M. François Bonhomme. Il faut changer de régime !

Mme Éliane Assassi. Cela passe également, nous y reviendrons dans le cadre du débat constitutionnel, par une restriction des compétences du chef de l’État, son mode d’élection devant être interrogé.

La question d’une meilleure représentativité des parlementaires est également posée. Et ce ne sont pas quelques gouttes de proportionnelle invalidées par le seuil de 5 % des voix permettant d’accéder à la répartition de trois sièges qui changeront la donne !

Pour en revenir à la question précise des prérogatives parlementaires, le temps du débat, le droit d’amendement, le temps de parole doivent d’être défendus avec acharnement pour ne pas définitivement accepter le transfert du pouvoir législatif au Gouvernement et à la présidence de la République.

La remise en cause de la navette parlementaire par le projet de loi constitutionnelle s’inscrit dans le même objectif. Au-delà de la question des bienfaits ou non du bicamérisme et des qualités ou des défauts du Sénat, il est clair que l’objectif est de faire basculer tous les restes du pouvoir législatif vers l’Assemblée nationale, soumise, comme je viens de l’indiquer, au pouvoir présidentiel par la nature même de son élection.

Pour conclure le tout, Emmanuel Macron a décidé de liquider l’initiative parlementaire en accordant une nouvelle priorité pour l’examen des projets gouvernementaux, empiétant sur les temps réservés aux assemblées.

Comme vous le constatez, mes chers collègues, l’addition est lourde. Je l’ai dit, les origines de ce coup de force remontent à loin, et il est impératif aujourd’hui de remettre à plat ce que doit être la place du Parlement dans nos institutions et, par là même, ce que doivent être les prérogatives des assemblées dans ce cadre. Cette réforme ne peut être parcellaire. Elle remet en cause l’organisation même de nos institutions.

Nous aurons l’occasion dans les semaines à venir de mettre en avant nos propositions pour une nouvelle Constitution qui tourne le dos à la dérive autoritaire à laquelle nous assistons et qui redonne toute sa place au peuple, à son intervention.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous assistons à un coup de force qui est l’aboutissement d’un long processus. Comment ne pas évoquer, par exemple, l’abandon du pouvoir budgétaire aux autorités européennes par le biais du traité budgétaire européen ? Ce fut un coup important porté aux pouvoirs du parlement national.

Le coup de force entamé dès l’été dernier avec le recours aux ordonnances pour casser le code du travail s’est poursuivi avec l’application de la loi sur la sélection à l’université avant même son examen par le Sénat. Le Gouvernement méprise le Parlement en considérant tout texte déposé comme adopté et passe à l’étape suivante.

Ce mépris et ces coups de force à répétition exigent une prise de conscience, une réaction démocratique et républicaine forte. C’est pour cela que nous avons demandé ce débat et que nous nous opposerons avec force dans le rassemblement le plus large aux réformes profondément antidémocratiques annoncées ces derniers jours. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Éric Kerrouche applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel.

Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de l’évolution du rôle du Parlement face au pouvoir exécutif. Il ne pourrait être de débat plus brûlant et plus pertinent à la suite du vote bloqué auquel nous venons d’assister sur la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles et compte tenu de l’impatience, voire de l’excitation, liée à l’ouverture prochaine des discussions parlementaires sur la future révision constitutionnelle.

Mes chers collègues, remontons quelques instants, si vous le voulez bien, à la genèse de la Ve République. Les pères fondateurs souhaitaient rompre avec l’instabilité ministérielle caractéristique de la IVe République en instituant un parlementarisme que l’on disait déjà rationalisé. Dans ce cadre, l’opposition parlementaire pouvait difficilement se faire entendre, et les possibilités pour l’Assemblée nationale de renverser le Gouvernement étaient limitées. La fonction de contrôle de l’action gouvernementale était en quelque sorte neutralisée, privant en partie le Parlement de son rôle de contre-pouvoir. L’affirmation de l’exécutif était au cœur du projet constitutionnel, volonté intimement liée à une vision dépréciée du pouvoir législatif, qu’il s’agissait de limiter.

