Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.

M. Pascal Savoldelli. Cet article 12 est important, puisqu’il vise à supprimer l’ISF en créant, comme compensation partielle – un tiers –, un impôt sur l’immobilier, dont l’assiette ressemble aux biens jusqu’à présent taxés à ce titre. Nous allons, pour une fois, nous projeter quelques années en arrière et quelques autres en avant.

Tout le monde ou presque sait que la fortune immobilière en France est assez largement diffusée au sein de la population… Nombre de familles actuellement contribuables à l’ISF ont, parfois par héritage, un patrimoine immobilier plus ou moins important.

C’est un patrimoine que j’appellerai moins risqué que celui que l’on peut constituer avec des titres ou des parts de sociétés et que nous avons vu se développer, au fil du temps, notamment en raison de sa rentabilité.

La loi de décembre 1948 avait donné un coup d’arrêt à certaines formes de spéculation immobilière,…

M. Gérard Longuet. Et organisé la pénurie de logements !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. On a mis des années à en sortir !

M. Pascal Savoldelli. … que la loi Méhaignerie de décembre 1986 a sensiblement relancée. Ont notamment été adoptées des mesures phares comme la libération des loyers du secteur privé – forte consommatrice d’aides au logement – et la mise en place du congé-vente, qui a engendré les copropriétés dégradées qui continuent de marquer le paysage de nos centres-villes anciens ou de certaines communes de banlieue.

J’y ajoute l’amendement dit Marini sur le statut des foncières, qui a favorisé les ventes à la découpe et renforcé les antagonismes et la concurrence sur le marché immobilier entre les propriétaires bailleurs dits physiques et les investisseurs immobiliers institutionnels.

Là est, à notre avis, le débat qui nous occupe en arrière-plan de cet article 12.

La création de l’impôt sur la fortune immobilière, même assorti, par le travail parlementaire, des correctifs habituels en pareil cas – par exemple, pour les dons aux œuvres ou les versements désintéressés aux fondations –, apparaît comme ce qu’elle est : une incitation, pour les propriétaires dits physiques, à se départir de leurs biens, à les remettre sur le marché d’une manière ou d’une autre et à animer, de fait, un marché immobilier qui est parfois fermé ou quasi inexistant dans certaines villes.

Tout cela serait-il fait pour que les fameux investisseurs institutionnels, qui ne sont pas soumis à l’ISF et bénéficient même, dans les faits, d’une fiscalité allégée sur les dividendes distribués grâce au statut de foncière, restructurent le marché ?

Par voie de conséquence, dans une approche systémique bien comprise, tout cela participe d’une forme de « remodelage » social de la population dans les zones dites tendues, comme le Grand Paris ou certaines métropoles de notre beau pays.

Il n’est pas non plus certain – vous m’expliquerez peut-être le contraire… – que cette évolution soit idéale pour la transition écologique.

Nous ne souhaitons pas que notre pays, en particulier la région capitale, en arrive à la situation de villes comme Londres, New York ou Tokyo, où les prix atteignent des sommets et les marges des investisseurs aussi… Nos villes méritent mieux que d’être dépecées ou envahies par des investisseurs étrangers.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.

M. Jean-Yves Leconte. Même sans le vote de cet article par l’Assemblée nationale sur la proposition du Gouvernement, la France est un paradis fiscal, mais pas pour n’importe qui ! Pour ceux qui investissent en France par un « proxy » qui s’appelle l’État du Qatar…

La France promeut un certain nombre de conventions fiscales, dont le modèle est celui de la convention fiscale bilatérale de type OCDE.

Or les conventions fiscales avec le Qatar et un certain nombre d’autres pays du Golfe exonèrent les plus-values immobilières et les revenus immobiliers des résidents de ces pays.

M. Jean-Yves Leconte. En outre, la convention avec le Qatar prévoit, depuis l’avenant de 2009, des conditions très spécifiques de calcul de l’imposition sur l’ISF, qui finalement exonèrent de cet impôt toute personne qui réside au Qatar.

Compte tenu des orientations du Gouvernement sur l’ISF et à l’occasion de l’examen de cet article, je souhaite vous interroger, monsieur le ministre, sur ce sujet.

Dans le champ couvert par les conventions fiscales entre la France et les pays du Golfe, en particulier le Qatar, le nouvel impôt sur la fortune immobilière sera-t-il traité de la même manière que l’ISF ?

