Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. Je trouve que nos débats sont éclairants. Vous le voyez, madame la ministre, la Haute Assemblée mérite de l’attention : il s’y passe des choses qui font que les projets de loi deviennent plus intelligibles.

Je voudrais revenir sur le débat sémantique entre orientation et sélection, qui me semble un peu abscons.

Nous ne discutons pas ex nihilo du meilleur système d’affectation. Le système d’orientation des étudiants que vous nous proposez est contraint. Je vous rappelle, madame la ministre, que notre groupe est le seul à ne pas avoir voté votre budget, car nous estimions qu’aucun moyen supplémentaire n’était alloué à l’enseignement supérieur en 2018. Or il faut, d’une part, remettre à niveau les établissements, qui sont dans un état catastrophique sur le plan matériel et, d’autre part, mieux accueillir les nouveaux entrants. La profession s’accorde unanimement sur la nécessité d’injecter environ 1 milliard d’euros par an, quand vous nous proposez seulement quelque 500 millions d’euros sur la durée du quinquennat. C’est largement insuffisant !

Je ne mets pas en doute votre sincérité. Je sais que vous agissez dans un domaine politiquement contraint, le Gouvernement assumant sa volonté de diminuer la dépense publique. Il vient par ailleurs d’annoncer un plan de licenciement massif de 120 000 fonctionnaires… Dans ce contexte, je ne vois pas comment vous allez réussir à trouver des moyens supplémentaires.

En commission, pour répondre à mes interrogations, vous aviez employé une formule miracle : il suffit de dégeler des postes. Mes collègues de l’université Paris I m’ont précisé que, sur les trente-cinq postes gelés, vos moyens avaient permis d’en dégeler quatre… Croyez-vous vraiment que ces quatre personnes supplémentaires vont pouvoir trier 50 000 dossiers ?

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, sur l’article.

M. Pierre Laurent. L’ambiance catastrophiste pour évoquer la situation universitaire de notre pays, en particulier le taux d’échec, sert à justifier, nous semble-t-il, une politique de restriction et un manque d’ambition en matière de formation des étudiants.

Avec un taux de diplomation autour de 80 %, la licence à la française fait plutôt figure de bon élève au sein de l’OCDE. On est donc loin des chiffres claironnés partout et qui se contredisent d’ailleurs d’une présentation à l’autre.

Comme l’avançait en son temps Edgar Faure – toutes les études postérieures l’ont confirmé –, c’est en augmentant progressivement le nombre de titulaires du certificat d’études, puis du baccalauréat et, enfin, d’un diplôme du supérieur que l’on forme les travailleuses et les travailleurs de demain. C’est encore plus vrai aujourd’hui. On parle, à poste égal, d’un rapport de productivité de 1 à 2 entre un salarié qualifié et un salarié non qualifié. Le besoin de travailleurs de plus en plus qualifiés ne cesse aujourd’hui d’augmenter, a fortiori avec la révolution numérique.

Nous le savons tous, les carrières sont de plus en plus évolutives, exigeant des capacités auxquelles le supérieur prépare, les travailleuses et travailleurs polyvalents étant les plus à même de changer de profession et d’entreprise.

Il est essentiel de rappeler que la détention d’un diplôme du supérieur est un formidable rempart contre le chômage, toujours perfectible, certes, mais bien réel. Même si le chômage des jeunes diplômés reste un problème et qu’il tend à se développer, le taux de chômage à trois ans est de 50 % pour les non-diplômés, alors qu’il n’est « que » de 13 % pour les diplômés du supérieur et de 26 % pour les diplômés du secondaire.

Quand on entend dire qu’il faut mettre un terme au « mythe du supérieur pour toutes et tous », nous comprenons qu’il faudrait en finir avec la possibilité pour toutes et tous de se construire un avenir. Nous le déplorons et restons attachés à une ambition de formation pour les étudiants du supérieur. Elle manque singulièrement dans le débat qui nous occupe aujourd’hui.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. Je veux insister sur le fait que les jeunes femmes seront les premières victimes de votre réforme, madame la ministre, bien qu’elles soient plus nombreuses dans les séries générales et qu’elles réussissent mieux au baccalauréat. En effet, les attendus, dont on arrive déjà à appréhender le cadre par les premières délibérations des établissements et le document de cadrage du ministère, laissent craindre la création de tunnels du secondaire vers le supérieur. De fait, l’officialisation de ces tunnels pose la question de la perpétuation à l’échelon du supérieur de l’orientation sexuée.

