Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. On pourrait désigner le débat du jour par l’expression « débat boomerang » ou « débat sparadrap », en référence au fameux sparadrap dont le capitaine Haddock ne parvenait pas à se défaire dans l’album de Tintin LAffaire Tournesol.

En effet, dans l’euphorie des premiers temps du quinquennat, ce gouvernement avait supprimé l’ISF, pensant ainsi, par cette « courageuse » décision, tirer un trait définitif sur l’idée « saugrenue » de taxer les plus fortunés de nos concitoyens. L’ISF était accusé de faire fuir les riches, privant ainsi nos entreprises de leurs capitaux. Pourtant, aucune étude n’a étayé cette thèse.

Entre 2011 et 2017, le nombre de redevables de l’ISF était même passé de 287 000 à 358 000 ménages. Les riches n’ont pas pu revenir, puisqu’ils n’étaient pas partis ! En revanche, alors que l’ISF rapportait 5 milliards d’euros par an à l’État, l’impôt sur la fortune immobilière en a fourni 1,3 milliard en 2019. Comme le Gouvernement a aussi diminué la fiscalité sur les revenus du capital, ce sont 4,5 milliards d’euros qui manquent chaque année dans les caisses de l’État, soit plus de la moitié du budget annuel du ministère de la justice.

Durant le confinement, des millions de personnes auront vu leurs revenus s’effondrer. De nombreuses petites entreprises seront malheureusement confrontées à la faillite, leurs salariés se retrouveront au chômage, leurs ex-dirigeants sans revenus. Dans ces conditions, les plus fortunés d’entre nous, rebaptisés à une époque « premiers de cordée », doivent comprendre qu’il est dans leur intérêt de contribuer beaucoup plus fortement et durablement au financement des services publics et de la solidarité, dont ils bénéficient aussi, comme tout un chacun.

La crise sanitaire a ébranlé le monde et replacé au cœur du débat politique les questions fiscales, et notamment la fiscalité des gros patrimoines et du capital. Nous le constatons quotidiennement, mes chers collègues, le sujet s’impose. De nombreuses voix s’expriment, provenant d’horizons et de sensibilités très divers : syndicalistes, économistes, philosophes, intellectuels, et également, Vincent Éblé le rappelait, responsables politiques de la majorité présidentielle.

Ainsi, M. Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, déclarait il y a quelques jours : « S’interroger sur une contribution des plus aisés, pourquoi pas ? » Mme Fiona Lazaar, députée La République En Marche du Val d’Oise, nous dit que « les plus riches devraient contribuer davantage », et le président du groupe Modem, soutien de la majorité, M. Patrick Mignola, qu’« il faut créer un impôt sur la fortune improductive ».

Évidemment, les contempteurs de l’ISF ne restent pas l’arme au pied dans ce débat ; on sent dans la majorité une espèce de crainte que la digue idéologique finisse par céder. Ils montent au créneau, comme on dit, pour défendre la citadelle coûte que coûte.

M. Darmanin : « L’idéologie fiscale n’a jamais fait une bonne politique », ou encore : « L’ISF est un impôt idiot » – on disait la même chose de la taxe professionnelle ; il est curieux de constater que, dans ce pays, les impôts payés par les salariés seraient les seuls intelligents ! M. Le Maire : « L’ISF, c’est le combat du XXe siècle », ou encore : « Rétablir l’ISF serait de la pure démagogie ». Tout Bercy est mobilisé. Madame la secrétaire d’État, je me permets de vous citer : « Avec le retour à l’ISF, on se trompe de combat. »

Des formules choc, aux mots bien choisis ; mais, au fond, jamais de démonstration étayée !

Ces propos sont doux aux oreilles de nos collègues de la majorité sénatoriale. M. Retailleau déclarait il y a quelque temps : « Je suis contre le rétablissement de l’ISF. » Cela a, au moins, le mérite d’une très grande clarté et d’une grande cohérence.

C’est dans ce contexte que nos collègues du groupe socialiste et républicain avancent l’idée d’une imposition de solidarité sur le capital. Exit l’ISF, voici donc l’ISC. Examinons un instant les termes de cette proposition, dont certains, je veux le dire d’emblée, nous laissent un peu sur notre faim.

