M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi de transformation de la fonction publique aborde une réforme capitale, dont nous attendons qu’elle permette à l’État de se doter des instruments législatifs nécessaires pour la redéfinition de l’action publique, tant à l’échelon national que dans nos territoires, afin de se recentrer sur les services jugés utiles par nos concitoyens.

Les récents mouvements sociaux traduisent le décalage qui s’est creusé depuis des décennies entre les usagers et leurs services publics, qu’ils jugent inadaptés ou trop éloignés. Au sein des fonctions publiques, les crises se multiplient : crise de vocation dans les juridictions et les écoles, crise de l’épuisement dans les hôpitaux, les casernes, les prisons et les commissariats, crises de nerfs aux finances.

Ce décalage entre, d’un côté, des administrés insatisfaits et, de l’autre, des agents épuisés doit nous conduire, sur toutes les travées de cet hémicycle, à aborder avec lucidité, plutôt qu’avec idéologie, la question de la réaffectation des moyens administratifs humains par service et par zone géographique, en fonction des besoins exprimés sur le terrain et dans le cadre d’une dépense publique maîtrisée. À force de temporisations, la situation s’est cristallisée : il y a désormais urgence à agir.

Le premier obstacle à la réforme de l’État réside dans l’importance du nombre d’agents publics. On ne transforme pas une organisation rassemblant 5,5 millions de personnes comme une entreprise de plusieurs dizaines de salariés. Mais là où d’autres grandes démocraties sont parvenues à faire leur aggiornamento administratif – je pense par exemple à la réforme du NHS, le système national de santé britannique –, la réforme de l’État est restée une question taboue en France.

Elle a tout du moins toujours été réduite à sa seule dimension quantitative, avec la fixation d’objectifs chiffrés de réduction du nombre de fonctionnaires, et confinée aux discussions interministérielles, sous le pilotage de la puissante direction générale de l’administration et de la fonction publique, dès la circulaire du 23 février 1989.

On peut également considérer que certaines positions syndicales conservatrices ont eu leur part de responsabilité dans les difficultés d’adaptation des services : alors qu’il aurait fallu saluer et encourager l’ouverture de l’emploi public à des profils issus du privé, ou encore le recours aux nouvelles technologies, ces éléments ont été systématiquement perçus comme des attaques portées au statut.

Ainsi, dans bien des administrations, la transition numérique s’est fait dos au mur ou en catimini, avec la suppression des fonctions de secrétariat. Les nouvelles générations de fonctionnaires en paient aujourd’hui le prix fort.

C’est pourquoi nous soutenons l’approche du Gouvernement que vous défendez aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, qui est celle non pas du chiffre, mais de la subsidiarité. Plusieurs nouveaux outils que vous proposez devraient permettre le redéploiement d’agents publics là où ils seront utiles : je pense aux instruments d’encouragement à la mobilité géographique et à l’intérieur de la fonction publique, prévus à l’article 26, ou encore au détachement d’office, qui devrait faciliter les externalisations et permettre aux décideurs publics de tester différentes formes de gestion d’un service public.

Vous vous attaquez également à la crise des vocations en offrant aux fonctionnaires en souffrance une voie facilitée de reconversion professionnelle hors du secteur public par la consécration d’une forme de rupture conventionnelle et par l’ouverture du recours à la forme contractuelle entre les employeurs publics et les agents. Il s’agit d’une adaptation intelligente aux aspirations de mobilité professionnelle des « enfants du numérique », comme les nommait le philosophe Michel Serres il y a peu encore.

Cependant, nous y mettons plusieurs conditions.

Il est d’abord nécessaire que, comme en matière de concours, l’accès à l’emploi public par voie contractuelle offre des garanties de transparence et d’équité satisfaisantes. Il est question pour nous de passer non pas à un spoil system, mais à un système de recrutement hybride destiné à permettre le recrutement de profils plus variés pour enrichir l’action publique.

L’apport de ces agents contractuels doit être mieux valorisé, afin qu’ils ne soient pas traités comme de simples variables d’ajustement, moins rémunérés et moins protégés que les agents statutaires. C’est le sens de plusieurs de nos amendements relatifs au contrat de projet, à la requalification en CDI, ou encore à la reconnaissance de l’expérience de ces personnels au moment de leur recrutement ou, par la suite, lorsqu’ils se décident à passer des concours. Certains de ces amendements ont été considérés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution, mais nous engagerons tout de même le débat lors des explications de vote. En effet, nous déplorons le fait que l’alignement des salaires entre contractuels et agents du service public soit perçu comme une charge dans l’examen de ce texte : cela ne devrait pas être le cas s’ils étaient rémunérés dans des conditions identiques. On est donc loin d’un développement de la contractualisation dans des conditions égales entre fonctionnaires et contractuels !