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, marqua un tournant fondamental dans l’histoire de nos institutions. Après plusieurs décennies de subordination, les pouvoirs du Parlement ont été fort opportunément reconsidérés et la tutelle de l’exécutif singulièrement diminuée. Ainsi, le Gouvernement ne peut plus recourir de manière parfois abusive ou illimitée à l’article 49.3. Par ailleurs – c’est extrêmement important –, il n’est plus l’unique maître de l’ordre du jour, celui-ci étant partagé. Enfin, les droits de l’opposition ont été renforcés et les conditions de discussion des projets et propositions de loi améliorées par la réhabilitation des commissions, le débat parlementaire ayant aujourd’hui lieu non pas sur le texte proposé par le Gouvernement, mais sur un texte élaboré, et souvent amélioré, par les parlementaires. La portée et la qualité des délibérations en sont enrichies.

La révision constitutionnelle de 2008 a marqué une étape extrêmement importante dans l’histoire de notre démocratie en procédant à un rééquilibrage des pouvoirs.

Aujourd’hui, le Gouvernement entend faire une réforme « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ». Madame la garde des sceaux, permettez-moi d’exprimer les interrogations assez fortes du groupe Union Centriste sur les conséquences des dispositions annoncées – ou dont on entend beaucoup parler – et qui ressemblent fort à une limitation des droits du Parlement.

Sous couvert d’un souci d’efficacité, l’ordre du jour pourrait être confisqué aisément par l’exécutif. Dès lors qu’un texte relatif à la politique économique, sociale ou environnementale serait jugé urgent, le Gouvernement pourrait décider de l’inscrire en priorité à l’ordre du jour. Il y a un risque que les urgences se transforment en ordinaire et deviennent la norme, l’ordre du jour réservé aux parlementaires se réduisant comme peau de chagrin.

Autre signe inquiétant : le Gouvernement envisage un droit d’amendement encadré par de nouveaux critères de recevabilité particulièrement sévères qui contreviennent au pouvoir d’initiative et à la liberté des parlementaires, alors que les textes adoptés par le Parlement sont aujourd’hui majoritairement des projets de loi et que l’amendement constitue notre principale arme législative – au sens positif et pacifique du terme.

Enfin, le rôle de contrôle du Parlement sur l’action du Gouvernement est passé sous silence. C’est le grand oublié de la révision constitutionnelle, alors qu’il s’agit d’une mission essentielle du Parlement. Dans toutes les grandes démocraties libérales, les parlementaires devraient ainsi disposer de moyens d’action renforcés pour évaluer les politiques publiques et l’efficience de l’action publique.

Disons-le clairement, le travail parlementaire est perfectible ; il doit être amélioré et sans doute nous arrive-t-il souvent – il faut le confesser pour parler vrai et juste – de nous sentir encombrés face à une inondation d’amendements présentés sur certains textes. Il faut toutefois reconnaître que, parallèlement à la contribution forte des législateurs à cette incontinence d’amendements, la responsabilité de l’exécutif ne doit pas être niée, car nous avons affaire à des projets de loi confus, insuffisamment préparés, voire fourre-tout ou s’apparentant à des cabinets de curiosités – je fais référence au projet de loi Égalité et citoyenneté dont j’étais rapporteur.

M. Patrick Kanner. Un très bon texte !

Mme Françoise Gatel. Avec un excellent ministre ! (Sourires.)

Les amendements fleurissent parfois à cause de ces textes insuffisamment préparés qui nous sont proposés par le Gouvernement.

La discussion parlementaire peut effectivement gagner en efficacité et en fluidité – le Sénat a d’ailleurs montré l’exemple. Nos deux assemblées ont tout à gagner d’une amélioration de la fabrique de la loi. Toutefois, les mesures envisagées par le Gouvernement ressemblent fort à une rationalisation aveugle du travail parlementaire et écornent sérieusement la capacité à agir du Parlement.

Le Parlement – je pense que vous en serez d’accord, madame la garde des sceaux – n’est pas et ne doit pas être une chambre d’enregistrement ou d’exécution obligée des souhaits d’un gouvernement aussi légitime soit-il. La démocratie ne peut vivre que sur les deux piliers que doivent être un exécutif fort et un législatif fort.

Toute réflexion sur l’évolution des droits du Parlement serait incomplète sans citer la fonction essentielle du Sénat qu’est la double représentation de la population et des territoires. Notre pays puise son équilibre et sa cohésion démocratique dans la diversité de ses deux chambres.

