M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur.

Effectivement, les départements d’outre-mer ne bénéficient pas, pour le traitement des mineurs non accompagnés, d’un certain nombre de dispositions de la loi du 14 mars 2016, notamment du système de répartition des mineurs. Cela pose évidemment des difficultés.

Un soutien leur est toutefois apporté. La loi précitée et le décret du 24 juin 2016 ont prévu que les cinq collectivités qui relèvent de l’article 73 de la Constitution bénéficieront du remboursement des dépenses engagées dans la phase de mise à l’abri et d’évaluation de ces jeunes, sur la base du montant forfaitaire que vous connaissez.

J’ai parfaitement conscience du nombre de jeunes qui arrivent en Guyane et à Mayotte et de la difficulté singulière de leur prise en charge. Vous avez soulevé des points absolument essentiels en matière de sécurité sanitaire, de traitement éducatif et de délinquance pénale. Ces questions m’ont été rapportées à plusieurs reprises.

Il semblerait toutefois qu’une application stricto sensu de la loi de 2016 soit difficile à envisager. C’est la raison pour laquelle c’est aussi un sujet dont j’aimerais pouvoir parler avec vous de manière spécifique, afin que nous puissions avancer sur ce dossier. C’est donc une seconde proposition de rendez-vous que je formule ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Dominique Watrin. Madame la ministre, j’étais lundi à Calais avec les principales associations d’aide aux migrants pour faire le point sur la question des mineurs isolés qui échouent dans cette ville dans l’espoir d’un passage clandestin au Royaume-Uni.

Selon ces associations, ces mineurs représentent entre 40 % et 60 % des 700 migrants actuellement présents dans le Calaisis, soit entre 300 et 400 jeunes. La plupart seraient admissibles au droit d’asile ou au rapprochement familial s’ils avaient accès au sol britannique. Mais le déplacement de la frontière anglaise de Douvres à Calais du fait des accords du Touquet les en empêche.

Lors de la fermeture de la jungle de Calais, plus de 700 personnes, dont nombre de mineurs isolés, avaient été admises en Grande-Bretagne, et cela en 24 heures, alors que beaucoup d’entre eux étaient préalablement bloqués à Calais depuis des semaines, vivant dans la lande une expérience souvent traumatisante.

Je veux aussi adresser un démenti à tous ceux qui instrumentalisent ces situations pour en rendre responsables les associations, lesquelles apportent pourtant aide et réconfort à ces mineurs et sauvent heureusement l’honneur de notre pays.

Madame la ministre, le président Emmanuel Macron va rencontrer demain Mme Theresa May. Quels moyens va-t-il enclencher pour obtenir l’admission en urgence des mineurs isolés qui vivent dangereusement à Calais ? Je vous rappelle que quatre d’entre eux ont perdu la vie en un mois sur la rocade. Je pense aussi à ces jeunes qui sont dans les griffes des réseaux de passeurs, victimes parfois des pires trafics d’êtres humains.

Quelles mesures prendre pour obtenir l’examen rapide des dossiers des autres demandeurs d’asile et pour gérer, de façon efficace et humaine, sur le long terme, le passage légal vers la Grande-Bretagne, dans le respect des accords internationaux dont nos deux pays sont signataires ?

Le renforcement des mesures sécuritaires a montré ses limites ; on peut rajouter des kilomètres de grillage, cela ne changera pas beaucoup la situation. Il faut renégocier les accords du Touquet, en remettant la frontière là où elle était.

Plus généralement, c’est un autre partenariat qu’il faut établir, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, pour mettre fin à la situation inhumaine que vivent ces jeunes, tout au long d’un périple souvent traumatisant, mais aussi une fois qu’ils sont bloqués à Calais, dans notre propre pays. Nous en sommes tous responsables !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous soulevez une réalité, monsieur le sénateur. Un nombre important de mineurs se trouvent en effet sur le territoire du Calaisis et veulent passer en Grande-Bretagne. Vous avez raison d’indiquer que, après l’évacuation de la jungle de Calais en 2016, des jeunes ont eu la possibilité de passer en Grande-Bretagne.

