Mme Éliane Assassi. Nous portons, bien au contraire, le projet de la retraite à 60 ans et de la semaine de 32 heures. (Marques dironie sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. C’est beaucoup !

Mme Éliane Assassi. Nous vous demandons dès aujourd’hui d’agir avec fermeté contre les entreprises qui licencient, alors qu’elles touchent des aides massives ou qu’elles réalisent des profits boursiers. Allez-vous sanctionner celles qui ont bénéficié du dispositif de chômage partiel, tout en continuant à produire ?

Bien évidemment, nous approuvons l’idée de ne pas laisser sur la touche les 800 000 jeunes arrivant sur le marché de l’emploi en septembre prochain. Mais pourquoi utiliser systématiquement les vieilles recettes des exonérations de cotisations sociales ou autres allégements fiscaux, qui grèvent le budget de la sécurité sociale ?

Le coût du travail est, toujours et encore, votre unique boussole ; jamais, ô grand jamais, le coût du capital ! Nous ne pouvons l’accepter, monsieur le Premier ministre, et nous ne cesserons de nous battre contre cette politique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Vous nous dites qu’un nouveau monde est possible… Certainement pas, monsieur le Premier ministre, en utilisant les vieilles recettes d’un ancien monde, détenues par une infinie minorité, au détriment de l’intérêt général !

Bien sûr, nous observerons votre action, mais nous constatons d’emblée que, avec Emmanuel Macron, vous avez rebroussé le chemin ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et Les Républicains.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, pendant la guerre du Vietnam, le monde entier s’était moqué d’un commandant américain, accusé d’avoir rasé un village, qui avait eu cette explication bizarre : « Lorsque nous sommes arrivés, l’ennemi était déjà là. Pour sauver le village, nous avons dû le détruire. »

Aujourd’hui, pour sauver le monde de la pandémie, il a fallu sacrifier l’économie. Voilà la situation redoutable dans laquelle vous entamez votre mandat. Autant dire que l’on vous a confié un job à 10 000 aspirines, monsieur le Premier ministre ! (Sourires.)

Toutefois, il faut toujours regarder le bon côté des choses, surtout lorsqu’il n’y en a pas… (Rires.) Le temps dont je dispose étant inversement proportionnel à l’ampleur du sujet, je me bornerai à trois réflexions.

Ma première remarque concerne le mythe de l’État père Noël.

La France sortira essorée de la crise. Les démagogues vont se déchaîner, à commencer par les marchands d’illusion de la dépense publique illimitée, mouvement alimenté par l’improbable quatuor Soros, Minc, Pigasse, Mélenchon, lesquels ont décidé de promouvoir en commun l’idée qu’il était devenu ringard de rembourser ses dettes. (Sourires.)

Les rois d’autrefois avaient déjà trouvé une solution, qui consistait à trancher la tête de leurs créanciers.

M. Philippe Dallier. C’est vrai !

M. Claude Malhuret. Le monde est devenu plus doux. Aujourd’hui, on nous propose seulement de les ruiner ! (Sourires.) Les économistes s’affrontent désormais là-dessus sur Twitter et BFM, comme les médecins sur la chloroquine. Le principal intérêt de ces débats est de redonner des lettres de noblesse aux astrologues.

Néanmoins, ce qui est grave, c’est que cette croyance va faire déployer toutes les banderoles à la rentrée, puisqu’elle implique qu’il n’y a plus de limite au financement à crédit et à l’infini de toutes les politiques publiques. Elle renforce l’idée bien française que l’argent public est comme l’eau bénite et que chacun peut se servir. (Sourires.)

Bien sûr, pour l’heure, il n’y a pas d’autre solution que le keynésianisme sous stéroïdes adopté par le monde entier et qui nous a tellement manqué, en 2009, quand une certaine Banque centrale européenne agissait plus comme un club sadomasochiste que comme la bouée de sauvetage qui nous aurait remis à flot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains.)

Vous avez raison, monsieur le Premier ministre, de recourir à une telle solution. Mais gardons-nous de confondre plan de relance et financement de déficits incontrôlés. Sans cela, vu la dette que nous laisserons à nos enfants, nous ne devrons plus être surpris que les bébés crient à la naissance. (Rires.)

