M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, nous apprenons à vivre avec les réseaux sociaux. Mais les réseaux sociaux évoluent sans cesse. Nous avons découvert voilà une dizaine d’années que les islamistes radicaux utilisaient internet. Nous découvrons depuis peu que d’autres terroristes, racistes, masculinistes, parfois homophobes, sont tout aussi à l’aise avec les réseaux sociaux.

J’en veux pour preuve le récent acte terroriste commis aux États-Unis, à Buffalo, par un suprémaciste blanc. L’auteur a diffusé ses actes en direct sur la chaîne Twitch. La vidéo concernée a été retirée en moins de deux minutes. Comme l’a rappelé France Culture : « C’est considérablement moins que les 17 minutes qu’il avait fallu à Facebook pour retirer une vidéo similaire diffusée par le suprémaciste blanc autoproclamé qui avait tué 51 personnes dans deux mosquées néo-zélandaises à Christchurch en 2019 ». Mais ces deux minutes ont suffi pour que certains copient les images concernées et les rediffusent à leur tour. Le temps réel constitue bel et bien un défi en ce qui concerne le contrôle de la propagation des contenus terroristes en ligne.

La proposition de loi que nous examinons en séance aujourd’hui porte sur de tels enjeux. On s’interrogera, comme de nombreux collègues sur toutes les travées, sur le véhicule législatif choisi.

L’adoption du règlement Terrorist Content Online (TCO) nécessite une adaptation de la législation nationale. Ne pas le faire placerait la France en contradiction avec ses obligations et engagements européens. C’est bien la raison pour laquelle un projet de loi s’imposait ! Le Parlement aurait tiré profit de l’étude d’impact et, surtout, de l’avis du Conseil d’État sur la compatibilité du règlement avec notre ordre constitutionnel. En ce début de quinquennat et de législature à l’Assemblée nationale, espérons que cette mauvaise habitude de recourir abusivement aux propositions de loi, qui avait prévalu lors du mandat précédent, disparaisse !

Des clarifications s’imposent quant à la compatibilité de la définition européenne des contenus à caractère terroriste, moins restrictive, avec celle qui prévaut aujourd’hui en droit français, laquelle assure une appréciation « manifeste ». De même, peut-on considérer que la détermination illicite des contenus terroristes ne relève pas de la seule appréciation de l’administration dès lors que le règlement européen prévoit le contrôle d’une personnalité qualifiée désignée au sein d’une autorité administrative indépendante (AAI), ainsi que le recours suspensif au juge administratif ?

L’objectif principal recherché par la présente proposition de loi, c’est-à-dire la lutte contre le terrorisme et sa propagande, n’est pas contestable. Son dispositif a vocation à s’insérer dans le cadre du régime de blocage administratif en vigueur dans notre droit interne.

Si l’hébergeur ou le fournisseur de contenus refuse de se conformer à l’injonction de retrait du contenu dans l’heure, une demande de blocage pourra être adressée par l’autorité administrative au fournisseur d’accès à internet à l’issue d’un délai de vingt-quatre heures, conformément à la législation en vigueur, c’est-à-dire l’article 6-1 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique.

Enfin, soulignons, à l’instar des considérants préliminaires au règlement TCO, que les mesures réglementaires visant à lutter contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne doivent être complétées par des stratégies des États membres pour combattre le terrorisme. Ces stratégies comprennent le renforcement de l’éducation aux médias et de l’esprit critique, l’élaboration de discours alternatifs et de contre-discours, ainsi que d’autres initiatives visant à réduire l’impact des contenus à caractère terroriste en ligne et la vulnérabilité à l’égard de ces contenus. Elles peuvent aussi porter sur l’investissement dans le travail social, les initiatives de déradicalisation et le dialogue avec les communautés touchées, afin de parvenir à une prévention durable de la radicalisation dans la société.

