M. Jean Bizet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean-Claude Luche, rapporteur de la commission spéciale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en première lecture, le Sénat avait cherché à donner plus de substance à ce projet de loi un peu fourre-tout. Malgré notre volonté d’aboutir, la commission mixte paritaire a échoué sur deux points, dont l’un, portant sur les éoliennes en mer, n’avait été voté ni par l’Assemblée nationale ni par le Sénat, ce qui est tout de même assez inédit.

Pour cette nouvelle lecture, nous avons à nouveau choisi de jouer le jeu en améliorant le texte, car nous ne désespérons pas que le Gouvernement ou nos collègues députés finissent par nous entendre.

En matière de rescrit, l’Assemblée nationale a certes conservé les procédures sectorielles introduites par le Sénat, mais elle les a complétées de nombreux dispositifs inédits dans des domaines variés au mépris de la règle de l’entonnoir. Notre commission les a donc supprimés.

S’agissant du rescrit en matière juridictionnelle, nous avons adopté une solution de compromis qui permet de conserver le dispositif du Gouvernement tout en précisant son champ d’application. L’expérimentation sera limitée aux décisions relatives aux déclarations d’utilité publique et aux déclarations d’insalubrité, ce qui évitera d’engorger les juridictions administratives.

En matière d’information des usagers, notre commission a de nouveau ramené le délai maximal de délivrance du certificat d’information à trois mois, ce qui suffira amplement puisqu’il s’agit simplement de lister les règles applicables à une activité et non de les interpréter.

Concernant la désignation de référents unique dans les maisons de service au public, malgré nos réticences sur le principe, nous avons également adopté une rédaction de compromis qui permettra de s’assurer de l’accord de tous les participants.

La commission a en revanche rétabli la modulation de la durée des contrôles administratifs que nous avions introduite en première lecture au profit des TPE. Cette différenciation est à la fois légitime sur le fond et parfaitement réalisable sur le plan pratique.

De même, nous sommes également revenus à notre texte afin de garantir que les transferts de compétences des chambres départementales d’agriculture aux chambres régionales ne puissent être expérimentés qu’avec l’accord des intéressées, car nous croyons en la capacité des acteurs territoriaux à s’organiser de la façon la plus efficace possible sans qu’il faille les y contraindre.

En matière d’enseignement supérieur, je me réjouis que les députés aient confirmé le délai d’habilitation fixé à six mois par le Sénat et que les modalités de sortie de l’expérimentation des regroupements aient été sécurisées.

Concernant la participation du public aux projets qui ont une incidence sur l’environnement, l’Assemblée nationale a rétabli la possibilité de remplacer l’enquête publique par une consultation par voie électronique. Elle est même allée plus loin que le texte initial, qui limitait cette expérimentation aux seuls projets agricoles, en l’étendant à l’ensemble des projets soumis à autorisation environnementale, c’est-à-dire à tous les projets d’installations classées. Considérant que l’enquête publique est nécessaire pour permettre l’acceptabilité des projets, nous avons de nouveau supprimé cette expérimentation.

Le Gouvernement a aussi profité de la nouvelle lecture pour faire ratifier l’ordonnance de 2017 sur l’autorisation environnementale. Une telle ratification par voie d’amendement porte atteinte aux droits du Parlement, qui ne dispose pas du temps nécessaire pour examiner le texte et y apporter si besoin des modifications. C’est pourquoi nous l’avons supprimée.

S’agissant des éoliennes en mer, chacun a en tête l’émoi suscité par l’amendement qu’avait présenté le Gouvernement pour renégocier sous la menace d’une annulation le prix des six parcs déjà attribués et notre opposition quasi unanime en première lecture. Depuis lors, les négociations avec les lauréats que nous avions appelées de nos vœux ont abouti à une réduction substantielle des dépenses de l’ordre de 15 milliards d’euros sur les vingt ans prévus pour les contrats d’achat. Malgré ce résultat favorable, la façon dont le Gouvernement a géré ce dossier doit nous interpeller.