Je dis cela, car, alors que l’on ne parle à juste titre que de l’emploi, l’on a parfois l’impression que certains de nos concitoyens éprouvent quelque peine à envisager la reprise du travail. La France possède tout de même le seul syndicat au monde ayant déposé un préavis de grève le jour du déconfinement et traîné au tribunal les entreprises qui redémarraient à grand-peine. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, Les Républicains et UC.)

Le Président de la République avait déclaré en avril dernier : « Il n’y a pas d’argent magique ». Puissiez-vous, monsieur le Premier ministre, tenir ce cap et expliquer sans relâche que la clé de la reprise est le travail, pas l’argent tombé du ciel.

M. Claude Malhuret. Ma deuxième remarque est la suivante : depuis les élections municipales, nous sommes tous « écolos » ! Le bonheur est dans le pré ! (Sourires.) C’est une excellente nouvelle. Mais quelle écologie ?

Le « tout le monde il est beau, tout le monde il est écolo » est trompeur. Il y a effectivement deux écologies, comme, je crois, vous l’avez souligné hier à l’Assemblée nationale, monsieur le Premier ministre : celle de la croissance et celle de la décroissance.

La convention citoyenne pour la transition écologique a accouché de trois sortes de mesures.

Les premières sont des mesures techniques, souvent déjà entreprises, comme la rénovation des logements. Elles ne posent pas de problème.

Les deuxièmes sont des solutions à la française qui ne coûtent rien, proclament des bons sentiments et rendent les lois bavardes. Je pense, par exemple, à l’inscription de l’environnement dans la Constitution ou au crime d’écocide. Ces mesures ne feront que gonfler encore nos codes, qui ressemblent déjà à des sculptures de Jeff Koons. (Sourires.)

Les troisièmes, enfin, constituent un catalogue de contraintes qui sont le fonds de commerce des ONG décroissantes. La décroissance est l’opium des bobos, comme nous l’ont prouvé récemment avec éclat, en une du Monde, dans une proclamation aussi subversive que du fromage à tartiner, une brochette de stars « kérosène » au bilan carbone le plus élevé de la planète. C’est risible, mais ce n’est pas drôle ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Ce qui est ennuyeux, c’est que la convention s’est gardée de répondre aux questions essentielles. Comment parvenir à une énergie décarbonée dans l’hypothèse où l’on décide de se passer du nucléaire ?

M. Jean Bizet. C’est impossible !

M. Claude Malhuret. Comment faire cesser l’hypocrisie de l’importation de millions de tonnes d’OGM, tout en interdisant les OGM à nos agriculteurs ? Comment faire payer les émissions de carbone chez nous et à nos frontières ?

Surtout, quelles sont les pistes pour la seule solution réaliste au défi climatique : la croissance verte, l’innovation, les nouvelles énergies, les start-up, la recherche et développement, le capital-risque, la formation ?

La France a sabordé son industrie avec une méthode simple : tout ce qui bouge, on le taxe ; tout ce qui bouge encore, on le réglemente ; tout ce qui ne bouge plus, on le subventionne. (Rires et applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

L’Europe a raté la grande révolution des quarante dernières années, à savoir le numérique. La prochaine révolution est celle des industries de la transition écologique, que notre absence de pétrole devrait nous faire aborder avec plus d’atouts que nos concurrents, freinés par les lobbies de l’or noir. L’avenir est là, et pas dans l’écologie du « gentil avec les arbres, méchant avec les hommes » qui ne fait croître que les ronds-points.

Ma troisième remarque – et votre troisième défi, monsieur le Premier ministre – concerne les missions régaliennes. La situation est critique. Alors que de nombreuses catégories de Français, à commencer par les soignants et les premiers de corvée, ont été admirables, les droits de retrait dans l’administration ont atteint des sommets.

La justice a quasiment suspendu son activité pendant trois mois, les greffiers n’ayant pas les moyens de télétravailler. Mais le dossier le plus alarmant est celui de la police. Sa crise touche aujourd’hui sa légitimité, ses doctrines d’intervention, son organisation et ses fonctionnaires.

