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Communication d’un avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis défavorable – trois voix pour, vingt-six voix contre – à la nomination de M. Bertrand Munch aux fonctions de directeur général de l’Office national des forêts.

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Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2020 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

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Quelle politique énergétique pour la France ? Quelle place pour EDF ?

Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Union Centriste, intitulé : « Quelle politique énergétique pour la France ? Quelle place pour EDF ? »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Jérôme Bignon applaudit également.)

M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avoir un débat sur la politique énergétique de la France et sur la place de ce fleuron national qu’est EDF, c’est aborder simultanément des sujets de politique industrielle, de sécurité nationale, de transition énergétique et de protection de l’environnement. À nos yeux, la politique énergétique d’une nation constitue l’une des principales politiques publiques transversales qu’un pays doit mener. Or, depuis plus de deux ans, il est difficile d’identifier celle que porte le Gouvernement. C’est pourquoi nous avons décidé d’inscrire ce débat dans le cadre de l’espace réservé de notre groupe.

Madame la ministre, ce débat nous donnera l’occasion de vous interroger, et il vous permettra, je l’espère, de clarifier les ambitions du Gouvernement.

L’équation à résoudre est complexe. Définir une politique énergétique, c’est fixer des priorités entre différents enjeux parfois contradictoires.

Les principaux enjeux que nous avons pu identifier – je ne vous apprendrai rien à cet égard – sont les suivants : maintenir un prix raisonnable de l’énergie, en particulier de l’électricité ; tendre vers une production d’énergie la plus décarbonée possible ; viser notre indépendance énergétique ; garantir la production et l’acheminement de l’énergie en toutes circonstances ; choisir des sources de production sûres pour la population et pour l’environnement ; enfin, préserver la qualité de nos paysages.

Tous ces objectifs sont louables, mais difficilement conciliables. Vous devez faire des choix, établir une hiérarchie des priorités.

Après le premier choc pétrolier, l’indépendance énergétique, avec le nucléaire, et la maîtrise du coût pour le consommateur final ont prévalu, et ce quasiment jusqu’à aujourd’hui. L’entreprise nationale était alors le bras armé de la Nation pour mettre en œuvre cette politique. L’État lui fixait ses priorités.

Aujourd’hui, nous sentons un flottement dans la stratégie, qui se répercute sur EDF, désormais confrontée, de surcroît, à des entreprises concurrentes sur le plan international. Nous ne savons plus si EDF répond à la politique choisie par le Gouvernement ou si elle agit en entreprise indépendante, alors que l’État en détient encore 83 %.

Il est temps de définir le positionnement des représentants de l’État au sein du conseil d’administration d’EDF et de clarifier les buts visés dans les domaines suivants : quel degré de volontarisme dans la stratégie de décarbonation et quel mix énergétique ? Quel avenir pour la filière nucléaire ? Quelle politique de prix, eu égard à la compétitivité de notre économie et à la maîtrise des charges pour les consommateurs ?

Qu’il s’agisse de la décarbonation ou du choix des sources de production d’énergie, le lien entre l’État et EDF n’est pas clarifié, et les décisions successives ne reflètent pas de vision stratégique. Il faut lever les confusions en matière de mix énergétique et affirmer la position française.

Le précédent gouvernement a imposé à EDF la fermeture de la centrale de Fessenheim, contre toute logique de sûreté ou financière. Le gouvernement auquel vous appartenez a fait le choix d’éteindre les quatre centrales à charbon.

Il y a quelques semaines, le P-DG d’EDF, M. Lévy, annonçait la construction souhaitable de six nouveaux réacteurs nucléaires en France de type EPR, alors même que celui de Flamanville a déjà pris onze ans de retard et que son coût a triplé…

Le Président de la République annonçait en 2018 la fermeture de quatorze réacteurs à l’horizon de 2035, sans préciser les éventuelles nouvelles constructions. Dans le même temps, vous avez souhaité, à juste titre, développer des sources d’énergies décarbonées.

