compte rendu intégral

Présidence de Mme Laurence Rossignol

vice-présidente

Secrétaires :

M. Daniel Gremillet,

M. Loïc Hervé.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 27 janvier 2022 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à démocratiser le sport, à améliorer la gouvernance des fédérations sportives et à sécuriser les conditions d’exercice du sport professionnel n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

3

Menaces que les théories du wokisme font peser sur l’université, l’enseignement supérieur et les libertés académiques

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Menaces que les théories du wokisme font peser sur l’université, l’enseignement supérieur et les libertés académiques. »

Je vous rappelle que le groupe Les Républicains disposera d’un temps de présentation de huit minutes.

Le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque intervention, pour une durée de deux minutes ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répliquer pendant une minute.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.

Le groupe auteur de la demande de débat disposera de cinq minutes pour le conclure.

Dans le débat, la parole est à M. Max Brisson, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier le président Retailleau et le groupe Les Républicains d’avoir inscrit ce débat à notre ordre du jour, tant sont grandes les menaces que les théories du wokisme font peser sur l’université, l’enseignement supérieur et les libertés académiques.

Reste éveillé : telle est la traduction littérale de stay woke. Popularisée à l’origine aux États-Unis dans la communauté afro-américaine, la notion est devenue récemment un projet politique d’ampleur, notamment via le mouvement Black Lives Matter.

Fondé sur un scepticisme radical quant à la possibilité d’obtenir une connaissance ou une vérité objective, le wokisme perçoit le monde au travers d’une vision manichéenne, le partageant entre oppresseurs et oppressés, dominants et dominés. Cette idéologie née en Amérique a depuis traversé l’Atlantique.

De l’écriture inclusive au relativisme culturel, de la déconstruction au communautarisme, de la culpabilisation à la victimisation, le wokisme est devenu la bannière sous laquelle ses militants tentent de fragmenter l’unité républicaine en définissant la citoyenneté comme une identité fondée sur l’origine, la race, la sexualité ou le genre.

Je ne peux me résoudre à ce que la France, pays des Lumières, des droits de l’homme et de Victor Hugo, fasse sienne une conception si différente de la citoyenneté que celle qui nous rassemble depuis la Révolution française.

Je préfère celle que portait Ernest Renan lorsqu’il écrivait, en 1882 : « L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. »

Renan affirmait ainsi ce qui fait le cœur même de notre citoyenneté : l’adhésion de chaque citoyen aux valeurs de la République, sans que cela efface pour autant l’identité personnelle.

Cette conception française de la Nation, fondée sur un corps citoyen constitué d’individus partageant une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances, est au fondement de notre République. C’est pourquoi je crois que le wokisme porte en lui une radicalité qui heurte directement notre conception de la Nation et, en conséquence, les principes constitutifs de notre République. Et c’est justement parce que l’on porte atteinte au cœur de la République que celle-ci se doit de réagir fermement aux attaques qui lui sont faites.

Comment en effet ne pas réagir lorsque le communautarisme, sous couvert de discours racialistes et indigénistes, invite à la repentance perpétuelle et au déboulonnage des statues de nos personnages historiques les plus illustres ?

Comment ne pas réagir face à des municipalités qui autorisent l’organisation de manifestations non mixtes sur la voie publique ?

Comment ne pas réagir lorsque le recours à l’écriture inclusive se vulgarise dans l’enseignement supérieur, alors même qu’une circulaire indique aux administrations de ne pas en faire usage ? (M. Thomas Dossus sexclame.)

Comment ne pas réagir lorsqu’une université publique accueille dans ses locaux un colloque sur la déconstruction, déstabilisant le caractère un et indivisible de notre République ?

Comment ne pas réagir lorsque des visions idéologiques tentent de soumettre l’enseignement de l’histoire au prisme d’une vision globale, empruntant les lunettes déformantes du présent pour lui imposer les exigences présupposées de notre époque ?

Comment ne pas réagir lorsqu’un professeur subit harcèlement, pressions et menaces pour avoir contesté la réalité scientifique du concept d’islamophobie ?

