M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez en particulier sur les violences contre les élus, locaux ou nationaux.

La préoccupation et la vigilance du Gouvernement sont maximales face à la recrudescence constatée du nombre d’agressions contre des élus locaux, des parlementaires ou leur permanence. Ainsi, la garde des sceaux prépare une circulaire, qui sera diffusée dans les prochains jours à l’ensemble des procureurs généraux et des procureurs de la République, afin de rappeler que les infractions commises contre les élus, qu’ils soient dépositaires de l’autorité publique, comme les maires, ou chargés d’une mission de service public, comme les parlementaires, sont aggravées du fait de leur qualité ; que la réponse pénale, si elle doit être adaptée aux faits et à la personnalité des auteurs, doit être systématique, après défèrement des mis en cause dans les cas les plus graves ; et que les élus victimes doivent être systématiquement tenus informés des suites données à leur plainte.

Plus largement, le dialogue entre les élus, les forces de police et les parquets, déjà permanent, doit être une priorité, car, au-delà du meilleur traitement de la délinquance qu’il permet, il doit aider à comprendre les préoccupations et les alertes et, ainsi, à mieux prévenir les atteintes aux élus, négation même de la démocratie.

Outre les élus, vous avez cité le cas des pompiers ; d’autres autorités, comme les magistrats ou les journalistes, sont également concernées, sans oublier les personnels d’accueil de certains établissements. Nous devons être particulièrement vigilants pour tous et, à chaque fois, trouver une réponse adaptée aux faits graves qui sont commis.

M. le président. La parole est à M. Christophe Priou.

M. Christophe Priou. Je serai factuel, en prenant l’exemple le plus visible, le plus spectaculaire, du recul permanent de ces dernières années : l’échec du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes.

Cet échec, c’est l’abandon de l’État de droit en zone rurale sur des milliers d’hectares, la démission des pouvoirs publics face à la violence de groupuscules, des voies publiques confisquées au détriment de la circulation : bref, une zone où la République s’est effacée pendant plusieurs années. (M. Serge Babary opine.)

En 2016, les manifestations violentes à Nantes ne furent ni interdites ni autorisées : étonnante jurisprudence que ce « ni-ni » en plein état d’urgence… Sans oublier un référendum dont on n’a pas tenu compte.

En mai 2017, de l’aveu même du Premier ministre, l’ensemble des autorités administratives et juridictionnelles s’étaient prononcées dans le sens d’un feu vert au projet. C’est pourtant le même Édouard Philippe qui, le 17 janvier 2018, annonça l’abandon définitif du projet, faisant fi de plus de 170 décisions de justice favorables.

Sous la présidence d’Emmanuel Macron, une mission de médiation partisane a été nommée. L’impartialité des trois médiateurs a été remise en cause sur le fondement d’éléments indiscutables. Ainsi, ils ont largement minoré les prévisions de trafic. C’est comme si, lors de l’élaboration d’un plan local d’urbanisme, on nommait commissaire enquêteur un propriétaire foncier pour ouvrir les droits à construire : aucun maire ne pourrait l’admettre, ni l’État d’ailleurs avec son contrôle de légalité.

Pour couronner le tout, un représentant de l’État, le préfet de région, est allé trinquer avec les zadistes à l’annonce de l’abandon du projet…

Chaque fois que le politique manque de courage, c’est l’État qui s’affaiblit. Et l’État qui faiblit, c’est le recul du droit !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je ne reviendrai pas sur le fond du dossier de Notre-Dame-des-Landes. Vous m’interrogez sur l’adéquation entre l’État de droit et ce que cette affaire pourrait, selon vous, signifier.

Au fond, dans le processus que vous avez décrit, l’État de droit a reculé chaque fois que l’État a refusé de prendre une décision et de la faire appliquer dans les périodes qui ont précédé l’entrée en fonction de ce gouvernement – sous des gouvernements que, du reste, vous ne souteniez pas forcément.

La vérité, c’est que, pendant cinq, six, sept ans avant la décision prise par le Premier ministre en 2018, on a laissé s’installer, avec la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, une situation intenable. C’est là que l’État de droit a reculé : tout en continuant à œuvrer pour le projet, on ne se donnait pas les moyens de le faire aboutir et on laissait s’installer une zone de non-droit.