Enfin, nous sommes particulièrement vigilants à ce que les allers-retours entre le secteur public et le secteur privé se fassent dans des conditions plus satisfaisantes pour l’intérêt général. Plusieurs travaux parlementaires ont mis en lumière les défauts du système de contrôle déontologique actuel. Nous nous félicitons de constater que, à l’issue des débats à l’Assemblée nationale, le texte que vous proposez, monsieur le secrétaire d’État, reprend les propositions du groupe du RDSE soutenues par ma collègue Josiane Costes et adoptées par le Sénat en début d’année 2018.

Pour clore ce sujet, les fonctionnaires doivent envisager l’augmentation du nombre d’agents contractuels non comme la remise en cause de leur statut, mais comme l’enrichissement d’un corps administratif unique par une nouvelle composante destinée à pallier les défauts de la composante historique, laquelle n’a pas vocation à disparaître.

Je crois que cette approche pragmatique est également partagée par nos deux rapporteurs, dont je tiens à saluer le travail considérable.

À quelques réserves près, nous soutenons les modifications apportées au texte telles que le meilleur encadrement des habilitations à légiférer par ordonnances, la suppression de l’habilitation réformant le dialogue social qui n’a pas été assez préparée, le maintien des questions de rémunération et d’avancement dans le champ de compétence des CAP, et les modifications introduites en faveur des employeurs publics locaux qui leur offrent ainsi de plus grandes marges de manœuvre dans la gestion des ressources humaines.

Nous proposons d’ailleurs de renforcer le droit de regard des collectivités territoriales sur la mise en œuvre des détachements d’office de fonctionnaires d’État lorsqu’ils auraient des répercussions locales, comme le dénoncent déjà les comités techniques spéciaux, les CTS.

Sur d’autres points, comme la suppression de la prime de précarité pour les agents contractuels de la fonction publique hospitalière, nous sommes nettement plus circonspects.

Cela dit, si nous soutenons le développement de la politique du handicap au sein de la fonction publique et si nous avons entendu l’argument du Gouvernement, qui souhaite faire converger les normes publiques et privées en la matière, nous ne partageons pas votre conviction, monsieur le secrétaire d’État. De la même manière, nous espérons que nos échanges pourront apporter une solution à l’épineuse question du financement de l’apprentissage.

Je conclurai en exprimant quelques regrets sur un outil de management qui me paraît insuffisamment encouragé par le texte : celui de la valorisation du mérite par l’individualisation des primes. On connaît l’attachement des syndicats aux primes d’intéressement collectif, qui sont particulièrement justifiées dans des services sous tension. Le projet de loi prévoit justement de les étendre aux services hospitaliers. Pour autant, dans de grands organigrammes comme ceux des ministères, nous considérons que de nouveaux outils auraient pu être mis en place pour distinguer le mérite individuel dans la construction de la carrière.

Certes, quelques initiatives ont été développées avec des partenaires, comme les Victoires des Acteurs publics. Le remplacement de la notation par un entretien individuel va aussi dans le bon sens, mais les liens entre promotion et mérite pourraient être davantage renforcés, quand bien même cela atténuerait le sacro-saint principe de l’ancienneté. On touche là, malheureusement, aux limites du domaine législatif. Quoi qu’il en soit, le groupe du RDSE soutiendra toute initiative réglementaire en ce sens.

Au regard de tous ces éléments, monsieur le secrétaire d’État, mon groupe aborde l’examen de ce projet de loi avec bienveillance. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en propos liminaire, je rappelle que ce sont 5,5 millions d’agents qui œuvrent au quotidien pour la bonne organisation des services publics. Je souhaite saluer leur travail à cette tribune.

La fonction publique constitue notre bien commun. Il convient de la préserver tout en modernisant son organisation.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, bien qu’il ne traduise pas une réelle vision de l’action publique, comporte une palette d’outils pouvant permettre une meilleure gestion des ressources humaines.