Cet enchaînement et même ces contradictions, au moins apparentes, nuisent à la compréhension pour les parlementaires que nous sommes, mais aussi pour les salariés d’EDF.

Vous avez souhaité diminuer la part du nucléaire dans le mix énergétique à hauteur de 50 % à l’horizon de 2035. Force est de constater que, pour remplacer plus de 20 % de la production par des énergies renouvelables, sans compter les hausses de consommation à venir, il faudra un engagement plus fort dans le développement des énergies solaire, éolienne, hydraulique ou encore géothermique. Cette évolution impliquera plus de moyens, plus de volontarisme et surtout plus d’acceptation de la part des citoyens. Elle doit aussi engendrer plus de mesures d’économies d’énergie.

Quand allons-nous réellement progresser en matière d’énergie renouvelable ? Notre pays a par exemple, sans doute, le meilleur « terrain de jeu » pour le développement de l’éolien en mer. Nous restons malheureusement des nains mondiaux en la matière.

En matière d’éolien terrestre, nous observons une schizophrénie bien française : on alterne entre volonté de développer une énergie propre et refus de la voir s’installer sur son territoire. Ce manque d’acceptation de la part des habitants illustre parfaitement un syndrome assez répandu : le « pas dans mon jardin », en bon français not in my backyard.

Pourtant, il faudra parfois faire des choix entre la préservation des paysages et le développement des modes de production renouvelables.

Comment dépasser certains blocages ? Peut-être en présentant le coût complet, financier et environnemental, des différentes sources d’énergie.

En outre, la production locale, voire l’autoproduction sont des thématiques qui se développent. Quel équilibre voyez-vous entre ce type de ressources et les grandes productions nationales ?

Augmenter le nombre de points de création d’énergie peut rapprocher la production des territoires, voire leur assurer une certaine autonomie, mais nécessite des compromis, notamment environnementaux.

Le deuxième positionnement que l’on pourrait attendre du Gouvernement vis-à-vis d’EDF concerne l’avenir de la filière nucléaire.

Avec cinquante-huit réacteurs, la France produisait en 2017 près des trois quarts de son électricité grâce au nucléaire. À titre de comparaison, aux États-Unis, seulement 20 % de l’électricité provient du nucléaire, contre 11,6 % en Allemagne et 4 % en Chine. Ces chiffres résultent des choix forts et ambitieux, depuis soixante-dix ans, d’une forme de stratégie gaullienne de souveraineté énergétique.

L’énergie d’origine nucléaire nous permet par ailleurs de produire peu de gaz à effet de serre. Nous estimons qu’il est important de conserver notre spécificité pour atteindre les objectifs fixés dans l’accord de Paris.

Je le disais plus tôt, les annonces en matière de nucléaire sont contradictoires et les choix du passé pèsent sur la santé d’EDF.

Aujourd’hui, le nucléaire français vacille, fragilisé par le poids de la dette et par le montant exceptionnel des investissements nécessaires pour rénover le parc et les nombreux retards de chantier : retards sur l’EPR de Flamanville et sur l’EPR finlandais, risques pesant sur les investissements et la rentabilité du projet d’Hinkley Point.

Tout cela pèse sur notre électricien, aujourd’hui endetté à près de 37 milliards d’euros – ce montant dépasse même le double si l’on y ajoute les emprunts obligataires –, soit trois fois plus qu’il y a dix ans, sans compter les investissements obligatoires, comme celui du grand carénage, qui devrait atteindre 100 milliards d’euros d’ici à 2030.

Outre la mauvaise santé financière d’EDF, dont son actionnaire ultra-majoritaire ne peut se désintéresser, vous devez forcément garder à l’esprit une préoccupation humaine et technique : il s’agit d’associer les salariés et les agents, de les motiver et de mettre en avant leurs savoir-faire.

Il faut accompagner ces changements, y compris pour préserver les connaissances technologiques nécessaires pour préparer l’avenir. Il ne faut pas non plus, pour sauver les apparences, démanteler et séparer les activités d’EDF, comme le projet Hercule pourrait le laisser penser.