Sur le fond, si l’amendement a certainement joué comme un levier dans les négociations, pourquoi le maintenir malgré l’aboutissement de ces dernières ? En droit, l’État pourra toujours annuler les décisions d’attribution jusqu’à la signature des contrats d’achat.

Nous ne savons rien, du reste, de la manière dont l’accord a été formalisé, de ses conséquences éventuelles sur l’emploi et sur la filière industrielle ou encore de la façon dont les économies annoncées ont été calculées. Je suppose toutefois que vous nous donnerez un certain nombre d’informations sur ce sujet, monsieur le secrétaire d’État. J’ajoute que ces dernières ont été en partie gonflées, puisque le coût du raccordement, jusqu’alors intégré dans le tarif d’achat, sera désormais couvert par le tarif d’utilisation des réseaux : c’est près de 1,2 milliard d’euros que l’on fera ainsi passer d’une ligne de facture à l’autre. De même, l’occupation du domaine public à titre gratuit occasionnera une perte de recettes publiques de l’ordre de 360 millions d’euros qui n’est pas comptabilisée.

Enfin, la possibilité pour l’État de revenir sur des accords déjà conclus est un mauvais signal envoyé aux entreprises qui souhaitent investir dans notre pays, a fortiori dans un texte censé faire renaître la confiance.

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean-Claude Luche, rapporteur. Malgré tout, parce que le débat a déjà eu lieu en première lecture et parce qu’il faut prendre acte des résultats des négociations, nous avons choisi de ne pas y revenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a deux cent trente ans jour pour jour, Wolfgang Amadeus Mozart achevait la composition de la symphonie n° 40, qui allait devenir l’une des pièces maîtresses du répertoire. Plus aride, le texte que nous examinons une dernière fois en séance publique constitue pourtant, je veux le croire, une véritable partition pour rénover les relations entre les usagers et leurs administrations.

Les Français sont attachés au service public. Le baromètre Delouvrier, qui mesure la satisfaction des usagers, indique que, en 2017, 72 % des Français étaient satisfaits, soit une progression de 5 points par rapport à 2014.

Dans le même temps, il n’est pas interdit d’interroger la pertinence de ces services publics, a fortiori à la lumière de la révolution numérique dans nos vies et dans nos villes. M. Thierry Tuot, conseiller d’État, estime le coût de la suradministration à environ 3 points de PIB. Demain, il s’agira de repenser avant de dépenser.

Le droit à l’erreur est devenu, au gré de nos débats, la mesure phare de ce projet de loi. C’est, nous le savons tous, une attente forte de nos concitoyens et de nos entreprises. Nous avons, par l’adoption d’un amendement de notre collègue Patricia Schillinger, étendu le champ de ce droit au code de la sécurité sociale. D’autres apports importants du Sénat ont été retenus. J’en ai dénombré à peu près une trentaine ; je me suis peut-être trompé, mais je crois que cela doit nous conduire à nuancer certains propos sur l’évolution de ce texte.

Cela étant, et c’est principalement sur ce point qu’a échoué la commission mixte paritaire qui s’est réunie en avril, l’extension du droit à l’erreur aux collectivités locales pose un certain nombre de questions.

L’objet du texte est bien d’améliorer la relation qu’entretient le citoyen avec l’ensemble des administrations. Cette extension interroge en droit : comment une personne morale de droit public pourrait-elle se prévaloir d’un droit à l’erreur au profit de l’État ? La réponse est claire : le droit de la responsabilité des personnes morales est orienté vers l’administré et il obéit à des règles spéciales. De même, doit-on étendre ce droit à l’erreur aux relations entre les collectivités elles-mêmes, au risque de créer une tutelle ? Enfin, imaginons-nous un citoyen qui pourrait se prévaloir d’une erreur d’une collectivité qui ferait elle-même usage de son droit à l’erreur envers l’État ? On atteindrait un niveau d’insécurité juridique dangereux pour les Français et pour les entreprises. Je ne suis pas contre par principe, mais je pense que ce droit mériterait d’être retravaillé et approfondi s’il devait être introduit.