La décision du Premier ministre, qui n’était pas simple, a permis de clarifier, enfin, la position de l’État : à force de dire à la fois « on fait » et « on laisse faire », on ne laisse rien faire… D’une part, nous renoncions au projet tel qu’il était conçu, en prévoyant des mesures d’accompagnement – je sais, monsieur le sénateur, que vous êtes vigilant à cet égard – ; d’autre part, il fallait que la ZAD soit évacuée. C’est une reconquête territoriale qu’il a fallu opérer sur ce territoire, devenu, comme vous l’avez bien expliqué, une zone de non-droit.

Je vous signale que des zones de même nature étaient en train de se constituer et que le Gouvernement a agi pour éviter que ne se reforme, notamment à Bure, ce qui s’était développé à Notre-Dame-des-Landes.

Ainsi, nous nous sommes efforcés, d’une part, d’assurer l’État de droit en faisant cesser une occupation illégale et, d’autre part, pour les projets à venir, de tirer les conséquences de l’expérience de Notre-Dame-des-Landes, douloureuse pour ce territoire, afin d’éviter que des situations de même nature ne bloquent des projets ou ne donnent naissance à des zones de non-droit dans la République française. C’est dans cet esprit que nous avons œuvré à Notre-Dame-des-Landes, à Bure et ailleurs.

M. le président. La parole est à M. Christophe Priou, pour la réplique.

M. Christophe Priou. Il faut rappeler aussi, monsieur le ministre, la promesse non tenue du candidat devenu Président de la République de respecter le résultat du référendum…

Sans oublier les décisions annoncées hier par le Gouvernement : la prolongation de 400 mètres de la partie sud de la piste de l’aéroport actuel en direction de l’une des plus grandes zones humides de France et le sacrifice d’habitants de la banlieue nantaise, notamment ceux de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, qui subiront les nuisances actuelles et futures. Au bout du compte, le coût du projet pourrait atteindre le prix d’un aéroport neuf !

Ce compromis, aujourd’hui, tutoie l’abandon et le renoncement : c’est bien la conséquence du recul de l’État de droit !

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert. La liberté de la presse, une pierre angulaire de notre État de droit, est d’autant plus nécessaire que jamais notre société n’a été aussi informée par les chaînes d’information, internet, les réseaux sociaux et même les médias traditionnels. D’ailleurs, ceux qui souhaitent nuire à la démocratie commencent souvent par s’en prendre à la presse.

Voici ce que disait un de nos illustres prédécesseurs, Victor Hugo : « La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c’est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l’une c’est attenter à l’autre. »

Le dernier rapport de Reporters sans frontières fait état, pour la seule année 2018, de la mort de 80 journalistes, dont 49 assassinés en raison de leur profession. En dix ans, ce sont 702 journalistes qui ont trouvé la mort dans ces conditions. Par ailleurs, 348 journalistes sont en détention et 60 gardés en otage. Voilà l’état de la presse dans le monde !

Nous vivons dans un pays qui garantit la liberté la presse en la rattachant à notre Constitution, et c’est une chance. Pourtant, chez nous aussi, des menaces existent.

Elles sont, d’abord, d’ordre financier : la situation économique de la presse se dégrade, laissant apparaître des concentrations inédites, avec des risques pour l’indépendance des titres, et des achats d’éditeur sans respect des rédactions, malgré nos lois. De plus en plus de journaux et de chaînes peinent à produire de l’information par manque de moyens. Actuellement, nous nous débattons face aux Gafam pour que la presse bénéficie de la valeur qu’elle crée.

Les menaces sont aussi d’ordre international, avec la divulgation par certains États ou personnes affiliées d’infox qui influencent l’issue d’élections ou de référendums et, plus généralement, s’attaquent au débat démocratique.

Elles sont, enfin, d’ordre sociétal, car une parole violente s’exerce contre les journalistes, ouvrant la voie à des attaques physiques contre ceux qui se rendent sur le terrain.

Mis bout à bout, ces périls nuisent à la liberté de la presse dans notre pays ; par la violence ou les risques de contentieux, ils créent une forme d’autocensure chez les journalistes.