Il ne procède pas à une véritable « transformation » de la fonction publique, mais il comporte une série de modifications, souvent techniques, dans trois domaines : la simplification du dialogue social et les nouveaux outils managériaux ; l’élargissement du recours aux contractuels ; le renforcement de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Il vise également à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances sur des thèmes sensibles : le dialogue social, la formation des agents, ce qui comprendrait la réforme de la haute fonction publique, et la santé au travail.

Je me réjouis que le travail en commission ait notamment eu pour objectif de préserver les spécificités de la fonction publique territoriale et de mieux répondre aux attentes des employeurs locaux.

En effet, la fonction publique territoriale constitue un maillon indispensable de l’organisation décentralisée de la République, notamment pour la gestion des services publics de proximité, comme les polices municipales, les cantines et les crèches.

Je me réjouis que la commission ait donc donné plus de prévisibilité aux élus locaux en obligeant l’État à publier une feuille de route triennale dans laquelle il indiquerait l’incidence financière sur les budgets locaux de ses décisions en matière de ressources humaines.

Je me félicite également de ce que la commission ait veillé à accorder davantage de souplesse, notamment en permettant aux communes de moins de 2 000 habitants de pourvoir l’ensemble de leurs emplois par voie contractuelle et en élargissant le contrat de projet aux agents de catégorie C.

Par ailleurs, je tiens à souligner la volonté de la commission de donner de nouveaux outils aux employeurs territoriaux en limitant à cinq ans la durée de prise en charge des fonctionnaires momentanément privés d’emploi, en facilitant le licenciement pour insuffisance professionnelle et en renforçant le régime disciplinaire, tout en réaffirmant le caractère paritaire des conseils de discipline.

Enfin, je suis satisfait que la commission ait sécurisé le financement de l’apprentissage dans la fonction publique territoriale.

La fonction publique territoriale emploie actuellement 14 000 apprentis. Depuis la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, les régions ne sont plus compétentes pour financer les centres de formation des apprentis. Le reste à charge des employeurs territoriaux risque donc d’augmenter significativement…

Face à cette difficulté, l’Assemblée nationale a souhaité que le Centre national de la fonction publique territoriale, le CNFPT, prenne en charge 75 % des frais de formation des apprentis pour un coût annuel estimé à près de 58 millions d’euros. Or cette somme paraît bien trop élevée au regard du budget du CNFPT et risque de remettre en cause les formations dispensées aux autres agents territoriaux.

Dans un souci de compromis, la commission a proposé que tous les acteurs s’engagent pour soutenir l’apprentissage dans les collectivités territoriales en prévoyant que 30 % des coûts de formation soient pris en charge par l’État et 20 % par le CNFPT.

Avant de conclure, je souhaite saluer le considérable travail fourni par les rapporteurs sur ce texte très technique et dont le champ est large.

Je souhaite également vous faire part de mon regret concernant le choix du Gouvernement d’engager la procédure accélérée sur ce projet de loi essentiel pour la fonction publique.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Ah oui !

M. Alain Marc. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen en commission a permis d’élargir la palette d’outils pouvant permettre une meilleure gestion des ressources humaines tout en respectant les droits des agents publics et les grands principes du statut général.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera ce texte ainsi modifié et enrichi par la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, ainsi quau banc des commissions.)

M. Emmanuel Capus. Très clair !

M. Loïc Hervé, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Gouvernement soumet régulièrement à notre examen des textes dont le contenu apparaît en décalage avec l’ambition de l’intitulé. Tel est encore le cas avec ce projet de loi de transformation de la fonction publique qui traduit davantage un assouplissement et une adaptation de la fonction publique qu’une véritable transformation. Nous ne sommes pas véritablement ici dans la rupture ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Loïc Hervé, rapporteur. Ah non !

M. Jean-Marie Mizzon. Néanmoins, nous approuvons la volonté de l’exécutif de faire évoluer l’environnement, les métiers et les missions des agents publics, afin de les adapter aux défis de notre temps.

Les membres du groupe Union Centriste ne sont pas dans l’immobilisme.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Tout à fait !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ils sont plutôt dans le centrisme… (Sourires.)

M. Jean-Marie Mizzon. Ils admettent bien volontiers que, s’il a sa raison d’être, le statut de la fonction publique ne saurait être figé. Nul ne peut sérieusement le contester : l’apparition de nouveaux métiers commande de nouvelles compétences. D’ailleurs, les agents du service public eux-mêmes réclament de nouvelles mobilités dans le temps et dans l’espace.