Oui, je suis profondément mal à l’aise quand j’observe la diffusion de l’idéologie wokiste à l’université et dans l’enseignement supérieur, et les procédés mis en œuvre pour censurer les professeurs qui ne s’inscrivent pas dans ce courant de pensée.

Oui, je crois que dans notre pays, nos universités sont vectrices d’un projet d’émancipation, et qu’elles doivent cultiver chez nos étudiants une ouverture d’esprit nourrie par la conscience de la pluralité des modes d’établissement de la vérité. (M. Thomas Dossus sexclame.)

Oui, je suis convaincu que laisser se diffuser cette idéologie nauséabonde prônant la dissolution de toutes normes, c’est porter atteinte à l’essence même de notre démocratie, qui vit par le débat et la confrontation d’idées, et non par la censure et le relativisme.

Et oui, je suis convaincu que l’université est par excellence le lieu où il faut protéger le débat, la confrontation pacifique et régulée des idées, afin que progresse la connaissance et que s’établisse la vérité scientifique.

Pourtant, mes chers collègues, si le wokisme tient parfois le haut du pavé, force est de constater que cette idéologie ne porte les revendications que d’une petite minorité d’individus.

Comme le montre un sondage réalisé par l’IFOP en février 2021, plus de 86 % des Français n’en ont jamais entendu parler et, parmi les 14 % restants, 8 % affirment ne pas savoir de quoi il s’agit. Finalement, ces chiffres font apparaître le wokisme pour ce qu’il est, un « opium des intellectuels », comme l’écrit Pierre Valentin, qui ne se diffuse qu’au sein de minorités restreintes et qui s’appuie sur des théories américaines qui ne sont ni adaptées ni adaptables à la réalité de la France.

Il est donc grand temps de rappeler combien la réalité objective dessinée par le travail des historiens, des chercheurs et des professeurs fait rarement bon ménage avec la réécriture historique aux fins de desiderata politiciens.

Il est donc grand temps de combattre une idéologie qui tourne le dos à l’idéal des Lumières, à l’apport de la Révolution française et aux fondements mêmes de notre conception républicaine.

Or, en la matière, permettez-moi, madame la secrétaire d’État, de trouver la réaction de ce gouvernement bien en demi-teinte. Certes, quelques déclarations ont pu donner l’impression de l’action. Mais force est de constater que la prégnance wokiste et ses formes d’action les plus violentes ont progressé en cinq ans, comme si la fascination du chef de l’État pour le modèle anglo-saxon constituait un frein à un combat résolu contre une idéologie de déconstruction qui peut malheureusement trouver un écho dans certains propos présidentiels.

Pour combattre le wokisme, il faut regarder notre passé, avec clairvoyance, mais certainement pas avec suspicion et esprit de repentance. Or c’est sur cette voie – hélas ! – que le président Macron a voulu plusieurs fois nous entraîner.

Pour combattre le wokisme, il faut réarmer intellectuellement nos professeurs pour qu’ils soient les garants de notre conception universelle de la citoyenneté, celle qui n’assigne jamais un citoyen de notre République à sa couleur de peau, ses croyances et ses origines.

Pour combattre le wokisme, il faut mettre au centre de notre projet éducatif l’apprentissage des savoirs fondamentaux.

Pour combattre le wokisme, il faut replacer comme pierre angulaire de l’enseignement supérieur et de la recherche l’ouverture d’esprit et le débat d’idées.

Pour combattre le wokisme, il faut tout simplement réassurer notre conception de la citoyenneté.

Mes chers collègues, la Nation nous rassemble, la République nous fédère, notre citoyenneté nous ouvre au monde. Ces concepts, trempés au cœur de notre histoire, demeurent d’une étonnante modernité. Nous devons avoir envie, ensemble, de les partager.