Pouvez-vous nous dire si le Gouvernement a l’intention de remettre en cause ces conventions fiscales, comme le candidat Macron l’avait indiqué pendant sa campagne ?

Il faut savoir qu’avec le seul Qatar, le manque à gagner pour le Trésor public s’est élevé, rien que sur l’année 2015, à plus de 200 millions d’euros et que cela a augmenté depuis lors. (Mme Sophie Taillé-Polian applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.

M. Marc Laménie. Les amendements déposés sur cet article sont très nombreux, ce qui montre bien sa sensibilité et son importance, en particulier d’un point de vue médiatique. Je respecte la légitimité de tous ces amendements et n’interviendrai pas sur chacun d’eux, mais il me semble que nous pouvons nous interroger sur un certain nombre de points.

Le rapport qui a été examiné en commission des finances évoque l’historique de l’impôt sur la fortune, son rendement, son assiette, ses incertitudes et son remplacement par un impôt sur la fortune immobilière, l’IFI. Des questions ont été posées sur le nombre des redevables ou encore sur la perception de cet impôt.

Nous voyons bien, en examinant la première partie du projet de loi de finances et l’ensemble des recettes de l’État, que la tâche du ministre en charge des comptes publics n’est pas simple. C’était déjà le cas pour les précédents gouvernements.

Cet article entraîne une perte de recettes comprise entre 3 milliards et 4 milliards d’euros, mais après réflexion, je me rallierai à la position adoptée par la commission des finances sur proposition du rapporteur général.

Voilà les interrogations que je voulais exprimer. Vous voyez, mes chers collègues, que rien n’est simple !

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° I–223 est présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° I–568 est présenté par MM. Raynal et Guillaume, Mme Taillé-Polian, MM. Lurel, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mmes Meunier et Tocqueville, MM. Sueur, Vaugrenard, Daudigny, Durain, Kerrouche, Roger, Cabanel, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° I–223.

M. Pascal Savoldelli. La disparition de l’impôt sur la grande fortune prévue par cet article est censée libérer l’énergie créatrice du capital – belle formule, non ? (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.) –…

Mme Sophie Primas. Surtout dans la bouche d’un communiste !

M. Pascal Savoldelli. … et inciter les actuels redevables de cet impôt – ils sont environ 350 000 – à investir une partie de leur patrimoine dans l’économie.

Vous attendez donc de la disparition de l’ISF un cycle vertueux permettant le financement en fonds propres des entreprises, puis la création d’emplois et de richesse. Je cite, pour ne pas en rester là, « il faut aider les entreprises à disposer de fonds propres ».

Je note que le Gouvernement vante les fonds propres quand il parle des entreprises et les dénigre quand il s’agit des bailleurs sociaux, qui ne devraient surtout pas en avoir ! Quand il s’agit des bailleurs sociaux, le Gouvernement parle de fonds dormants !

M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas du tout la même chose !

M. Pascal Savoldelli. Cette attitude est tout de même un peu bizarre.

Je cite à nouveau : avec le nouvel impôt, « ce sera mieux que tout cet argent qui dort dans les placements immobiliers ». Y aurait-il une forme de générosité derrière tout cela ? (Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Sophie Taillé-Polian sourient.)

Ce serait oublier un peu vite que l’immobilier, c’est aussi ce qui fait travailler le secteur du bâtiment…

M. Roger Karoutchi. C’est vrai !

M. Pascal Savoldelli. … et que la commande privée, même destinée à la réalisation d’immeubles de bureaux, de locaux d’activités ou d’ensembles locatifs aux loyers inabordables pour les couches moyennes, est essentielle pour un secteur employant au total environ 2 millions de personnes, en incluant les salariés et les artisans.

Cet article ne poursuit qu’un objectif de très court terme : accroître de 4 milliards d’euros le déficit de l’État. C’est loin d’être une bonne affaire !

Sur la question de l’ISF, il faut aussi parler des pauvres cadres supérieurs propriétaires de leur appartement parisien et âgés de 57 ans – c’est l’âge moyen des redevables de l’ISF, je vais atteindre cet âge, mais je n’habite pas Paris et je peux vous dire que je ne serai pas touché par cet impôt…

La mesure contenue dans cet article présente un autre défaut, c’est que l’ISF actuel distingue entre les détenteurs d’actions et de parts de sociétés exerçant un mandat social dans l’entreprise concernée et les actionnaires dits minoritaires n’en exerçant pas, grâce au fameux pacte Dutreil.