Mon groupe et moi-même avons entendu les critiques sur les délais accordés aux fournisseurs d’accès, ainsi que les interrogations quant au pouvoir extravagant de certains algorithmes supposés régir les publications des réseaux sociaux. Oui, les réseaux sociaux sont parfois plus prompts à réagir en cas de non-respect du copyright qu’en cas de diffusion de contenus supposés inciter à la violence ! J’ai précédemment évoqué Twitch, mais j’ai du mal à distinguer les bons ou les mauvais élèves en la matière.

Vous avez peut-être entendu comme moi parler des conséquences de l’évolution de la position des juges suprêmes sur l’avortement aux États-Unis. Facebook et Instagram censurent immédiatement tout post qui tend à communiquer sur la délivrance de pilules abortives.

Ainsi, des utilisateurs ont vu leurs posts du type : « Si vous m’envoyez votre adresse, je vous enverrai des pilules abortives » supprimés sans attente. Ils ont été choqués de découvrir que s’ils écrivaient : « Si vous m’envoyez votre adresse, je vous enverrai des armes », leurs messages pouvaient rester en ligne sans difficulté. Mais la suppression des contenus de Christchurch en deux minutes devrait nous convaincre, et convaincre les plus sceptiques, que les réseaux sociaux prennent le terrorisme au sérieux.

Pour terminer, je tiens à saluer le rapporteur : bien qu’il ait dû travailler dans une extrême urgence, il a contribué à éclaircir les flous pouvant exister en ce qui concerne la compatibilité de ce nouveau dispositif avec ce qui existait déjà en France dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique. Je souligne également son souci d’aboutir à un dispositif plus stable que la loi Avia, tristement célèbre sur ces questions.

En conséquence, notre groupe votera en faveur de ce texte tel qu’amendé par notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye.

M. Ludovic Haye. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, il est intéressant pour notre Haute Assemblée d’examiner la présente proposition de loi après avoir débattu du bilan de la présidence française de l’Union européenne, dont le volet numérique a été amplement mis en exergue voilà quelques instants, notamment par mon collègue Jean-Baptiste Lemoyne que je tiens à saluer ici.

Largement évoquées – et pour cause ! –, les nouvelles pratiques numériques, qui tordent les possibles et peuvent gravement porter atteinte à l’ordre public, nous imposent d’adapter nos outils de lutte contre le terrorisme.

Nous avons tous malheureusement à l’esprit le rôle de la viralité des contenus, notamment lors de l’attentat de Christchurch ou de l’assassinat de M. Samuel Paty.

Cette indispensable adaptation a été intégrée par la France, qui se distingue par les outils dont elle s’est dotée pour lutter contre la diffusion des contenus illicites, et plus spécifiquement à caractère terroriste.

Je pense bien entendu à la loi pour la confiance dans l’économie numérique, au sein de laquelle le législateur a introduit dès 2014 la faculté pour l’autorité administrative de prononcer une demande de retrait des contenus terroristes dans un délai de vingt-quatre heures.

Je pense également, plus récemment, à la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Par ses dispositions validées par le Conseil constitutionnel, ce texte a permis de renforcer la lutte contre les « sites miroirs » en facilitant notamment leur blocage sur décision de l’autorité administrative. Il a également renforcé les obligations de moyens des grandes plateformes dans la lutte contre certains contenus illicites, dont la provocation et l’apologie du terrorisme. Enfin, il a prévu un pouvoir de sanction du régulateur qu’est l’Arcom.

Cette ambition, la France l’a portée à l’échelon de l’Union européenne, dont les travaux ont abouti très récemment, en matière de contenus illicites, au Digital Services Act (DSA) et, plusieurs mois auparavant, en matière de contenus à caractère terroriste, au règlement TCO. C’est à ce dernier, introduisant une injonction de retrait des contenus à caractère terroriste dans l’heure, que la proposition de loi soumise aujourd’hui à notre approbation adapte notre droit national.

Le texte a été adopté assez largement à l’Assemblée nationale, puis par notre commission des lois au Sénat, pour plusieurs raisons.