Il en est ainsi du relèvement du seuil d’assujettissement, que vous voulez porter à 1,8 million d’euros. Chacun ici se souvient que le seuil d’assujettissement à l’ISF était, avant 2007, fixé à 800 000 euros ; il avait été relevé à 1,3 million d’euros sous la présidence de M. Sarkozy et, malheureusement, maintenu à ce niveau pendant le quinquennat de M. Hollande. Le texte de votre résolution est donc, de ce point de vue, en retrait.

Nous soutenons en revanche l’idée d’une progressivité de l’imposition du capital. Si nous partageons donc vos constats, vos propositions nous paraissent malheureusement manquer d’ambition, vu l’ampleur des difficultés qui sont devant nous, tant sur le plan économique que sur le plan social.

Faire contribuer les hauts revenus serait de nature à conforter la notion de consentement à l’impôt, afin que chacun contribue « en raison de ses facultés ».

Concrètement, il faut que les informations sur les portefeuilles financiers, par exemple, soient transmises automatiquement par les banques françaises et étrangères à l’administration fiscale. Rétablir cet impôt en le rénovant serait aussi un début de réponse à la très forte demande de justice fiscale, et par là même de justice sociale, émanant de nos concitoyens.

Ce débat n’est pas un débat franco-français ; il a lieu partout, chez nos partenaires européens en particulier : en Allemagne, en Espagne, en Italie,…

M. Vincent Segouin. En Grèce !

M. Éric Bocquet. … des idées du même style sont à l’étude et font l’objet de réflexions qui animent le débat politique.

Si la proposition de résolution de nos collègues socialistes avait été une proposition de loi, notre groupe l’aurait évidemment amendée afin de l’orienter vers une meilleure répartition de la richesse et vers davantage de justice fiscale et de lutte contre les inégalités, qui explosent. Cette initiative nécessiterait une réflexion globale sur la fiscalité, et nous ne doutons pas que ces sujets reviendront très vite dans nos débats.

En l’état, nous ne pouvons émettre un vote positif sur cette proposition de résolution ; nous opterons donc pour l’abstention.

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le rétablissement de l’ISF fait figure non pas de sparadrap, mais de révolution. Cette idée, comme un astre sur son orbite, ressurgit depuis 2017 à intervalles réguliers dans le ciel de notre hémicycle. Elle prend tantôt la forme d’une proposition de loi, tantôt celle d’un amendement au projet de loi de finances, et, aujourd’hui, celle d’une proposition de résolution.

Entre « résolution » et « révolution », une seule lettre de différence ; mais la différence tient parfois à une seule lettre. Ainsi, après l’instauration de l’IFI en remplacement de l’ISF, il nous est maintenant proposé de passer à l’ISC. Après tout, si les mots comptent, les lettres aussi ! Hier impôt de solidarité sur la fortune, demain, peut-être, impôt de solidarité sur le capital : fortune ou capital, telle est la question.

Mais derrière ces mots ronflants, qui sonnent comme des titres de magazines d’actualités économiques, un concept fait son retour : la justice sociale. Qu’est-ce que la justice sociale ? Vaste sujet…

On peut commencer par dire ce qu’elle n’est pas. Les auteurs de cette proposition de résolution ont ainsi pris soin de la distinguer de la haine des riches. Dans le climat social qui est le nôtre, c’est une précision heureuse, à tout le moins bienvenue. Néanmoins, précision ne vaut pas définition, car ce concept est souvent brandi en étendard, mais rarement défini au niveau des principes. Or c’est là tout l’enjeu.

La justice sociale ou fiscale ne saurait simplement signifier toujours plus d’impôt pour les riches, et même, parfois, pour les moins riches, comme s’il s’agissait d’une loi analogue à la loi de la gravitation universelle. Les auteurs de cette proposition de résolution en réfèrent à l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Permettez-moi d’en citer la lettre : son article XIII dispose que « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

C’est donc déjà interpréter ce texte que de considérer que l’égale répartition dont il est question justifie la progressivité, a fortiori d’y voir la justification d’un nécessaire impôt sur les hauts patrimoines en temps de pandémie mondialisée. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne justifie nullement le rétablissement de l’ISF. Il ne s’agit là que d’une interprétation particulière, qui se fonde sur un diagnostic émis sur la société et renvoie à des choix politiques. (M. Patrick Kanner sexclame.) Il en va de même lorsque, une crise sanitaire frappant le pays, le Gouvernement et le Parlement décident de confiner tout le pays quoi qu’il en coûte et d’utiliser l’argent public pour éviter l’effondrement : il s’agit de choix politiques collectifs.