Le Président de la République souhaite que le protocole additionnel aux accords du Touquet dont il va demander la négociation contienne des éléments très précis sur les mineurs. Il désirerait notamment que le Royaume-Uni puisse accueillir, d’une part, tous les mineurs qui ont un parent en Grande-Bretagne, d’autre part, un certain nombre de mineurs qui ne disposent pas de liens familiaux dans ce pays. Une double disposition figurerait donc dans le protocole additionnel.

Comme vous l’avez souligné, la difficulté est encore accrue par le fait que ces jeunes refusent généralement le dispositif de mise à l’abri qui leur est proposé, parce que leur seul objectif est de passer en Grande-Bretagne et qu’ils ne souhaitent absolument pas rester en France. Les associations qui effectuent des maraudes jouent à cet égard un rôle extrêmement important pour essayer de les convaincre.

Il faut ajouter à cela une difficulté annexe : beaucoup de ces jeunes viennent d’Érythrée et nous avons du mal à trouver des interprètes qui comprennent certains des dialectes qu’ils emploient.

Au final, la situation est donc assez complexe à gérer. J’espère que le protocole additionnel permettra de résoudre une partie de la difficulté.

M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar, pour le groupe Union Centriste.

Mme Nassimah Dindar. Madame la garde des sceaux, je veux revenir sur la situation de Mayotte : ce département est confronté à une problématique bien spécifique, comme vous l’avez rappelé en réponse à l’intervention de mon collègue Thani Mohamed Soilihi.

Je souhaite vous interpeller sur trois points et vous faire deux propositions pour ce qui concerne Mayotte.

Tout d’abord, l’amélioration de l’attribution des délégations d’autorité parentale aux proches peut faciliter le tutorat par les familles des enfants en vue de leur scolarisation, ce qui n’est pas encore le cas à Mayotte. J’aimerais avoir votre sentiment sur cette mesure.

Ensuite, les problèmes de santé des mineurs reçus au centre hospitalier de Mayotte – on leur demande d’ailleurs de payer 10 euros, je le souligne en passant – demeurent préoccupants. L’application de l’ordonnance sur les mineurs et les femmes enceintes reste complexe et insuffisante. Les associations de terrain rencontrent des difficultés et cet aspect mériterait des précisions de votre part, madame la ministre.

Enfin, quels sont les moyens financiers que l’État pourrait accorder de manière exceptionnelle au conseil départemental de Mayotte pour une mise en place rapide des prérogatives de la collectivité au titre de l’ASE, Mayotte n’ayant pas encore de foyer de l’enfance, en raison du coût et du temps requis ?

Il reste encore beaucoup à faire sur les politiques publiques de l’enfance et de la jeunesse. Je rappelle que la moitié de la population a moins de dix-huit ans et que Mayotte est le département le plus pauvre et le plus inégalitaire de France. L’île compte plus de 40 % d’étrangers, dont une moitié de mineurs. Mais 39 % des personnes étrangères à Mayotte y sont nées.

Le conseil départemental de Mayotte rencontre des difficultés financières et il reste aussi beaucoup à faire au titre de l’ASE.

Vous l’aurez compris, madame la ministre, à Mayotte, beaucoup d’enfants sont sans papiers, sans parents… Pour autant, je ne crois pas que tout le monde s’en fout ! Après avoir entendu le président Emmanuel Macron en visite à Calais, j’espère que vous allez me confirmer, madame la ministre, que le Gouvernement ne compte pas laisser notre politique migratoire contaminer le champ de la protection de l’enfance. Car, entre Mayotte et les Comores, la politique migratoire est bel et bien concernée.