Nous avons aussi d’autres désaccords sur ce texte, notamment à l’article 34, mais je crois que c’était principalement sur la méthode ; nous pouvons donc nous retrouver sur le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.

Enfin, il y a un désaccord sur l’article 38, qui porte sur les cultes. Comme je l’ai dit en commission spéciale, ce sujet mérite que l’on prenne le temps de mener une vraie réflexion sur la place des lobbies en démocratie. Sur ce point, chère Nathalie Delattre, notre groupe s’abstiendra, mais seulement dans l’attente d’un vrai débat sur la liste des représentants d’intérêts.

Ces désaccords ne doivent pas occulter les apports de ce texte, qui prévoit des changements importants : présomption de bonne foi qui pèse sur l’usager, expérimentation du référent unique dans les maisons de services au public, généralisation du rescrit, limitation de la durée des contrôles sur nos TPE ou PME.

Je souhaiterais m’arrêter un instant sur le titre III, intitulé « Un dispositif d’évaluation renouvelé », qui a été en partie vidé de sa substance ; je le regrette. Nous sommes tous attachés au renforcement des pouvoirs d’évaluation des politiques publiques par le Parlement, en particulier par le Sénat. Ce n’est certes pas incompatible avec la communication de rapports relatifs au suivi de l’application des bonnes pratiques ou des expérimentations par le Gouvernement, mais il est vrai qu’un bon rapport est un rapport utile.

Dès le début de la discussion de ce texte, vous avez insisté, monsieur le secrétaire d’État, sur le service après-vote au travers d’un conseil de la réforme aux mains du Parlement qui se réunirait régulièrement. Nous allons tester une nouvelle méthode de travail, qui peut ne pas fonctionner, mais qui aura le mérite d’exister et d’être innovante. Cela me fait penser au mot de Jules Renard : « La porcelaine cassée dure plus que la porcelaine intacte. » Tout n’est pas parfait, contrairement à Mozart, mais nous prévoyons le nécessaire pour corriger les fausses notes.

Quoi qu’il en soit, les sénateurs auront à cœur d’appuyer votre action, notamment auprès des services déconcentrés de l’État, que ce soit la DGFiP ou les DIRECCTE, dans nos territoires.

Le numérique est un levier de solidarité, y compris dans les grandes villes. C’est au prix de ces adaptations que nous redonnerons confiance aux jeunes générations dans l’action publique, trop longtemps cantonnée aux moyens et pas assez tournée vers les résultats. Notre crédibilité passe par un sursaut d’efficacité que le projet de loi veut encourager, et j’espère qu’il en sera l’augure.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici donc réunis pour débattre d’un projet de loi dont le moins qu’on puisse dire est qu’il a fait l’objet lors de sa présentation d’une offensive de communication pour le moins insistante. Je sens un acquiescement de votre part, monsieur le secrétaire d’État, et ça me met en confiance. (Sourires.)

Je ne sais plus de quand date le premier message à caractère davantage publicitaire qu’informatif relatif à la formidable avancée du droit que constitue le « droit à l’erreur »…

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Du 7 mai !

M. Pascal Savoldelli. Je vous remercie monsieur le secrétaire d’État. Nous allons finir par travailler en binôme… (Nouveaux sourires.)

Le droit à l’erreur était alors présenté comme la reconnaissance de la possibilité pour le contribuable ou le cotisant de ne pas produire la déclaration juste. Mais, ce dont je suis certain, c’est que le droit à l’erreur existe déjà et que sa « légalisation » procède de ce que j’appelle de l’enfoncement de porte ouverte. De plus, l’actualité la plus récente a mis en évidence les limites qu’on pouvait supposer au texte que nous réexaminons. Puisqu’on parle de confiance, vous voyez jusqu’où le dérapage pourrait aller…