Pas de chance pour nos policiers : après le chewing-gum, le McDo, les westerns et le rock’n’roll, on importe aujourd’hui d’Amérique les névroses sur la race, qui n’ont rien à faire sur nos terres universalistes (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, Les Républicains et UC. – Exclamations sur des travées des groupes SOCR et CRCE.), et le pauvre policier de banlieue est désormais traité de porc, comme celui de Chicago.

Il est temps que les politiques, les journalistes, les intellectuels, particulièrement ceux du « camp du bien », terrorisés depuis toujours par la panique de ne pas être du côté des victimes, prennent conscience que le racisme n’est pas le fait de ceux que l’on accuse aujourd’hui, mais des faux antiracistes que sont les racialistes, les indigénistes et les décoloniaux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains. – Mmes Éliane Assassi et Esther Benbassa protestent.)

Écoutons la leçon de lucidité d’Abnousse Shalmani : « Une image m’a glacée lors de la manifestation pour Adama Traoré : un policier noir se fait harceler par la foule qui lui crie : “Vendu ! T’as pas honte ?” Reprocher à un homme noir d’être un policier équivaut exactement à interdire à un homme noir l’accès à la députation, à un bar ou à un mariage mixte sous prétexte de sa couleur. […] Ce qui résonne dans ce discours, c’est la prison de la victimisation et l’essentialisation. »

Nous attendons de votre gouvernement qu’il trouve les mots pour s’opposer à cette tragi-comédie burlesque. Autant que de moyens, les policiers ont aujourd’hui besoin de respect et de considération.

À ceux qui ont décidé de discréditer la police pour mieux discréditer l’État, il faut répondre que ceux qui menacent les Français, ce sont les terroristes, les criminels, les dealers et les bandes armées de kalachnikov dans les rues, mais pas la police ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains.)

Un dernier mot : Barack Obama disait qu’il ne faut jamais gâcher une crise. Je voudrais terminer sur l’immense et paradoxale chance que nous offre celle que nous vivons en saluant l’accord franco-allemand sur un plan de relance européen. Si nous parvenons à convaincre nos partenaires, alors la crise du coronavirus aura pour conséquence un grand pas en avant de l’Europe.

C’est pour payer l’énorme dette de la guerre contre les Anglais que les Américains ont, pour la première fois, rassemblé leurs États et lancé la marche vers les États-Unis d’Amérique ; pour l’Europe, ce premier pas en vue de l’harmonisation financière, budgétaire et fiscale est essentiel.

Nietzsche disait : « l’Europe ne se fera qu’au bord du tombeau. » Il prédisait alors les guerres à venir et la sagesse de ceux qui, après 1945, ont jeté les bases de l’Union européenne.

Sa prophétie vaut aussi pour notre temps : depuis le traité de Rome, chaque crise a failli emporter l’Europe et chaque crise l’a renforcée. Celle qui sévit aujourd’hui est sans doute la plus grave, peut-être nous fera-t-elle faire le plus grand pas. Tel est le défi qui nous attend. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, UC et Les Républicains. – M. Gabriel Attal et Mme Roxana Maracineanu, ministres, applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, après deux déclarations de politique générale, deux discours devant le Congrès de Versailles et une lettre aux Français qui marquaient les orientations du mandat, il vous appartient, monsieur le Premier ministre, de fixer les nouvelles priorités de l’action gouvernementale.

Vous me permettrez d’en profiter pour rendre hommage à votre prédécesseur, M. Édouard Philippe, qui a dû surmonter des épreuves importantes. Il a été à la hauteur de sa tâche et, au nom de mon groupe, je voulais lui adresser des salutations respectueuses et républicaines. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

La période qui s’ouvre ne s’annonce pas des plus sereines ; il va nous falloir mettre les bouchées doubles. De la même manière qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, une pandémie ne fait pas le ménage.

Depuis le déconfinement, on ne parle plus que du monde d’après, comme si la crise sanitaire avait balayé tout ce qui nous préoccupait encore il y a quelques mois. Sous le tapis les gilets jaunes et leurs problèmes, les difficultés en matière de laïcité, de sécurité, d’immigration, la communautarisation de notre société ; sous le voile de la covid la violence, l’incivisme, la radicalité, tout ce qui sape le lien social depuis des décennies.

