Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool. (M. Daniel Chasseing applaudit.)

M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, la France est un État historiquement multilingue. On y trouve de nombreux locuteurs de langues romanes, comme le français, l’occitan, le catalan, le corse, le francoprovençal, mais également de langues germaniques, comme l’alsacien, le flamand occidental et le platt deutsch, ou encore du basque et du breton – pour ne parler que de la France métropolitaine.

Le texte de notre collègue Paul Molac, présent dans nos tribunes, tend à considérer toute la pluralité des langues dans notre pays. Il importe de changer le regard que l’on pose traditionnellement sur les langues régionales. Ces langues sont au français ce que nos territoires sont à la France.

J’aimerais vous citer un tweet – excusez l’expression ! – sans équivoque du président de la République, en date du 21 juin 2018 : « Les langues régionales jouent leur rôle dans l’enracinement qui fait la force des régions. Nous allons pérenniser leur enseignement. » Aujourd’hui, après plus de deux années, nous débattons d’une proposition de loi, dont l’un des objectifs principaux est bien d’enseigner nos langues de France.

Ce texte, débattu en premier lieu à l’Assemblée nationale, a été vidé de sa substance avant d’arriver dans cet hémicycle. Nous pouvons le regretter. Toutefois, les amendements visant à redonner du corps à la proposition de loi, en rétablissant l’article 3 et en permettant le versement d’un forfait scolaire de l’enseignement bilingue, sont de bon ton et ambitionnent de donner une réalité, au sein de l’école de la République, à nos langues régionales. Nous serons nombreux à les soutenir.

La défense et la promotion des langues régionales, ce n’est pas une lubie ; c’est encore moins une revendication communautariste. Il faut sortir de ce paradigme. Le cœur de cette proposition de loi est bien d’inclure les langues régionales au sein de nos institutions, afin qu’elles participent à la vie de la cité. Nos concitoyens y sont attachés.

Il est important de soulever un point essentiel. Pour la réussite de tels projets, l’État doit associer les collectivités territoriales et leur laisser une marge de manœuvre. Bien entendu, ces dernières n’ont pas attendu pour s’organiser ! Localement, on constate que de nombreux acteurs sont investis dans la défense et la promotion des langues régionales, pour l’acceptation de leurs identités. Dans les Hauts-de-France, je veux souligner le soutien actif du conseil régional, avec, notamment, la création d’un office public du flamand occidental.

Nos langues régionales ont fait preuve d’une grande résilience, voire de résistance, et restent des réalités. Pourtant, il y a urgence à agir, avant qu’elles ne soient plus que des folklores destinés à mourir tôt ou tard.

Bien que la Constitution érige les langues régionales au rang de patrimoine de la France, ces langues ne doivent pas être mises sous cloche ni admirées comme des vestiges du passé. Comme l’a si bien dit notre collègue Paul Molac, « une langue ne s’abîme pas quand on la parle, mais uniquement quand on ne la parle pas » !

L’enseignement est la seule manière viable et de long terme pour protéger et promouvoir les langues régionales.

Jean Jaurès, dans la Revue de lenseignement primaire du 15 octobre 1911, s’étonnait déjà qu’un enfant parlant l’occitan, avec un réflexe d’analogie et de comparaison, déchiffrât aisément le portugais, l’espagnol et même l’italien.

Les langues régionales étaient pour lui un moyen d’être « en harmonie naturelle, en communication aisée avec ce vaste monde ». En somme, l’apprentissage de la langue de sa région est un avantage pour mieux se lancer dans le monde. Je tiens à rappeler que, au sein de l’Union européenne, on dénombre plus de 60 langues régionales ou minoritaires.

Monsieur le ministre, avec un peu de bonne foi, ce qui se dessine dans la dernière réforme du lycée ouvre la possibilité de créer des cursus d’enseignement de certaines langues régionales.

Toutefois, il faut préciser que toutes ces langues ne sont pas logées à la même enseigne. Ces disparités sont parfois vectrices de frustrations et d’incompréhension. Je pense, bien entendu et vous le savez, au flamand occidental, toujours exclu de la circulaire de 2017 et votre collègue a encore botté en touche sur ce point, la semaine dernière, lors de la séance de questions orales.