J’espère sincèrement que le débat qui s’ouvre, au-delà de la dénonciation des dérives, sera l’occasion d’une vraie réflexion, justement, sur la modernité de notre conception de la République et sur les moyens que nous devons mobiliser pour la protéger et la faire prospérer, en particulier là où se forme la capacité d’analyse critique des jeunes Français, là où le débat doit toujours être pluraliste, curieux, ouvert, car c’est la garantie d’une connaissance scientifique avérée : au sein même de notre université. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Jean-Pierre Decool applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de lengagement. Monsieur le sénateur Brisson, vous avez rappelé l’importance de la Nation et les menaces liées au wokisme, une idéologie politique venue des États-Unis.

Le Président de la République porte un projet émancipateur visant à aiguiser l’esprit critique, dans le droit fil de l’héritage des Lumières, qui commande de considérer chaque citoyen pour ses actes et qui garantit le pluralisme des enseignements et de la recherche au sein de nos universités.

Le plus important, sans doute, c’est de permettre à chacun de nos étudiants de débattre librement pour se construire.

Nous luttons précisément pour garantir ce pluralisme et cette liberté académique, héritage de la IIIe République, et pour éviter de tomber dans la facilité qui consisterait à ne plus étudier certains auteurs ou à regarder l’histoire avec les lunettes du présent.

Monsieur le sénateur, l’enjeu est de former des jeunes citoyens éclairés, prêts au débat, armés idéologiquement et outillés historiquement, qui fondent leurs espérances dans la force d’une nation et qui, ce faisant, luttent contre les discriminations, les actes racistes, homophobes ou antisémites, sans essentialiser les débats.

Tel est précisément le projet universaliste du Président de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.

M. Max Brisson. Madame la secrétaire d’État, je crois à la sincérité de votre combat personnel. Vous avez souvent montré, en particulier à Poitiers, votre courage dans les moments difficiles, lorsque le wokisme veut empêcher par la censure l’expression de la vérité.

Permettez-moi en revanche de douter de la volonté constante en la matière du Gouvernement et du Président de la République. Lorsque ce dernier nous invite constamment à la repentance, ou lorsqu’il suggère, à propos de la guerre d’Algérie, une réconciliation avec une partie qui, elle, n’a jamais partagé cette intention, je crains qu’il ne soit pas à la hauteur de la volonté farouche que vous avez exprimée, madame la secrétaire d’État.

Son « en même temps » l’oblige à balayer très large et malheureusement, parfois, à partir à la pêche du côté des wokistes…

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la principale difficulté à laquelle nous devons nous confronter est celle de la définition du wokisme.

Je connais celle de ses détracteurs : il ne serait pour eux qu’un agrégat des idées défendues par une certaine gauche, animée par la volonté de démanteler notre culture et notre société. Cette vision, fort caricaturale, ne permet pas de saisir tous les enjeux de ce concept, qui ne se limite pas aux propositions extrêmes et peu constructives des promoteurs de la cancel culture ou « culture de l’annulation ».

L’origine du wokisme remonte aux années 1960, lorsque Martin Luther King appelait, lors du mouvement des droits civiques, la jeune génération noire à rester « éveillée » et « engagée ».

Popularisé dans les universités américaines à partir des années 2000 – période à laquelle je les ai personnellement souvent visitées –, le concept de woke est en réalité très vaste. Il intègre le boycott, le déboulonnage des statues, le décolonialisme, l’antiracisme et les appels à lutter contre la misogynie et le sexisme, lesquels peuvent prendre la forme de dénonciations que l’on assimile au lynchage dans les médias ou sur les réseaux.

Je conçois que certaines actions et prises de position puissent interroger, les unes relevant du militantisme politique et de la liberté d’expression, les autres d’une volonté d’instaurer une pensée unique.

Tout comme je dénonce celles et ceux qui caricaturent ce mouvement, je dénonce des militants woke qui, parfois, par des pratiques inappropriées, poussent à l’autocensure, laquelle doit rester étrangère au monde de la recherche et de l’enseignement supérieur. La richesse du monde universitaire tient à la place qu’il accorde à la confrontation intellectuelle. Tenter de réduire au silence celles et ceux qui ne partagent pas nos idées est inacceptable.