Or la singularité du Sénat, chambre de la sagesse et de la réflexion, moins soumise à une opinion publique trop souvent volatile que l’Assemblée nationale, court le risque d’être dénaturée, puisque le Gouvernement entend limiter la navette parlementaire au détriment de la Haute Assemblée. Le texte prévoit que, en cas de désaccord entre le Sénat et l’Assemblée nationale et d’échec de la commission mixte paritaire à adopter une version commune d’un texte de loi, le Gouvernement pourrait demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement, privant le Sénat de son droit d’expression.

Madame la garde des sceaux, c’est vraiment un sérieux et très mauvais coup porté au bicamérisme et à ce qui fait son intérêt, à savoir le dialogue et l’échange constructifs entre les deux chambres, qui donnent le temps nécessaire à l’élaboration d’un texte plus juste, plus pertinent, comportant moins d’erreurs et de lacunes.

Enfin, le bicamérisme peut constituer – je le dis avec beaucoup de gravité – un obstacle à l’omnipotence et à l’impétuosité d’une chambre unique mue par des initiatives trop souvent impulsives, a fortiori depuis l’introduction du quinquennat, qui engendre trop souvent une soumission de fait de l’Assemblée nationale au pouvoir exécutif.

Le Gouvernement veut réformer et réformer vite. J’aurais préféré qu’il veuille réformer bien. Cette impatience réformatrice fait fi du temps nécessaire et incompressible à la fabrication de la loi et au contrôle de l’exécutif.

La démocratie a besoin de ce double pouvoir, d’un exécutif fort et d’un pouvoir législatif fort. N’insultons pas l’avenir, madame la garde des sceaux – je le dis encore une fois avec beaucoup de gravité –, car qui parmi nous peut prédire qui sera au pouvoir demain, ce qu’il sera et ce que l’exécutif fera des libertés et de l’autorité qu’il entend aujourd’hui requérir de nous, parlementaires ?

Nous veillerons à ce que la Constitution protège la démocratie dans le respect de la liberté et de l’autonomie des chambres. Nous aurons sûrement l’occasion d’en reparler longuement lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle. (MM. Pierre Charon et Patrick Kanner applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Éric Kerrouche. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, la loi est en quelque sorte un substitut aux vertus, disait Montesquieu. Ne l’oublions pas !

Nul n’ignore dans cette assemblée le contexte historique qui a présidé à la naissance de la Ve République il y a maintenant soixante ans. L’instabilité gouvernementale de la IIIe et de la IVe République, souvent dénoncée en raison du rôle des partis politiques et du poids des assemblées, a conduit en contrepoint à construire un exécutif fort. Or d’autres démocraties fonctionnent aussi bien que la nôtre sans que l’exécutif y soit doté de prérogatives aussi importantes. Il faut donc se souvenir que ce sont bien des circonstances historiques exceptionnelles, notamment l’incapacité du régime mis en place en 1946 à répondre au défi de l’insurrection de 1958, qui expliquent en grande partie l’instauration de la Ve République en France et la mise en place d’un parlementarisme hyperrationalisé et, par la suite, hyperprésidentialisé ; j’y reviendrai.

La tendance de l’hyperprésidentialisation s’est atténuée, mais la réforme qui nous est proposée nous ferait revenir en arrière. En effet, la VRépublique a accordé des pouvoirs relativement marginaux à notre parlement comparativement à ceux qui existaient sous les républiques précédentes. En synthétisant, on peut dire que notre Constitution a complètement déplacé le centre décisionnel de l’État, du Parlement vers l’exécutif. En clair, entre les élections en France, c’est à l’exécutif qu’il revenait de déterminer les orientations de l’action politique.

Par ailleurs, l’élection au suffrage universel direct du Président de la République a fait glisser notre pays, dans les classifications internationales, dans la catégorie des régimes semi-présidentiels, caractérisés par une responsabilité duale : le Gouvernement a besoin d’être soutenu et/ou accepté non seulement par le Parlement, mais également par le Président de la République.

Le système français se singularise par la place qu’occupe la fonction présidentielle. Cette dernière concentre tous les pouvoirs – hors cohabitation – et les conserve, du moins dans leur faculté d’empêcher, pendant cette cohabitation.