Tôt ou tard – et plutôt tôt que tard ! –, tous ces sujets vont refaire surface ; évacués par la grande porte de la crise sanitaire, ils reviennent déjà par la petite fenêtre de l’actualité : l’affaire Floyd aux États-Unis, amalgamée ici avec l’affaire Traoré – mon ami Claude Malhuret vient d’en parler –, l’assassinat de Philippe Monguillot, chauffeur de bus à Bayonne, de Mélanie Lemée, gendarme à Agen, les violences du 14 juillet ou encore celles qui se sont produites à Nanterre. À l’évidence, la restauration de l’autorité de l’État constitue un enjeu majeur.

Le défi du monde d’après est le suivant : il faut régler les problèmes du monde d’avant en même temps que ceux qu’a occasionnés la pandémie, c’est-à-dire, tout d’abord, une crise sanitaire persistante, comme nous le rappellent nos compatriotes qui vivent à l’étranger, parce que la maladie est toujours là.

La pandémie peut se raviver ici ; il faut donc rester prêt à réagir avec l’expérience que nous avons acquise. S’y ajoute une crise économique et sociale terrible dont les jeunes vont être les premières victimes : ils héritent de la dette sociale, de la dette environnementale et maintenant de la dette issue de la covid ; triste constat auquel, malheureusement, nous ne pouvons qu’adhérer pleinement.

Pour surmonter ce choc, une relance environnementale et solidaire s’impose, ainsi que le Président de la République et votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, l’ont visiblement compris. Cela va dans le bon sens. Derrière les intentions exprimées, il reste toutefois beaucoup d’interrogations.

Le premier axe est la relance. Ouvrir les vannes de la dépense serait inutile, puisque les ménages ont épargné, semble-t-il, entre 60 et 80 milliards d’euros durant le confinement.

Dans les circonstances actuelles, relancer la demande, c’est restaurer la confiance : les gens ne consomment pas parce qu’ils ont encore peur ; ils redoutent la maladie. De ce point de vue, imposer le port du masque, ainsi que le Gouvernement est enfin déterminé à le faire, et maintenir davantage de vigilance participent du rétablissement de la sécurité sanitaire, donc de la confiance.

Nos concitoyens craignent également le chômage, avec raison, malheureusement, puisque tous les analystes prévoient entre 800 000 et un million de chômeurs supplémentaires d’ici à la fin de l’année. C’est considérable. Restaurer la confiance, c’est donc maintenir les salariés dans l’entreprise, ce que vous entendez réaliser grâce à un dispositif d’activité partielle de longue durée.

Si j’ai bien compris, il s’agit de favoriser le maintien dans l’emploi contre la modération des salaires et des dividendes. Ce procédé peut fonctionner à trois conditions : il faut que le dispositif soit discuté et adapté par les partenaires sociaux, branche par branche, que les abus et les fraudes soient poursuivis et punis et que l’effort consenti aujourd’hui soit récompensé par plus de participation et d’intéressement pour les salariés.

Enfin, si les gens ne consomment pas, c’est parce qu’ils appréhendent un retour de bâton fiscal, soit une hausse des impôts. Pour restaurer la confiance, il fallait donc assurer que cela n’arriverait pas. Le Gouvernement l’a dit, espérons que cela se vérifie.

Plus fondamentalement encore, rétablir la confiance impose de convaincre que l’on peut vite renouer avec la croissance. Pour ce faire, nous avons besoin d’une vision stratégique capable d’identifier les secteurs dans lesquels la France peut demeurer ou devenir leader. Spontanément viennent à l’esprit l’aéronautique du futur ou les biotechnologies, dont le potentiel en France est immense, pourvu qu’il bénéficie d’un accompagnement. Ces secteurs sont-ils concernés, d’ailleurs, par le plan de recherche de 25 milliards d’euros ?

Il ne faudra pas oublier le tourisme, premier secteur d’activité de notre économie, dont certaines modalités devront être repensées.

C’est dans le domaine de la transition environnementale que l’on a le plus besoin d’une vision stratégique. Pour l’heure, nous ne la discernons pas ; nous avons assisté jusqu’à maintenant à un saupoudrage écologique plutôt qu’à la mise en place d’un véritable plan. Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat en témoignent : il y en a pour tous les goûts !