À ce propos, je vous remercie, madame la rapporteure, de votre détermination.

La proposition de loi que nous examinons vise à pérenniser et valoriser une partie de notre culture et de nos patrimoines. En l’espèce, ce n’est pas la panacée. Les dispositions de ce texte vont dans le sens d’une plus grande reconnaissance de nos langues régionales, des particularités de nos territoires et de leurs habitants. Cela nous permet de rappeler à quel point notre pays est beau et fort de sa pluralité.

Le groupe Les Indépendants votera donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, née à Rennes, je suis aujourd’hui sénatrice du Finistère, mais je dois vous faire une confidence : je ne parle ni le gallo ni le breton.

Parfois, je tente. Parfois, je baragouine. D’ailleurs, « bara » signifie le pain, et « gwin » le vin : union de deux mots d’origine bretonne !

La langue, c’est un trésor. La langue, c’est une histoire.

Mais, à vrai dire, je ne parle pas non plus l’alsacien, le francique-mosellan, le basque, le créole, le corse ou l’occitan, pas plus que le catalan, le wallisien et futunien ou le tahitien. Quoique, sur le tahitien, j’aie bon espoir de pouvoir progresser grâce à mon collègue de groupe, Teva Rohfritsch – je m’y suis d’ailleurs récemment essayée, sur un réseau social, pour le féliciter d’une nomination.

En fait, je parle le français, et l’espagnol par mes origines familiales.

J’ai voulu consulter les autres membres de mon groupe sur la signification que revêtaient, pour eux, les langues régionales, et j’ai voyagé, de départements en régions, de souvenirs d’enfance en moments plus présents.

Sans les parler donc, j’essaierais toutefois, dans les quelques minutes dont je dispose, de rappeler leur appartenance à notre patrimoine commun et d’en défendre l’apprentissage, puisque tel est l’objet de la proposition de loi votée en première lecture à l’Assemblée nationale et dont un grand nombre d’articles a été adopté conforme par les membres de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat. Je voudrais expliquer pourquoi…

Partons, tout d’abord, d’une définition la plus simple possible : une langue régionale est, du point de vue géographique, parlée dans une région faisant partie de l’État, plus vaste. D’un point de vue historique, elle est parlée depuis plus longtemps que le français.

Partons, ensuite, d’un constat : la pratique des langues régionales, richesse linguistique de notre pays, est aujourd’hui en baisse. À ce propos, je cite le linguiste George Steiner, décédé en début d’année : « La mort d’une langue, fût-elle chuchotée par une infime poignée sur quelque parcelle de territoire condamné, est la mort d’un monde. Chaque jour qui passe s’amenuise le nombre de manières de dire “espoir”. »

Rappelons enfin ce qui doit être une évidence : notre attachement profond au principe d’unicité du peuple français et d’indivisibilité de la République. Ainsi peut-on lire, à l’article 2 de notre Constitution, « la langue de la République est le français ».

Toutefois, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, a introduit un article 75-1, nouveau, portant la mention suivante : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. » Là aussi, une évidence !

C’est un équilibre à trouver, dans un cadre qu’il nous faut préserver et par l’échange. J’oserai presque dire qu’il nous faut parvenir à ce « en même temps », mais suis-je dans la bonne assemblée pour cela ?

Lors de sa visite à Quimper en 2018, dix ans après la révision constitutionnelle, Emmanuel Macron avait affirmé vouloir soutenir les langues régionales.

Disons-le, l’école est le principal vecteur de transmission de ces langues. Des dizaines de milliers d’élèves suivent ces enseignements dans un cadre défini et, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, lors de l’examen de la loi pour une école de la confiance : « Je me réjouis du foisonnement de nos langues […]. Il y a une langue de la République et il y a des langues de France et nous devons les soutenir. Notre politique volontariste pour la bonne maîtrise du français par tous les enfants peut très bien aller de pair avec une politique dynamique au service des langues régionales. » Je partage ce point de vue.

Depuis votre arrivée, l’offre a été renforcée face à la baisse massive, au collège et au lycée, des effectifs d’élèves étudiant ces langues.