Je souhaite pour terminer vous soumettre deux pistes de réflexion, madame la ministre.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Nassimah Dindar. Premièrement, ne pouvons-nous pas nous appuyer sur le décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l’expérimentation territoriale qui s’applique à Mayotte, ainsi qu’aux régions Pays de la Loire et Bourgogne-Franche-Comté ?

Deuxièmement, comment pourrait-on faciliter la conclusion d’accords bilatéraux entre les Comores et Mayotte, sur le modèle signé avec la Roumanie en 2003 ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Je crains fort toutefois de ne pas être en capacité d’y répondre dans toutes ses subtilités. Il est très difficile pour moi, sur un sujet certes d’importance, mais très singulier, de vous apporter une réponse parfaitement précise.

Nous partageons manifestement le même constat, mais il faudrait que je puisse étudier chacune des hypothèses que vous formulez.

Selon l’association Solidarité Mayotte, il y aurait en effet entre 3 000 et 6 000 mineurs non accompagnés dans ce département, ce qui est évidemment très important. L’aide sociale à l’enfance n’en prendrait en charge qu’une infime partie et les évaluations ne seraient évidemment pas menées.

La protection de l’enfance est un enjeu majeur à Mayotte, dans un contexte spécifique, avec une démographie dynamique et un nombre très important de mineurs qui sont nés dans la République des Comores et qui vivent donc sans référent adulte à Mayotte.

Il faut aussi souligner le déficit, voire l’absence de structures d’accueil pour ces mineurs.

La situation est également complexe en matière sanitaire et de cohésion sociale, comme je le précisais tout à l’heure en réponse à l’un de vos collègues.

Il me semble toutefois qu’une application stricto sensu de la loi relative à la protection de l’enfant serait très difficilement réalisable. Il faut plutôt envisager un traitement singulier de ce sujet.

La délinquance pénale est aussi extrêmement importante et très souvent associée aux mineurs isolés. Nous avons prévu en 2018 l’ouverture d’un centre éducatif renforcé, mais cela ne suffira pas à faire une politique d’accueil pour les mineurs isolés. Vos deux interventions, madame Dindar, monsieur Mohamed Soilihi, m’incitent vraiment à retravailler ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Jean-Yves Leconte. Nous sommes nombreux ici à avoir ou à avoir eu des enfants âgés de dix-huit ans. Pensons-nous que leur besoin d’accompagnement dans la société est différent selon qu’ils ont dix-huit ans moins deux jours ou dix-huit ans plus deux jours ? Pas vraiment ! Pourtant, concernant les mineurs non accompagnés, la réponse est binaire : soit ils ont moins de dix-huit ans, soit ils ont plus de dix-huit ans et, donc, plus de droits. Pour les étrangers qui ne maîtrisent ni la langue ni les codes de notre pays la situation est encore plus grave. Rappelons que 25 % des SDF dans notre pays ont été pris en charge auparavant par l’ASE.

Madame la garde des sceaux, je veux saluer la volonté de l’État de mieux encadrer et harmoniser l’évaluation de la minorité. Certaines méthodes sont aujourd’hui inacceptables, comme les tests osseux. En outre, quand je lis ce texte indiquant à un mineur non accompagné qu’il a fait preuve d’une autonomie et d’une maturité importantes en décidant lui-même de quitter son pays et en voyageant seul, que son parcours migratoire était court et que sa posture durant l’entretien ne correspondait pas à celle d’un adolescent, et donc qu’il est majeur, je me dis que ce n’est pas une façon d’évaluer une majorité ou une minorité.

Mme Éliane Assassi. C’est vrai !

M. Jean-Yves Leconte. Je veux vous poser deux questions.

En premier lieu, est-il digne de procéder à des reconduites à la frontière sauvages vers l’Italie de personnes notoirement mineures non accompagnées ? Ne faudrait-il pas changer notre politique à la frontière franco-italienne ?