De même, il ne suffirait pas de modifier la Constitution pour repeindre la France en vert. J’observe d’ailleurs que vous n’avez pas évoqué ce point dans votre discours. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)

Plus fondamentalement, quelle est notre voie énergétique ? Vous n’en avez pas dit un mot. La fermeture de Fessenheim comme le maintien d’une baisse du nucléaire dans le mix énergétique entretiennent le doute. Les acteurs sérieux de l’environnement savent qu’il ne peut y avoir de transition énergétique sans le nucléaire.

Nous sommes leaders dans ce domaine, mais, plutôt que de vouloir le rester, nous allons amorcer un repli. C’est difficilement compréhensible, à moins que l’on nous démontre, chiffres à l’appui, que la France pourra atteindre la neutralité carbone en 2050 tout en se dégageant de l’atome, grâce à l’hydrogène.

Nous en serions heureux, mais encore faudrait-il pour cela que nous soyons capables de développer parallèlement nos énergies renouvelables dans les proportions requises, car l’hydrogène doit être produit avec de l’éolien ou du solaire pour être décarboné. Aurons-nous la capacité et la volonté de le faire ?

La meilleure énergie est, bien sûr, celle que l’on ne consomme pas ; c’est pourquoi nous soutenons votre plan de rénovation thermique des bâtiments.

La relance écologique consiste également à mener à bien certains grands travaux en faveur du fret, du transport fluvial et du ferroutage. J’ai ainsi à l’esprit le canal Seine-Nord Europe ou la ligne Lyon-Turin.

Enfin, il n’y aura pas de relance sans solidarité, en premier lieu envers les jeunes, nous en sommes d’accord, monsieur le Premier ministre, mais aussi à propos des retraites. Or, après vous avoir écouté, je continue de m’interroger : la réforme systémique par point aura-t-elle lieu ? Précédera-t-elle ou suivra-t-elle le rééquilibrage des comptes ?

La solidarité doit également s’entendre dans son acception territoriale, les territoires étant les grands oubliés de la République depuis des années. Vos déclarations laissent à penser que les choses évoluent et vont changer, vous avez cité à de très nombreuses reprises le mot « territoires », c’est une bonne chose. Nous nous étions habitués à ne plus entendre un Premier ministre évoquer la ruralité. Vous avez qualifié de « révolutionnaire » la déconcentration de l’État que vous voulez conduire. Chiche ! L’attente sera forte en faveur d’un État capable de se réformer, svelte, agile et réactif.

Nous nous réjouissons aussi d’apprendre que les collectivités vont être associées étroitement au plan de relance. Nous applaudissons, enfin, quand vous affirmez vouloir consacrer la différenciation, nouvelle étape indispensable de la décentralisation. Les collectivités territoriales doivent pouvoir adapter les normes en fonction de leurs particularités et des priorités locales.

Cependant, monsieur le Premier ministre, « réarmer les territoires », pour reprendre vos mots, impose aussi de leur redonner de l’autonomie fiscale. Tous les volets du plan de relance doivent se tenir.

Pour relancer l’économie, le Président de la République a annoncé une baisse des impôts de production. Dès lors qu’il s’agit de relocaliser, c’est une bonne chose, mais ces impôts sont pour l’essentiel locaux. Cette mesure revient donc à restreindre encore les marges des collectivités. Dans ces conditions, le corollaire d’une véritable réforme serait la consécration de l’autonomie fiscale des collectivités, dont nous aimerions discuter. Il nous semble en effet indispensable de clarifier le plan de relance que vous avez annoncé.

Nous savons également que ce plan ne pourra être mis en œuvre sans deux acteurs majeurs : l’Europe et le Parlement. Il n’y aura pas de relance économique sans plan de relance européen, c’est la raison pour laquelle le sommet de demain est décisif ; nous y avons une obligation de résultat. De plus, il n’y aura pas non plus de transition environnementale sans Green New Deal européen. Il nous faut donc également redéfinir la politique agricole commune, dans une perspective d’agroécologie.

Quoi qu’il en soit, le plan de relance économique et écologique européen aura besoin de ressources nouvelles. Pour nous, centristes, celles-ci doivent provenir d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne, d’une TVA sociale européenne et d’une taxe sur les GAFA – pour Google, Apple, Facebook et Amazon. Nous comptons sur l’exécutif pour aller dans cette direction, c’est-à-dire vers plus d’Europe et vers une Europe plus forte et plus unie.