Par ailleurs, on le sait, le passage au quinquennat et l’organisation des élections législatives à l’issue de l’élection présidentielle rendent désormais presque improbables les périodes de cohabitation, les élections législatives faisant office de lune de miel dans la mesure où elles ne sont que des élections de confirmation.

Du point de vue symbolique, le fait que le Président de la République apparaisse dès le titre II de notre Constitution est sans doute révélateur. Je ne vais pas citer l’ensemble des articles qui montrent sa puissance, mais je rappelle que l’article 5, en lui confiant un rôle d’arbitre, lui donne, selon l’expression de Georges Burdeau, en 1959, « le vrai pouvoir d’État » et que l’article 19 lui confère de nombreux pouvoirs dispensés de contreseing ; n’oublions pas non plus l’article 16, même si son utilisation reste exceptionnelle.

Compte tenu de l’accumulation de toutes ces dispositions, les experts sont unanimes pour classer notre parlement parmi les parlements faibles au niveau international. Je tiens à préciser que, même après la réforme de 2008, notre parlement reste très faible, voire défaillant si on le compare aux parlements d’autres démocraties occidentales. La proposition qui nous est faite vise donc à revenir sur une situation déjà défavorable au Parlement.

Je ne reviendrai pas sur les différents mécanismes de parlementarisme rationalisé, dont nous avons eu une illustration ce soir. Les réformes successives ont tenté de corriger cette tendance inhérente à la Ve République. Je tiens cependant à souligner qu’elles ont toutes été menées dans le sens de nouvelles conquêtes pour le Parlement et que, la plupart du temps, on a fait appel à des comités d’experts, qu’ils soient présidés par des élus ou par des universitaires, pour tenter de corriger les maux connus de notre Constitution.

Je pense qu’il est inutile de revenir sur les avancées de la révision de 2008. Elles sont certes importantes, mais ne suffisent pas à corriger le déficit structurel de pouvoir de notre parlement.

C’est là qu’intervient le projet de loi constitutionnelle qui nous sera bientôt soumis. Alors que l’histoire constitutionnelle va normalement en montant, la réforme qui nous est proposée lui ferait décrire un cercle. La perspective est en effet de revenir en arrière, et même avant la République de 1958, à une période où le Parlement était infantilisé.

Dans sa récente adresse au Parlement européen, le Président de la République a appelé l’Europe à résister aux tentations autoritaires. Heureuse inspiration sémantique quand le projet de réforme institutionnelle qui nous est présenté revêt précisément toutes les caractéristiques de l’autoritarisme ! Nous assistons vraiment à un retour vers le futur, pour reprendre le titre d’un film connu, tant les droits du Parlement connaissent une régression drastique.

La révision constitutionnelle de 2008 a opéré un nouveau partage de l’ordre du jour ; le Gouvernement nous propose tout simplement d’y mettre fin en empiétant sur l’initiative parlementaire et, par conséquent, en réduisant les droits des groupes minoritaires et d’opposition.

Le Sénat a su faire preuve de sérieux pour limiter l’inflation du nombre d’amendements, mais ce n’est manifestement pas suffisant. Au lieu de s’interroger sur la qualité initiale de la loi, des études d’impact ou la nature fourre-tout de certains textes, le Gouvernement renforce ou veut renforcer les irrecevabilités pour encadrer au maximum le droit d’amendement, qui est essentiel à la fabrique d’une loi de qualité quand il n’en transforme pas complètement et radicalement l’économie. Le Parlement n’est probablement plus celui de l’éloquence, il doit cependant demeurer l’arène essentielle du débat démocratique.

Que dire encore de la réforme de la navette parlementaire, qui réduit tout simplement le Sénat à un rôle de spectateur, alors que sa mission est essentielle au fonctionnement du bicamérisme ?

Il n’y a aucune efficacité à la dégradation du travail parlementaire, à plus forte raison quand il s’agit de la loi de finances, poussant ainsi subtilement à adopter le budget par ordonnances. Je vous le rappelle, l’Allemagne adopte ses textes en moyenne en 152 jours, contre 149 en France et 30 en Hongrie. Mais je ne sais pas s’il faut se tourner vers cet exemple…

M. Jean-Claude Requier. Et en Corée du Nord ? (Sourires.)

M. Éric Kerrouche. Que dire, enfin, du renouvellement complet du Sénat en 2021 qui nous est proposé, la dernière surprise ?