M. Julien Bargeton. C’est tiré par les cheveux !

M. Pascal Savoldelli. J’y viendrai à la fin de mon propos.

Pour le reste, on ne peut isoler ce texte de son contexte. En effet, il doit être appréhendé en rapport avec la mise en cause du statut des fonctionnaires – no comment ! –, avec le CAP 2022 – franchement… – de réduction d’effectifs – 20 000 emplois rien qu’à la DGFiP – et avec le développement des contrats de mission et autres emplois contractuels. Outre que la recette est assez ancienne, comment peut-on faire de la bonne administration, avec la sécurité juridique et la confiance qui conviennent, quand on place les acteurs de ces administrations en situation d’insécurité professionnelle ?

Le projet de loi ne remet nullement en question les politiques qui, de révision générale des politiques publiques en modernisation de l’action publique, ont largement entamé la crédibilité du service public par l’abandon marqué de la présence territoriale des services déconcentrés des différentes administrations. Le pire, c’est qu’il les prolonge et en accentue les défauts et travers, pour faire de cas d’espèce la matrice de la suraccumulation législative que nous connaissons.

Le texte fait ainsi cohabiter des mesures à caractère général avec des mesures tout à fait circonstanciées ou circonstancielles dont nous pouvons nous demander, au demeurant, ce qui les a inspirées. Peut-être est-ce simplement la volonté de répondre aux attentes d’on ne sait quel groupe de pression ou groupement d’intérêts désireux de bénéficier de l’onction de la loi pour prolonger son action. Il est vrai que, depuis un an, nous ne sommes plus dans le régime des partis – normalement, vous devriez applaudir (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) –, mais que nous sommes passés à celui des lobbies, du mouvementisme, de la confusion des genres pouvant aller jusqu’à la sécurité des déplacements présidentiels !

Sur le strict plan du droit, qui doit être le même pour tous, fondé sur l’égalité entre les citoyens, nous ne sommes pas certains, à l’instar du Défenseur des droits, que ce texte apporte beaucoup. Outre qu’il va sans doute accuser les effets de la fracture numérique, à peu près irréversible tant que vivront en France des personnes nées avant la Seconde Guerre mondiale, le projet de loi risque de voir les dispositifs envisagés bénéficier essentiellement aux personnes déjà les plus à même de les mobiliser et de renforcer ainsi les inégalités d’accès au droit – c’est n’est pas que moi qui le dis, c’est aussi M. Toubon.

Il est évident que, dans la société de confiance décrite par le texte, excusez-moi cette formule, mais elle a le mérite d’être explicite, ce sera avocat-conseil pour les uns et écrivain public pour les autres. Il faut tout de même que chacun reste dans sa condition…

On ne peut enfin que souligner les liens existant entre ce texte et la conception de l’entreprise que portent le Gouvernement et sa majorité. Ils se situent en effet dans le droit fil des seules attentes des conseils d’administration de groupes industriels et financiers, attentes caractérisées par le respect de normes minimales au plan social, économique, administratif ou comptable. Qu’est-ce donc, par exemple, que cet article sur le prélèvement à la source dans les entreprises de moins de vingt salariés ? D’un côté, on a une exigence croissante de l’irresponsabilité sociale et, de l’autre, une perception de ressources publiques sans cesse plus importante !

Avec ce projet de loi, il sera demain nettement plus facile de frauder l’impôt sur les sociétés que d’obtenir illicitement une allocation de RSA. Qu’est-ce donc que cette société de confiance qui va passer la main sur la fraude au petit pied et ne va pas se donner les moyens de poursuivre la grande délinquance financière ?

Le projet de loi propose quelques mesurettes frappées au coin du bon sens – c’est pourquoi nous voterons un certain nombre d’amendements et d’articles –, mais il déguise en même temps les véritables enjeux attendus par nos concitoyens. Nous ne nous rallierons donc pas à ce texte d’inégalité entre usagers et administration.

Notre collègue Julien Bargeton a cité la symphonie de Mozart pour faire référence à Jupiter.