L’autre acteur à ne pas mettre de côté est le Parlement. Nous nous réjouissons que le Président de la République compte de nouveau sur les corps intermédiaires, puisqu’il en appelle largement aux partenaires sociaux, mais le seul corps intermédiaire oublié est, paradoxalement, le plus légitime : le Parlement.

Depuis le début de la législature, nous avons l’impression d’un évitement permanent des assemblées, singulièrement du Sénat. On écoute des citoyens tirés au sort, mais on ne prête pas davantage attention aux propos de ceux qui ont été élus par les citoyens ou par leurs concitoyens eux-mêmes élus. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Claude Malhuret applaudit également.) Cela doit changer ; à défaut, notre pays se condamnerait à une dangereuse confrontation entre l’exécutif et la rue.

Pour autant, nous avons des interrogations, même si nous saluons un changement d’attitude et d’orientation vers plus de proximité. En effet, vous tendez la main et vous souhaitez travailler avec les élus, en partant du local. Je vois plus de régalien, de keynésien, de républicain ; on oublie la « start-up nation ». J’ai envie de vous dire : « Bienvenue en France » !

Puissent le travail du Parlement et celui du Gouvernement se conjuguer aussi souvent que possible dans l’intérêt de notre pays. Avec mon groupe, nous y sommes prêts. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, RDSE et Les Indépendants.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, le chef de l’État vous a choisi pour diriger le Gouvernement de la France. Il a même eu la délicatesse de choisir également vos principaux collaborateurs ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le Premier ministre fait un signe de dénégation.)

N’oubliez jamais, toutefois, que vous êtes désormais le Premier ministre de la France et que, dans la République, il n’existe qu’un seul souverain : le peuple français. C’est lui, et lui seul, que vous devez servir dans le cadre de nos institutions républicaines bicamérales, comme vous l’avez rappelé – nous en avons été touchés. Me reviennent à ce sujet les mots du plus célèbre des sénateurs – après bien sûr le président Larcher ! –… (Sourires.)

M. Roger Karoutchi. Bien après !

M. Bruno Retailleau. …, c’est-à-dire Victor Hugo : « La France dirigée par une assemblée unique ; c’est-à-dire l’océan gouverné par l’ouragan. » Ce sont nos institutions et, si vous êtes attaché à votre fibre gaulliste, vous vous en souviendrez.

Votre tâche est lourde, à l’image de l’épreuve qui accable notre pays depuis plusieurs mois. Elle exige le meilleur de vous et, de nous, de la hauteur.

J’entends, depuis que vous avez été nommé, de nombreux commentaires cherchant à deviner quel Premier ministre vous serez. Cela importe peu, pourtant, en comparaison de ce que vous ferez. Peu importe votre accent chantant, agréable à écouter et qui apporte la preuve vocale de ce reflet « du sol sur les âmes » qu’évoquait le poète.

Ce qui comptera, ce sera la partition de vos décisions, des actes que vous poserez, dans des circonstances particulièrement difficiles pour la France, avec plusieurs crises emboîtées les unes dans les autres comme des poupées russes : crise sanitaire, crise économique et sociale, et non des moindres, crise civique enfin.

En matière de santé, il vous faudra énormément d’énergie, plus encore que celle qu’ont déployée jusqu’ici vos prédécesseurs, pour éviter une reprise de l’épidémie. Deux exemples : à propos du port du masque, tout d’abord, il a fallu cinq mois – et ce n’est pas encore fait ! – pour le rendre obligatoire dans les endroits publics clos.

S’agissant, ensuite, du dépistage, j’ai entendu le Président de la République affirmer que nous avions les capacités, mais qu’il n’y avait pas de demande. Non ! Nous n’avons pas la stratégie pour tester, monsieur le Premier ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) On nous avait promis 700 000 tests, nous en faisons deux fois moins, alors qu’il ne faut pas attendre, car la plupart des cas sont asymptomatiques. Il faut tester !

Pourquoi d’ailleurs avoir interdit les dépistages systématiques aux entreprises et aux salariés volontaires ? Il faut consacrer beaucoup plus d’énergie à régler cette crise sanitaire, pour éviter la résurgence de l’épidémie.