À la lumière de constat, monsieur le ministre, quelles actions le Gouvernement compte-t-il entreprendre pour protéger la liberté de la presse, dans un moment où nous en avons tant besoin ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, je commencerai par la dimension économique de votre question. Même si elle n’est peut-être pas l’aspect le plus important de la liberté de la presse, il est nécessaire que les journalistes et les éditeurs puissent travailler dans un cadre qui leur permette de vivre de leurs publications.

David Assouline, au Sénat, et Patrick Mignola, à l’Assemblée nationale, quoique d’horizons politiques différents et siégeant dans deux assemblées de sensibilités politiques différentes, ont uni leurs efforts sur la question des droits voisins. Nous avons été les premiers à proposer la transposition de la directive européenne, votée à l’Assemblée nationale et au Sénat. Je rends hommage au travail qui a été accompli afin que les journalistes soient rémunérés pour leur travail, y compris quand leurs articles sont publiés sur les plateformes.

Il se trouve que la société Google a décidé de ne pas respecter la directive européenne. C’est dans le cadre européen qu’il faut mener le bras de fer, et je suis sûr que nous y arriverons.

On voit bien que c’était une première étape. Les géants du numérique, nous le voyons bien, s’efforcent de ne pas payer le travail des journalistes. Dans ce domaine, nous ne pourrons avancer que si l’Europe sait faire valoir sa puissance vis-à-vis des Gafam.

Le travail réalisé sur la loi dite Bichet pour moderniser la distribution de la presse vise aussi à assurer à celle-ci une rémunération juste, afin qu’elle vive mieux de son travail.

Si la France, comme vous l’avez souligné, garantit mieux la liberté de la presse, nous devons permettre aux journalistes de travailler dans des conditions satisfaisantes, en particulier lors des manifestations.

Ils doivent aussi pouvoir exprimer leurs opinions et avis. À cet égard, je me souviens que, au moment de la crise dite des « gilets jaunes », certains manifestants, certes peu nombreux, ont empêché la publication ou la distribution d’un journal de l’ouest de la France, parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec l’éditorial d’un journaliste : c’est une entrave à la liberté de pensée et à la liberté d’opinion. Nous avons agi pour que chacun puisse exercer cette liberté comme il l’entend.

Nous avons besoin, comme contre-pouvoirs, de journalistes qui expriment leurs opinions. Soyez assurée, madame la sénatrice, que le Gouvernement est particulièrement vigilant à ce sujet !

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.

Mme Sylvie Robert. La loi sur le secret des affaires, celle sur la manipulation de l’information, la proposition de loi que nous examinerons bientôt relative à la haine sur internet témoignent d’une forme de judiciarisation de l’information hors du cadre protecteur de la loi de 1881. Cet enjeu nécessite un engagement de tous, singulièrement du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Un État de droit digne de ce nom, c’est un État qui assure la primauté du droit, l’égalité devant la loi, la responsabilité au regard de la loi, l’équité dans l’application de celle-ci, la séparation des pouvoirs, la participation à la prise de décision, la sécurité juridique, le refus de l’arbitraire et la transparence des procédures. En d’autres termes, peut se prévaloir de ce nom un État dans lequel le droit s’impose à tous. Or de nombreuses situations nous portent à croire que notre État de droit s’est étiolé et que certains mouvements minoritaires, souvent radicaux, pèsent davantage dans notre démocratie que la majorité silencieuse.

Si notre État de droit est aujourd’hui menacé, c’est en raison de la fragilisation de l’un des piliers sur lesquels il se fonde : l’autorité de l’État. L’exemple de la retenue d’eau de Sivens est évocateur.

Alors que l’ensemble des acteurs agricoles et publics s’étaient accordés sur un projet, celui-ci a été abandonné en décembre 2015, en catimini. Ce projet de retenue d’eau devait permettre la constitution d’une réserve d’environ 1,5 million de mètres cubes d’eau, utilisable pour l’irrigation des terres agricoles. Sa réalisation était indispensable pour développer des cultures porteuses de valeur ajoutée comme le maraîchage et les semences, pour favoriser l’autonomie fourragère et encourager l’installation.