Cependant, depuis quatorze ans qu’il existe, ce pacte n’a pas eu beaucoup de succès, puisque le nombre de contribuables qui ont sollicité son application est faible. Son coût s’élève pourtant à 190 millions d’euros pour les finances publiques.

La même remarque vaut pour la disparition du régime ISF-PME, qui n’a plus de raison d’être. Cet article est une incitation marquée à l’instabilité actionnariale, aux placements de circonstance fondés sur l’espérance d’une plus-value rapide, c’est-à-dire exactement tout le contraire, me semble-t-il, de ce qu’il conviendrait de faire pour stabiliser le capital de nos PME.

Tout cela est coûteux pour les finances publiques, injuste du point de vue de l’égalité devant l’impôt – l’ISF est une bonne illustration de la capacité contributive des plus aisés – et, enfin, inefficace sur un plan économique, puisque cela va fragiliser les noyaux d’actionnaires de moult PME de notre pays.

Cet article qui crée l’impôt sur la fortune immobilière est donc un mauvais article !

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal, pour présenter l’amendement n° I–568.

M. Claude Raynal. On ne pas rouvrir le débat ; nous l’avons déjà eu à travers le prélèvement forfaitaire unique. On prend les articles les uns après les autres, mais c’est un tout : suppression de l’ISF ; création de l’IFI, création du PFU. J’ai déjà dit, voilà quelques instants, ce que je pensais de cet ensemble.

Tout de même, je voudrais redonner des chiffres que je n’ai pas donnés précédemment, mais qui sont connus, puisque le président de la commission des finances a pu les obtenir. On s’est demandé si ces mesures pouvaient se traduire par de la croissance : à long terme, c’est-à-dire qu’on ne date pas trop pour rester prudent, on nous a annoncé 0,5 point de croissance. On s’est dit qu’elles agissaient sans doute sur l’emploi : on nous a dit peut-être 50 000 emplois, à long terme.

Tout cela montre, me semble-t-il, les limites de l’exercice et, en tout cas, de la prévisibilité de ce que peut donner l’ensemble de ces mesures.

S’agissant de l’IFI, on ne comprend pas bien le sujet. M. le rapporteur général et la commission des finances ont commis un excellent travail pour présenter le sujet. Il en ressort qu’il y a sans doute plus de problèmes liés à l’IFI que d’avantages. C’est particulièrement le cas pour tous ceux qui investissent dans des actions qui, finalement, ont pour vocation d’investir dans l’immobilier. Relèvent-t-elles du PFU ou de l’IFI ? On sent bien qu’il va y avoir beaucoup de contestations sur cet impôt.

En même temps, considérer ce capital comme dormant est une erreur absolue. Tel n’est pas le cas. Évidemment, c’est moins flottant que les actions, mais cela contribue à la croissance française.

Je note donc de fortes incohérences dans le dispositif. Aussi, nous vous proposons la suppression de l’IFI, pas pour les mêmes raisons que la majorité sénatoriale,…

M. Philippe Dallier. On avait compris ! (Sourires.)

M. Claude Raynal. … qui souhaite, elle, supprimer totalement l’ISF. J’ai eu l’occasion de dire lors de la discussion générale que, le mouvement étant désormais amorcé, on sentait revenir le courage de la majorité sénatoriale pour enfin supprimer l’ISF. C’était leur souhait depuis tant d’années…

En ce qui nous concerne, nous souhaitons rester dans l’état où nous sommes actuellement, c’est-à-dire que nous voulons faire en sorte que les capitaux soient taxés de la même façon que le travail, de même que les capitaux venant de l’immobilier.

M. Gérard Longuet. Ils sont déjà taxés !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est un débat assez intéressant, mais je ne vais pas m’étendre très longuement sur les raisons qui poussent la majorité sénatoriale à soutenir le Gouvernement sur la suppression de l’ISF. En revanche, nous irons pour notre part jusqu’au bout de la logique en refusant de créer l’usine à gaz que va représenter l’IFI.

L’ISF est typiquement, à tous points de vue, mais surtout au point de vue économique, un mauvais impôt. Il a finalement un rendement assez limité, à cause d’un certain nombre de niches. En outre, il a un taux élevé et une base étroite.