Mon constat est donc le suivant : la liberté académique doit être préservée, des pressions gouvernementales visant à encourager une recherche et un enseignement officiels comme de l’extrémisme qui peut découler de certains partis pris idéologiques.

Comment envisagez-vous de garantir la préservation de cette liberté académique, qui me semble, d’un côté comme de l’autre, menacée aujourd’hui ?

Derrida, Foucault et d’autres ont enseigné la French Theory, et cet enseignement est loin d’être dévalorisé puisque ces idées et ces concepts ont été diffusés dans d’autres pays. (Mme Monique de Marco applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de lengagement. Madame la sénatrice Benbassa, la liberté académique et la pluralité de la recherche figurent parmi les héritages les plus précieux de nos universités.

L’équipe gouvernementale s’est efforcée d’agir. Grâce au combat de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, au travers de la loi de programmation de la recherche, plus de 25 milliards d’euros ont été investis pour garantir et stimuler cette pluralité.

Notre objectif est de garantir un climat serein au sein de nos universités et de ne pas laisser s’installer une pensée « autorisée ». Nous voulons développer l’esprit critique de nos étudiants et ne pas revoir ce que nous avons vu parfois ces derniers mois ou ces dernières années : des colloques chahutés, voire interdits, des enseignants pris à partie, des noms placardés sur les murs…

Quels que soient les théories défendues ou les sujets de recherche, c’est la grandeur de la France que de permettre des débats sains, sereins et étayés.

Car l’esprit français, c’est l’esprit critique, l’esprit des Lumières ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. Nos propos se rejoignent, madame la secrétaire d’État. Mais ne soyons pas obsédés à l’idée que l’on puisse enseigner le racisme, l’antiracisme, le féminisme ou le néoféminisme dans les universités. Comme vous le savez, il y a très peu de postes pour ces nouvelles matières, à l’université comme au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Ce n’est pas un danger !

Après l’islamo-gauchisme, la menace viendrait à présent du wokisme ? En réalité, l’université est un lieu où la pensée critique résiste, et il est bon de la préserver, comme vous l’avez vous-même rappelé, madame la secrétaire d’État.

Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. Mme Monique de Marco applaudit également.)

M. Yan Chantrel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne sommes pas dupes de la manœuvre opérée aujourd’hui par le groupe Les Républicains !

En pleine élection présidentielle, vous avez décidé d’utiliser le Sénat afin d’avancer votre agenda démagogique, en nous invitant à ce qu’Élisabeth Roudinesco appelle un « banquet totémique ». (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

On pourrait même parler de séance d’exorcisme : nous sommes en quelque sorte invités aujourd’hui à conjurer le mal ! (Mêmes mouvements.) De ce point de vue, la droite conservatrice au sein de cet hémicycle emboîte le pas à la droite autoritaire au Gouvernement.

Hier, le mal que combattaient les forces réactionnaires qui minent notre pays, c’était l’islamo-gauchisme. Aujourd’hui, c’est le wokisme. Demain, ce sera encore un autre néologisme…

Vous êtes devenus maîtres dans l’art d’inventer de nouveaux mots, censés couper court à tout débat. Autant d’écrans de fumée sémantiques pour ne pas parler des vrais dangers qui minent notre pays, et plus particulièrement nos universités !

Car, ne nous y trompons pas, nos collègues de droite et leurs jumeaux au pouvoir n’ont cure de l’université, de la liberté académique et de la recherche. (Marques dindignation sur les travées du groupe Les Républicains.) Ils n’ont jamais eu que mépris pour les chercheuses et chercheurs qui, dans leurs laboratoires, sur le terrain ou dans leurs séminaires, d’hypothèse en hypothèse, travaillent le doute, tentent de comprendre le monde tel qu’il va et préparent notre avenir.

Encore une fois, l’université est instrumentalisée pour alimenter la machine à délires et polémiques, qui nourrit chaînes infos et réseaux sociaux à longueur de journée.