En revanche, nous regrettons que le texte – tout du moins dans sa version initiale – s’arrête au milieu du gué. Il confine, hélas !, trop souvent au salmigondis de mesures disparates, se contentant d’empiler des dispositifs techniques, arides, desquels ne découle aucune philosophie d’ensemble.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. On peut même parler de galimatias !

M. Jean-Marie Mizzon. L’occasion est pour ainsi dire manquée de réformer en profondeur la fonction publique et de fixer, pour elle et pour les 5,5 millions d’agents qui l’animent au quotidien, un authentique cap vers l’avenir.

Car si les trois versants de la fonction publique recouvrent des missions très différentes, qui relèvent de corps, de cadres d’emploi et de métiers eux-mêmes multiples, tous ont en commun une même finalité : la grandeur du service public.

C’est un sujet ô combien décisif, aux ramifications multiples, comme ont tenu à nous le rappeler les Français à l’occasion du grand débat national. L’attente de nos concitoyens à l’égard du service public est immense d’un bout à l’autre du territoire. Elle est à la hauteur de ce qu’il représente dans notre pays en termes de service rendu, d’emploi et de cohésion sociale.

Nous avons conscience de la complexité du défi qui nous est posé : d’un côté, nos concitoyens réclament une plus large intervention de l’État et un retour à des services publics de proximité plus poussés ; de l’autre, ils guettent « sourcilleusement » le niveau de pression fiscale.

Il était donc devenu indispensable d’agir. À cet égard, nous ne pouvons que nous féliciter de l’action engagée par le Gouvernement.

Sans doute les objectifs ne sont-ils pas toujours clairs, faute d’avoir été nettement exposés par le Gouvernement lui-même. Là réside en partie, je crois, l’explication à l’opposition de l’ensemble des organisations syndicales.

L’avenir du secteur public aurait dû en effet susciter un plus vaste débat, afin que soit discuté l’ensemble des questions afférentes à la carrière des fonctionnaires, au statut de la fonction publique et à son avenir, à la rémunération, à la retraite, de façon à pouvoir apporter, en toute transparence, des réponses d’ensemble aux agents publics, ainsi qu’à nos concitoyens.

L’enrichissement du texte avant même l’issue de la première lecture est très parlant. Il est révélateur en tout cas des imperfections et incohérences de départ. Composé de trente-six articles dans sa version présentée en conseil des ministres, le texte en compte désormais quatre-vingt-quatre au terme de son examen par la commission des lois du Sénat.

La discussion parlementaire est bien sûr là pour apporter des modifications et des améliorations. Avouons néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, qu’autant d’ajouts entre la présentation du texte devant les membres du Gouvernement et l’issue de la première lecture laissent songeurs…

Je tiens, à cet égard, à saluer le travail remarquable accompli par les deux rapporteurs, Catherine Di Folco et Loïc Hervé, qui ont abordé sans dogmatisme aucun…

M. Loïc Hervé, rapporteur. Aucun dogmatisme, effectivement !

M. Jean-Marie Mizzon. … et en faisant preuve d’une attitude toujours constructive les différents volets de ce projet de loi, qu’il s’agisse des instances de dialogue social, de l’élargissement du recours aux contractuels, de la réforme du cadre déontologique ou de l’accompagnement des transitions professionnelles des agents publics.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ils ont été remarquables !

M. Jean-Marie Mizzon. Les éléments nouveaux introduits en commission, sur leur initiative ou sur l’initiative de certains de nos autres collègues, ont permis d’améliorer substantiellement le texte transmis au Sénat par l’Assemblée nationale.

L’obligation pour l’État de présenter une feuille de route triennale indiquant tout à la fois ses orientations en matière de rémunération, de déroulement de carrière, de formation et de mobilité des agents publics participe ainsi, et de manière transversale, au besoin de visibilité que réclament nombre d’élus partout dans nos provinces. J’espère que l’article 2 bis prospérera à l’issue de l’examen du texte par la Haute Assemblée.

De même, la modification de la périodicité du rapport social unique, qui deviendrait biennal plutôt qu’annuel, ménage davantage de souplesse sans altérer pour autant la portée de ce rapport. Pour cette raison, cette mesure me paraît parfaitement équilibrée.