Le 9 octobre dernier, l’instance de coconstruction, selon les termes devenus habituels, chargée de trouver une alternative à la retenue d’eau de Sivens a décidé de lancer un complément d’étude sur les besoins en eau dans la vallée du Tescou. Si l’on peut se féliciter que le principe de la création d’une retenue ait été à nouveau entériné, je forme le vœu que d’autres groupes minoritaires ne viennent pas reporter l’échéance d’un chantier attendu par l’ensemble des acteurs agricoles.

Monsieur le ministre, le Gouvernement peut-il s’engager à faire respecter, cette fois, l’État de droit, en veillant à ne pas reproduire les erreurs du passé et en allant au bout du projet ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez rappelé, la démocratie, c’est la loi de la majorité, dans le respect des minorités, qu’il faut toujours garder à l’esprit, et dans le dialogue.

À Sivens, la situation était très complexe – vous le savez beaucoup mieux que moi –, avec un abcès de fixation et des affrontements entre les forces de l’ordre et des zadistes très violents qui ont conduit, malheureusement, à la mort d’un manifestant, Rémi Fraisse, en 2014.

Une telle situation pose la question de notre capacité à mener globalement des projets d’intérêt général d’envergure. Ce n’est pas simple, surtout quand l’abcès de fixation existe déjà, ce qui était le cas à Sivens.

De même qu’il a tiré pour Bure les leçons de Notre-Dame-des-Landes, le Gouvernement a pris ses responsabilités pour éviter que ne se forment des abcès de fixation comme celui de Sivens.

Le besoin en eau, avéré, sera grandissant dans les années à venir. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, le président du conseil départemental et l’ensemble des élus se mobilisent pour trouver une solution alternative.

Comme le ministre de l’agriculture et le Premier ministre lui-même l’ont souligné, le Gouvernement entend que les retenues collinaires et barrages nécessaires à certains territoires pour continuer à développer une activité agricole soient réalisés dans des conditions à la fois acceptables par les populations et respectueuses de l’État de droit.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.

M. François Bonhomme. Monsieur le ministre, je prends acte de votre réponse, qui d’ailleurs ne me surprend pas.

Au-delà des principes généraux du droit du rappel de la nécessité d’une concertation et d’une coconstruction, il faut maintenant passer à l’action.

Dans le Sud-Ouest, nous avons un problème considérable – non pas depuis hier, mais depuis des années. Aucun projet n’a abouti en Tarn-et-Garonne ! Si l’on ajoutait tous ceux qui sont mort-nés par anticipation de la faiblesse de l’État, croyez-moi, la facture serait lourde.

Nous allons au-devant de gros problèmes de ressource en eau. Il y aura des coupures d’eau, dont nos concitoyens ne mesurent pas aujourd’hui encore les conséquences, si rien n’est fait, et urgemment !

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher.

M. Jérôme Bascher. Monsieur le ministre, ma question porte sur le recul de l’ordre public.

Sur ce sujet, je pourrais parler du recul de l’État de droit dans les banlieues, du recul de l’ordre public dans certains lieux de culte, déjà assez longuement évoqué, ou du recul de l’ordre public dans l’affaire de l’aéroport de Nantes ou à Sivens ou Bure – M. le ministre a déjà largement répondu sur ce point, ce dont je le remercie, car il n’est pas toujours facile de répondre au pied levé. Mais c’est une dimension plus moderne et plus lancinante du recul de l’ordre public que je souhaite souligner : je veux parler de la désobéissance civile.

De plus en plus, des groupes d’action pas toujours identifiés, des collectifs, qui ne veulent pas forcément du bien à la République ni à la loi, donnent des mots d’ordre de désobéissance civile consistant, en vérité, à empêcher les autres d’exercer leurs libertés. Sans doute, ces actions sont souvent pacifiques ; mais, parfois, quelques individus, peut-être intellectuellement mieux armés, incitent les uns ou les autres à un peu plus de violence ou sont le ferment d’une violence par complicité. (M. Jean-Claude Requier opine.)

