Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de la mission « Santé » du PLF aurait été résolument différent si le transfert de Santé publique France n’avait pas été acté lors du dernier projet de loi de finances. Compte tenu de l’augmentation spectaculaire du budget de cette agence durant la crise – il est passé de 150 millions à 4,8 milliards d’euros –, nous aurions eu beaucoup à dire. Nous avions d’ailleurs été nombreux, l’an dernier, à relayer les craintes que faisait naître ce transfert réalisé sous couvert de simplification concernant la visibilité des actions de Santé publique France et les crédits qui lui sont alloués.

En effet, malgré les missions régaliennes qui incombent à cette agence dans la gestion de la crise sanitaire, notamment pour la reconstitution des stocks stratégiques de matériels, la gestion financière des aspects sanitaires de la pandémie repose essentiellement aujourd’hui sur les crédits de l’assurance maladie, entraînant une confusion entre les budgets de la sécurité sociale et de l’État. Moins de 0,5 % des crédits de la mission « Santé » sont ainsi rattachés à la gestion de la crise sanitaire.

L’essentiel des crédits restants concerne l’aide médicale de l’État, dont le budget passe, pour la première fois, la barre de 1 milliard d’euros. La réforme votée l’an dernier, visant à limiter les risques de détournement du dispositif, a pris du retard et certaines mesures ont été aménagées ou suspendues du fait de la pandémie. Alors qu’elle n’est pas encore pleinement mise en œuvre, cette réforme est déjà considérée comme insuffisante sur certaines travées de notre hémicycle.

Si le groupe du RDSE est, par principe, favorable au débat sur tous les sujets, sans tabou, il nous paraît important aujourd’hui de remettre les choses dans leur contexte. Ainsi, la hausse des dépenses d’AME en France ne peut être déconnectée du contexte international, donc des conflits armés, des déplacements de population, des crises économiques et des conséquences du changement climatique. Ces dépenses doivent être considérées comme faisant partie intégrante de notre politique de santé publique.

Toutefois, on ne peut faire l’économie d’une vraie réflexion sur le panier de soins.

Mme Véronique Guillotin. Comme je le disais, ce programme est directement lié aux flux migratoires.

Mme Véronique Guillotin. À cet égard, l’échelle européenne paraît pertinente. C’est pourquoi je serais favorable, à titre personnel, à ce que l’on tende vers une homogénéité des dispositifs entre voisins européens sur les soins couverts par l’aide médicale de l’État, ce qui nous amène au nécessaire développement d’une véritable Europe de la santé – je reconnais que je m’éloigne un peu du sujet. Par ailleurs, cet alignement à l’échelle européenne permettrait de dégager, comme le propose notre rapporteure pour avis, plusieurs millions d’euros pour des actions de prévention sur le terrain, au plus près des personnes en situation irrégulière. Ce serait une bonne chose.

S’agissant justement des actions de prévention, nous notons une augmentation de près de 60 millions d’euros des crédits alloués pour 2021. Malheureusement, il s’agit pour l’essentiel d’un rattrapage, lié à la sous-budgétisation chronique de l’agence de santé de Wallis et Futuna, et non d’un investissement massif pour la prévention.

Néanmoins, il était essentiel de remettre à flot cette agence, qui sert à la fois d’agence régionale de santé, d’hôpital, de cabinet de médecine de ville, de protection maternelle et infantile (PMI) et de pharmacie, sur un territoire où l’espérance de vie est inférieure de plus de six ans à celle de la métropole. Les infrastructures locales de santé, fragiles et insuffisamment équipées, peinent notamment à assurer leurs actions de prévention, pourtant indispensables quand on sait que l’obésité touche 70 % de la population… Il est donc satisfaisant de voir l’État prendre ses responsabilités.

Fidèle à mes engagements, je regrette toutefois que les moyens dédiés à la prévention ne fassent pas l’objet d’un effort supplémentaire. Je pense notamment à l’amélioration du dépistage et au budget de l’INCa : l’épidémie de covid a entraîné une forte baisse des détections et des consultations relatives au cancer, avec, on le sait, des pertes de chances désastreuses pour les patients. Une étude montre qu’un délai d’un mois dans le diagnostic fait perdre 6 % à 13 % de chances au patient.