En second lieu, compte tenu de ce que je viens d’indiquer, comment accompagner le passage à la majorité d’un jeune qui a été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance et a besoin d’un accompagnement spécifique, en particulier pour le droit au séjour et l’intégration dans notre société ? (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. À votre première question, monsieur le sénateur, la reconduite à la frontière, j’ai déjà répondu, à l’invitation de l’un de vos collègues, en évoquant spécifiquement nos relations avec l’Italie. Je n’y reviens donc pas.

Sur votre seconde question, à savoir l’accompagnement du passage à la majorité, j’ai également déjà eu l’occasion de donner quelques éléments. Idéalement, il faudrait que ces jeunes puissent bénéficier d’un contrat d’accompagnement jeune majeur, c’est-à-dire qu’un accompagnement soit possible au-delà de dix-huit ans. Les contrats jeune majeur, il faut le reconnaître, ont parfois été considérés comme une variable d’ajustement compte tenu de la situation financière complexe des départements, car ce sont eux qui, la plupart du temps, prennent en charge ces contrats.

Pour ma part, je souhaite que le plan que nous allons élaborer à la suite de la mission d’évaluation dont j’ai évoqué la mise en œuvre nous permette de mettre réellement en place ces contrats jeune majeur de manière plus incitative et de donner aux jeunes susceptibles d’en bénéficier une carte de séjour avec la mention « salarié » ou « travailleur temporaire » lorsqu’ils doivent poursuivre une formation ou des études. Cela pourrait être une solution transitoire intéressante.

M. le président. La parole est à M. Benoît Huré, pour le groupe Les Républicains.

M. Benoît Huré. Nous débattons aujourd’hui des mineurs non accompagnés. Au-delà d’enjeux organisationnels, financiers et diplomatiques, ce sont pour la plupart des enfants et des adolescents seuls dont il est question. Leur périple pour arriver en France a été douloureux, dangereux, violent. Il est des témoignages qui sont insupportables à entendre. Ce phénomène, qui s’est considérablement accéléré ces derniers temps, est dramatique et humainement insupportable. Il laisse souvent désemparés tous les acteurs institutionnels.

Ce phénomène migratoire semble s’installer dans la durée ; nous ne pourrons donc plus nous contenter de réponse au coup par coup et dans l’urgence. Aujourd’hui, ils sont près de 50 000 à être attendus dans notre pays. Leur nombre a plus que doublé en deux ans. Le coût de leur prise en charge par les conseils départementaux a été l’an dernier de plus de 1 milliard d’euros. Dans le département des Ardennes, leur nombre a été multiplié par trois au cours de l’année passée.

Si les départements ont des compétences et des responsabilités bien précises en matière d’aide sociale à l’enfance, il n’en va pas de même pour les mineurs non accompagnés, dont la mise à l’abri et la prise en charge relèvent de la politique migratoire de l’État. Toutefois, dans l’urgence, les départements ont dû se substituer à l’État. Or, aujourd’hui, ceux-ci n’ont plus les moyens en personnel, en locaux et tout simplement financiers pour faire face.

Concernant ces mineurs, l’État a désormais pris conscience de la situation, et il y a un souhait de la part de tous les acteurs institutionnels de bien faire. Il importe donc désormais qu’une répartition équitable de la charge financière entre l’État et les départements devienne réalité. Il faut aussi mettre en place une gestion partagée par l’État et les départements d’un dispositif permettant d’assurer un accompagnement adapté aux situations spécifiques des requérants.

Au pays des droits de l’homme, cette dramatique question des mineurs migrants – osons le mot ! – doit être abordée avec la plus grande fermeté à l’égard des passeurs, odieux raquetteurs sans scrupules, et avec la plus grande dignité et humanité envers ces jeunes enfants et adolescents.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, c’est bien une politique migratoire d’ensemble qu’il faut construire en France et coordonner au niveau de l’Union européenne. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je partage votre opinion : c’est bien une politique migratoire d’ensemble qu’il faut construire. Ce que vous avez dit est tout à fait juste : nous sommes face à un phénomène qui s’installe dans la durée, sans doute à l’échelle de plusieurs générations, eu égard aux situations de conflits dans différents États du monde ou aux difficultés liées au développement économique.