M. Max Brisson. Quelle caricature !

M. Yan Chantrel. Ce débat est donc un nouvel écran de fumée, bien pratique pour celles et ceux qui, à droite comme au Gouvernement, défendent le statu quo et son cortège de privilèges.

Plus grave encore, derrière ces écrans de fumée, vous cherchez surtout à ce que l’on ne parle pas, à l’université ou ailleurs, des injustices et des discriminations qui frappent les jeunes lors de leurs recherches d’emploi, de formation ou de logement.

Vous ne souhaitez pas que soient abordées les discriminations et injustices qu’ils subissent en raison de leur nom, de leur adresse, de leur accent, de leur genre, de leur sexualité, de leur couleur de peau ou de leur handicap.

Vous ne souhaitez pas que soient évoquées les violences symboliques, verbales, voire physiques que constituent le sexisme, la misogynie, l’homophobie, le racisme, l’antisémitisme et la haine des musulmanes et musulmans de France.

M. Stéphane Piednoir. C’est honteux de dire cela !

M. Yan Chantrel. Vous ne voulez surtout pas que l’on parle de tous les systèmes de domination, visibles ou invisibles, qui marginalisent, excluent, oppressent et parfois tuent dans notre pays !

À droite, comme au Gouvernement, on ne veut surtout pas parler de ces sujets, et c’est bien à éluder toutes ces questions, pourtant vitales pour un grand nombre de nos compatriotes, que sert l’écran de fumée du débat réactionnaire de ce jour.

Pourtant, être républicain et universaliste, c’est bien vouloir l’égalité réelle des droits, une réelle justice et le respect pour tous les enfants de France.

Alors, nous aurions pu boycotter ce débat ridicule, qui nous plonge encore une fois dans les abîmes sans fond d’une campagne présidentielle peinant à faire émerger les vrais sujets de préoccupation de nos compatriotes. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. L’enseignement et les étudiants, c’est un sujet !

M. Yan Chantrel. Mais c’est justement parce que l’université est le lieu du débat, de la construction de l’esprit critique et de la contradiction que nous n’avons pas voulu laisser le champ libre à la parole réactionnaire.

Car là est le paradoxe : ce qu’il y a de grotesque dans l’intitulé qui nous est soumis aujourd’hui, c’est qu’il bafoue tout ce qu’il prétend défendre.

D’abord, de quoi parle-t-on ? Cette pseudo-notion de wokisme, magma conceptuel informe, n’a pas le commencement d’une définition scientifique. C’est une énième chimère qu’il conviendrait de laisser, sinon aux animateurs de CNews, plus largement à l’extrême droite, qui l’a popularisée.

Utiliser leurs mots, c’est faire le lit des traditionnels procureurs prompts à condamner par principe les universitaires et les universités.

Ensuite, la forme de nos échanges, loin de reposer sur des faits, des chiffres, des analyses étayées, un rapport ou même une quelconque enquête de terrain, mélange sans aucun discernement rumeurs, complotisme et autres accusations sans fondement.

Loin de reposer sur une analyse critique et une discussion contradictoire, ce débat fait la part belle aux propos de comptoir, aux vérités toutes faites et aux informations non vérifiées.

Pire encore, ce que ce débat bafoue, et qu’il faut pourtant garantir et préserver en tant que législateurs, c’est l’autonomie de la recherche et la liberté académique dans notre pays. Vos interventions dans ce débat sont l’illustration même du vrai danger que nous devons combattre : l’ingérence du politique dans la recherche.

Que faites-vous, à droite, en coupant les subventions aux établissements d’enseignement supérieur, comme l’a fait votre ami Laurent Wauquiez en région Auvergne-Rhône-Alpes ?

M. Jacques Grosperrin. Il a fort bien fait !

M. Yan Chantrel. Que fait le Gouvernement, en enjoignant au CNRS de mener une enquête sur ses propres chercheurs, si ce n’est une chasse aux sorcières ?