Officialiser des barrières, notamment concernant les séries au baccalauréat, c’est empêcher celles et ceux qui veulent poursuivre leurs études dans une autre direction que celle ouverte par la série choisie de s’orienter vers leur projet d’études. Pour les jeunes femmes, cette orientation biaisée dans le supérieur représente un obstacle supplémentaire, dans la mesure où le choix de série, dès la fin de la troisième, est déjà genré.

Ainsi, comme le montrait Françoise Vouillot, les stéréotypes sexistes influencent les orientations, a fortiori dans l’âge de construction de soi. C’est comme cela qu’on se retrouve avec une filière littéraire composée à 81 % de lycéennes, contre à peine 45 % en filière scientifique. Sur ce point, il est d’ailleurs intéressant de noter que, dans le cas de la filière S, à note égale, un vœu de lycéen est plus souvent respecté qu’un vœu de lycéenne… On retrouve aussi cette différentiation sexuée en filières technologiques et professionnelles, où la distinction se fait entre filières de production pour les jeunes hommes et filières de services pour les jeunes femmes. On peut faire ce constat dans tous les pays, notamment occidentaux, comme le pointait un rapport de l’UNESCO…

De fait, en créant des barrières à l’entrée en L1 en fonction des séries et enseignements, comme l’ont déjà décidé certaines universités et comme l’impliquent les attendus nationaux, vous rassurez certains élèves, certes, mais vous maintenez les jeunes femmes dans une orientation genrée. Je vous l’accorde, madame la ministre, le travail d’émancipation des jeunes femmes ne débute pas à la fin du lycée, mais il aurait été de bon ton que votre réforme n’ajoute pas une pierre à cet édifice d’orientation subie.

En autorisant certaines universités à filtrer les candidatures en licence en fonction de la série du baccalauréat obtenue et en mentionnant dans les attendus nationaux des critères orientant les jeunes en fonction de leur série, vous transférez vers l’enseignement supérieur l’orientation sexuée subie au lycée. Cela est d’autant plus regrettable que cette orientation genrée a évidemment des répercussions à long terme, dans le milieu professionnel, avec des métiers qui sont très majoritairement masculins et d’autres qui sont au contraire quasi exclusivement occupés par des femmes.

Cette non-mixité de certains métiers et certaines filières est pour le moins archaïque, source d’inégalités professionnelles et salariales. On s’éloigne encore de la volonté exprimée par le Président de la République de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes une grande cause du quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, sur l’article.

Mme Marie-Pierre Monier. Nous sommes d’accord sur un point essentiel : nous ne pouvions continuer à accepter une admission post-bac conditionnée à un tirage au sort. Il fallait changer ce processus de décision totalement injuste. Cependant, Parcoursup ne répond ni aux exigences d’aujourd’hui ni à celles de demain, car la problématique première est le manque de moyens humains et financiers. Le besoin est estimé à 1 milliard d’euros par an pour faire face à la démographie étudiante, comme l’a rappelé Gilles Roussel, le président de la CPU.

Je souhaite aborder plus spécifiquement la question de l’orientation. Le texte reste assez flou à ce sujet, et le dispositif d’information et d’orientation dont il est question devra nécessairement faire l’objet de mesures réglementaires pour le préciser.

Pour avoir été professeur principal en collège pendant de très nombreuses années, je peux vous dire que l’orientation ne commence pas en terminale. Cette classe ne marque pas le début, mais, au contraire, la fin du processus d’orientation, entamé au moins sept ans auparavant. En terminale, le bac est déjà choisi ! Or, ne nous le cachons pas, selon le type de bac réussi, les prérequis attendus et les compétences indispensables pour affronter et réussir la période post-bac ne seront pas les mêmes.