La loi précédemment évoquée a étendu à l’enseignement privé les dispositions relatives à la prise en charge du forfait scolaire dans le cas où un élève s’inscrit dans une école située en dehors de sa commune de résidence pour y recevoir un enseignement en langue régionale.

M. Max Brisson. Grâce au Sénat !

Mme Nadège Havet. Un amendement déposé par des parlementaires présents sur ces travées, et sensibles à ces questions, sera discuté ultérieurement, de même que sera abordée la question du conventionnement.

Notons que la réforme du baccalauréat veut faire une meilleure place aux langues régionales dans les épreuves de cet examen.

Mon groupe est attaché à la défense et à la reconnaissance des langues régionales comme partie de notre patrimoine immatériel. Nous sommes donc favorables, collectivement, à certaines dispositions, notamment aux articles 1er et 2. Nous sommes aussi tout à fait favorables à l’esprit de l’article 8, qui tend à renforcer la visibilité des langues régionales et leur immersion dans la vie quotidienne, gages de leur pleine transmission.

Les langues et cultures régionales sont structurantes pour les territoires, pour nos régions et pour leur attractivité. Elles en traduisent l’histoire, la culture. Elles sont un lien intergénérationnel et familial.

Chacun reconnaît l’intérêt du plurilinguisme pour le développement cognitif des enfants. L’ouverture à d’autres langues et cultures, qu’elles soient régionales ou étrangères, s’inscrit dans une démarche positive et ne remet pas en cause le français comme langue de la République. Surtout pas !

Le groupe RDPI soutiendra, en conséquence, cette proposition de loi.

Je conclurai par ces mots, mes chers collègues : Roomp harpe dor yezhoù rannvroel ! Soutenons les langues régionales ! Vive le français ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelle langue parlerions-nous si la monarchie s’était installée à Toulouse ? L’occitan probablement !

Nous connaissons bien les conditions historiques de l’ancrage du français. Les monarques, de Louis XI à François Ier – et la fameuse ordonnance de Villers-Cotterêts –, puis les révolutionnaires de 1789 : tous ont convergé vers un même principe : consolider leur pouvoir par l’usage d’une langue unique. D’un côté, le français servait l’unité du royaume ; de l’autre, l’affirmation de la République.

Au début du XXe siècle, ce n’est pas si vieux, le français n’était pas encore partout la langue usuelle. Voilà cent ans, mon grand-père était instituteur en Aveyron. Il m’a raconté comment il accueillait des élèves qui ne parlaient pas la langue française. À la ferme, on ne parlait pas le français.

Parce que les langues régionales ont aussi constitué le symbole de la résistance au pouvoir central, un sentiment a longtemps perduré, une certaine méfiance à leur encontre.

Aujourd’hui, nous avons heureusement passé ce cap. Il est bien acquis que la République est indivisible : ce principe constitutionnel n’interdit pas pour autant la coexistence du français avec le parler de nos territoires. Les langues régionales ne sont plus considérées comme une menace dans notre pays, qui – disons-le – affronte bien d’autres questions fragilisant sa cohésion.

Plusieurs textes adoptés depuis la fameuse loi Deixonne de 1951 illustrent l’ouverture du législateur à la promotion des langues régionales. Face au risque de leur extinction, nous pouvons toutefois aller plus loin, comme le propose le texte de notre collègue député Paul Molac.

Est-il utile de rappeler ici, au Sénat, maison des collectivités locales, combien la diversité linguistique est une richesse ?

Je passerai vite sur l’impact positif du bilinguisme sur le développement cognitif des enfants. C’est une affaire de spécialistes ! Seulement par quelques mots, je dirai que les études tendent à démontrer tout le bénéfice de ce que les linguistes appellent « la conscience métalinguistique ». (M. François Bonhomme sexclame.)

Plus simplement, comme certains orateurs l’ont rappelé, les langues régionales sont avant tout constitutives de notre patrimoine. Elles alimentent la richesse de nos territoires, leur attractivité culturelle. Aussi mon groupe est-il plutôt favorable aux deux premiers articles de ce texte, dont le dispositif renforce la protection patrimoniale des langues régionales.