Le troisième et dernier positionnement stratégique que je souhaite aborder a trait au prix de l’énergie.

À ce titre, la France est encore bien en dessous des autres pays en Europe et dans le monde, malgré une augmentation continue depuis treize ans – la hausse cumulée atteint ainsi 40 %. Ces tarifs sont l’un des rares avantages comparatifs dont bénéficient nos entreprises. La hausse des prix de gros sur les marchés de l’électricité a conduit les fournisseurs alternatifs à se reporter sur l’Arenh.

Le débat autour de cet accès régulé a eu lieu lors de l’examen du projet de loi relatif à l’énergie et au climat.

On pressent que ce modèle atteint ses limites. EDF continue d’investir et prend des risques, tandis que ses concurrents alternatifs font des choix d’opportunité entre le marché mondial et le marché protégé. Ce modèle amortit les hausses pour le consommateur final, mais ne reflète pas le véritable coût de l’électricité.

Face à la crise des « gilets jaunes » et aux demandes en matière de pouvoir d’achat, M. le Premier ministre annonçait, en décembre 2018, le gel des tarifs de l’électricité et du gaz jusqu’en mai 2019. Cette mesure n’a pas empêché une hausse en juin 2019, la plus forte depuis la libéralisation du marché en 2007, suivie d’une autre au mois d’août, due à l’augmentation des coûts de distribution.

Plusieurs questions se posent donc désormais. Quelle est la stratégie du Gouvernement en matière de prix de l’électricité ? Faut-il faire payer le prix réel au consommateur ? Allez-vous revoir le rapport entre EDF et ses concurrents, qui fait peser sur la seule entreprise historique le coût moindre de l’énergie en France ?

Madame la ministre, vous le constatez, nos questions sont nombreuses.

Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !

M. Hervé Marseille. Elles relèvent autant de la stratégie industrielle que des choix environnementaux de notre nation. Je pourrais conclure en évoquant la recherche, mais, faute de temps, j’abrège mon propos.

Nous attendons beaucoup de vos réponses, car nous voulons mieux comprendre la politique menée par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE. – M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat qui nous rassemble cet après-midi est au cœur de la réponse à l’urgence climatique, et le défi est de taille : changer notre production et notre consommation d’énergie, c’est changer plus de cinquante ans d’habitudes à tous les niveaux.

Relever ce défi, c’est d’abord une question de visibilité, de cap. C’est pour cela que la loi Énergie-climat nous donne un objectif clair : la neutralité carbone en 2050.

C’est donc une politique de transition énergétique que nous devons mettre en œuvre. Cela implique d’abord de sortir des énergies fossiles et de commencer par tourner la page du charbon. C’est pourquoi, avant 2022, nous allons fermer les quatre dernières centrales qui utilisent encore cette ressource.

Ces fermetures peuvent aussi être une occasion d’innover : à Cordemais, EDF mène un projet de production de biomasse à partir de déchets de bois, qui commencerait sa production en 2022. Ce dispositif alimenterait la centrale électrique de manière transitoire avant d’alimenter des réseaux de chaleur.

Nous allons également réduire la part du gaz et du pétrole. Pour ces deux énergies, la consommation baissera respectivement de 35 % et de 19 % d’ici à 2028.

Au-delà des énergies fossiles, la neutralité carbone est avant tout une affaire de sobriété énergétique. Là encore, notre cap est clair, avec un objectif intermédiaire : baisser ces consommations de 20 % d’ici à 2030.

Bien sûr, tous les secteurs sont concernés par cet effort. Toutefois, cet après-midi, je pense principalement à deux domaines, que vous connaissez bien pour en avoir longuement débattu ces derniers mois.

Le premier levier, ce sont les transports, qui représentent un tiers de nos consommations énergétiques. C’est pourquoi la loi d’orientation des mobilités nous met sur le chemin des mobilités de demain : transport ferroviaire,…

M. Fabien Gay. Avec le Perpignan-Rungis ?

Mme Élisabeth Borne, ministre. … transports publics, mobilités partagées, douces et propres.