Alors que le renouvellement partiel du Sénat, chambre de la continuité, est une garantie de la stabilité des institutions, le Gouvernement innove en proposant la dissolution de la chambre haute… Sauf à supposer que le résultat des précédentes élections n’ait pas eu l’heur de plaire à la majorité présidentielle !

En usant à l’envi de la sémantique managériale, le Gouvernement ne pose pas les bonnes questions et apporte donc de mauvaises réponses. Car la première question que nous devrions nous poser est la suivante : si chacun s’accorde à dire que la fabrique de la loi peut être améliorée, que la démocratie doit être revitalisée, sur quel diagnostic se fonde cette réforme ? Quel est le sens de cette réforme ? Apporte-t-elle des réponses au désenchantement démocratique ? Remet-elle le citoyen au centre de la décision ? Que nenni !

En définitive, cette révision constitutionnelle semble être celle de l’exécutif pour l’exécutif et par l’exécutif : elle incarne l’hyperconcentration des pouvoirs, la crainte d’un débat parlementaire contradictoire, qui est l’essence de la démocratie, et l’éloignement démocratique.

Ne nous y trompons pas, la réforme des institutions touche tout le quotidien, car elle touche à notre démocratie.

La réforme concerne aussi la représentation des parlementaires. Ce n’est pas en abaissant le nombre de parlementaires ni le Parlement qu’on rendra l’institution plus légitime.

De ce point de vue, la proposition qui nous est faite va vers une impasse démocratique ; elle ne mesure à aucun moment le danger que représente une telle atrophie dans le temps des contre-pouvoirs. Pour ces raisons, l’ensemble du groupe socialiste s’est engagé à réaliser un travail de fond, en vue de formuler des propositions, afin de rééquilibrer les pouvoirs entre le Parlement, le Gouvernement et le Président de la République, et ce non pas dans le sens qui nous est proposé.

Je terminerai mon propos en rappelant qu’il nous faut revenir à l’esprit initial de la Ve République. À cet égard, je vous invite à relire la conclusion du discours de Bayeux du général de Gaulle en 1946 : « Des Grecs, jadis, demandaient au sage Solon : “Quelle est la meilleure Constitution ?” » Il répondait : « Dites-moi, d’abord, pour quel peuple et à quelle époque ? » Cette question vaut toujours aujourd’hui. Le général de Gaulle poursuivait son propos en ces termes : « Soyons assez lucides et assez forts pour nous donner […] des règles de vie nationale qui tendent à nous rassembler quand, sans relâche, nous sommes portés à nous diviser. »

Que cette parole forte, qui a inspiré la Ve République, puisse nous porter et qu’elle fasse revenir le Gouvernement sur sa volonté actuelle de bâillonner le Parlement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, en 1958, afin de mettre fin à des années d’instabilité gouvernementale ayant marqué la fin de la IVe République, les rédacteurs de la Constitution ont multiplié les instruments donnés au Gouvernement pour assurer sa stabilité et ses moyens d’action. Ainsi, le Parlement s’est vu, dès la naissance de la VRépublique, limité dans sa fonction législative.

L’un des objectifs affichés de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a nécessité la modification de plus de la moitié des articles de la Constitution, a été de renforcer le Parlement législateur, en passant tout à la fois par une réappropriation de la procédure législative par les deux assemblées et une revalorisation de la norme législative. Si un certain nombre de dispositions ne concernaient pas directement le Parlement, en revanche, l’essentiel de la révision tendait à établir un nouvel équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

La réforme constitutionnelle de 2008 a ainsi permis de revenir sur des éléments souvent considérés comme fondateurs de la Ve République, tels que l’impossibilité pour le Président de la République de s’exprimer lui-même devant le Parlement, l’interdiction faite aux assemblées de voter des résolutions à l’adresse du Gouvernement, la prédominance du Gouvernement sur l’ordre du jour des assemblées ou encore l’engagement de la discussion législative sur le texte du Gouvernement et non sur celui de la commission.

La révision de 2008 est à l’origine d’évolutions majeures : un nouveau partage de l’ordre du jour, le renforcement du rôle législatif des commissions, l’instauration d’un délai d’examen des textes, de nouvelles règles de présentation des projets de loi, la précision des règles de recevabilité des amendements, de nouvelles prérogatives pour les présidents d’assemblée dans la procédure législative, un encadrement du recours à l’article 49.3, la reconnaissance de droits aux groupes d’opposition ou minoritaires ou encore le développement du rôle du Parlement en matière internationale et européenne – tout en n’étant pas exhaustive, cette liste montre bien l’importance de cette révision.