M. Julien Bargeton. Ce n’est pas la même symphonie : c’est la symphonie n° 41 !

M. Pascal Savoldelli. Après ce qu’a dit votre Président, cet humour-là ne me fait pas rigoler.

Quand le Président de la République parle comme une petite frappe des banlieues, je n’ai vraiment pas envie de rire.

M. le président. Il faut conclure !

M. Pascal Savoldelli. C’est pourquoi, mon cher collègue, je vous renvoie à Sénèque : « Ayez moins de confiance dans les faveurs de la fortune, c’est la plus légère des déesses. » (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Angèle Préville. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous partageons la philosophie de ce texte. Nous croyons en cette société de confiance qu’appelle le projet de loi. Nous saluons les mesures de simplification qu’il porte et nous nous félicitons, entre autres dispositions, de la suppression des sanctions pour toute première erreur d’un usager de bonne foi. Nous restons cependant en alerte et pour le moins perplexes sur de nombreux points.

Après l’échec de la commission mixte paritaire et le renvoi en nouvelle lecture qui nous réunit aujourd’hui, de nombreuses dispositions que nous avions votées avec la majorité sénatoriale ont été supprimées.

Nous saluons le nouveau travail des rapporteurs et des sénatrices et sénateurs de la commission spéciale, notamment sur le droit à l’erreur au bénéfice des collectivités ou sur la suppression de l’article concernant les modes d’accueil de la petite enfance – disposition plutôt incongrue, les modes d’accueil de la petite enfance ne pouvant se négocier a minima à moindre formation et à moindre encadrement. Nous saluons également les mesures en faveur des chambres d’agriculture.

Cette nouvelle lecture nous donne l’occasion de revenir sur des points problématiques que j’articulerai autour de deux axes.

Le premier porte sur l’esprit général du texte.

Les mesures portées dans le projet de loi – nous ne le répéterons jamais assez – touchent à des domaines multiples. Parmi les mesures relatives à la relation entre les citoyens, les entreprises et les administrations, je citerai le rescrit fiscal, les maisons d’accueil du public, les régimes d’autorisation environnementale, les certificats d’information ou encore le code du travail.

Le titre Ier vise à créer les conditions d’une confiance retrouvée du public dans l’administration en concentrant l’action de cette dernière sur ses missions d’accueil et de conseil. Peut-on y répondre en restreignant le champ de l’accès au droit ?

La confiance dans l’administration n’est pas exclusivement celle des entreprises ; elle est également celle des citoyens. À cet égard, il me semble que l’administration n’est pas aujourd’hui en mesure d’accompagner les plus fragiles.

Le Défenseur des droits, que nous avons auditionné, a pointé une fracture numérique qui touche les publics vulnérables. Beaucoup trop de nos concitoyens ne bénéficient pas des droits et des services auxquels ils peuvent prétendre. Ils sont des millions ! Il est nécessaire de restaurer la confiance afin qu’elle puisse profiter à tous. Une enquête de 2017 publiée par le Défenseur des droits souligne que 27 % des Français n’ont pas accès à internet ou éprouvent des difficultés à réaliser leurs démarches administratives sur internet.

Avec le groupe socialiste et républicain, nous avions déposé un amendement visant à introduire des dispositions qui nous semblaient répondre à cette problématique des publics marginalisés – j’entends par là ceux qui ont des problèmes d’accès à l’outil informatique ou qui résident dans des zones blanches. La commission a refusé d’inscrire dans la stratégie nationale cette prise en compte de la marginalisation numérique pour que les économies réalisées par la dématérialisation profitent à la réduction de cette fracture.

Or, aujourd’hui, 15 % des foyers n’ont pas accès à internet, 500 communes sont considérées comme des zones blanches et beaucoup de nos concitoyens ne disposent pas d’équipements numériques suffisants ou ne maîtrisent pas l’outil numérique. Nous avons donc redéposé cet amendement en vue du nouvel examen du projet de loi en séance publique. J’espère que, dans sa sagesse, la chambre haute reconsidérera le sujet. Pouvons-nous laisser des millions de nos concitoyens au bord du chemin ?