M. François Bonhomme. Extinction Rebellion !

M. Jérôme Bascher. C’est ainsi que, la semaine dernière, on a vu une place de Paris occupée et la circulation empêchée pour les Parisiens – lesquels n’ont pas besoin de cela, car, hélas, la mairie de Paris se charge habituellement d’eux… Le comble, c’est que ce groupe a laissé ses ordures sur place, alors qu’il prétend sauver la planète !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, la désobéissance civile est un mouvement assez ancien, né aux États-Unis au XIXe siècle des écrits d’Henry Thoreau, théoricien de cette forme d’action utilisée ensuite par Gandhi. Mais on est parfois un peu loin de Gandhi…

De fait, à côté des grandes références intellectuelles ou politiques, on voit se développer depuis plusieurs années des mouvements qui s’inspirent de ce concept, même si, parfois, ils s’en éloignent. On y trouve des opposants à des projets publics, des collectifs anticapitalistes, des groupes qui entendent alerter contre tel ou tel danger, comme le réchauffement climatique.

Ce phénomène est multiforme, et ces mouvements s’estiment légitimes, parce qu’ils défendraient des idéaux plus élevés que l’intérêt général recherché par les élus. Cette critique de la démocratie représentative conduit trop souvent à ignorer la loi, voire à la combattre, au nom d’une conscience individuelle qui surplomberait la délibération démocratique. Le Gouvernement ne peut évidemment souscrire à une telle conception.

Il faut être attentif à ces mouvements, porteurs de questions parfois essentielles, mais aussi considérer les modes d’action, qui consistent souvent à prendre en otage des projets publics, à occuper des sites et à restreindre la liberté de circulation ou simplement d’activité d’un certain nombre de nos concitoyens, comme à Paris récemment. Cela n’est pas acceptable, lorsque ces groupes débordent du droit légitime et constitutionnel de manifester.

Je continue de penser que, en démocratie, tout engagement, associatif, politique collectif ou personnel, est utile ; mais le respect de la démocratie représentative et de l’État de droit est un cadre indépassable.

Sans doute serons-nous appelés à légiférer en la matière. Je sais que le Sénat a travaillé sur le délit d’entrave. Nous devrons trouver l’équilibre qui garantisse les libertés constitutionnelles et permette à chacun d’exercer sa profession ou à des projets publics de voir le jour dans le cadre légal.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour la réplique.

M. Jérôme Bascher. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre réponse. Avec certains appels à la désobéissance civile, on est parfois plus dans le bandit que dans le Gandhi…

Il est vrai que le Sénat, sur l’initiative de Jean-Noël Cardoux et avec le soutien du Gouvernement, a voté le délit d’entrave. Je crois beaucoup à la liberté d’expression et aux causes nobles que défendent parfois ceux qui appellent à la désobéissance civile – j’ai parlé de bandits, mais ce ne sont pas de vrais bandits… –, mais il faudra que ce texte soit adopté aussi par l’Assemblée nationale, afin que l’État de droit progresse.

Conclusion du débat

M. le président. Pour clore le débat, la parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour le groupe socialiste et républicain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons ce soir un débat dans le cadre de notre semaine de contrôle. Pourtant, peut-être à la surprise du ministre, qui a bien voulu suppléer la garde des sceaux, il s’est passé quelque chose.

Le groupe socialiste a souhaité que nous débattions sur le thème : « Y a-t-il un recul de l’État de droit en France ? » Le contrôle de l’exécutif par le Parlement est nécessaire, et nous avons tendance à considérer que le Gouvernement nous écoute peu. L’incidence de ce type de débats est faible, mais nous avons un rôle d’alerte. Ce soir, je crois que nous l’avons joué. J’espère, monsieur le ministre, que vous en serez le porte-parole auprès de Mme la garde des sceaux.

Tous ici, nous sommes fidèles à des valeurs et attachés à l’esprit des institutions ; tous, sur l’ensemble des travées, nous ne nous accommodons pas d’être de simples spectateurs d’un recul de l’État de droit. Au-delà du groupe socialiste, vous avez entendu, monsieur le ministre, toutes les inquiétudes qui se sont exprimées.

Au regard du glissement dont nous sommes les témoins et des empiétements répétés de votre majorité sur les libertés fondamentales, la question que nous avons posée semble se poser avec acuité : pouvons-nous considérer que, face à l’un des principaux défis de notre temps, le terrorisme, notre démocratie peut rester forte sans se renier elle-même ? Sur ces travées, visiblement, la réponse va au-delà de la gauche.