Dès le collège, avant même l’orientation en lycée, quel qu’il soit, il faut travailler de façon régulière, accompagner l’élève dans son cheminement et sa réflexion sur son avenir, mais aussi dans sa connaissance des filières et sa découverte du monde du travail.

Il faut aussi accompagner l’élève dans sa réflexion sur l’estime de soi, l’image qu’il a de lui-même et la confiance qu’il a en lui.

Il faut arriver à casser les stéréotypes existant sur la sexualisation des métiers, comme l’a souligné Laurence Cohen.

Il faut ouvrir les jeunes bacheliers ruraux à la perspective d’études supérieures plus longues et effectuées plus loin du domicile que ce qui est généralement constaté – je vous renvoie, mes chers collègues, au rapport du CESE de janvier 2017.

Aujourd’hui, comme le révèlent de nombreux témoignages sur le processus de préinscription ouvert il y maintenant plusieurs semaines, beaucoup d’élèves arrivés en terminale ont du mal à se projeter et se retrouvent démunis pour répondre à certaines demandes, comme une lettre de motivation. La plupart n’ont jamais rédigé de telles lettres et ne savent pas toujours quoi répondre, ni sur eux ni sur leurs motivations profondes.

Oui, l’orientation s’apprend ! C’est un « processus long qui ne dépend pas seulement d’une décision à un moment T », comme le souligne Mme Bérengère Benoit, conseillère d’orientation au CIO de Rennes. J’espère que ces éléments seront pris en compte dans le cadre des mesures réglementaires qui accompagneront ce texte, afin que l’objectif d’une meilleure réussite des étudiants dès le premier cycle ne se réduise pas à une mécanique plus ou moins déguisée de sélection de l’accès au premier cycle de l’enseignement supérieur, mais passe par une orientation réussie, c’est-à-dire une orientation choisie par l’élève, qui remettrait l’élève au cœur du choix. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly, sur l’article.

M. Patrice Joly. Nous voulons tous ici remédier à l’échec trop important des étudiants dans leur parcours pour accéder à la licence. Toutefois, le dispositif que vous proposez, madame la ministre, notamment pour les filières en tension, n’est pas à la hauteur des enjeux. La possibilité d’un « oui, si » ou d’un « non » introduit un tri des lycéens à travers un certain nombre de filtres. Il s’agit d’une sélection déguisée, qui renforcera les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur au détriment des bacheliers issus des classes modestes et défavorisées, notamment ceux qui sont issus des territoires ruraux.

La question centrale qui doit être posée, et qui est malheureusement insuffisamment traitée par ce texte, est celle de l’égalité des étudiants face aux études supérieures. Si l’on prend l’exemple de la Nièvre, que je connais bien, et celui de la Bourgogne-Franche-Comté, on s’aperçoit que le taux d’accès à l’enseignement supérieur reste inférieur à la moyenne nationale. Cet écart est encore plus manifeste pour les titulaires d’un bac professionnel. En effet, seul un sur deux poursuit une formation post-bac.

La région Bourgogne-Franche-Comté souffre d’un déficit réel en matière de diplômés de l’enseignement supérieur : on observe un écart négatif de plus de 5 % entre la proportion d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur au niveau national et au niveau régional, alors même que le taux de réussite au bac est supérieur à la moyenne nationale. Le principal frein à l’accès à l’enseignement supérieur auquel sont confrontés les jeunes nivernais est d’ordre économique. Le revenu moyen des ménages étant inférieur à la moyenne nationale, la poursuite d’études supérieures d’un ou de plusieurs enfants à l’extérieur de la Nièvre devient vite un poids non négligeable pour les familles, ce qui génère de l’autocensure.

Le territoire doit également faire face à un engagement insuffisant de l’État. À titre d’exemple, l’antenne universitaire de Nevers subit de plein fouet une sous-cotation de la part de l’État, ce qui participe à la désertification de nos territoires, rompant les liens possibles avec les entreprises locales. Parallèlement à cela, les collectivités locales – ville de Nevers, Nevers Agglomération et conseil départemental – contribuent fortement au maintien des sites d’enseignement supérieur, en fonctionnement et en investissement, dans un contexte de fortes contraintes budgétaires. À cela s’ajoute leur participation au financement de la recherche universitaire et au soutien de la vie étudiante et des services aux étudiants.