Si, en 2008, le législateur a intégré les langues régionales à notre Constitution, leur inscription au code du patrimoine marquerait en effet une étape supplémentaire pour leur valorisation et leur conservation.

L’usage d’une langue locale répond aussi à un besoin d’affirmation identitaire, dans un monde très ouvert où la perte des repères et des racines s’accélère. Là aussi, la proposition de loi apporte une réponse : je pense, en particulier, à l’article relatif à la faculté d’utiliser les signes diacritiques dans les actes d’état civil, ainsi qu’à l’article visant à conforter la traduction en langue régionale des inscriptions publiques.

Mais, parce qu’une langue meurt quand elle n’est plus parlée, il faut agir au niveau de la transmission de ces langues régionales, laquelle se fait de moins en moins au sein des familles. Cela pose la question de leur place dans l’enseignement.

À cet égard, la proposition de loi initiale était assez ambitieuse, peut-être un peu trop au regard des leviers déjà existants, et qui ne sont pas suffisamment exploités. Il suffit d’observer ce qui se fait dans certains départements, comme pour le basque, par exemple, dans les Pyrénées-Atlantiques. Le cadre juridique actuel permet déjà de très nombreuses initiatives !

C’est pourquoi mon groupe est favorable à l’idée de laisser se développer toutes les démarches participatives et actions décentralisées, en particulier avec l’appui des régions.

Mais nous pourrions aller plus loin, s’agissant de la participation financière des communes à la scolarisation, en prenant garde, toutefois, à ne pas fragiliser le tissu des petites écoles en milieu rural.

Enfin, mes chers collègues, le texte ne l’aborde pas, mais il y a d’autres moyens pour valoriser notre patrimoine linguistique. Je pense aux médias. Cette valorisation fait ainsi partie des missions de service public de France Télévisions et Radio France. Plus de 5 000 heures de programmes en langues régionales sont diffusées chaque année, via le réseau France Bleu, mais aussi des radios associatives. J’en profite pour rappeler combien il est important – je suis intervenu sur ce sujet lors de l’examen du projet de loi de finances – de soutenir les radios locales, très fragilisées par la crise sanitaire.

Mes chers collègues, attentif à tout ce qui valorise la diversité des territoires, le groupe du RDSE est favorable à la proposition de loi. Nous espérons qu’elle contribuera à faire vivre toutes nos belles langues locales. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi.

M. Jérémy Bacchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré les difficultés méthodologiques de décompte, on estime aujourd’hui qu’un peu plus de 7 % de la population en France est locutrice régionale, contre un quart il y a cent ans.

Ce déclin, attribué à de nombreux facteurs, doit nous interroger.

Nous devons surtout nous rappeler notre histoire. Les langues régionales ont connu, dès la Révolution française, un sort particulier. D’abord promues en 1790, car permettant une meilleure compréhension des lois et décrets, elles ont pâti dès 1794 de la politique linguistique de la Convention qui, en imposant le français partout, souhaitait construire l’unité de la Nation.

Dans un pays où, à quelques centaines de mètres d’écart, on n’avait ni la même langue, ni la même monnaie, ni la même unité de mesure, c’était une nécessité.

La fragile Troisième République a poursuivi cette politique d’effacement des langues régionales. Ce faisant, elle souhaitait une nouvelle fois l’union nationale et la consolidation du régime républicain face aux particularismes.

Aujourd’hui, notre République s’est consolidée par l’unification de la langue et le renforcement de l’État national. La question des langues régionales doit donc se poser autrement. Il me semble qu’il faut réaffirmer qu’elles sont une richesse nationale. Elles témoignent tout à la fois de l’histoire de France et de la construction difficile de l’État : comment nous sommes passés de la féodalité à la République en passant par la monarchie centralisée ; comment un peuple divisé et cloué sur son sol a pu s’unir dans un projet commun ; comment ce dernier s’est aussi enrichi grâce à la diversité, notamment linguistique, de ses habitants.