Tout d’abord, un taux élevé de 1,5 %. Par parenthèse, notre collègue Savoldelli a commis voilà quelques instants une erreur de langage en parlant de l’impôt sur les grandes fortunes, l’IGF. Effectivement, c’était le terme employé en 1982. Aujourd’hui, c’est l’ISF, et il ne s’agit pas juste d’un changement sémantique. En effet, aujourd’hui, cet impôt, du fait des évolutions de patrimoine, est de moins en moins un impôt sur les grandes fortunes, et de plus en plus un impôt sur les petites fortunes.

M. Philippe Dallier. Tout à fait !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Les grandes fortunes, par des mécanismes d’optimisation, qui permettent notamment de loger certains biens dans des holdings, échappent de fait très largement à l’ISF. Aujourd’hui, en raison notamment de l’évolution des prix de l’immobilier, les petites et moyennes fortunes entrent dans l’ISF.

M. Albéric de Montgolfier. Je reprends : le taux est élevé au regard du rendement des placements aujourd’hui. Lorsque l’impôt a été créé en 1981–1982, on était sur un taux de 1,5 %, qu’il faut comparer aux taux des emprunts d’État qui pouvaient alors atteindre 16 %. En gros, le coût de l’ISF représentait à peu près 10 % du rendement des placements, donc c’était supportable. Aujourd’hui, on est à quasiment 100 %, voire plus, par rapport aux taux des placements.

La base est étroite, comme je le disais, et le rendement est donc faible. De fait, les plus grandes fortunes optimisent ou échappent à l’ISF,…

M. Gérard Longuet. Les œuvres d’art sont parties !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. … ou elles sont parties, malheureusement, en Suisse, en Belgique, au Royaume-Uni, etc. Bref, l’impôt sur les grandes fortunes est le type même de l’impôt anti-économique.

Alors, je me réjouis que, suivant les engagements du Président de la République lors de sa campagne, le Gouvernement nous propose aujourd’hui la suppression de l’ISF. J’ai dit dans la presse qu’il avait fait les trois quarts du chemin et que nous, nous souhaitions aller avec lui jusqu’au bout en faisant le quart restant. Nous voulons surtout éviter de créer la véritable usine à gaz que va représenter l’IFI.

Pourquoi ? D’abord, le postulat de départ est assez étonnant : l’immobilier ne contribuerait pas à la richesse nationale.

M. Gérard Longuet. Quand le bâtiment va, tout va !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est juste 7 % à 8 % de l’emploi ; c’est à peu près 17% ou 18% du PIB. On pourrait en parler à ceux qui travaillent dans le bâtiment…

Madame la secrétaire d’État, je suis prêt à voter l’IFI, mais je vous pose la question : est-ce qu’investir en bitcoins est plus bénéfique pour l’économie que d’investir en appartements ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Est-ce qu’investir en actions chinoises ou américaines, c’est plus bénéfique pour l’économie que d’acheter des boutiques, qui créent des emplois ? Est-ce qu’avoir un tas d’or chez soi….

M. Gérard Longuet. L’oncle Picsou !

M. Albéric de Montgolfier. … et le contempler ou le mettre dans son coffre, c’est plus bénéfique pour l’économie ou pour l’emploi que d’investir dans des appartements où vont loger des gens ?

Voilà la véritable question qui est posée.

On a donc 69,5 milliards de liquidités qui étaient prises en compte au titre de ISF et qui vont échapper totalement à l’impôt puisqu’elles ne seront pas frappées par l’IFI, alors même que le placement en appartements, même avec des loyers bas, le placement en boutiques ou la location d’une usine seront soumis à l’IFI. C’est la pire des solutions. D’ailleurs, sur l’ensemble des travées, on a du mal à justifier ce nouvel impôt. Je n’ai pas trouvé beaucoup de défenseurs de l’IFI ; je peux trouver des partisans de l’ISF, pour des raisons que certains assument ; je peux trouver, sur d’autres travées, des collègues qui souhaitent supprimer l’ISF, pour d’autres raisons, que j’ai exprimées à l’instant. En revanche, défendre l’IFI est vraiment la plus mauvaise solution.