Vous pratiquez vous-même ce nouveau maccarthysme, cette culture de l’annulation que vous voulez précisément fustiger ! (Mme la secrétaire dÉtat marque son désaccord.)

M. Max Brisson. Dérisoire !

M. Yan Chantrel. « L’université est le lieu où s’apprennent le doute comme la modération, ainsi que la seule de nos institutions capable d’éclairer l’ensemble de la société, de l’école aux médias, par une connaissance scientifiquement établie, discutée et critiquée collégialement. » Ces mots, que vous reconnaissez peut-être, sont ceux de la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, dans une tribune datée du 26 octobre 2020.

Il est loin le temps où le Gouvernement défendait l’université face aux attaques dont elle est constamment victime !

Puisque vous voulez parler des menaces qui pèsent sur l’université, l’enseignement supérieur et les libertés académiques, parlons-en !

Ce qui menace aujourd’hui nos universités, ce sont d’abord les idées d’Emmanuel Macron, qui propose d’augmenter les frais d’inscription. Voilà une idée pernicieuse venue d’Amérique du Nord qui devrait vous offusquer à droite, autant qu’elle nous alarme à gauche. Ce serait l’assurance de voir l’enseignement supérieur devenir de moins en moins accessible aux classes populaires et, surtout, condamner la jeunesse à payer toute sa vie une dette accablante, comme c’est le cas aux États-Unis ou au Royaume-Uni.

Ce qui menace l’université, c’est la culture du néomanagement, qui, du ranking au rebranding, s’immisce dans la gouvernance des établissements au mépris de la concertation, de la collégialité et du dialogue social. Voilà des théories venues d’Amérique du Nord qui devraient vous inquiéter à droite, autant qu’elles nous affligent à gauche.

Ce qui menace l’université, c’est la baisse de 15 % du taux d’encadrement sur la dernière décennie, alors que le nombre d’étudiantes et d’étudiants passait de 1,4 million à 1,8 million sur la même période.

Ce qui menace les universités, c’est la précarisation grandissante des contrats d’enseignants et d’enseignants-chercheurs, qui conduit nombre d’étudiants brillants à choisir une autre carrière, comme le prouve la chute du nombre de doctorants dans ce pays.

Ce qui menace l’université, c’est la paupérisation grandissante des étudiantes et étudiants, qui continuent à patienter, tard le soir, dans des queues interminables au guichet des banques alimentaires.

Ce qui menace l’université, c’est le manque de crédits récurrents alloués à la recherche au profit de l’Agence nationale de la recherche (ANR), alors que de nombreux laboratoires sont en mauvais état ou manquent de matériel.

Ce qui menace l’université, c’est le système dual de notre enseignement supérieur, qui autorise encore l’État à consacrer deux fois plus d’argent à un étudiant en classe préparatoire qu’à un étudiant en licence.

M. Stéphane Piednoir. Rien à voir !

M. Yan Chantrel. Ce qui menace l’université, enfin, c’est Parcoursup et ses algorithmes, dont le manque de transparence nourrit l’anxiété et le sentiment d’arbitraire chez les lycéens et leurs parents.

M. Max Brisson. Quel est le rapport ?

M. Julien Bargeton. Le tirage au sort, c’était mieux ?

M. Yan Chantrel. Voilà les véritables sujets dont nous devrions débattre aujourd’hui. (M. Patrick Kanner renchérit.)

Nous avons le devoir, dans cet hémicycle, d’être les garants de la liberté académique et surtout d’empêcher toute ingérence du politique dans les débats scientifiques.

C’est un fondement intangible et nécessaire dans une démocratie et nous serons toujours aux côtés de la communauté scientifique pour le défendre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Monique de Marco et Esther Benbassa, ainsi que M. Pierre Ouzoulias, applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de lengagement. Monsieur le sénateur Chantrel, je n’ai relevé dans vos propos aucune nuance.

Ce qui menace l’université aujourd’hui, ce sont évidemment les propos sans nuance.