La réponse ne réside pas seulement dans la qualité de l’accueil que l’on peut fournir sur le territoire européen ; elle repose aussi sur l’aide qui pourra être apportée aux pays d’origine. C’est un axe de travail – je ne suis pas la première à le dire – que poursuit le Gouvernement, après d’autres, avec une vigueur, je le crois, renouvelée.

Pour le reste, je ne peux que rejoindre vos propos sur le fait que l’État doit pleinement assumer sa mission régalienne d’accueil sur le territoire dans les conditions déjà évoquées et lutter très fermement contre les filières de passeurs. Je puis vous assurer, pour en avoir discuté avec elles, que les juridictions qui sont très impliquées dans ce domaine partagent la volonté du ministre de la justice et du ministre de l’intérieur.

J’espère ainsi que l’aspect régalien de la politique de l’État sera pleinement assumé et que les départements pourront également intervenir dans le domaine de compétence qui est le leur.

M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour le groupe Union Centriste.

M. Olivier Cigolotti. Les départements doivent faire face à l’accueil et à la prise en charge des mineurs isolés. Dans mon département, la Haute-Loire, le nombre de ces jeunes mineurs est évalué à 110, dont 86 ont été pris en charge en 2017.

Le dispositif actuel de l’aide sociale à l’enfance, qui place ces jeunes sous la responsabilité du président du conseil départemental, permet de répondre à leurs besoins vitaux, mais ne favorise pas toujours un accompagnement social à visée d’intégration et d’insertion professionnelle. En effet, ces jeunes mineurs sont malheureusement souvent accueillis dans des structures hôtelières, à défaut d’autres solutions plus adaptées.

À travers mon expérience professionnelle de directeur d’établissement accueillant ces jeunes mineurs isolés, j’ai pu constater à la fois la motivation et le souhait de ces derniers d’être rapidement autonome grâce à un parcours de formation assez court ou en alternance de type apprentissage. Ces jeunes sont en général très mobilisés, et le récit de leur parcours en témoigne. Ils disposent, pour un certain nombre d’entre eux, de réelles capacités d’adaptation dans des métiers tels que l’industrie, le bâtiment ou l’hôtellerie, secteurs d’activité qui aujourd’hui rencontrent de véritables difficultés de recrutement.

De très bons résultats sont aujourd’hui constatés à travers certaines expériences apportant une réponse plus adaptée, notamment à partir de la transposition du dispositif HOPE – hébergement, orientation, parcours vers l’emploi – mis en œuvre par l’AFPA. Il s’agit en effet de travailler prioritairement sur la qualification et les compétences de ces jeunes sur certains types d’emploi.

Madame la garde des sceaux, certes le dispositif ASE permet de répondre partiellement à l’accueil de ces mineurs non accompagnés, mais n’est-il pas urgent de réfléchir, dans le cadre d’une véritable politique migratoire, et compte tenu du fait que ces flux ne vont qu’augmenter à l’avenir, à la mise en œuvre généralisée d’un dispositif spécifique plus adapté à la prise en charge des mineurs non accompagnés ? Cela permettrait à la fois à l’État de procéder à la phase d’évaluation – cela a déjà été évoqué – et aux départements, en lien avec les partenaires locaux de leur choix, de développer un accompagnement principalement axé sur l’insertion et la formation professionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. L’école est un droit pour tous les enfants qui résident sur le territoire national, quels que soient leur nationalité, leur statut migratoire, leur parcours antérieur. L’éducation nationale a le devoir, pour ces enfants comme pour tous les autres, à la fois de leur enseigner les fondamentaux du système éducatif, comme le français, et de les insérer le plus rapidement possible dans une scolarité classique.