Je citerai en premier lieu le fait que le règlement européen s’applique, par définition, directement dans notre droit interne, en l’occurrence depuis le 7 juin dernier, et fait l’objet, le cas échéant, d’un contrôle restreint de la part du Conseil constitutionnel.

Mais, au-delà de ces considérations de forme, il faut, je le crois, nous attacher à rappeler les garanties concrètes que prévoient le règlement, à l’issue de presque trois années de discussions, et la proposition de loi. Je n’en évoquerai que quelques-unes.

D’abord, la gradualité de la procédure d’injonction de retrait des contenus à caractère terroriste en une heure. En effet, l’autorité administrative doit, sauf cas d’urgence, informer l’hébergeur, au moins douze heures en amont, des procédures et des délais applicables. Des dérogations à l’obligation de retrait sont en outre prévues en cas de force majeure ou d’impossibilité non imputables à l’hébergeur.

Ensuite, via le statut d’hébergeur « exposé » les obligations de moyens sont proportionnées au risque d’exposition. Les mesures prises doivent être « ciblées » en tenant compte de « l’importance fondamentale de la liberté d’expression et d’information dans une société ouverte et démocratique ».

Plus généralement, les contenus à caractère terroriste visés par le règlement y sont clairement définis. En sont expressément exclus les contenus « diffusés au public à des fins éducatives, journalistiques, artistiques ou de recherche, ou à des fins de prévention ou de lutte contre le terrorisme ».

Par ailleurs, le règlement impose aux hébergeurs de conserver les données pendant six mois, afin, par exemple, de rétablir les contenus en cas d’annulation de l’injonction.

Enfin, les voies de recours contre les injonctions de retrait sont clairement définies dans la proposition de loi. Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’y revenir au cours de l’examen du texte s’agissant des délais de jugement et modalités d’appel des décisions du tribunal administratif, sujets sur lesquels je ne doute pas qu’un accord pourra être trouvé dans la suite de la navette parlementaire.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe RDPI soutient ces dispositions pour leur pertinence, leur équilibre et leur caractère nécessaire dans la lutte contre le terrorisme.

Il faudra, comme cela a été dit, veiller à une bonne articulation en pratique entre les dispositions de la loi pour la confiance dans l’économie numérique et les articles additionnels introduits.

L’organisation de ces différentes dispositions marque dans le même temps l’incorporation d’un travail d’ampleur conduit à l’échelon national et européen. Je tiens ici à remercier les membres du gouvernement actuel et ceux du gouvernement précédent du travail qu’ils ont effectué.

Pour reprendre les termes de notre commissaire européen Thierry Breton : « Tout ce qui est interdit offline doit l’être online. » En d’autres termes, l’évolution dans un sens favorable du droit de l’Union, progressivement étoffé, doit permettre que ce qui est proscrit hors ligne le soit effectivement en ligne dans le domaine des communications numériques, et ce à des fins de protection de l’ordre public. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, au cours de cette dernière décennie, lors d’attentats terroristes, internet et diverses grandes plateformes ont joué un rôle majeur. Ils sont malheureusement devenus des outils essentiels de recrutement, d’endoctrinement, d’exhibition et de propagande.

Nous avons tous pu faire ce constat à l’occasion de la diffusion des vidéos de la terrible tuerie de Christchurch en Nouvelle-Zélande ou encore lors de l’odieux assassinat de l’enseignant Samuel Paty, désigné comme cible sur les réseaux sociaux.

Si ces espaces numériques facilitent la communication, il est insupportable que des terroristes puissent y revendiquer leurs actes barbares ou y faire l’apologie de leur doctrine.

Nous avons le devoir de responsabiliser efficacement les plateformes sur les contenus qu’elles partagent, afin de renforcer la protection et la sécurité des concitoyens, et d’éviter qu’internet ne devienne un espace de non-droit.

Vous le savez, madame la ministre, c’est un engagement fort de notre groupe et de son président, Claude Malhuret. Alors oui, la lutte contre le terrorisme et sa propagande nécessite l’implication de tous les acteurs, notamment des fournisseurs et hébergeurs de sites !