J’en viens à mon deuxième axe.

Le texte que nous examinons ne nous semble pas non plus répondre à la question des moyens. L’extension du champ du rescrit, par exemple, peut-elle vraiment s’articuler avec une baisse du nombre de fonctionnaires ? En clair, plus de travail et moins de moyens ! Le risque est d’ores et déjà annoncé : une modification des responsabilités et des tâches des fonctionnaires.

Je m’attacherai à présent à certaines mesures clés du texte.

Pour commencer, je ne peux que féliciter la commission spéciale pour son travail sur l’extension du droit à régularisation en cas d’erreur au bénéfice des collectivités territoriales. Comme les usagers de l’administration, elles ont besoin du regard bienveillant de l’État dans le cadre des missions quotidiennes qu’elles effectuent. Il s’agit d’un marqueur à leur égard. Je pense tout particulièrement aux petites communes, qui sont souvent – nous ne pouvons que le regretter – démunies face à la complexité juridique des procédures dont elles ont la charge.

Monsieur le secrétaire d’État, au vu des sujets entrant dans le cadre de l’examen de ce texte, et par esprit d’équité, comment ne pas donner un droit à l’erreur aux collectivités locales, dont je rappelle qu’elles ne sont pas des administrations ?

Dans le cadre de l’extension du droit à l’erreur, le groupe socialiste et républicain avait également déposé en première lecture un amendement relatif à la déclinaison de la politique agricole commune. Cet amendement, adopté en séance publique par le Sénat, a été rejeté en nouvelle lecture par les deux commissions spéciales. J’en appelle à votre vigilance quand nous examinerons cet amendement, car nos agriculteurs doivent eux aussi faire face à la complexité croissante des dossiers sans pour autant bénéficier d’un appui technique pour les remplir. L’agriculture est un secteur clé qui ne saurait être négligé dans ce projet de loi.

Le doute est aussi très fort sur l’expérimentation de la régionalisation des chambres d’agriculture. Monsieur le secrétaire d’État, j’espère que le point de vue du Sénat sur l’article 19 sera entendu par l’Assemblée nationale. Le transfert aux chambres régionales d’agriculture des missions des chambres départementales ne peut en aucun cas se faire sans l’accord de ces dernières.

Plus surprenant et clivant, enfin, le retrait des associations cultuelles du champ des représentants d’intérêts. La loi relative à la transparence de la vie publique, dite Sapin II, avait tranché le débat en définissant un représentant d’intérêts comme une organisation de droit privé qui exerce régulièrement une activité ayant pour finalité d’influencer la décision publique, notamment en matière législative ou réglementaire, et entrant en communication avec des décideurs publics.

Notre logique n’est pas de discriminer, mais de rétablir l’obligation pour les associations religieuses de se déclarer comme telles. D’ailleurs, qui pourrait encore soutenir que les associations religieuses n’ont pas eu d’influence sur les parlementaires, et cela dans un passé très récent ? C’est une question d’honnêteté intellectuelle.

Un sentiment d’étonnement s’impose quand on compare votre empressement à renouer la confiance avec les associations cultuelles et la défiance, voire le mépris dont vous faites preuve envers les corps intermédiaires.

La confiance que nous appelons de nos vœux est une confiance retrouvée avec nos citoyens autour d’un engagement républicain, d’un accès égal aux droits. Pourquoi remettre en cause l’une des valeurs fortes de notre République, la laïcité, quand ce texte en appelle à une confiance retrouvée du public avec l’administration ?

Nous en appelons en toute logique à une cohérence dans la transparence de la vie publique. L’actualité m’oblige à vous faire remarquer que cette transparence et cette confiance que vous appelez, nous souhaiterions également et avant tout la voir portée au plus haut sommet de l’État.