En matière de politique fiscale, les choix politiques consistent pour partie à résoudre des équations. Nous venons, au cours de cette crise, pour faire face à l’urgence, de dégrader durablement les comptes publics. Notre taux d’endettement a bondi de 15 points en trois mois – du jamais vu. Nous avons voté l’urgence ; il faut maintenant éviter la dépendance. À cet égard, je me réjouis de trouver dans cette proposition de résolution quelques points de convergence avec les auteurs : l’idée qu’il n’est pas légitime de faire porter le poids financier de cette crise sur nos enfants et nos petits-enfants, notamment, et l’idée qu’une taxation accrue de la consommation ou des revenus serait une erreur.

Mais, en fixant le même objectif et en cherchant à éviter les mêmes écueils, je ne parviens pas à la même conclusion. Compte tenu des masses en jeu, un rendement fiscal d’à peine 3 milliards d’euros peut certes être perçu comme une contribution non négligeable – je l’ai noté, monsieur le président de la commission des finances –, mais certainement pas comme la panacée. Par ailleurs, nous ne rembourserons pas notre dette par des taxes symboliques, qui apaisent peut-être des tensions, mais n’améliorent pas vraiment les comptes.

Les mesures qui ont été votées depuis 2017 ont considérablement amélioré l’attractivité de la France. Il y a quelques mois encore, les capitaux s’investissaient massivement dans notre pays, le chômage reculait et la croissance progressait. Et si le coronavirus a changé la donne sur le plan économique, il ne contredit en rien la pertinence des choix qui ont été faits.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues : mon groupe est hostile à l’augmentation des impôts sur le capital, qu’il s’agisse de l’ISF ou d’un ISC. Pour surmonter la crise dans laquelle nous venons à peine d’entrer, nous aurons besoin d’unité nationale davantage que de division ou de boucs émissaires. Or, vouloir faire payer toujours plus ceux qui paient déjà tant n’y contribue certainement pas.

M. Vincent Éblé. Il ne s’agit pas de cela !

M. Emmanuel Capus. Nous avons fait un choix collectif ; nous l’assumerons collectivement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Sylvie Vermeillet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative de MM. les présidents Kanner et Éblé et de leurs collègues du groupe socialiste, la présente proposition de résolution invite à la création, a minima temporaire, d’un impôt de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et la justice sociale et de répondre au défi du financement de la crise sanitaire actuelle. Ce nouvel impôt relèverait le seuil d’assujettissement des contribuables de 1,3 à 1,8 million d’euros, ce qui exclurait 40 % des anciens contribuables de l’ISF pour une perte de recettes d’environ 500 millions d’euros, mais pourrait être compensé par un relèvement de deux points du prélèvement forfaitaire unique. Il est également prévu de revenir au « plafonnement du plafonnement » mis en place jadis par le gouvernement Juppé.

Le groupe socialiste présente cette proposition de résolution avec l’objectif louable de « sauver le plus de vies possible et préserver notre tissu économique et social, nos emplois et nos entreprises », la question étant alors de trouver le meilleur moyen d’y parvenir, à moins que la situation actuelle ne soit tout simplement la meilleure occasion de rétablir un ISF amélioré. Le symbole est fort ; souvenons-nous qu’il faisait partie des revendications des « gilets jaunes », et qu’à l’issue du grand débat le Président de la République s’était engagé à vérifier en 2020 l’efficacité de l’actuel impôt sur la fortune immobilière : « S’il n’est pas efficace, nous le corrigerons », avait-il dit.

Un préalable nécessaire, tout de même : ni l’éventuelle création d’un impôt de solidarité sur le capital, dont le rendement est estimé à 2,5 milliards d’euros, ni le rétablissement de l’ISF, qui rapporta 4,2 milliards d’euros en 2017, ni l’actuel IFI, dont le rendement doit atteindre 1,9 milliard d’euros en 2020, ne sont de taille à soutenir le financement de la crise du Covid-19, au titre duquel nous avons déjà voté 110 milliards d’euros de crédits tout aussi indispensables qu’insuffisants au regard des difficultés qui nous attendent.

L’ISC est donc plus idéologique que thérapeutique. Il n’empêche qu’il est utile et légitime de s’interroger sur la pertinence de l’impôt sur la fortune immobilière. Succédant à l’ISF, l’IFI a délibérément exclu de sa base taxable les placements bancaires et liquidités, ses concepteurs prétendant ainsi relancer l’investissement dans les entreprises françaises et favoriser la création d’emplois. La commission des finances du Sénat ayant quelques doutes sur l’atteinte de cet objectif, nous attendons avec impatience l’évaluation de l’IFI promise par Emmanuel Macron.