Aussi, je souscris pleinement à l’objectif de la proposition de loi que nous examinons cet après-midi. Il vise à adapter la législation française aux dispositions du règlement européen du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne.

Entré en vigueur le 7 juin dernier, ce texte harmonise les moyens de lutte contre le terrorisme en ligne au sein de l’Union européenne. Il prévoit notamment la possibilité de contraindre les services en ligne à supprimer des contenus à caractère terroriste en moins d’une heure sur injonction d’une autorité administrative.

D’application directe en droit français, il nécessite toutefois, pour être pleinement effectif, l’adaptation de certaines dispositions, permettant ainsi d’améliorer la coopération européenne.

L’article unique de la proposition de loi prévoit ainsi quatre adaptations de notre droit national par l’ajout de quatre articles à la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Il s’agit d’habiliter l’Arcom à émettre l’injonction de retrait transfrontière prévue par le règlement européen, de préciser les sanctions pénales applicables à l’encontre des fournisseurs de services d’hébergement par internet qui ne respecteraient pas l’obligation de retrait des contenus à caractère terroriste, de définir des sanctions administratives et pécuniaires en cas de non-respect des obligations de diligence par les fournisseurs de services d’hébergement par internet et, enfin, de prévoir les voies de recours dont disposent les fournisseurs de services d’hébergement par internet à l’encontre d’une injonction de retrait.

Je me félicite du travail accompli par la commission des lois, travail qui a notamment permis de renforcer le rôle de l’Arcom.

Toutefois, l’examen de la présente proposition de loi appelle plusieurs remarques de forme.

En premier lieu, je regrette le choix du véhicule législatif, en l’occurrence une proposition de loi, et non un projet de loi. Ce choix qui nous prive d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État, alors même que les sujets concernés touchent à nos libertés fondamentales, auxquelles nous sommes tous, au sein de cet hémicycle, particulièrement attachés.

En second lieu, je m’étonne que l’examen de la proposition de loi permettant d’appliquer le règlement européen intervienne aussi tardivement au Sénat, plus d’un mois après l’entrée en vigueur de celui-ci.

Madame la ministre, mes chers collègues, parce que notre détermination à combattre le terrorisme doit être totale, il existe une nécessité impérieuse à utiliser tous les leviers et moyens nécessaires pour y parvenir.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants votera en faveur de ce texte tel qu’amendé par notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nadine Bellurot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi déposée par nos collègues députés et consacrée à la lutte contre les contenus à caractère terroriste sur internet.

Comme cela a été rappelé, personne n’aurait l’idée de remettre en cause l’objectif de ce texte. Nous savons ce que représente le partage en ligne des contenus à caractère terroriste, qui contribue à entretenir la radicalisation et aboutit à des actes d’horreur, comme ceux commis contre Samuel Paty et bien d’autres victimes.

Nous abordons un aspect technique de la lutte contre le terrorisme. C’est un prisme primordial, car nous avons aujourd’hui besoin de renforcer les outils indispensables pour combattre un tel fléau. L’actualité nous rappelle que la menace est encore présente en France et en Europe : je pense au tragique attentat qui a frappé la Norvège le 25 juin dernier.

Au Proche-Orient, Daech se réorganise au travers de cellules dormantes et reste une menace au quotidien en menant des attaques nombreuses et meurtrières. Aux portes du continent européen, au Sahel, on constate que l’instabilité socioéconomique et le vide sécuritaire alimentent les groupes djihadistes, toujours présents. L’idéologie du terrorisme islamiste a pour objectif de remettre en cause nos libertés, nos valeurs républicaines, notre modèle de société et notre sécurité. Il est en effet de notre responsabilité de prendre des mesures pour garantir la sécurité de nos concitoyens et éviter le prosélytisme.

La disposition phare du texte, qui consiste à pouvoir contraindre les entreprises du net à supprimer des contenus à caractère terroriste en l’espace d’une heure après injonction d’une autorité administrative, est une mesure forte.