Ces retards s’expliquent en partie par une communication brouillée sur les reports d’opérations et de consultations au début du confinement et par une clarification intervenue trop tardivement. Je défendrai donc un amendement tendant à rattraper au plus vite le retard accumulé.

Enfin, toujours sur ce volet, je soutiendrai un amendement de ma collègue Élisabeth Doineau visant à renforcer le dépistage de l’endométriose. Cette maladie, qui concerne 1 femme sur 10, connaît, en effet, un retard de diagnostic de sept ans en moyenne. Un engagement financier accru de l’État serait donc bienvenu. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)

Mme le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite débuter mon intervention sur la mission « Santé » en dénonçant le choix du Gouvernement qui consiste à faire reposer la gestion de la crise sanitaire de la covid-19 sur les seuls crédits de l’assurance maladie.

C’est un choix politique, monsieur le secrétaire d’État : vous faites porter sur les assurés sociaux et les familles ce fardeau supplémentaire. En choisissant de faire payer à la sécu la pandémie de covid-19, le Gouvernement pose la question de l’action de l’État en matière de santé publique.

Dans le bleu budgétaire de la mission « Santé », on peut lire, en page 8, que « le Gouvernement élabore et conduit une politique globale de santé qui vise à développer une politique accrue de prévention, à assurer la sécurité sanitaire et à organiser une offre de soins de qualité adaptée pour nos concitoyens et dans tous les territoires. » Selon cette définition de la santé publique, l’intégralité des dépenses liées à la gestion de la covid-19 devrait relever de cette mission de l’État. C’est la raison pour laquelle nous avions refusé, l’an dernier, le transfert de Santé publique France à l’assurance maladie.

Concernant la prévention, la sécurité sanitaire et l’offre de soins, les crédits de la mission semblent déconnectés de la pandémie, comme les crédits pour l’indemnisation des accidents médicaux.

L’absence d’ambition de l’État en matière de prévention est parfaitement visible s’agissant des crédits du programme 183 consacrés au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante. Le PLF pour 2021 ne prévoit aucun crédit supplémentaire, alors que les associations de victimes de l’amiante ont enfin obtenu la reconnaissance du préjudice d’anxiété et que le nombre de victimes demeure largement sous-évalué.

La reconnaissance du covid-19 en maladie professionnelle ne dispose d’aucun crédit supplémentaire, et la proposition de l’Assemblée nationale d’ajouter 2 millions d’euros pour les victimes a été refusée par le ministre de la santé.

De la même manière, aucune augmentation des crédits n’est prévue pour l’Institut national du cancer, malgré les retards de prise en charge liés à la crise sanitaire. Depuis le confinement du printemps dernier, 45 000 actes de chirurgie oncologique et 12 % des chimiothérapies ont été annulés ou reportés.

S’agissant de la protection maladie, qui concerne essentiellement l’aide médicale de l’État, je voudrais rappeler que nous nous sommes opposés l’an dernier au durcissement des conditions d’accès à l’AME et à la mise en place d’un délai de carence de trois mois pour les étrangers en situation irrégulière.

Une réforme injuste d’un point de vue humanitaire qui touche des personnes fragiles et soumises aux trafics du corps humain, au travail non déclaré… Et une réforme inefficace d’un point de vue financier, car retarder une prise en charge médicale ne peut conduire qu’à en alourdir le coût en cas d’aggravation de la pathologie.

Pourquoi alimenter de nombreux fantasmes autour de l’AME quand seuls trente-huit cas de fraude ont été avérés en 2019, soit 0,06 % du montant total de l’AME ? (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Pourquoi tant de suspicions et de conditions autour de l’AME quand la fraude patronale s’élève à 20 milliards d’euros sans aucun contrôle ? Le dernier rapport de Médecins du monde sur l’accès aux droits et aux soins devrait au contraire nous inquiéter quant à l’état de santé et à l’accès aux soins des plus précaires.

Pour l’ensemble de ces raisons, notre groupe votera contre les crédits de la mission « Santé ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai par ces mots de Leibniz : « Deux choses principalement doivent nous occuper, la vertu et la santé ». Ils doivent nous rappeler la lourde responsabilité qui nous incombe, nous, parlementaires, qui avons pour mission de déterminer le sens que nous voulons donner aux actions conduites par l’État en matière de santé.