Cela dit, le groupe Union Centriste n’a jamais été favorable à l’imposition des seules fortunes immobilières, car les détenteurs d’un patrimoine immobilier ne sont pas plus rentiers que les détenteurs d’un portefeuille d’obligations. Et les premiers concourent parfois davantage à la vitalité de notre économie que les seconds. Par exemple, l’IFI ne taxe plus les valeurs européennes placées dans un plan d’épargne en actions, mais taxe les sociétés d’investissement immobilier cotées qui construisent les centres commerciaux ou encore les sociétés civiles de placement immobilier qui louent des bureaux et des commerces. Qui, pourtant, contribue le plus à l’activité et à la création d’emplois ? Qui est, de fait, un pilier essentiel de la filière du BTP ? De notre point de vue, il y a matière à correction.

Second point surprenant d’incohérence : l’IFI ne taxe plus le patrimoine polluant. Avions privés, voitures de luxe et yachts ont disparu de la base taxable, alors que le défi écologique est au cœur des préoccupations du Gouvernement. C’est suffisamment incohérent pour être inacceptable.

L’ISF ne marchait pas, selon le Premier ministre ; il contribuait à l’évasion du capital. L’IFI fonctionne-t-il mieux ? Il rapporte certes deux fois plus que prévu, soit 1,9 milliard au lieu de 850 millions d’euros, mais l’argument ne suffira évidemment pas. À l’évidence, il faut le corriger, car il ne cible pas encore les freins de notre économie, ceux qui brident les secteurs qui devraient pourtant être nos moteurs.

Concernant la question cruciale du financement de la crise sanitaire, il faut d’abord examiner globalement le système actuel. Certaines mesures fiscales adoptées sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, notamment l’institution de la flat tax à 30 % sur la partie mobilière des revenus de l’épargne et des plus-values, ou encore la réduction progressive du taux de l’impôt sur les sociétés (IS), sont indéniablement positives, en ce sens qu’elles répondent à des distorsions extrêmement coûteuses pour l’économie française.

Pour rappel, pendant le quinquennat de François Hollande, l’ensemble des revenus du capital et des plus-values avaient été intégrés aux revenus imposables soumis à la très forte progressivité du barème de l’impôt sur le revenu (IR). Compte tenu des prélèvements sociaux, le taux d’imposition de ces revenus et plus-values pouvait avoisiner 60 %. Il est toujours tentant, politiquement, de s’attaquer au capital déjà constitué ; mais face à des épargnants de plus en plus informés, de plus en plus réactifs et de plus en plus mobiles, il est vain de penser que l’on peut prélever sur ce stock sans affecter les niveaux de croissance économique et de recettes fiscales.

Surtout, la taxation de l’épargne est susceptible de dissuader la formation du capital. Moins de capital signifie une productivité du travail et des salaires réels plus faibles, ou un chômage plus élevé si les salaires réels sont rigides. Il ne faut par ailleurs pas négliger le fait que l’épargne et l’investissement ont des retombées positives sur l’économie, de sorte que les baisses d’imposition associées ne profitent pas qu’aux seuls contribuables concernés.

Pour relancer demain l’économie, plusieurs ajustements fiscaux seraient possibles, permettant, à des niveaux de recettes fiscales inchangés, de limiter les distorsions et les dommages infligés à l’économie. La crise du Covid-19 pourrait être l’occasion de « verdir » le système fiscal français en intégrant dans les prix des biens et des services les coûts des dommages causés à l’environnement, le but n’étant pas d’augmenter la pression fiscale globale, ni donc d’utiliser la fiscalité verte comme une fiscalité de rendement budgétaire. Un relèvement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ou de la TVA sur des produits jugés nuisibles à l’environnement pourrait être mis à profit pour diminuer symétriquement la taxation du travail, voire celle de l’épargne, afin de stimuler l’offre productive.

Mes chers collègues, voilà donc quelques contributions à ce débat qui a le mérite de nous faire réfléchir en amont sur les voies possibles d’un financement des réponses à la crise et nous permet de formaliser quelques idées. Notre groupe votera contre cette proposition de résolution, mais soutient cependant l’idée d’une nécessaire révision rapide de l’impôt sur la fortune immobilière. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Segouin.