Concernant les commissions administratives paritaires, je crois, monsieur le secrétaire d’État, que les vider de leurs compétences, ainsi que vous le proposez, n’améliorerait en rien le dialogue social au sein de la fonction publique.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Eh oui !

M. Jean-Marie Mizzon. Pis, en supprimant leurs compétences, vous créerez des rapports conflictuels, eux-mêmes source de défiance, au détriment finalement de l’efficacité du service public.

Soyez attentif aux arguments du Sénat et à sa sagesse habituelle en ne rayant pas d’un trait de plume la compétence des CAP en matière d’avancement et de promotion.

Je me réjouis surtout des nombreux apports de la commission allant dans le sens d’une plus grande souplesse offerte aux employeurs locaux.

S’agissant de l’élargissement du recours aux contractuels, point clé de ce projet de loi, quel meilleur garant du principe d’égal accès aux emplois publics que les autorités locales elles-mêmes ? Là encore, la réécriture de l’article 6 par la commission des lois du Sénat me semble salutaire en ce sens qu’elle garantit l’adaptation des recrutements aux besoins des collectivités locales.

Ne craignez pas de responsabiliser les élus locaux en leur conférant davantage de libertés.

M. Jean-Marie Mizzon. Je crois à cet égard, monsieur le secrétaire d’État, que vous rejoignez la position de la chambre haute, et veillerez à ne pas attenter à la libre administration des collectivités en ne faisant pas s’immiscer l’État dans les relations entre exécutifs locaux et directeur général des services. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)

M. Jean-Marie Mizzon. De même, je ne doute pas que vous rejoindrez notre proposition et étendrez à tout type d’emploi le recours au nouveau contrat de projet, sans exclusion des emplois de catégorie C.

Au titre des lacunes originelles du texte, le Gouvernement a oublié deux points majeurs au sujet du recrutement, seulement traité sous l’angle des contractuels : je veux parler de l’apprentissage et des concours.

J’aimerais d’abord dire un mot sur le développement de l’apprentissage dans les collectivités territoriales, point central du dynamisme économique de nos communes, de nos départements et de nos régions.

M. Jean-Marie Mizzon. Notre cher collègue Loïc Hervé l’a rappelé : les quelque 14 000 apprentis du secteur public sont les grands oubliés de la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

M. Claude Kern. Exactement !

M. Jean-Marie Mizzon. La nouvelle mouture de l’article 22 bis B du présent projet de loi y remédie en proposant notamment d’associer l’État au soutien et au financement de l’apprentissage dans les collectivités par le truchement d’un prélèvement sur recettes.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Et il le fera de bon cœur !

M. Jean-Marie Mizzon. Il s’agirait là d’un investissement d’avenir, non d’une politique hasardeuse et dispendieuse !

J’aimerais ensuite saluer, au travers du nouvel article 33 quater, l’extension à l’ensemble des filières d’emplois des concours sur titres, aujourd’hui réservés aux seules filières sociales, médico-sociale et médico-technique.

J’espère vivement que ces deux apports du Sénat recevront toute l’attention qu’ils méritent de la part du Gouvernement.

Je le soulignais en préambule, il est difficile de décortiquer ce projet de loi mesure par mesure, preuve qu’il manque de cohérence globale…

S’agissant de la déontologie, de la transparence et de l’égalité entre les femmes et les hommes, nous sommes bien sûr très favorables aux mesures contenues dans le texte, ainsi qu’aux nouvelles avancées obtenues en commission.

Cela a été rappelé, le Gouvernement a eu le grand mérite d’intégrer à son projet de loi plusieurs propositions du Sénat, en particulier l’harmonisation du temps de travail et l’introduction de la rupture conventionnelle dans la fonction publique. Il serait bien inspiré de poursuivre dans cette voie et de conserver l’ensemble des préconisations du rapport de nos collègues Catherine Di Folco et Didier Marie, lesquelles visent à maints égards à renforcer l’intégration des agents en situation de handicap.

Comment, enfin, ne pas mettre à profit le temps de parole qui m’est dévolu – il est important ! (Sourires sur les travées du groupe Union Centriste.) – pour féliciter deux de mes collègues du groupe Union Centriste, Jocelyne Guidez et Annick Billon, dont le travail a permis des avancées sociales.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Ah oui !