Aussi, cette vertu, nous la devons à ces millions de professionnels de santé qui œuvrent au jour le jour avec des moyens parfois plus que contraints. Plus qu’un devoir, elle est une nécessité.

En déterminant le financement de l’aide médicale de l’État, ainsi que celui de mesures de prévention et d’autres actions sanitaires, mais également en fixant la politique de modernisation de l’offre de soins de santé publique, cette mission budgétaire demeure importante.

Précisément, pour l’exercice 2021, le budget alloué dans le cadre de ce projet de loi de finances s’inscrit dans une trajectoire en hausse. Les crédits de paiement s’élèvent ainsi à 1,4 milliard d’euros, soit une progression des crédits de la mission de 18,2. % par rapport à 2020. Cependant, ces hausses de crédits ne coïncident pas avec les attentes que nous étions en mesure d’exprimer sur le programme 183, « Protection maladie », et le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins ».

Le programme 183, qui comprend l’action n° 02 relative au financement de l’aide médicale de l’État pour les soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière et l’action n° 03 pour le financement du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, connaîtra une hausse d’environ 200 millions d’euros par rapport à 2020. Précisons toutefois que 99 % des finances de ce programme concernent l’AME. Cette dernière, dont la gestion est confiée à la CNAM, se divise en trois composantes : l’aide de droit commun ; l’aide dédiée aux soins urgents ; l’aide dite « humanitaire ».

Dans sa trajectoire budgétaire, le Gouvernement prévoit ainsi une augmentation du coût total de l’AME de plus de 15 % par rapport à l’exercice 2020, un niveau encore jamais atteint. La croissance de cette dépense, qui se concentre essentiellement sur l’AME de droit commun, résulte notamment de la réforme inaccomplie de ce dispositif. Espérons une mise en œuvre en 2021 avec des résultats probants à la clé. À ce stade, et en dépit des propos de l’an passé, force est de constater que les promesses ne sont pas tenues.

Ce sentiment repose sur des déficiences financières et de lutte contre la fraude.

En matière de lutte contre la fraude, un rapport de l’IGF et de l’IGAS en date de 2019 avait souligné l’existence de cas caractérisés de tourisme médical qui conduisaient, de facto, à des détournements du dispositif et à des risques de fraude et d’abus importants que les contrôles exercés par les CPAM peinent encore à endiguer.

Du point de vue financier, ce sentiment d’inachevé repose sur la question de l’apurement de la dette de l’État envers l’assurance maladie, de l’ordre de 15,2 millions d’euros en 2019, en raison de difficultés de financement observées sur les différentes composantes de l’aide médicale de l’État.

L’AME de droit commun s’illustre ainsi par des retards successifs de remboursement, alors que l’AME pour les soins urgents se distingue par une insuffisance de financement.

Dans ces circonstances, il apparaît difficilement acceptable que l’assurance maladie ait à supporter le poids de cette dette. Il serait alors légitime que son coût soit supporté par l’État. Aussi existe-t-il aujourd’hui un consensus en faveur de l’adoption de l’amendement conjoint de nos rapporteurs, qui vise à recentrer le panier de soins de l’AME sur les soins urgents et sur les soins de prévention.

En 2021, c’est néanmoins le programme 204 qui affiche la progression la plus significative, en hausse de 29 %. Cet accroissement des crédits pour 2021 rompt avec la diminution régulière des moyens de ce programme observée ces dernières années. Il convient toutefois de préciser que cette rupture de tendance n’est pas une conséquence de la crise sanitaire : cette hausse résulte en effet d’un effort financier principalement consenti sur l’agence de santé du territoire des îles de Wallis et Futuna. L’État ne fait qu’assumer enfin ses responsabilités en budgétant l’agence de santé à hauteur des besoins de ce territoire.