Cela étant, vous l’avez souligné à juste titre, monsieur le sénateur, ce n’est pas toujours une scolarité classique qui répond le mieux aux attentes de ces enfants. Il est donc nécessaire à la fois de procéder à une évaluation de leur niveau de compétences scolaires ou d’apprentissage et de mettre en place un dispositif éducatif ou de formation qui leur soit adapté.

Je suis très attentive à votre observation concernant la singularité des dispositifs adaptés qui peuvent être mis en place, notamment celui dont vous avez parlé – HOPE – et qui est mis en œuvre par l’AFPA. Il me semble essentiel que nous travaillions, Muriel Pénicaud, Jean-Michel Blanquer et moi-même, avec l’Assemblée des départements de France en vue de proposer ce type de dispositifs, qui seraient mieux à même de répondre aux difficultés rencontrées par ces jeunes. Ce sont ces formations souvent courtes, vous l’avez indiqué à juste titre, et très professionnalisantes qui pourraient leur être le plus utile, avec évidemment l’apprentissage de la langue. Cette idée est extrêmement pertinente.

M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Didier Marie. Je veux d’abord remercier nos collègues du groupe CRCE d’avoir provoqué ce débat, qui, quelles que soient nos convictions politiques, doit nous rassembler, car il touche à une valeur chère à la France : l’humanisme.

En Seine-Maritime, ce sont 420 mineurs non accompagnés qui ont été recensés en 2016, un nombre qui ne cesse de croître et qui devrait être largement dépassé en 2017. Ces mineurs sont très fragilisés physiquement et psychologiquement après une errance souvent longue et douloureuse. Les inquiétudes sur les conditions dans lesquelles nous les accueillons sont multiples. L’évaluation de leur situation et de leur minorité est trop brutale sans qu’ils aient été préalablement mis à l’abri pour un temps de répit. Elle est incertaine, comme cela a été souligné précédemment. Le nombre de solutions adaptées reste faible ; ils sont trop nombreux à l’hôtel où ils demeurent pour l’essentiel livrés à eux-mêmes, la plupart d’entre eux n’ont même pas accès aux soins.

Une fois accueillis, beaucoup sont privés de scolarisation. Ainsi, en Seine-Maritime, sur un groupe de 80 mineurs suivis, seule une quarantaine étaient scolarisés, 25 restaient en attente de place et une quinzaine étaient laissés sans solution. Il n’y a aujourd’hui qu’un seul agent au rectorat pour répondre à leur situation, et rien n’est prévu pour ceux qui sont illettrés et les non-francophones.

Le Premier ministre a annoncé que l’État assumerait désormais l’évaluation et l’hébergement d’urgence de ces mineurs. Certes, ce geste peut être perçu comme bienvenu pour aider des départements saturés. Toutefois, il appelle à la vigilance, car il serait dangereux que l’accueil des mineurs non accompagnés soit organisé dans le cadre des politiques migratoires. Ces jeunes doivent être considérés comme des enfants et non comme des étrangers ; ils ne peuvent être accueillis dans les mêmes dispositifs que les adultes et doivent bénéficier de notre système de protection de l’enfance sans discrimination.

Madame la garde des sceaux, ce sujet est extrêmement sensible compte tenu de l’état de l’opinion – de nombreuses confusions sont sciemment entretenues sur les migrants. Les flux ne vont pas se tarir, le nombre de mineurs non accompagnés restera élevé, et il faut mobiliser tous les moyens pour répondre à leurs inquiétudes et leurs angoisses.

Le discours peut être volontariste, mais la situation actuelle n’est pas digne des valeurs de la France. Pouvez-vous nous indiquer quels moyens le Gouvernement entend mettre en œuvre pour assurer une réponse humaniste, apporter un soutien significatif aux départements et favoriser l’inclusion scolaire de ces jeunes ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, vos observations sont sévères, mais je les prends bien entendu en compte.