M. Vincent Segouin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ayant assisté il y a quelques semaines à l’examen du dernier projet de loi de finances rectificative, je garde en mémoire le long amendement du président Éblé relatif à son projet de suppression de l’IFI et de retour à l’ISF. Ce projet n’ayant pas abouti, il n’était pas difficile de penser que le sujet reviendrait assez vite dans l’hémicycle. Nous y sommes donc.

J’aimerais brièvement revenir sur l’objectif du Gouvernement lorsqu’il a remplacé l’ISF par l’IFI. Cette contribution fiscale ainsi transformée avait pour but louable de transférer l’épargne immobilière, épargne souvent dormante, et ce à long terme, vers l’investissement dans les entreprises, et de participer à la réindustrialisation de notre économie. À l’heure actuelle, les économistes s’accordent à dire qu’il est encore trop tôt pour réellement quantifier les effets de cette mesure. Mais il est certain que cette réforme ne portera pas les fruits escomptés tant que tous les dispositifs allant en ce sens ne seront pas réintroduits. Vous avez d’un côté créé l’IFI, mais, de l’autre, vous avez dissuadé les contribuables de l’impôt sur le revenu de déduire leurs investissements dans le capital des PME. J’y vois une forte contradiction, que je n’arrive toujours pas à expliquer.

Aujourd’hui, les nouveaux contributeurs à l’IFI, qui sont généralement des chefs d’entreprise, PME ou entreprises de taille intermédiaire (ETI), sont exaspérés de payer autant d’impôts différents, surtout face au constat d’un État qui consacre certes les moyens nécessaires au financement de ses prérogatives régaliennes, mais qui est globalement mal géré, qui s’occupe de sujets qui ne le regardent pas et qui a besoin de se réformer. Certains contribuables se voient prendre plus de 60 % de leurs gains par l’État et – excusez-les – trouvent cela particulièrement injuste.

Cependant, n’allez pas caricaturer mon propos en m’accusant d’être anti-impôt, anti-système social, ou contre la solidarité. Loin de là ! Au contraire, même : je suis heureux que nous ayons, en France, des dispositifs qui permettent que les plus aisés viennent en aide aux plus démunis, une assurance santé universelle, l’éducation gratuite pour tous, une défense, intérieure et extérieure, qui a les moyens de nous protéger. Le problème est que l’aide est devenue, en proportion, trop importante, et le régime confiscatoire trop massif, alors même que les redistributions – nous l’avons vu avec l’hôpital pendant la crise sanitaire que nous venons de traverser – sont mal réparties ou, tout simplement, ne sont pas à la hauteur des réalités.

La France est le pays le plus taxé de la zone euro, avec un taux de prélèvements obligatoires de 45 % du PIB, pour une dépense publique représentant plus de 56 % du PIB. C’est de la folie ! Pis, seuls 43 % des Français paient de l’impôt, pour une dépense de l’État toujours plus généreuse, le comble de l’irrespect consistant à dire à ces contribuables, comme le font certains, qu’ils ont de la chance d’en payer !

Face à ce constat, le groupe socialiste et républicain souhaite mettre en place un nouvel impôt qui pèsera sur ceux qui sont déjà les plus gros contributeurs.

M. Vincent Éblé. C’est totalement faux !

M. Vincent Segouin. Le seul effet de cet impôt sera de relancer le départ des plus riches, entraînant une baisse des recettes et du nombre des contribuables. Plus les contribuables partiront, plus nous serons obligés d’augmenter les taux d’imposition. C’est suicidaire ! Nous sommes au bout d’un système qui est aujourd’hui obsolète. En 2017, quelque 3 800 foyers dont les revenus excèdent 100 000 euros ont quitté notre pays pour partir s’installer à l’étranger. Devons-nous continuer dans cette voie ? Je ne le pense pas. Pouvons-nous nous payer le luxe de laisser partir ceux qui contribuent massivement à la vitalité de notre économie et de nos entreprises ? Je ne le pense pas non plus.

Rembourser la dette, objectif vital pour notre économie et pour les générations qui nous succéderont, ne se fera pas par un énième impôt. Il s’agit, aujourd’hui, de créer des richesses et de diminuer nos dépenses, pas de prélever davantage. À rebours des effets que pourrait avoir la mise en place d’un dispositif tel que celui que souhaitent nos collègues socialistes, il serait plus judicieux de s’attaquer enfin au chantier de la reconstruction de notre industrie, de nos activités économiques et de l’emploi, qui engendrerait mathématiquement une augmentation des recettes de TVA, d’impôt sur les sociétés, d’impôt sur le revenu et une baisse des dépenses de chômage. Mettre en place, comme vous le souhaitez, un impôt qui pèserait sur le capital anéantirait les investissements dans l’économie et serait contraire à l’objectif de réindustrialisation.