Sur les dix ans de la PPE, nous devons baisser les consommations du secteur d’environ 15 % et multiplier les nouveaux vecteurs énergétiques, l’électricité, bien sûr, mais aussi l’hydrogène.

Le second levier de la sobriété énergétique, c’est le bâtiment, qui représente près de la moitié de la consommation énergétique. Vous avez voté la fin des passoires thermiques : il nous faut maintenant la mettre en œuvre.

Mme Élisabeth Borne, ministre. Tout en rénovant l’existant, nous devons veiller à minimiser la consommation énergétique des nouveaux bâtiments, car les constructions d’aujourd’hui seront debout à la fin du siècle. C’est donc dès le départ qu’il nous faut garantir les économies d’énergie. La réglementation environnementale 2020, ou RE 2020, sera l’occasion de mettre en œuvre cette nouvelle ambition.

La maîtrise des consommations énergétiques en complément de tarifs maîtrisés est un enjeu essentiel pour que la transition énergétique ne laisse aucun Français sur le bord de la route.

Une politique énergétique visant la neutralité carbone au milieu du siècle, c’est aussi la massification des énergies renouvelables.

Nous avons un rendez-vous en cours de route : 33 % d’ENR dès 2030. Tous les vecteurs énergétiques sont concernés. Il s’agit d’atteindre, en 2030, 38 % de chaleur renouvelable, 10 % de biogaz et 20 % à 40 % d’hydrogène vert. En outre, 40 % de l’électricité sera produite à base d’ENR. À ce titre, les deux filières ayant le plus fort potentiel sont connues : l’éolien et le photovoltaïque.

Ainsi, sept parcs ont été attribués à l’éolien en mer depuis 2012. Pour exploiter pleinement ce potentiel, nous visons à présent l’attribution d’un gigawatt offshore chaque année d’ici à 2024. Pour ce qui concerne le photovoltaïque, notre objectif est de multiplier par cinq la puissance installée d’ici à 2028 pour atteindre plus de 36 gigawatts.

Parce que les objectifs demandent aussi des moyens, au total, sur la décennie, 30 milliards d’euros seront mobilisés pour le développement des ENR électriques. Cette politique volontariste s’accompagne d’un objectif de diversification du mix électrique : nous allons réduire la part du nucléaire à 50 % à l’horizon de 2035.

Je suis convaincue que cette diversification des sources rendra notre système plus résilient ; dans cette politique énergétique vers la neutralité carbone, EDF a tous les atouts.

J’ai mentionné la baisse de la part du nucléaire en 2035. Pour EDF, cela signifie concrètement fermer quatorze réacteurs. Il s’agit d’une transition majeure, que nous allons accompagner, pour les salariés, les territoires et l’entreprise. La fermeture des deux réacteurs de Fessenheim dès l’année prochaine sera l’occasion de le démontrer.

Au-delà, quels que soient les choix du mix énergétique de la France pour le milieu du siècle, EDF sera l’une des clés de voûte.

EDF sera tout d’abord présente à travers les réseaux. Ces éléments centraux de notre système électrique nécessiteront des adaptations et des investissements importants dans les prochaines années, avec une production plus décentralisée, raccordée sur les réseaux de distribution ou les nouveaux parcs d’éolien offshore sur le réseau de transport ; avec les nouveaux usages, tels que la mobilité électrique ; avec une flexibilité plus importante des moyens de production et de consommation. Enedis et RTE joueront donc un rôle central pour accompagner la transition de notre système électrique.

S’agissant du mix énergétique, notre approche doit être raisonnée. Il faudra étudier tous les scénarios, en détailler les avantages et les inconvénients pour prendre une décision éclairée. En effet, cette transition énergétique pose des questions qui engagent notre pays tout entier. Peut-on avoir un système 100 % renouvelable, et à quel coût ? Dans quelles conditions la filière nucléaire pourrait-elle déployer un nouveau programme ? Et que ferons-nous des déchets ?