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous remettre un livre, écrit par un de vos camarades de combat – puisqu’il a écrit les statuts du parti En Marche. (Loratrice brandit louvrage en question.) L’auteur conteste cet accommodement avec le « surveiller plus » et le « châtier davantage », après le terme de la peine s’il le faut, pourquoi pas avant même que le crime ne soit commis et en se passant parfois des droits de la défense.

La surveillance peut s’étendre graduellement, explique François Sureau, comme d’ailleurs Mireille Delmas-Marty, autre autorité. Transiger avec les libertés publiques dans une quête inaccessible de la sécurité absolue, c’est déjà renoncer à l’État de droit !

Seulement, nous avons un ministre de l’intérieur qui ne pense pas la même chose. Selon lui, « rien ne menace la liberté si ça permet de lutter efficacement contre le terrorisme ». Or l’expérience prouve qu’un régime ne peut rester démocratique que si la liberté est soigneusement garantie, y compris en limitant l’État. Vous en avez eu de nombreuses illustrations ce soir.

Sophie Taillé-Polian a rappelé la décision de faire entrer le droit d’urgence dans le droit commun.

Mme Benbassa a souligné que l’on en était venu à soupçonner chaque manifestant d’être un fauteur de troubles en puissance.

M. Leconte a insisté sur la marginalisation du rôle du pouvoir judiciaire et le renforcement du pouvoir administratif.

M. Babary a rappelé que le Président de la République avait appelé à une société de vigilance, qui implique le soupçon de tous par tous.

M. Delahaye a souligné que, pour lutter prétendument contre les contenus haineux sur internet, on permet désormais aux opérateurs du numérique de pratiquer la censure. N’est-ce pas là un recul de l’État de droit, tout comme le fait de permettre au juge des référés de supprimer des informations ?

Comme l’a pointé Sylvie Robert, la convocation de journalistes par la DGSI constitue un recul de la liberté de la presse. N’est-ce pas un autre recul de l’État de droit ?

Nous avons aussi évoqué la sécurité publique, l’usage et la doctrine d’emploi des forces de l’ordre, la création d’une brigade de répression des actions violentes motorisée – qui rappelle une brigade des voltigeurs.

Le fait de mettre des semaines à rendre compte des conditions de la mort de Steve, l’homme tombé dans la Loire le soir de la Fête de la musique, de ne toujours pas nous donner les conclusions de l’IGPN sur les très nombreuses violences policières qui ont été constatées au moment des manifestations des « gilets jaunes » ou de mesurer l’efficacité en matière d’encadrement des manifestations par le nombre de mutilations, ne sont-ils pas autant de reculs de l’État de droit ?

Enfin, le fait de discréditer – vous n’avez finalement pu y résister, alors que vous êtes le ministre chargé des relations avec le Parlement – toute tentative de contrôle, qu’il s’agisse du contrôle parlementaire – le président Requier l’a évoqué –, comme au moment de la commission d’enquête dite Benalla, ou du contrôle citoyen, au travers de la proposition de loi référendaire sur la privatisation d’ADP, dont on ne peut pas dire que l’État manifeste un enthousiasme excessif alors que c’est son obligation de l’organiser, constituent d’autres reculs de l’État de droit.

Au-delà de la gauche, nous avons voulu vous alerter sur le fait que les digues cèdent les unes après les autres face à la montée des extrémismes politiques dans notre pays. Ce que nous cédons, ce que vous cédez aujourd’hui par facilité, ou parfois peut-être par ignorance, c’est l’esprit même de nos institutions : la séparation des pouvoirs, le contrôle des gouvernants par les citoyens et leurs représentants et l’indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir politique.

Cette alerte, que le groupe socialiste voulait vous adresser, a résonné bien au-delà de ses travées, même si je note que le groupe La République En Marche n’a pas estimé devoir vous interroger sur ce sujet – j’aurais pu également lui offrir l’ouvrage susvisé, mais je le ferai à une autre occasion. Quoi qu’il en soit, nous espérons que vous l’aurez entendue. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)