Cependant, à l’instar de notre rapporteur, nous ne comprenons pas le choix fait par l’Assemblée nationale d’ajouter les nouveaux dispositifs européens à ceux qui existent déjà dans notre pays. Il en résulte que ce sont les autorités compétentes qui devront d’elles-mêmes en assurer la coordination.

Alors que nous faisons tous unanimement le constat, citoyens comme législateurs, des dangers de la complexité des normes et des procédures pour notre vie démocratique, nous nous examinons un texte qui, une fois de plus, conduit à un enchevêtrement de mécanismes administratifs.

Nous regrettons un tel manque de cohérence et, par voie de conséquence, d’intelligibilité, qui écorne la confiance des citoyens comme celle des acteurs économiques.

Nous tenons également à souligner que pour garantir l’efficacité du dispositif, il reviendra à l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication d’adopter la même pratique que les autres autorités européennes et d’utiliser les injonctions de retrait du règlement européen dans les mêmes cas de figure.

Parmi les améliorations apportées au texte en commission, nous saluons les dispositions visant à alléger la charge de la personnalité qualifiée par l’extension des compétences de son suppléant, ainsi que l’instauration de délais de recours plus contraints.

Il y a tout lieu d’espérer que les apports sénatoriaux seront maintenus dans le texte adopté par la commission mixte paritaire.

La question de la constitutionnalité des dispositions a été pointée par certains. Il nous semble que les garanties prévues par le règlement comme par la présente proposition de loi, qui n’existaient pas – cela a été dit – dans la loi Avia, permettent d’écarter les risques d’inconstitutionnalité.

Pour conclure, j’ai une pensée pour notre rapporteur André Reichardt, que je tiens à remercier de la qualité de son travail malgré les délais très contraints. Je lui souhaite un bon rétablissement.

Pour l’ensemble des raisons que je viens d’indiquer, notre groupe votera en faveur de la présente proposition de loi telle qu’amendée par notre commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous ouvrons l’agenda législatif de la présente session extraordinaire par l’étude d’un texte sur la prévention de la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne.

Nous ne le savons que trop : la haine prolifère en ligne, et nous devons nous doter d’un arsenal le plus efficace possible pour limiter cette propagande terroriste et ces méthodes de recrutement, qui ont pour objectif de nuire à notre République.

Le terrorisme tue, et internet demeure le terreau fertile permettant la diffusion de certaines idéologies macabres, ainsi que le recrutement et le financement des terroristes. Il est donc essentiel de se doter d’outils de droit freinant cette utilisation d’internet.

Nous avons – hélas ! – du recul sur les enjeux et problématiques liés aux contenus terroristes en ligne.

Le règlement européen qu’il nous est demandé de faciliter par l’adaptation de notre droit est le fruit d’une réflexion sereine, loin d’un monde caricatural où – je cite un ancien président de la République – « quand on consulte des images de djihadistes, on est un djihadiste ». Heureusement, ce règlement distingue de manière sensée la diffusion de certains contenus à des fins journalistiques, pédagogiques, artistiques.

Plus restreint et plus équilibré dans la définition des contenus nécessitant d’être retirés, garantissant la possibilité de maintenir des contenus dans le cadre du débat public par exemple, il constitue un outil majeur et nécessaire pour notre législation.

Toutefois, la loi qui nous est proposée aujourd’hui contient des limites certaines.

Le choix d’une proposition de loi, qui nous prive du contrôle a priori du Conseil d’État, ne semble pas être le plus sécurisant, notamment s’agissant de l’évaluation des conséquences sur les libertés publiques et individuelles.

Nous exprimons cette crainte, car le Conseil constitutionnel a déjà censuré des mesures proches contenues dans la loi Avia. Il rappelait que la détermination du caractère illicite des contenus à caractère terroriste ne devait pas être soumise à la seule appréciation de l’administration.

Le choix de l’Arcom, désigné depuis la loi sur le séparatisme comme l’opérateur pour traiter la haine en ligne, démontre une cohérence, mais suscite de nombreuses interrogations.