M. Jean-Marie Mizzon. L’extension du congé de proche aidant aux agents publics, d’une part, la possibilité pour les femmes salariées de la fonction publique d’allaiter leur enfant pendant leur temps de travail, d’autre part, sont deux mesures sociales garantissant l’équité entre les secteurs public et privé.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Union Centriste est favorable à l’esprit de ce texte, quelles que puissent en être par ailleurs les insuffisances. Nous voterons bien entendu en faveur de ce projet de loi, en espérant que les recommandations et améliorations du Sénat trouveront un écho auprès du Gouvernement et de nos homologues députés. Nombre d’entre elles sont attendues avec impatience par nos agents publics, nos concitoyens et nos territoires : ne les décevons pas !

Comme il est de coutume de dépasser le temps de parole qui nous est imparti,… (Sourires sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. Non, pas du tout, veuillez conclure, cher collègue !

M. Jean-Marie Mizzon. … permettez-moi de conclure en citant Winston Churchill, qui disait à propos de changement, d’évolution et de mise au diapason : « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge. » (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud.

M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec l’examen du projet de loi de transformation de la fonction publique, nous voilà enfin devant des dispositions concrètes proposées par ce gouvernement pour réformer les moyens de l’action publique.

J’avoue que nous étions fort impatients d’apprendre ce qui suivrait les déclarations du président Macron, qui nous avait promis un choc d’efficacité concernant les effectifs de l’État d’ici au terme du quinquennat.

Car nous étions restés sur notre faim après les conclusions du comité Action publique 2022, dont les traductions concrètes tiennent finalement moins du big-bang annoncé que du feu de Bengale. Nous retenions donc notre souffle dans l’attente de ladite transformation de la fonction publique !

Mais comme l’ont très bien relevé les rapporteurs, Catherine Di Folco et Loïc Hervé, pour se hisser à la hauteur d’une telle ambition, il manquait à ce projet de loi de dessiner une nouvelle ère pour le fonctionnement de l’État, au lieu de borner son horizon à des ajustements techniques.

Néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, ce texte présente des avancées positives pour rendre la gestion des besoins de la fonction publique plus efficace et les évolutions de carrières plus stimulantes. On ne peut que les saluer. Ces avancées sont d’autant plus salutaires aux yeux des sénateurs de mon groupe que certaines dispositions emblématiques avaient été proposées par le Sénat, comme l’harmonisation par le haut du temps de travail annuel des agents ou la possibilité de procéder à des ruptures conventionnelles dans la fonction publique.

Ces deux mesures incarnent la double nécessité qui doit guider tout employeur public : d’un côté, la gestion rigoureuse des moyens publics ; de l’autre, la souplesse au service de l’efficacité. Cette équation est plus facile à poser qu’à résoudre, et les élus locaux connaissent le difficile équilibre entre un service exigeant pour la population, qui sera effectué par des agents qui s’épanouissent dans leur métier, et des perspectives professionnelles renouvelées.

Je veux donc saluer les deux rapporteurs de la commission des lois pour avoir mené cet exercice d’équilibre au bénéfice d’un texte enrichi en ayant su relever les trois défis qu’ils s’étaient fixés : mieux répondre aux besoins exprimés par les collectivités locales, davantage gratifier la qualité du service des agents et donner enfin sa place au handicap.

Je tiens particulièrement à remercier Catherine Di Folco des nombreuses dispositions qu’elle a intégrées au texte du Gouvernement lors de l’examen du projet de loi en commission, et qui touchent à la fonction publique territoriale. Elle a su créer des outils efficaces pour répondre aux attentes que les élus locaux ont fait remonter en participant massivement à la consultation lancée auprès d’eux par le Sénat.

Parmi celles-ci, je saluerai la limitation à cinq ans de la durée maximale de prise en charge des agents placés dans la catégorie des fonctionnaires momentanément privés d’emploi. Cette mesure met un terme à des situations invraisemblables : certains fonctionnaires, sans occuper de poste, étaient pris en charge depuis plus de vingt ans par les centres de gestion ou le Centre national de la fonction publique territoriale.

Comment, mes chers collègues, peut-on regarder ses administrés dans les yeux et leur dire qu’on ne peut recruter tel ou tel agent utile pour la petite enfance, le sport ou la culture quand perdurent de telles situations ?

Quelle image donne-t-on aux agents de leur statut, censé être tourné vers le service de la collectivité, quand celle-ci n’est pas capable de mettre à profit leur énergie et leurs compétences ?