Il est loin le temps où Voltaire, voulant se rendre à Uzès, se plaignait d’avoir besoin d’un traducteur. Le français lui-même s’est enrichi des langues régionales en intégrant, au sein de son vocabulaire et de sa grammaire, des mots régionaux. Le « maquis » corse rencontrait, grâce à ce cadre commun qu’est le français, le « béret » béarnais, la « brioche » normande ou le « guignol » arpitan.

Et c’est bien en intégrant, en captant ces mots que le français s’est enrichi, s’est implanté durablement et a suivi la vocation d’une langue vivante, à savoir évoluer.

Cette proposition de loi revêt donc une dimension symbolique très forte, d’autant plus que la majorité de ses articles sont déjà couverts, partiellement ou totalement, par le droit en vigueur.

On peut d’ailleurs le regretter. En effet, malgré les dispositifs existants, nous voyons bien les difficultés actuellement rencontrées pour pérenniser les langues régionales. Cela veut dire que la protection actuelle n’est pas assez efficace. À titre d’exemple, l’augmentation des moyens accordés à l’éducation nationale publique pour qu’elle multiplie les cursus de langues régionales et le développement des initiatives locales devient un enjeu central.

L’Assemblée nationale a judicieusement supprimé une partie des dispositions de la proposition de loi originale.

Oui, la défense des langues régionales en tant que richesses nationales est nécessaire. Dans ce cadre, il est central que les initiatives permettant d’apprendre et de parler ces langues soient soutenues. En ce sens, les associations régionales de médiation culturelle et linguistique font un travail remarquable qu’il me faut saluer.

Notre Constitution pose, en la matière, trois principes que je veux rappeler : premièrement, la République est une et indivisible, et ne saurait donc se morceler sur un modèle fédéral ; deuxièmement, sa langue est le français ; troisièmement, comme je l’ai développé plus haut, les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France.

En l’état, cette proposition de loi trouve un juste équilibre, quoique précaire ; avec mon groupe, nous la soutiendrons.

Mes chers collègues, un consensus s’est dégagé au sein de notre commission – et se dégagera probablement dans notre hémicycle – sur les enjeux de ce texte. Nous avons tous à cœur de défendre ce qui a fait la beauté de ce pays, son ancrage et sa diversité. Toutefois, certaines lignes rouges doivent être maintenues : l’adoption d’amendements tendant à encore renforcer le soutien public aux écoles privées dénaturerait le texte et viendrait mettre à mal ce consensus. En cohérence avec nos positions, notre groupe serait alors contraint de revoir éventuellement son vote. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion, à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Claude Kern. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’y a rien de plus politique que les batailles linguistiques, parce que la langue est le principal marqueur identitaire. Sans langue commune, point d’appartenance collective. Dans le fond, c’est peut-être pour cela que l’Europe peine à s’intégrer davantage : elle est orpheline d’une langue commune. En miroir, imposer sa langue, c’est imposer sa culture, sa vision du monde, son identité.

Telle fut la logique de la construction nationale française : pour soumettre les particularismes locaux, il fallait imposer la langue du roi. C’est tout le sens de l’ordonnance de Villers-Cotterêts par laquelle François Ier imposa le français comme seule et unique langue administrative du pays, au XVIe siècle.

Cette guerre linguistique s’est poursuivie jusqu’au XXe siècle, jusqu’aux générations dont j’ai fait partie, à qui l’on interdisait de parler leur idiome régional à l’école, et ce jusque dans la cour.

Mais, aujourd’hui, la bataille linguistique de la construction nationale est gagnée. Tellement bien gagnée, d’ailleurs, que, comme cela a été rappelé, la quasi-totalité des soixante-quinze langues régionales françaises sont en voie d’extinction.

Cela a ouvert une nouvelle bataille linguistique : celle de leur sauvetage. Maintenant, l’enjeu est patrimonial, linguistique, culturel. Les jeunes en quête d’identité sont en demande ; les anciens, dont certains parlent encore leur idiome, surtout en zone rurale, sont aussi coupés de leurs racines par ce dépérissement.

La Palice, lui-même maréchal de François Ier, le dirait « en bon françois » : les langues régionales se meurent de ne plus être parlées.