Il est donc important, dans nos territoires ruraux, de développer une offre de proximité permettant d’améliorer le taux d’accès aux études supérieures, en proposant à la fois une variété de cursus pour les bacheliers et des formations originales attractives en lien avec les potentiels de développement de nos territoires.

Alors que nous avons actuellement tendance à renforcer les grands pôles universitaires dans les métropoles, il est nécessaire de préserver et de renforcer les sites universitaires délocalisés dans les villes moyennes. Ces antennes permettent aux étudiants de suivre leur cursus au plus près de leur lieu de résidence.

Enfin, nous devons absolument travailler sur la question de l’orientation des étudiants et sur les relations entre les universités, les lycées et le monde des entreprises.

C’est un ensemble de mesures que nous devons adopter si nous voulons que nos jeunes soient armés à égalité, quel que soit leur lieu de résidence, pour être en mesure, dès demain, de construire leur parcours, leur vie, leur histoire. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.

M. Richard Yung. Mon intervention portera sur l’alinéa 12 de l’article 1er, qui concerne les jeunes Français résidant à l’étranger. Il contient une proposition très utile et très intéressante.

Sur les 450 000 élèves à l’étranger, on compte chaque année plusieurs milliers de bacheliers, souvent de bon niveau. Le problème est de savoir où ils vont aller à l’université à la fin de leur scolarité au lycée français. C’est un vrai débat politique, car nous avons financé toute cette scolarité. Ils peuvent rejoindre une université ou une école du pays où ils résident, rentrer en France ou aller dans un pays tiers – nous savons tous que nos amis canadiens, par exemple, ont une politique extrêmement active pour attirer les étudiants francophones.

Ouvrir la possibilité à ces jeunes – il peut s’agir de Français, mais aussi d’étrangers ayant accompli leur scolarité dans un lycée français ou ayant passé le bac dans un centre d’examen français – de postuler dans une université ou une école de l’académie de leur choix, c’est, me semble-t-il, un plus considérable pour les attirer vers la France. C’est une bonne politique selon moi. (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.

M. David Assouline. Si je prends la parole, c’est à la suite de l’intervention de M. Grosperrin, qui s’est permis de convoquer l’histoire. Il a estimé qu’on avait perdu trente ans, puisqu’on accepte seulement maintenant de réfléchir à la sélection, déjà voulue par la réforme Devaquet… Il se livre là au pire de ce qu’on peut faire en histoire, la décontextualisation et l’anachronisme !

L’enjeu, qui reste toujours d’actualité, était alors la démocratisation et la massification. Il s’agissait de permettre au plus grand nombre d’accéder à l’université et d’obtenir l’égalité des droits, face à ceux qui voulaient la remettre en question en empêchant ceux qui avaient obtenu le diplôme du baccalauréat d’avoir, par principe, le droit d’entrer à l’université.

La bataille de la massification a été gagnée. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un autre enjeu, rappelé d’ailleurs par le Président de la République pour d’autres sujets : nous devons passer de l’égalité des droits – c’est, le plus souvent, une réalité dans notre pays – à l’égalité dans les faits. Concrètement, cela consiste à mettre en œuvre tous les moyens pour assurer la réussite du plus grand nombre. En négligeant cet aspect pendant trente ans – c’est le cas de tous les gouvernements, à des degrés divers, il faut le reconnaître –, cette sélection, qu’on a refusé d’institutionnaliser, et qu’il faut toujours et encore refuser d’institutionnaliser, est devenue une sélection sauvage.

Ceux qui peuvent s’en sortir sont toujours les mêmes, et la sélection sociale a perduré. Les enfants d’ouvriers ou d’employés qui parviennent à l’université sont déjà très minoritaires, car on les a écrémés pendant toute la scolarité. Mais la sélection continue ensuite de s’opérer pour qu’il n’en reste plus aucun à la fin…

Le débat sur les moyens ne peut pas être dissocié du débat que nous avons actuellement. (Marques dimpatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. David Assouline. Tous les gouvernements, y compris le gouvernement précédent, ont manqué d’ambition en la matière ; j’y reviendrai.

Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia, sur l’article.

M. Robert del Picchia. Je suis d’accord avec Richard Yung. Je me félicite moi aussi de l’amendement adopté par les députés, aux termes duquel les étudiants français de l’étranger sont réputés résider dans l’académie dans laquelle ils ont exprimé leur souhait d’étudier. Cela facilitera les demandes des bacheliers de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger.

Cela étant, il est important d’alerter le Gouvernement sur le décrochage des bacheliers français de l’étranger diplômés d’un baccalauréat technologique ou professionnel.

La loi prévoit depuis 2013 des quotas pour garantir aux élèves ayant obtenu un bac professionnel ou technologique une place dans les filières IUT ou BTS. Ce quota est réservé à ceux qui ont obtenu les meilleures notes ou une mention au baccalauréat, les autres places étant préemptées par les étudiants issus du bac général. Les moins bons élèves des bacs technologiques ou professionnels sont ainsi redirigés vers les études générales, où ils ne sont pas encadrés et où ils échouent massivement – je ne fais que reprendre des extraits du travail remarquable de notre rapporteur. On aboutit au paradoxe suivant : ceux qui ont le moins de chances de réussir dans les filières générales s’y retrouvent inscrits par défaut. C’est un problème national, comme vous l’avez souligné, madame la ministre, mais il prend un accent particulier pour les élèves du réseau de l’AEFE. Je me dois de souligner la vulnérabilité particulière des élèves français de l’étranger, qui sont souvent installés seuls en France, sans l’appui de leur entourage familial.

En outre, s’agissant des élèves qui ont obtenu une bourse sur critère social, une mauvaise orientation est fatale à leur avenir : après deux échecs, ils perdent leurs droits. La question écrite que j’avais posée au Gouvernement pour connaître le nombre d’élèves boursiers issus de l’AEFE ayant décroché n’a pour l’instant pas reçu de réponse.

J’appelle votre attention, madame la ministre, sur l’orientation de ces jeunes Français de l’étranger qui, n’ayant pas obtenu de mention, se voient refuser l’accès aux filières qui favoriseraient au mieux leur insertion professionnelle. C’est exactement l’inverse de l’objectif de ce projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, sur l’article.

M. Guillaume Chevrollier. Abandons de poste, échecs à répétition… En France, aujourd’hui, 60 % des étudiants ne terminent pas leur première année de fac et seuls 27 % d’entre eux parviennent à obtenir leur licence en trois ans.

Cet échec de l’orientation est d’autant plus désolant que nos entreprises ont besoin de compétences, non seulement dans les métropoles, mais aussi dans les départements ruraux comme la Mayenne, où 2 000 collaborateurs sont recherchés. On recherche des jeunes qualifiés, responsables, désireux de travailler.

L’échec de cette première année de cycle est double.

C’est tout d’abord l’échec de la pratique du tirage au sort imposé par la plateforme Admission post-bac, ou APB, qui ne prenait en compte ni les parcours individuels, ni les vocations, ni les motivations des lycéens.

C’est ensuite l’échec de l’accompagnement de ces derniers, qui n’ont pas été aidés dans la définition de leur projet professionnel, pas plus qu’ils n’ont été correctement orientés vers la bonne filière ou informés des débouchés du cursus emprunté.

Voici la perspective que la France offre aujourd’hui à plus de la moitié de ses jeunes citoyens : une année d’errance et de nomadisme. À quel prix ? Un coût psychologique et humain pour l’étudiant, qui perd confiance en lui, confiance en ses talents ; un coût financier aussi, notamment pour sa famille. Le coût des échecs à l’université est estimé à 500 millions d’euros par an, selon une enquête de France Stratégie.

Bref, c’est un gâchis personnel, social et financier.