Concernant la crise économique et sociale, la France est à la croisée des chemins, face à un choix terrible entre le relèvement, qui est possible, et l’engourdissement, c’est-à-dire dire le décrochage et le déclin. Les décisions que vous serez amené à prendre dans les prochaines semaines ou les prochains mois détermineront l’avenir de notre pays, pas seulement pour ce quinquennat, mais aussi, sans doute, pour les dix ou quinze années qui viennent.

Partout, nous assistons à une course contre-la-montre à la reprise économique, dans laquelle se sont lancées les nations du monde. Nous ne sommes pas bien placés, vous l’avez dit vous-même : une baisse du PIB de 11 % représente sans doute l’un des plus mauvais résultats dans le monde développé en matière de violence de la récession.

Il faudra agir vite sur deux urgences simultanément.

L’urgence sociale, tout d’abord, avec le chômage. Il faudra toujours préférer financer des dépenses actives d’investissement en compétences et aimer mieux former que licencier. S’agissant des jeunes, ne vous enfermez pas dans les recettes du passé, car vous ne bâtirez pas l’avenir avec de vieilles solutions, telles que des contrats aidés. Pour des jeunes qui sont souvent sans qualification, qui ont connu un échec scolaire, préférez des contrats d’apprentissage de nouvelle manière, au sujet desquels nous avons des propositions à vous faire, monsieur le Premier ministre, si vous le voulez bien.

La seconde urgence est économique. La clé du relèvement, c’est la croissance ; c’est elle, mes chers collègues, qui paiera nos dettes et qui protégera les Français du déclassement et de l’appauvrissement, aussi bien collectifs qu’individuels.

Pour aller chercher le potentiel de croissance, il faut toutefois agir puissamment sur deux facteurs sur lesquels la France est trop faible : il faut augmenter l’offre de travail et les compétences des travailleurs, mais il faut aussi travailler davantage. Je ne connais pas, ni dans nos expériences individuelles ni dans les expériences historiques collectives, de grande épreuve surmontée dans la facilité.

Oui, il faudra du courage ! Il faut dire la vérité aux Français et tourner le dos à tous les mensonges qu’on leur a fait depuis des années.

La croissance potentielle repose sur l’offre de travail, mais aussi sur la compétitivité, laquelle est en berne, comme l’indique depuis tant d’années le déficit du commerce extérieur.

Pour résoudre ce problème, il faudra baisser les impôts, à commencer par ceux qui pèsent sur la production. Vous devriez dès maintenant, dans le troisième projet de loi de finances rectificative – le PLFR 3 –, baisser la contribution sociale de solidarité des sociétés, ou C3S, et les charges au-delà de 1,6 SMIC. En ne le faisant pas, vous désavantageriez l’industrie, alors que vous affirmez vouloir réindustrialiser la France. Vous devez le faire !

Il vous faut également annuler le forfait social, pas seulement sur les très petites entreprises, les TPE, et sur les petites et moyennes entreprises, les PME, mais aussi sur les établissements de taille intermédiaire, les ETI. Si vous voulez vraiment relancer puissamment la participation, puisque vous vous décrivez comme un gaulliste social, annulez maintenant le forfait social ; n’attendez pas demain ou la rentrée.

Sans compétitivité, il n’y aura pas de souveraineté économique, pas de relocalisation, pas de réindustrialisation et donc pas de mobilité sociale. Comme vous le savez, de tous les pays d’Europe, la France est celui qui s’est le plus tertiarisé.

Nous avons remplacé des salaires de 48 000 ou 50 000 euros par des salaires plus modestes dans le tertiaire. Il faut donc déployer les voiles avec le glaive de la compétitivité de la productivité, mais aussi un bouclier européen.

Mes chers collègues, l’Allemagne préside depuis quelques jours l’Union européenne. Les liens entre nos deux pays se sont un peu retissés ; il faut les renforcer et exiger ce bouclier européen, c’est-à-dire un changement de logiciel en faveur de la concurrence. Acceptera-t-on demain, face aux Chinois et à la planète entière, d’avoir des champions européens ? Pour cela, il faut opérer ce changement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)