Comme ont pu le rappeler plusieurs fois mes collègues Thomas Dossus et Monique de Marco dans leurs travaux au sein de la commission de la culture, l’Arcom se voit confier de plus en plus de responsabilités. Mais les moyens humains et financiers suivent-ils ?

Je sais que nous entrons dans un quinquennat sans hausse d’impôt ni accroissement de dette. Aussi, je suis impatient de voir comment, à fonds constants, le Gouvernement va faire pour doter l’Arcom des moyens nécessaires pour mener à bien cette nouvelle mission, en termes non seulement de nombre d’agents, mais aussi de nécessaire formation adaptée. Si j’insiste sur ce point, c’est que le drame de Samuel Paty a démontré que le circuit de signalement existe et qu’il fonctionne bien, mais que le manque de personnel aboutit à des délais de traitement ayant eu la funeste conséquence que nous connaissons tous. Nous serons donc très vigilants lors de la discussion du projet de loi de finances à la rentrée.

Il reste trois autres points majeurs à évoquer.

D’abord, l’urgence du délai d’une heure représente, pour de nombreuses associations de protections des libertés, un risque.

Au-delà des erreurs techniques inhérentes à des procédures automatisées dans la sélection des contenus à supprimer – elles ont été mises en avant par La Quadrature du net –, beaucoup d’ONG craignent de voir la mise en place des « filtres de téléchargement » qui permettraient à l’hébergeur d’interdire à un utilisateur de poster du contenu.

Ensuite, la subjectivité des éditeurs ou hébergeurs dans l’évaluation du contenu. Ces opérateurs privés ont des démarches à géométrie variable selon le sujet qu’ils pensent devoir être retirés. Comme l’a très bien souligné Jérôme Durain, nous l’avons vu récemment lorsque Meta, la maison mère de Facebook, n’a pu répondre aux différences de traitement entre plusieurs posts possiblement litigieux. En effet, l’Associated Press rapporte qu’un journaliste ayant publié deux annonces, l’une proposant une pilule abortive et l’autre une arme à feu, a vu son premier post supprimé dans la minute tandis que le second restait intouché.

Je voudrais également évoquer l’aspect transfrontalier des demandes de retrait. Au vu de l’arrivée au pouvoir de régimes aux valeurs parfois très éloignées de celles de notre pays au sein même de l’Union européenne, le règlement pour› lequel nous adaptons notre droit aujourd’hui permet des demandes transfrontalières de retrait de contenus qui pourraient être litigieuses. Comment, sans contrôle d’un juge judiciaire, garantir la liberté d’expression sur notre territoire face à des gouvernements parfois totalitaires qui caractérisent de manière caricaturale leurs oppositions de « terroristes » ?

Il existe parfois trop peu de garanties sur l’autorité compétente désignée par chaque pays membre, notamment en termes d’indépendance. Certes, la procédure prévoit un droit de regard de l’autorité nationale du pays sollicité, mais la coopération entre pays et la réciprocité de leurs actions pourraient poser problème.

Ces inquiétudes, mes chers collègues, sont réelles ; elles ne sont pas fantasmées. Elles s’imposent dans une réflexion globale et apaisée de la recherche, qui est celle de notre assemblée, d’un équilibre entre une lutte juste, ferme et efficace contre la dissémination de contenus terroristes sur internet et la protection de la liberté d’expression.

Cette protection nous semble constitutionnellement revenir au juge judiciaire, malheureusement écarté dans les dispositifs étudiés.

Toutes ces réserves nous empêchent de soutenir pleinement la démarche qui nous est présentée. Mais notre groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, en responsabilité et bien conscient de la nécessité du besoin d’agir rapidement contre l’expansion du terrorisme via la lutte contre les contenus internet, ne s’opposera pas à ce texte et s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la Première ministre, au nom du Gouvernement, a pris à cette tribune l’engagement de changer sa méthode de travail avec le Parlement, et singulièrement avec le Sénat, qu’elle souhaite voir devenir une « force de coconstruction ».

