet obsolète programme de stabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes GEST et CRCE.)