Moins d’impôts, c’est enclencher un cercle vertueux pour notre économie ; plus d’impôts, c’est l’étouffer. Mais accroître les recettes ne sera pas suffisant – je vous l’accorde. L’argent public, l’argent du contribuable, doit être dépensé avec parcimonie et efficience. Le problème est qu’actuellement notre niveau de prélèvements est considérable, mais le résultat peu visible pour les contribuables, et la répartition souvent absurde : toujours plus de subventions, allocations en tous genres ou aides sociales disproportionnées.

Le défi est aujourd’hui de faire en sorte que les charges sociales baissent, mais que les salaires augmentent, afin d’augmenter le pouvoir d’achat. Nous devons également envisager de combattre la suradministration, qui ne favorise pas le développement de la liberté d’entreprendre, de supprimer les normes et, de manière générale, de diminuer la réglementation.

Enfin, il faudrait songer à mettre en place une TVA sur les produits importés qui contribuerait au paiement des charges sociales – c’est ce qu’a fait l’Allemagne, je tiens à le dire. Une telle mesure permettrait de taxer les produits importés tout en déchargeant les produits intérieurs et redonnerait de la compétitivité à nos produits français à faible marge.

Il existe de nombreuses pistes pour diminuer le poids de la dette française sans prélever toujours plus sur les entreprises et les ménages. Je suis défavorable au rétablissement de l’ISF, car nous avons besoin des contribuables qui fournissent de l’emploi et de l’activité. Nous devons les inciter à réorienter leur épargne ou leurs investissements vers la réindustrialisation de la France pour rééquilibrer la balance commerciale. Relance des grands projets industriels comme le téléphone portable européen, les plateformes de distribution, l’industrie pharmaceutique – nous avons beaucoup parlé de ce dernier secteur – : les chantiers ne manquent pas. Arrêtons d’augmenter les taxes ; elles sont néfastes pour la confiance.

Nous avons besoin de tous les Français, et de tous les contribuables, pour engager la réindustrialisation et sortir de la dette. Dorénavant, nous devons cesser de nous diviser et sortir de cette mise en opposition perpétuelle des riches et des pauvres, des retraités et des actifs, etc. C’est tous ensemble que nous avancerons. Tous les responsables politiques devraient s’accorder sur le postulat suivant : les contribuables, et les Français en général, ne seront plus la variable d’ajustement des dépenses non maîtrisées de l’État.

M. Vincent Éblé. N’importe quoi !

M. Vincent Segouin. L’augmentation des prélèvements est une voie sans issue qui exaspère les Français, quels qu’ils soient. Notre groupe est donc hostile à cette proposition de résolution. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Patrick Kanner. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise que nous traversons est sanitaire, économique et sociale. Le rebond que nous appelons de nos vœux doit être rapide, durable et solidaire.

Le groupe socialiste et républicain a souhaité débattre sans délai de cette résolution, car nous savons que les crises sont rarement fécondes d’un monde plus juste et qu’un tel accouchement est souvent difficile. La procrastination, en matière de justice fiscale, est une source majeure de frustration.

L’idée n’est pas de se bercer d’illusions en imaginant en vase clos un « monde d’après » paradisiaque, mais bien d’agir ici et maintenant. C’est pour cette raison que nous avons inscrit cette disposition à l’ordre du jour de notre assemblée sous la forme d’une proposition de résolution, parce que – le président Éblé l’a rappelé – l’exécutif nous a refusé, madame la secrétaire d’État, la procédure accélérée sur le texte que nous avions initialement déposé, dans une logique de censure politique à l’égard d’une proposition de loi qui lui déplaisait.

Nous en prenons acte, mais espérons que l’idée d’un impôt de solidarité sur le capital fera son chemin et finira par se matérialiser dans la loi, mettant fin à ce nouveau bouclier fiscal instauré par la majorité LR… EM (Sourires sur les travées du groupe SOCR.), bien en phase sur cette question comme sur d’autres, en matière municipale notamment, comme nous le voyons dans l’actualité.