Vous auriez créé un impôt sur la fortune improductive, on aurait sans doute pu vous suivre. Si vous aviez réintégré les liquidités, tout ce qui est improductif, et sorti tout ce qui est productif, comme les actions, les obligations, l’immobilier de rendement, l’immobilier qui loge des gens, l’immobilier d’usine, alors, nous aurions pu vous suivre, mais là, vous aboutissez à une solution assez difficile à suivre et c’est la raison pour laquelle nous n’allons pas aller jusqu’au bout avec vous.

Les deux amendements de M. Bocquet et de M. Raynal visent tout simplement à revenir à la situation antérieure en rétablissant l’ISF. Nous n’allons bien sûr pas non plus les suivre, donc nous donnons un avis défavorable à leur adoption.

Madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, je le reconnais, vous avez pris une position courageuse. Le Président de la République a eu le courage d’ouvrir le débat et de supprimer cet impôt anti-économique pour les raisons que j’ai évoquées. Allons jusqu’au bout de la logique et ne recréons pas une usine à gaz, qui sera un nid à contentieux, notamment constitutionnel. Vous allez faire le bonheur des avocats avec toutes les QPC qui s’annoncent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le rapporteur général, je partage une partie de vos propos et, vous le savez, le Gouvernement également. En même temps, en ce qui me concerne, j’ai une règle assez simple : quand, comme ministre en charge des relations avec le Parlement, je dois accompagner la mise en œuvre d’un engagement du candidat devenu Président de la République, je me sens parfaitement à l’aise. Cet engagement, c’est exactement celui qui est traduit dans le texte qui vous est proposé et que le Sénat souhaite amender, avec deux types d’approche.

D’une part, il y a ceux qui nous expliquent que l’ISF permet de régler les problèmes de pauvreté que nous connaissons en France. Si cela était vrai, peut-être ne serions-nous pas seulement l’un des trois pays européens à avoir ce type de fiscalité, qui a depuis longtemps montré son inefficacité, et qui a poussé de nombreuses personnes à jouer soit de l’optimisation fiscale, soit de la fraude fiscale, soit, même, du déplacement physique pour quitter la France et échapper en totalité à la fiscalité et aux impôts sociaux. On sait donc l’inefficacité de ce dispositif.

C’est simple, si cela marchait, cela se serait vu, et les recettes fiscales de notre pays se porteraient mieux. Surtout, d’autres pays européens auraient pu s’en inspirer, or je vous rappelle que seules l’Espagne et la Norvège ont aujourd’hui un dispositif qui se rapproche. Il y a la Suisse, mais je ne suis pas sûr que le modèle fiscal de la Suisse soit celui que nous souhaitions tous partager ici. (Sourires.)

Cela montre bien la limite de cet argument qui consiste à dire : ne changeons rien !

D’autre part, il y a une vision plus ambitieuse, à savoir la suppression totale du dispositif, qui consiste à ne pas vouloir distinguer la détention immobilière de la détention capitalistique, c’est-à-dire le financement de l’économie réelle. J’entends évidemment ce discours, que l’on a d’ailleurs entendu pendant de longues années. En effet, chacun sait que, depuis de longues années, l’ISF est un totem que l’on se renvoie les uns les autres à chaque élection, mais qu’on ne touche jamais. Ce gouvernement assume de tenir le cap, tel qu’il a été fixé dans l’engagement présidentiel, de bel et bien le transformer. Nous le faisons avec cette ambition de distinguer ce qui peut financer l’économie réelle et donc, à travers elle, l’emploi. Notre objectif, c’est l’économie, mais toute l’économie, et pas seulement les start-up. Il y a dans ce PLF des dispositifs comme celui sur les attributions gratuites ou celui sur les BSPCE qui permettent de favoriser cela.

Quand je dis toute l’économie, c’est aussi la détention d’une PME, y compris la possibilité de transmettre à son fils ou à sa fille, un jour, l’entreprise familiale. C’est un élément très important qui est traité par l’article que vous proposez de supprimer.

À ceux qui pensent qu’il ne faut rien changer, je dis que nous sommes quand même le deuxième pays après le Danemark à avoir le plus haut niveau de fiscalité sur nos entreprises et sur les particuliers. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) Madame Lienemann, si le problème de la pauvreté avait été réglé grâce à cela, je serais sur cette position, mais je préfère avoir en tête ces mots de Victor Hugo : « limiter la pauvreté sans limiter la richesse ».

Chercher à opposer systématiquement la richesse et la création de richesses pour penser que cela règle la pauvreté : ce serait le cas, nous le saurions.