C’est non pas seulement le rôle législateur du Parlement qui a été renforcé à cette occasion, mais également le Parlement contrôleur. Néanmoins, je crois que nous pouvons admettre collectivement que nous ne nous sommes pas approprié l’ensemble des moyens constitutionnels à notre disposition pour ce qui concerne la fonction de contrôle.

Avec la révision qui s’annonce cette année, nous avons une occasion de conforter le travail de rééquilibrage des institutions commencé en 2008.

La semaine dernière, vous avez présenté, madame la garde des sceaux, le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Nous partageons avec le Gouvernement et le Président de la République ce triple objectif. Le texte présenté constitue l’aboutissement d’une annonce faite par le Président de la République à l’ensemble des parlementaires réunis en Congrès le 3 juillet 2017. Néanmoins, ce projet de loi constitutionnelle soulève plusieurs interrogations quant à l’équilibre nouveau trouvé en 2008.

En premier lieu, le texte présenté envisage d’encadrer le droit d’amendement des parlementaires. La limitation d’un tel droit conduirait à un renforcement de la prédominance du pouvoir exécutif. Cela risque d’ailleurs de poser un problème constitutionnel, puisque le droit d’amendement est une liberté fondamentale des parlementaires qu’une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel a eu à cœur de garantir. Contraindre davantage cette liberté limiterait un droit consubstantiel au mandat parlementaire, qui est le sens même de la fonction de législateur, même s’il faut bien considérer que, parfois, des amendements présentés sont extrêmement éloignés des débats. Il est peut-être opportun de trouver des solutions à ce problème.

En deuxième lieu, il est proposé de modifier le fonctionnement de la navette parlementaire. En cas de désaccord avec le Sénat, l’Assemblée nationale ne serait plus amenée à se prononcer sur la version sénatoriale. Évidemment, l’objectif final est d’avoir une loi bien construite, bien travaillée, et l’importance du Sénat dans cet exercice n’est plus, me semble-t-il, à démontrer.

En troisième et dernier lieu, même si l’on peut comprendre le désir de l’exécutif de vouloir modifier le principe de l’ordre du jour partagé, en permettant au Gouvernement de le fixer prioritairement dans certains cas, cela ne peut se faire au détriment du rôle même des assemblées. Il y va du nécessaire équilibre institutionnel instauré par la réforme constitutionnelle de 2008. Cela conduirait à accorder au pouvoir exécutif une prérogative qui, à mon avis, prédominerait excessivement sur celle du Parlement.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, si la volonté du Gouvernement de vouloir répondre aux attentes de nos concitoyens en rationalisant davantage le fonctionnement du Parlement est louable et souhaitable, nous sommes tous attentifs sur les points que je viens d’aborder et qui ont été évoqués précédemment par d’autres orateurs, et des discussions seront nécessaires tout au long de la procédure parlementaire. Le groupe Les Indépendants y prendra pleinement part lors des prochains débats parlementaires, tout en restant ouvert à l’idée d’une plus grande célérité et d’une plus grande efficacité des travaux parlementaires. Exécutif et législatif ont tous deux le même objectif : la réussite de la France. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la nature des relations entre le Parlement et le Gouvernement est un sujet de premier ordre dans une démocratie : elle mérite que l’on s’interroge plus encore à l’approche d’une importante réforme constitutionnelle.

Depuis l’installation d’un régime parlementaire sous la IIIe République, les droits du Parlement ont régulièrement évolué sous l’effet de révisions constitutionnelles, mais également en fonction de pratiques institutionnelles variables. Ils ne peuvent donc jamais être regardés comme acquis et doivent sans cesse être défendus par ceux qui ont reçu un mandat de la Nation et qui sont résolus à l’honorer. La défense de ces droits commence par leur exercice plein et entier : le droit de questionner et de contrôler l’action gouvernementale, mais également le droit de proposer des textes de loi de leur propre initiative ou d’amender ceux qui sont soumis à leur examen.