Aussi, la seule dépense du programme 204 expressément rattachée à la crise sanitaire est celle dédiée au développement et à l’exploitation des systèmes d’information de santé publique. Ils verront leurs crédits progresser de 4,4 millions d’euros en 2021. On pourra ainsi regretter l’absence de budgétisation de certaines dépenses relatives à la crise sanitaire, notamment en ce qui concerne les actions juridiques et contentieuses. Au regard de certaines décisions prises par les autorités sanitaires pendant la pandémie, la responsabilité financière de l’État est susceptible d’être engagée par des tiers, mais aucun crédit n’est prévu à cet effet.

De même, aucun crédit spécifique n’est prévu en faveur de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, alors même que cet établissement devra gérer un dispositif d’indemnisation relatif à la crise sanitaire.

Enfin, je ne peux conclure sans évoquer les crédits consacrés aux questions de sécurité sanitaire et de prévention : nous constatons ainsi leur éparpillement pour l’exercice 2021 et la baisse de la part du financement des agences sanitaires.

Alors que le financement des opérateurs sanitaires captait près de 48 % des crédits du programme 204 en 2014, il en représente moins du quart à présent et ne participe plus qu’au financement de deux agences sanitaires, l’INCa et l’Anses. Cette situation prive le programme 204 de toute cohérence stratégique et accroît les interrogations sur la persistance du maintien de son financement.

Alors que la veille et la sécurité sanitaires constituent des missions régaliennes, un rapatriement des crédits de Santé publique France et de l’Agence nationale de santé du médicament et des produits de santé sur le budget de l’État apparaît souhaitable.

En conclusion, je ne peux qu’inviter le Gouvernement à poursuivre les efforts de réforme engagés et surtout à mettre en œuvre les réformes annoncées. Au regard de l’engagement sans commune mesure des professionnels de santé, vous le leur devez.

Aussi, le groupe Union Centriste votera en faveur de l’adoption des crédits de cette mission, enrichie des propositions de nos rapporteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et RDSE.)

Mme le président. La parole est à M. Bernard Jomier.

M. Bernard Jomier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’analyse des crédits de la mission « Santé » de ce projet de loi de finances prend une tournure particulière dans le contexte de crise sanitaire. Mais, paradoxalement, les traces de la gestion de la crise par l’État dans les lignes de cette mission sont quasiment inexistantes.

Alors que les dépenses de l’État s’enflamment, cette mission semble flotter en dehors de toute réalité avec moins de 0,5 % de ses crédits rattachés à la gestion de la crise sanitaire. C’est en effet le budget de la sécurité sociale qui a financé l’essentiel de la crise sanitaire, de l’achat de matériels vitaux à l’application StopCovid, aujourd’hui TousAntiCovid.

L’Agence nationale de santé publique, sur laquelle repose la gestion budgétaire des crises sanitaires et des stocks de matériels nécessaires, est également financée par la sécurité sociale depuis son transfert opéré dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

Nous sommes nombreux, sur ces travées, à avoir alerté l’an passé sur l’erreur que constitue ce transfert. Voilà quelques semaines encore, nous avons de nouveau eu ce débat lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, et la majorité sénatoriale a adopté l’amendement de notre groupe visant à faire revenir le financement de l’Agence dans le giron de l’État. Les missions de sécurité sanitaire et de gestion de crise dévolues à cette agence sont des missions régaliennes qui exigent ce retour.

Cette crise exacerbe ainsi les constats que nous dressions depuis quelques années : un programme 204 en pleine crise existentielle ; un ministère et un budget national de la santé souffrant d’un sous-investissement structurel ; enfin, un dessaisissement de la part de l’État de ses outils de pilotage et de gestion de crise.

Cette année plus encore que les précédentes, le programme 204 porte ces stigmates. Comble du paradoxe, deux mesures fortes relatives à la santé ne figurent pas dans la mission « Santé » : l’effort de formation aux métiers de la santé et du soin, à hauteur de 150 millions d’euros, se trouve dans le plan de relance ; les 6 milliards d’euros en faveur d’un plan d’investissement dans les secteurs sanitaire et médico-social et dans le numérique en santé – mesure du Ségur – se trouvent dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. C’est bien évidemment une manière de faire reposer une partie de votre plan de relance par l’investissement sur le budget de la sécurité sociale, ce que le Sénat a, avec d’autres mesures du même ordre, largement dénoncé lors de l’examen du dernier PLFSS.