Si le choix se porte sur un nouveau programme nucléaire, EDF sera évidemment au premier plan. Elle devra être le fer de lance de la filière. Si l’on choisit de se tourner davantage vers l’énergie renouvelable, EDF est déjà au rendez-vous. Parmi ses projets, on compte quatre des sept parcs éoliens en mer et 30 gigawatts de photovoltaïque annoncés d’ici à 2035.

Mesdames, messieurs les sénateurs, oui, la transition énergétique de la France est un défi ; mais ce défi, nous allons le relever avec les acteurs historiques de l’énergie en France. Je suis convaincue qu’EDF en a les moyens et qu’ensemble nous y arriverons ! (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – Mme Françoise Cartron et M. Jérôme Bignon applaudissent également.)

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. Madame la ministre, permettez-moi d’appeler votre attention sur un sujet important ayant trait à l’hydroélectricité, plus précisément sur le renouvellement des concessions nationales.

Ainsi, le département des Pyrénées-Atlantiques est concerné par le renouvellement des trois concessions hydroélectriques de la vallée d’Ossau, située en Béarn, près de Pau. Ces délégations de service public de l’État sont arrivées à leur terme le 31 décembre 2012. Depuis, elles n’ont pas été renouvelées. S’ensuit une situation juridique instable de délais glissants, prorogeant de fait les concessions aux conditions antérieures.

Cette situation est de nature à porter préjudice aux collectivités territoriales du département, notamment aux communes, à l’intercommunalité et au conseil départemental. En effet, en cas de renouvellement de la concession, ces collectivités percevraient une redevance annuelle, conformément au code de l’énergie.

Comme vous le savez, la carence de l’État en la matière est susceptible d’engager sa responsabilité, tant en droit interne que du point de vue du droit européen. L’État risque également de devoir acquitter des indemnités importantes, compte tenu des dépassements de délais constatés.

Désormais, il est donc plus qu’urgent que l’État engage les démarches visant à mettre fin à la situation actuelle, non conforme au droit, de prorogation tacite des concessions. Pour ce faire, plusieurs solutions existent. Elles vont du lancement d’une nouvelle procédure de délégation de service public en vue de renouveler les concessions à la prorogation des concessions sous conditions de travaux – il s’agirait là d’une méthode encore plus rapide pour basculer vers un régime de redevance.

Quoi qu’il en soit, et quelle que soit la formule que l’État retiendra, le traitement rapide de cette situation s’impose.

Mme la présidente. Il faut conclure, chère collègue !

Mme Denise Saint-Pé. Qu’envisage de faire l’État sur ce sujet : se mettre en phase avec le droit européen ou maintenir une situation juridiquement insoutenable…

Mme la présidente. Il faut vraiment conclure !

Mme Denise Saint-Pé. … et très dangereuse pour les finances publiques ?

Mme la présidente. Chère collègue, je vous rappelle que vous disposez de deux minutes.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Le Gouvernement soutient pleinement l’hydroélectricité : c’est une énergie flexible et compétitive. En outre, les ouvrages d’hydroélectricité présentent des enjeux majeurs, qu’ils soient sociaux, économiques, d’aménagement du territoire, de sûreté ou de partage de la ressource en eau.

À la suite des deux mises en demeure formulées par la Commission européenne, en octobre 2015 au plan concurrentiel et en mars 2019 quant au respect des droits des concessions, de nombreux échanges ont lieu pour sortir du statu quo. J’ai moi-même eu l’occasion d’aborder ces questions avec la commissaire Vestager dès la mise en place de la nouvelle Commission.

Ces échanges n’ont pas abouti à une solution satisfaisant les deux parties. Le droit communautaire ne permet pas d’envisager l’option que vous présentez, madame la sénatrice, de prolongation des contrats de concession contre travaux.