Plusieurs des grands progrès intervenus sous la IIIe et la IVe République sont à mettre au crédit de parlementaires, en particulier les radicaux, qui ont eu l’ambition d’exercer pleinement les droits attachés à leur mandat. Je pense en particulier aux lois scolaires soutenues au Parlement par les « Républicains opportunistes » et à la loi de séparation des Églises et de l’État, dont l’équilibre final fut imposé par la chambre des députés au ministre, conduite par son rapporteur Aristide Briand. Ironiquement, c’est pourtant le nom du ministre Émile Combes, le « petit père Combes », qui est resté pour la postérité…

Les fondateurs de la VRépublique, constatant les limites des précédents régimes liées à l’instabilité gouvernementale, ont considérablement encadré les droits des parlementaires, au nom d’un parlementarisme dit « rationalisé ».

Le droit d’interpellation, redouté par tous les présidents du Conseil, qui étaient les Premiers ministres de l’époque, a été réduit à néant avec l’instauration de la procédure de motion de censure à l’article 49.

Le droit d’amendement a également subi d’importantes limitations, en étant restreint au domaine de la loi, explicitement défini dans le texte constitutionnel, et considérablement encadré par la règle de l’irrecevabilité financière.

Quant à l’initiative parlementaire des groupes minoritaires ou d’opposition, elle a disparu jusqu’à la révision constitutionnelle de 2008 et l’introduction d’un ordre du jour réservé.

Mais, en parallèle, la croissance de la production normative européenne continue de représenter un défi pour notre parlement, qui reste relativement peu associé aux travaux des institutions européennes en comparaison des pratiques que l’on observe ailleurs, comme en Allemagne.

Il faut y ajouter les faibles pouvoirs de contrôle, alors que le champ et les moyens des commissions d’enquête sont considérablement encadrés par le droit et la jurisprudence constitutionnels, contrairement à ceux dont jouissent la Chambre des représentants et le Sénat américains.

Pourtant, malgré sa capacité d’action contrainte, y compris après le rééquilibrage institutionnel de 2008, la Haute Assemblée a toujours fait un usage raisonné de ses droits : l’obstruction y est rare et le manquement aux règles des irrecevabilités y est strictement sanctionné. Lors de l’examen de la loi pour un État au service d’une société de confiance en commission, trente-cinq amendements ont ainsi été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 et cinq au titre de l’article 40.

La récente adoption de la procédure de législation en commission, la PLEC, illustre par ailleurs la capacité de notre institution à s’autoréguler, dans un souci d’efficacité législative.

Pour notre part, nous restons attachés à la conception du parlementarisme des jeunes radicaux que décrivait Jean Jaurès dans La Dépêche du 30 juillet 1887, c’est-à-dire une méthode de travail où des « efforts incessants de conciliation et de transaction » permettent de dépasser les clivages et soutenir les progrès sociaux et économiques. Or cette conception implique a minima de laisser les parlementaires exercer leur droit d’amendement dans des conditions symétriques à celles du Gouvernement.

Nous considérons en outre que l’existence de discussions sincères et développées au Parlement est la meilleure réponse que nous puissions apporter au besoin de transparence de nos concitoyens, devenu impérieux. La publication des amendements soutenus par chaque parlementaire permet justement une grande traçabilité de l’activité des uns et des autres, donc de leurs responsabilités. De même, la publicité des débats permet également l’explicitation d’arbitrages réalisés au niveau interministériel et de s’assurer que l’ensemble des intérêts ont été pris en compte.

Il n’est pas anodin que ce débat proposé par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste se tienne dans le contexte particulier né de l’utilisation du vote bloqué sur une proposition de loi visant à revaloriser les pensions de retraite agricoles. Il intervient également après plusieurs réformes ayant contribué à affaiblir indirectement la capacité des parlementaires à apporter des solutions concrètes aux attentes de leurs concitoyens sur le terrain, qu’il s’agisse de l’encadrement du cumul des mandats ou de la suppression de la réserve parlementaire. En cherchant la vertu à tout prix, on crée des parlementaires hors sol.

L’inadéquation entre les moyens juridiques accordés aux parlementaires et la grande responsabilité collective que leur attribuent les citoyens, par leur appartenance à ce qu’on appelle la « classe politique », a atteint sur ce sujet un point critique. Ce constat constituera le point de départ de la réflexion que le groupe du RDSE s’apprête à mener à l’approche de la réforme constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)