Alors, pour 2021 comme pour 2020, on peine à se retrouver dans ce budget de la mission « Santé », qui ne finance ni les dépenses de santé qui figurent dans la loi de financement de la sécurité sociale ni les politiques publiques mises en œuvre dans le cadre de la crise sanitaire. Que le covid marque encore fortement le début d’année 2021 ou non, cela ne changera vraisemblablement pas grand-chose à cette mission…

La prévention et la sécurité sanitaires ne sont décidément pas l’apanage du ministère de la santé, non plus que celui de l’État, ce qui réduit d’autant le contenu et l’intérêt de la mission examinée, et ce qui ne peut que nous inquiéter collectivement.

Tout comme cette crise a profondément interrogé l’organisation de notre système de santé, elle nous invite à revoir le périmètre de l’action de l’État en matière de santé : ses missions, ses moyens, tant dans le domaine financier qu’en termes de gouvernance, qu’il est de sa responsabilité d’y dédier.

Gouverner la santé ne se résume pas à la centralisation à l’excès par le chef de l’État de la lutte contre l’épidémie. L’État, et en son sein le ministère de la santé, doit pouvoir assumer ses responsabilités sur le pilotage politique et opérationnel des politiques publiques en santé. De l’organisation des soins à la santé environnementale, en passant par la prévention, il faut redonner à la santé le poids qu’elle mérite dans le dispositif ministériel et interministériel. Il faut lui redonner la place et l’importance que les Français lui attribuent.

L’enjeu réside aussi dans la restauration du lien de confiance entre nos concitoyens et la politique sanitaire. Ils doivent pouvoir constater les conditions démocratiques d’élaboration de cette politique.

Le Parlement ne devrait pas seulement être amené à constater les trajectoires empruntées. Au contraire, il devrait être pleinement associé à ce travail. Je ne peux que vous y inviter.

J’en viens au programme 183 et à l’Aide médicale de l’État. J’y viens plus succinctement, puisque, comme tous les ans et à mon plus grand regret, c’est le sujet qui déchaîne le plus de postures idéologiques – nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen des amendements.

Cette année, le budget de l’AME est abondé de 142 millions d’euros. J’invite mes collègues à se pencher sur les raisons de cette augmentation, qui résident, pour une large part, dans les restrictions d’accès votées l’année dernière. Eh oui, limiter l’accès aux droits, ça coûte cher !

En effet, outre la prolongation de l’évolution tendancielle modérée, l’augmentation du budget de l’AME s’explique, d’une part, par la réduction du maintien au droit à l’assurance maladie d’un an à six mois, pour les assurés dont le titre de séjour a expiré et qui continuent de se faire soigner, mais sur le budget de l’AME, et, d’autre part, par la mesure instaurant un délai de carence de trois mois pour l’accès à la protection universelle maladie des demandeurs d’asile – délai pendant lequel ils pourront être pris en charge, en cas de nécessité, dans le cadre du dispositif Soins urgents, dont la dotation passe donc de 40 millions à 70 millions d’euros. Ce dernier montant est manifestement établi en tenant compte du non-recours. En effet, au moins 50 % des ayants droit à l’AME n’ont aucune couverture maladie. La plupart du temps, les étrangers en situation de précarité ne connaissent pas leurs droits, dont l’accès s’apparente à un tel parcours du combattant que, sans l’accompagnement des associations, les demandes n’aboutiraient pas.

Non, le panier de soins de l’AME ne comporte pas de soins dits « de confort » ! Non, il ne donne pas lieu à des fraudes massives ! Oui, la nécessité d’une vision sanitaire de l’AME se trouve confortée dans son urgence par la pandémie de la covid-19 !