Nous partageons ce constat. Toutefois, la précipitation avec laquelle le Gouvernement soumet ce projet de loi me laisse perplexe. Pourquoi mettre en place une réforme de l’accès à la première année de l’enseignement supérieur et créer de nouveaux dispositifs comme la plateforme Parcoursup, dont les dysfonctionnements ont été relevés par M. le rapporteur, avant d’engager une réforme globale du lycée et du baccalauréat ? Pourquoi déléguer l’accompagnement et l’orientation de l’élève au système universitaire, plutôt que de l’engager dès le début du lycée ?

Cette réforme a été préparée de manière précipitée, dans l’urgence. Dans l’intérêt des étudiants et du pays, c’est une réflexion beaucoup plus globale que nous devons engager. Ce texte manque d’ambition. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par MM. Ouzoulias, P. Laurent et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. L’avantage d’examiner une loi qui s’applique déjà est que l’on a sous les yeux un certain nombre d’exemples extrêmement instructifs ; je vais en citer rapidement quelques-uns.

Auparavant, j’aimerais vous dire – je mets entre parenthèses vos pudeurs sémantiques – que votre sélection ne portera pas sur le bac, qui est un diplôme national anonyme, mais sur les résultats du lycée, qui sont essentiellement déterminés par la position sociale des lycéens. Elle portera aussi sur la capacité des parents à payer des organismes privés extérieurs pour monter les dossiers Parcoursup. Sur internet, par exemple, vous trouvez d’ores et déjà un site qui, pour 560 euros, vous propose la formule « Sérénité », dans laquelle on vous assure la rédaction de votre projet motivé, de votre CV et de votre lettre de motivation…

Quand on en arrive à de telles extrémités, madame la ministre, on sélectionne surtout les familles qui pourront débourser une telle somme. Loin de votre ambition de faire réussir les élèves, on s’attelle plutôt à la réussite d’entreprises privées qui développent des niches commerciales et financières sur le recul du service public.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Je respecte la logique du groupe communiste. Cependant, comme me le faisait remarquer le directeur d’une fac de sciences, on n’imagine pas un élève de première en bac pro entrer en terminale S. C’est un peu la même chose pour l’entrée à l’université.

Si l’on supprimait l’article 1er, on reviendrait sur la sélection – je sais que le mot vous gêne, madame la ministre, vous préférez parler d’appariement ou de discrimination, mais, de facto, une sélection se mettra en place. À titre personnel, ce terme ne me dérange pas. On maintiendrait ainsi les trois critères qui s’appliquaient auparavant : le domicile, les préférences et la situation familiale. Ce serait donc un retour au tirage au sort. Or tout le monde a dit que le tirage au sort était absurde, inique, illégitime et irrespectueux de l’avenir de nos jeunes.

Il faut savoir que 850 000 lycéens et étudiants redoublants attendent. L’adoption d’un tel amendement augmenterait leur anxiété.

Si APB constituait une fin en soi, Parcoursup est plutôt un moyen d’appariement entre les compétences et les attendus, pour pouvoir ensuite réussir des études. Ce dispositif me semble donc plus intéressant. En conséquence, l’avis est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Frédérique Vidal, ministre. Je rappelle que les formations non sélectives à l’université ne pourront pas refuser de candidatures si elles disposent de capacités d’accueil suffisantes.

Je rappelle également que, dans le budget pour 2018, 234 millions d’euros supplémentaires ont été prévus pour les universités, en plus du maintien de 100 millions d’euros qui avaient été accordés au titre de la démographie, soit un total de 334 millions d’euros. À ces crédits viennent s’ajouter les 130 millions d’euros débloqués dans le cadre du programme d’investissements d’avenir pour les nouveaux cursus à l’université, ainsi que les 25 millions d’euros ajoutés en tiers d’année, soit 75 millions en année pleine, afin de créer des places supplémentaires.

Par ailleurs, je tiens à dire que la position sociale ne préjuge en rien l’intelligence ou la créativité des jeunes. Je m’étonne que vous ne fassiez pas cette même analyse, monsieur le sénateur.

Enfin, je ne peux évidemment que condamner les sites payants qui proposent la rédaction de projets motivés, mais je me demande aussi quelle image vous avez de vos collègues des universités pour imaginer qu’ils pourraient se laisser berner par de tels procédés.

Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.