Vous l’aurez compris, sans évolution notable sur les sujets qui nous opposent, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui à nouveau un texte important pour refonder les relations entre l’administration et les usagers ; un texte qui peut être mis en perspective avec le discours du Président de la République devant le Congrès et avec vos annonces datant du début du mois, monsieur le secrétaire d’État, sur la réforme de vos services.

Le Gouvernement souhaite faire du retour de la confiance un axe majeur de son action. Il y réussit assez bien pour nos concitoyens, pour nos entreprises et pour les investisseurs, qui ont retrouvé confiance dans l’économie française. Il y réussit moins avec les élus locaux et avec les collectivités, avec lesquels la distance est malheureusement encore la règle, même si je connais votre souci des territoires, monsieur le secrétaire d’État.

Ce texte participe du choc de confiance que vous voulez créer à tous les niveaux de la société. Son importance tient avant tout à l’ambition d’un véritable changement de culture au sein de l’administration. Cela fait des années que nous essayons d’instaurer une culture de la confiance entre les administrations, les citoyens et les entreprises. Cela fait des années que nous cherchons à créer une administration plus responsable, plus ouverte, plus diligente et respectueuse des intérêts des forces vives de la Nation. Sans confiance, il ne peut y avoir ni sécurité juridique, ni croissance économique, ni surtout d’unité nationale.

Nous déplorons ainsi l’échec de la commission mixte paritaire, mais les désaccords étaient trop profonds. La commission spéciale du Sénat, présidée par Jean-François Husson, avait pourtant pris l’initiative de nombreux amendements pragmatiques de clarification, de précision ou tout simplement de suppression des dispositions les moins pertinentes. Elle avait également permis des évolutions substantielles, comme l’extension du bénéfice du droit à l’erreur aux collectivités territoriales et à leurs groupements.

Nous avions toutefois regretté en première lecture que cette volonté d’efficacité et de bon sens ait été poussée un peu loin sur certaines parties du texte. De même, la chasse légitime de notre commission à l’incompétence négative avait conduit à vider de leur substance plusieurs dispositions intéressantes du texte issu de l’Assemblée nationale.

Ces changements ont paru trop importants à nos collègues députés pour être pris en compte. Reconnaissons néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, que tout n’est pas à jeter dans ce texte du Sénat, qui a beaucoup travaillé, et de façon constructive.

S’agissant du droit à l’erreur des collectivités territoriales, nous espérons des réponses plus étoffées que la position de principe selon laquelle celles-ci ne sont pas des usagers. Certes, mais les petites communes se trouvent souvent dans des situations comparables à celle d’usagers fragiles face à la complexité des normes et des procédures.

Vous nous proposez, dans le projet de réforme constitutionnelle, un droit à la différenciation des collectivités. Vous nous avez annoncé, monsieur le secrétaire d’État, une déconcentration de proximité de la part de l’administration fiscale. Allons au bout de la logique, et je vous le propose, admettons, sinon un droit à l’erreur des collectivités, du moins une meilleure articulation entre la décentralisation et la déconcentration dont les rythmes différents déboussolent parfois les élus et les usagers.

Enfin, je voudrais conclure en rappelant les responsabilités qui pèsent sur l’administration dans la mise en œuvre de ce texte. Celui-ci appelle en effet de nombreuses expérimentations, de nombreuses habilitations, de nombreux décrets d’application et des exigences d’évaluation. En un mot, une grande responsabilité pèse sur le Gouvernement et les administrations pour faire de ce texte une réussite concrète et tangible.

L’adoption de ce texte doit être non pas une fin, mais le début d’une nouvelle logique pour l’administration. Celle-ci sera largement responsable de son échec ou de son succès. Alors que vous commencez la restructuration de vos services, c’est autour de cette nouvelle logique de conseil et d’accompagnement que les équipes et les pratiques doivent être rénovées.

En fin de compte, ce texte n’est qu’un début : l’administration devra mériter, en se réformant, la confiance que le législateur et l’ensemble des Français placeront en elle pour simplifier et améliorer leur quotidien. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et au banc des commissions.)