Elles ne sont plus parlées parce qu’elles ne sont plus enseignées : l’école est le nerf de la guerre linguistique de sauvegarde patrimoniale.

Rien d’étonnant à ce que toutes les lois récentes visant à protéger les langues régionales soient intervenues sur le terrain de l’éducation : la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a posé le principe que les familles doivent être informées de l’offre d’enseignement. Elle a aussi encouragé l’accès aux enseignements de langue régionale, soit sous la forme d’un enseignement de langue et de culture régionales, soit sous celle d’un enseignement bilingue.

La loi NOTRe du 7 août 2015 a concrétisé la faculté de choix laissé aux familles, en prévoyant un système de compensation entre communes : celles qui proposent cet enseignement se voient compenser la prise en charge des enfants venant des communes qui ne l’offrent pas. La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance a élargi cette possibilité aux écoles sous contrat.

Aussi louables que soient ces initiatives, elles sont encore insuffisantes. Pour ne prendre que l’exemple de l’Alsace, celui que je connais naturellement le mieux, pour la maternelle et le primaire, seules les écoles associatives ABCM, c’est-à-dire des écoles privées, proposent un véritable enseignement en alsacien.

Même dans le supérieur, la situation n’est pas plus brillante, puisque, sur l’ensemble du cycle à l’université de Strasbourg, seuls trente étudiants sont inscrits en langue allemande, langue très proche de l’alsacien, une partie d’entre eux se destinant normalement à devenir de futurs enseignants. Or la majorité d’entre eux partent, à la fin de leur cycle, en l’Allemagne, où les salaires sont bien meilleurs.

Seul l’office pour la langue et les cultures d’Alsace et de Moselle, soutenu par le département et la région, relayés par l’intercommunalité et la commune, remédie à l’absence de pratique scolaire de l’alsacien en dispensant des cours en périscolaire ou des cours du soir pour les adultes. Mais ces efforts ne peuvent être que limités, parce que l’on ne trouve même plus d’enseignant, pour une raison que j’ai déjà évoquée.

On le voit bien, il faut aller plus loin en matière d’enseignement des langues régionales. Or l’Assemblée nationale a supprimé tout le volet éducatif de la présente proposition de loi, ce que nous regrettons. Nous soutiendrons donc les amendements tendant à rétablir l’article 3, qui pose le principe de la reconnaissance de l’enseignement des langues régionales comme matière facultative dans le cadre de l’horaire normal d’enseignement. Cet article ne fait qu’étendre à toutes les langues régionales l’article L. 312-11-1 du code de l’éducation, qui prévoit déjà que la langue corse est une matière enseignée dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et élémentaires de Corse.

Mais, pour maintenir le particularisme corse, l’enseignement des autres langues régionales ne pourrait être dispensé qu’après la signature de conventions entre l’État et les régions et pourrait ne s’appliquer qu’à certains territoires ciblés.

Dans ce cadre contractuel, la langue régionale devrait être obligatoirement proposée aux élèves sans, bien sûr, être obligatoire.

De plus, un tel enseignement ne saurait se substituer aux autres ; il s’y surajouterait.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi NOTRe, la promotion des langues régionales est une compétence partagée des collectivités territoriales. Ces dernières ont besoin d’un cadre juridique renforcé pour mettre en œuvre cette compétence, ce que leur offrirait l’article 3.

En revanche, les autres articles du dispositif supprimé à l’Assemblée nationale iraient trop loin et pourraient ouvrir une brèche dans laquelle tous les communautarismes pourraient s’engouffrer. Nous ne soutiendrons donc pas leur rétablissement.

Hors champ éducatif, le reste du texte va dans le bon sens. L’incorporation des langues régionales dans le patrimoine immatériel va de soi, ainsi que l’inclusion parmi les trésors nationaux des biens présentant un intérêt majeur pour la connaissance des idiomes.

Enfin, loin d’être folklorique, la possibilité pour les régions de promouvoir les langues locales dans l’espace public est également un axe de mise en valeur patrimoniale non négligeable.

Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera ce texte.

Veelen dank fers züherre, un a scheener nochmedaa ! Merci beaucoup pour votre attention et bon après-midi ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)