Madame la ministre, vous avez la redoutable responsabilité de nous montrer en pratique comment le Gouvernement va mettre en œuvre cette nouvelle méthode législative. Je ne suis pas sûr que la présente proposition de loi soit le meilleur choix pour l’inaugurer.

En effet, la proposition de loi que vous nous soumettez a été adoptée par l’Assemblée nationale le 16 février dernier. Son principal objet est d’adapter le droit national français aux dispositions du règlement adopté le 29 avril 2021, mais déjà appliqué dans l’Union européenne depuis le 7 juin 2022.

Tout le monde vous l’a dit, il est singulier, voire quelque peu cavalier, d’utiliser une proposition de loi pour transposer les dispositions d’un règlement européen. Cette méthode n’est pas respectueuse des droits du Parlement, car elle le prive d’une étude d’impact et de l’avis du Conseil d’État, alors même que les juridictions administratives seraient fortement sollicitées par les procédures que le texte met en œuvre.

Il y a pire ! Cette proposition reprend bon nombre des dispositifs de la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia, et notamment sa mesure principale obligeant au retrait des contenus haineux en moins d’une heure. Le Sénat s’y était fermement opposé, et le rapporteur de la commission des lois, Christophe-André Frassa, avait très justement montré que cette injonction allait renforcer le pouvoir des grandes plateformes du numérique en leur donnant un droit de censure exorbitant. Il s’était écrié que ce n’est pas à elles « d’exercer la police de la liberté d’expression » !

Le groupe Les Républicains du Sénat avait saisi le Conseil constitutionnel sur ce texte. Les sages ont censuré la quasi-totalité de ses articles en considérant que le délai d’une heure imposé aux hébergeurs « porterait à la liberté d’expression et de communication une atteinte » excessive. Je cite son argument, qui est décisif pour la présente proposition de loi : « […], l’engagement d’un recours contre la demande de retrait n’est pas suspensif et le délai d’une heure laissé à l’éditeur ou l’hébergeur pour retirer ou rendre inaccessible le contenu visé ne lui permet pas d’obtenir une décision du juge avant d’être contraint de le retirer. »

Nous avons dès lors le pénible sentiment d’examiner un texte dont la mesure principale a déjà été censurée par le Conseil constitutionnel.

Vous allez nous expliquer que le règlement européen apporte aux auteurs des contenus des garanties qui n’existaient pas dans la loi Avia. Par prolepse, je vous répondrai que le règlement institue que les procédures de recours peuvent être engagées après la suppression des contenus, alors que le Conseil constitutionnel considère qu’elles doivent pouvoir l’être avant.

Madame la ministre, tout se passe donc comme si vous considériez que le règlement européen était supérieur en droit à la décision du Conseil constitutionnel français. C’est là un renversement total de doctrine, pour lequel vous nous devez des explications !

Mais ce n’est pas tout : la présente proposition de loi adapte la législation française à un règlement élaboré dans le cadre de la directive européenne du 8 juin 2000 relative à la société de l’information et au commerce électronique.

Or cette directive sera très prochainement rendue obsolète, à la suite de l’adoption par le Parlement européen, le 5 juillet 2022, des versions définitives des deux règlements sur les services et les marchés numériques, le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA). Ces deux textes devraient être validés par le Conseil de l’Union européenne en juillet et en septembre ; ils entreront donc en vigueur avant la fin de cette année. Ils introduisent dans le droit européen de nouveaux régimes pour les fournisseurs de services d’hébergement, les contrôleurs d’accès et tous les acteurs du numérique. L’article 14 du DSA met également en place des mécanismes de signalement et de retrait des contenus illicites beaucoup plus respectueux de la liberté d’expression que votre texte.

Au lieu de nous demander d’examiner un texte qui sera caduc avant la fin de l’année, il aurait été plus intéressant d’engager avec le Sénat, dans une démarche de coconstruction, une réflexion sur l’éventuelle transposition de ces deux règlements majeurs.

Pour cette raison, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)