Quant à l’amendement déposé par François Bonhomme et massivement soutenu par le groupe Les Républicains, il va dans le même sens, en rationalisant les conditions de liquidation de la retraite d’un fonctionnaire momentanément privé d’emploi.

Au sein de la fonction publique territoriale et particulièrement dans les communes, il existe un lien affectif entre les agents et la collectivité qu’ils servent.

Voilà pourquoi l’implication de ces personnels doit être récompensée à hauteur de leurs mérites. C’est même là une demande formulée par les élus locaux eux-mêmes, qui est massivement apparue dans la consultation menée par le Sénat.

C’est pourquoi je salue l’idée des rapporteurs de rapprocher l’évaluation de la performance aux résultats du service tout entier, ce qui a vocation à affermir le lien entre les agents d’une même équipe dont les efforts tendent vers un objectif commun.

L’un des aspects qui me paraît primordial dans ce texte est la prise en considération des spécificités territoriales qui vise à favoriser l’installation des fonctionnaires territoriaux dans les zones rurales ou enclavées.

Cette mesure représente une avancée importante, voire essentielle, qui peut constituer un pacte gagnant pour les collectivités et les agents eux-mêmes.

Un mot sur ce point, monsieur le secrétaire d’État, car nous avons en partage d’être issus du même territoire à profil plutôt rural.

Les agents qui permettent d’y faire perdurer la présence de l’action publique ne représentent jamais des dépenses superflues. La diminution des services publics de proximité n’est pas pour rien dans le sentiment d’abandon qui s’est manifesté si fortement depuis le déclenchement du mouvement des gilets jaunes, ou lors de bon nombre de scrutins depuis une dizaine d’années.

Il faudra s’en souvenir lorsque le gouvernement que vous représentez proposera un nouvel acte de la décentralisation avec à la clé, espérons-le, des moyens humains mieux répartis au cœur des territoires.

Dans l’immédiat, nous serons vigilants, et je ne vous cache pas notre inquiétude quant au redéploiement de certains services, comme ceux du Trésor public.

Plus de reconnaissance, un dialogue social modernisé et de meilleures perspectives de carrière permettent de remettre les agents au centre de l’action publique. Cette place restaurée et cette confiance réaffirmée doivent aller de pair avec un esprit de responsabilité réactualisé. Il y va tout simplement de l’image des 5,5 millions d’agents publics.

Je salue donc, monsieur le secrétaire d’État, le pragmatisme dont vous avez fait preuve en reprenant les propositions du Sénat concernant l’harmonisation du temps de travail. Vous proposez ainsi de mettre un terme aux dérogations au temps de travail annuel qui ne se justifiaient que par des pratiques locales, certes légales, mais que nos concitoyens, lesquels sont aussi, par le biais de leurs élus, les employeurs, ne comprennent plus.

La majorité du groupe Les Républicains a décidé de soutenir l’initiative de nos collègues Christine Lavarde et Dominique Estrosi Sassone : elles nous ont alertés sur le phénomène des grèves perlées, qui créent un rapport de force parfois déséquilibré entre les grévistes cessant leur activité en roulement et le service, qui peut être saturé et perturbé.

Dans le cadre d’un conflit social, le mouvement de grève conserverait ce moyen de pression, qui n’aurait rien d’indolore sur l’exécutif chargé de la collectivité concernée. Mais un rééquilibrage serait opéré dans certains secteurs, entre autres, celui de la collecte des déchets, dont l’interruption brutale a des conséquences sanitaires inacceptables, celui des transports publics de personnes, dont l’arrêt empêche les usagers de se déplacer pour aller travailler, et celui qui touche aux activités scolaires et périscolaires, car là aussi l’effet est le même : assigner les parents à domicile.

Si la France est parfois trop administrée, alors qu’elle ne l’est pas assez dans certaines zones, nous savons qu’elle est enviée pour sa fonction publique dévouée, compétente, honnête et efficace. Il ne manque à cette dernière que de déployer pleinement son potentiel en se modernisant et en traçant de nouvelles voies plus enthousiasmantes pour nos agents.

Si ce texte comporte de bons outils, il a besoin du savoir-faire du Sénat pour parachever son œuvre : voir éclore une fonction publique plus pragmatique, au service des citoyens de l’ensemble de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi quau banc des commissions.)