Mes chers collègues, ne mélangeons pas les débats : la politique de santé et la politique migratoire sont deux choses différentes. Ne laissez pas vos arrière-pensées envahir votre pensée. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais tâcher de ne pas laisser mes arrière-pensées entraîner mes pensées…

Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi tout d’abord de souligner, avec toute l’estime que j’ai pour vous, que ça devient un peu lassant : pour le budget de la mission « Santé », pour le PLFSS, pour les questions d’actualité sur la covid et pour bien d’autres sujets qui inquiètent la Haute Assemblée depuis des semaines, l’absence du ministre des solidarités et de la santé devient un vrai sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

M. Antoine Lefèvre. C’est scandaleux !

M. Roger Karoutchi. Encore une fois, avec tout le respect que j’ai pour vous, et pour savoir d’expérience qu’un ministre représente ici l’ensemble du Gouvernement, je ne peux que souligner une absence aussi remarquée, en pleine crise sanitaire, pour l’examen du PLFSS et de la mission « Santé ». Six semaines, c’est beaucoup !

M. Antoine Lefèvre. C’est un mépris du Parlement !

M. Roger Karoutchi. Pourriez-vous faire savoir à M. Véran qu’il n’a rien à craindre – nous sommes polis et respectueux – et qu’il peut venir débattre au Sénat sans risques ? (Sourires.)

M. Vincent Éblé. Si seulement il était le seul à briller par son absence ! Et le ministre de l’économie ?

M. Roger Karoutchi. Nous en sommes au budget de la santé, monsieur Éblé, à chaque jour suffit sa peine. (Nouveaux sourires.)

Quel est l’intérêt d’avoir encore une mission « Santé » ?

M. Roger Karoutchi. Il n’y a plus rien dedans. Tout figure dans le PLFSS, on fait le plan Hôpital, on a un conseil de défense… Et l’essentiel des dépenses de santé n’est plus dans la mission « Santé ». Résultat des courses, comme l’ont souligné les précédents orateurs, la lisibilité de l’action de l’État en devient extrêmement difficile.

L’État s’engage-t-il réellement autant qu’il le faudrait ? Quels que soient les plans – Ségur, Hôpital… –, peut-on réellement dire que nous progressons ? Nous étions très fiers, voilà quelques années, de dire que notre système de santé était l’un des meilleurs du monde. Est-ce encore le cas, monsieur le secrétaire d’État ? Comment l’évaluer, par qui ? Dans quelles conditions financières, matérielles, morales protège-t-on la santé des Français ? Il s’agit d’un vrai sujet.

Lors du premier confinement, à vingt heures, tout le monde applaudissait les soignants à son balcon. Curieusement, aujourd’hui, il ne se passe plus rien, comme si les choses étaient réglées, alors qu’elles ne le sont pas. Nos soignants continuent de souligner leurs difficultés dans les hôpitaux. Certes, les chiffres ne sont plus ceux d’octobre ou de début novembre, mais la situation reste extrêmement difficile.

Il faudrait peut-être, et même sûrement, songer à refondre les dépenses de santé dans une seule mission, avec une étude comparative claire par rapport aux années précédentes et à la situation des autres pays européens.

En ce qui concerne l’AME, je ne partage pas du tout l’analyse de M. Jomier – et il m’en excusera. Il s’agit d’un bloc : il n’y a pas, d’un côté, la politique migratoire et, de l’autre, une politique de l’AME.

Par définition, plus nombreux sont les migrants en situation irrégulière, plus il y a de possibles bénéficiaires de l’AME. Les deux politiques doivent être regroupées. Si vous ne réduisez pas le nombre de migrants, si vous n’assurez pas le suivi des décisions de l’Ofpra et de la CNDA et que tous ceux qui sont déboutés du droit d’asile restent sur le territoire national, vous avez un problème. La non-maîtrise de la politique migratoire entraîne l’impossibilité de maîtriser l’évolution des dépenses de l’AME.

Je dis tout cela très tranquillement. Bien évidemment, je voterai les amendements des deux commissions qui vont dans le sens d’une aide médicale de la santé publique. Vous avez raison, monsieur Jomier, seulement 50 % des ayants droit ont recours à l’AME, mais combien de nos concitoyens renoncent à se rendre chez le médecin, chez le dentiste ou à l’hôpital ? On pourrait faire ces comparaisons, mais ce serait extrêmement dangereux.

Si vous voulez sauver l’AME, il faut la rationaliser. Voilà quelques années, Mme Marisol Touraine me répondait, lors d’une audition de la commission des finances, que jamais l’AME n’atteindrait le milliard d’euros, car l’État prendrait les mesures de rationalisation nécessaires. Elles n’ont jamais été prises. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)