Le constat, nous le partageons, qu’il s’agisse à la fois de l’augmentation du flux – plus de 85 % en un an – et de la hausse des délais d’évaluation, qui, selon une étude de l’ADF, étaient de 40 jours en moyenne en 2017, avec des pics à 180 jours dans certains départements, alors que seules 5 journées sont remboursées aux départements. C’est pourquoi, lorsque le Premier ministre propose que l’État reprenne à sa charge la période d’évaluation, c’est plus qu’un « geste », si je peux me permettre de reprendre votre expression : c’est à la fois une volonté d’assumer de nouveau sa mission régalienne et une charge financière importante.

Le Premier ministre l’a aussi clairement dit, l’État ne fait pas de l’accueil des enfants une politique migratoire. Nous parlons bien des enfants mineurs, pour lesquels, je le redis ici devant vous, la situation est singulière, car ils disposent de droits spécifiques, qui seront bien évidemment respectés par l’État.

Je le rappelle, lorsque l’État affirme, par la voix du Premier ministre, vouloir reprendre en charge l’évaluation et la mise à l’abri, il n’a pas encore décidé si le coût financier de cette évaluation resterait pris en charge par des associations au nom des départements, comme c’est souvent le cas, ou s’il l’assurerait lui-même par des structures qui lui seraient propres. Le plus simple serait malgré tout, sur la base d’une harmonisation des procédures, de laisser les associations continuer leur travail habituel. Voilà mon propre sentiment, mais, je le répète, c’est vraiment plus qu’un geste.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour le groupe Les Républicains.

Mme Corinne Imbert. La situation des mineurs non accompagnés est un sujet de préoccupation quotidienne pour les départements. Pour la seule Charente-Maritime, on note que, en 2013, 21 jeunes ont demandé à être reconnus mineurs isolés étrangers et que 17 ont obtenu gain de cause. En 2017, le nombre d’arrivées a explosé, vous l’avez rappelé dans votre propos introductif, madame la garde des sceaux : ce sont 525 jeunes qui sont arrivés dans notre département, dont 106 ont été déclarés mineurs. Au total, à ce jour, plus de 250 mineurs non accompagnés sont confiés au département.

Or, après une décision de majorité, nous observons aujourd’hui des jeunes qui déposent parfois un recours contre les conseils départementaux et des jeunes déclarés majeurs qui se déplacent dans différents départements afin d’essayer d’obtenir le statut de mineur. On assiste alors également à un phénomène de changement d’identité. Ce nomadisme a un coût financier important, puisqu’il mobilise les services départementaux les uns après les autres, ainsi que la police aux frontières. Sur la seule année 2017, le budget consacré par le département de la Charente-Maritime était de 5 millions d’euros. Le budget prévisionnel pour 2018 affiche 6 millions d’euros.

En dépit de ces chiffres, la Charente-Maritime n’est pas dans le peloton de tête des départements les plus touchés par ce phénomène – vous les avez rappelés tout à l’heure. Vous n’ignorez pas que cette situation inquiétante intervient bien sûr dans un contexte de baisse de dotations aux collectivités territoriales.

Bien sûr, la convention internationale relative aux droits de l’enfant existe, de même que les droits de l’homme et l’humanité, mais la politique migratoire de la France ne peut être la même que celle qui a été pratiquée par le passé et doit se discuter au niveau européen ; vous en avez convenu tout à l’heure. Le contexte a changé, et nous devons prendre acte de ces mutations.

Sur la question des mineurs non accompagnés, il faut effectivement agir en adulte responsable. Avons-nous les moyens de l’exigence éthique exprimée par le Premier ministre et que vous venez de rappeler, madame la garde des sceaux ?

En attendant, le Gouvernement entend-il mener une action dans le but de permettre la mise en place d’un fichier biométrique, afin de mettre fin aux phénomènes de fraude à l’état civil, de changements d’identité et d’assurer un véritable suivi de ces jeunes qui sont entrés dans notre pays ?