À côté de l’option de mise en concurrence, le Gouvernement explore actuellement avec la Commission européenne une nouvelle voie permise par le droit des concessions : une quasi-régie permettant d’octroyer sans mise en concurrence des concessions à une structure publique dédiée. Naturellement, aucune décision n’est prise à ce stade : les discussions se poursuivent avec la Commission européenne.

Le renouvellement des concessions, par le biais d’une mise en concurrence ou via une structure publique dédiée, est une politique que nous souhaitons mener pour optimiser la gestion de nos barrages et y relancer l’investissement, tout en redistribuant des ressources financières vers les territoires par de nouvelles redevances.

En attendant qu’une solution structurelle soit mise en œuvre, nous avons mis en place en juin 2019 une redevance sur les concessions en délais glissants. Cette dernière, égale à 40 % du résultat des concessions échues, est reversée aux collectivités. Elle peut donc répondre aux difficultés financières que vous évoquez.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. L’accès régulé à l’électricité nucléaire historique est votre souci actuellement, madame la ministre, car il faut définir de nouvelles règles. Or, ce qui est parfaitement contestable, c’est le caractère historique : le nucléaire est un produit d’avenir, qui présente de forts besoins d’investissement. C’est vrai pour le grand carénage, c’est vrai pour les nouveaux EPR, et nous souhaitons profondément que des moyens financiers soient déployés pour développer, non seulement les RNR, mais aussi les SMR, c’est-à-dire les petits réacteurs modulaires.

Quelle orientation suivez-vous, au moment où vous devez négocier à Bruxelles un dispositif qui doit tenir compte des besoins à venir du nucléaire français ?

Notre parc nucléaire est certes un atout historique, mais il exige également des investissements forts. On ne peut pas indéfiniment condamner EDF à subventionner ses concurrents, qui, eux, ne participent en rien à l’effort de modernisation et de développement du nucléaire. Bref, quel est votre calendrier et quelle est votre orientation ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Hervé Marseille et Jean-Claude Requier applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. La discussion engagée avec la Commission européenne porte bien sur la régulation du nucléaire historique. D’ailleurs, pour un nouveau projet de production d’électricité, qu’il soit nucléaire ou renouvelable, il n’y a pas de discussion particulière à mener avec la Commission européenne pour avoir des tarifs régulés. Ainsi, au Royaume-Uni, le projet Hinkley Point est bien assorti d’un tarif d’achat. De même, quand on développe un parc éolien ou certains grands parcs photovoltaïques, on peut disposer d’un tarif de rachat et donc d’un prix régulé.

Pour le parc de production existant, un prix régulé a été décidé en 2012. Je le rappelle, ce montant a été fixé à partir des travaux de la commission Champsaur, en ajoutant une marge. Les coûts d’exploitation du parc nucléaire n’ayant pas fondamentalement évolué depuis, on peut supposer que ce prix permet de couvrir les coûts d’exploitation.

Il s’agit effectivement d’une discussion très importante, non seulement pour donner de la visibilité à l’entreprise quant à l’entretien de son parc, mais aussi pour protéger le consommateur français, qui assume cet investissement en faveur du nucléaire historique.

À l’échelle européenne, les fluctuations tarifaires peuvent être liées au prix du carbone ou encore aux crises que connaissent les pays producteurs de pétrole. C’est dans cet esprit que nous poursuivons nos discussions avec la Commission, pour sécuriser dans la durée la régulation du nucléaire historique.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour la réplique.

M. Gérard Longuet. L’énergie nucléaire, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, a été supportée par les Français à un moment où l’énergie fossile était bien meilleur marché. Grâce à l’effort que nous, consommateurs, avons alors consenti, la France a développé un savoir-faire, une industrie, une technologie. Il faudrait que Mme Vestager accepte une bonne fois pour toutes que le droit de la concurrence ne doit pas priver l’Europe d’atouts industriels majeurs, à l’instar du nucléaire d’EDF. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. Jérôme Bignon, Jean-Michel Houllegatte et Jean-Claude Requier applaudissent également.)