On a célébré voilà quelques jours le trentième anniversaire de la journée mondiale de la pauvreté, et on sait qu’en France celle-ci perdure. Il nous faut donc sans cesse la combattre. (M. Jean-François Husson s’exclame.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable à ces deux amendements. En même temps, mon propos est plus global et anticipe les discussions que nous aurons, monsieur le rapporteur général, sur votre proposition de supprimer le dispositif de l’IFI, ce qui priverait le budget national d’une recette de 850 millions d’euros. Cet amendement n’est donc pas à prendre à la légère.

À nos yeux, si l’immobilier, et je vous rejoins, monsieur le rapporteur général, contribue à la richesse nationale, tel n’est pas le cas de sa détention. L’accumulation de détention de capital immobilier ne contribue pas à la richesse nationale.

On peut imaginer aujourd’hui de garder le système tel qu’il est. Je vous rappelle que, sur l’immobilier, nous n’augmentons pas les taux et nous ne diminuons pas l’assiette. Pour nous, il est indispensable de considérer qu’un meilleur partage de la détention immobilière est nécessaire, et l’ISF, dans sa version devenue IFI aujourd’hui permet cela. À mon sens, c’est aussi sain politiquement pour notre pays.

Voilà pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, sur ces amendements, comme sur le projet de suppression suivant, mais nous y reviendrons avec Mme la secrétaire d’État, le Gouvernement émet un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.

M. Philippe Dallier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne voterons pas les amendements de suppression et, bien évidemment, nous suivrons le rapporteur général.

Cela étant dit, je veux redire ce que j’ai déjà dit lors de la discussion générale. Quels sont les signaux que vous êtes en train d’envoyer, en ciblant particulièrement l’immobilier ? Vous n’avez pas le courage de supprimer l’ISF, mais nous ne l’avons pas eu non plus précédemment, donc on va clore là le débat. Évidemment, supprimer l’ISF, on en a rêvé, mais vous ne le faites qu’en partie.

Pourquoi ? Effectivement, 800 millions d’euros, c’est une somme, mais combien cela risque-t-il de vous coûter au bout du compte ? Vous gardez cet impôt sur l’immobilier ; en outre, concernant les primo-accédants, vous touchez les plans épargne logement ; vous recentrez le Pinel et le PTZ ; vous supprimez l’APL-accession ; vous avez besoin d’investisseurs privés et publics, et vous mettez les bailleurs sociaux en difficulté.

M. Antoine Lefèvre. Effectivement.

M. Philippe Dallier. Vous rendez-vous compte de l’ensemble des signaux que vous envoyez ? Or nous vivons une crise du logement et nous avons besoin de construire.

Quand le bâtiment va, tout va, et lorsque c’est le cas les rentrées fiscales sont très importantes. Vous avez 800 millions d’euros et vous n’avez pas le courage d’aller au bout, peut-être également pour des raisons purement politiques. Comme nous, sans doute avez-vous craint que les sondages ne vous condamnent si vous aviez supprimé totalement l’ISF ?

M. Philippe Dallier. Mais quel est le risque que vous prenez en maintenant cet impôt uniquement sur l’immobilier, plus tout le reste, dont nous parlerons au moment de l’examen de l’article 52 ?

Si, effectivement, c’est pour replanter le marché de l’immobilier, alors qu’il est reparti très fort à la hausse après le creux des années post-Duflot, vous allez y arriver. Vous faites une grave erreur.

En ce qui nous concerne, nous ne sommes surtout pas pour le statu quo et le maintien de l’ISF, mais, franchement, maintenir cette partie sur l’immobilier nous semble absolument contre-productif. Je crains que, dans les deux années qui viennent, on ne revoie une inflexion de la courbe de l’immobilier, ce qui sera très mauvais pour ceux qui cherchent un logement et pour les finances de l’État. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je partage pleinement ce que vient de dire Philippe Dallier. Je ne comprends pas. Je reconnais bien que nous n’avons pas eu le courage, sous les gouvernements de droite, du temps de Sarkozy, par exemple, de supprimer l’ISF, alors qu’une grande partie de nos troupes condamnait cet impôt. Nous n’avons pas eu ce courage, et je reconnais bien volontiers que le Gouvernement a le courage, lui, de prendre une décision que nous n’avons pas prise.

Seulement, on a le sentiment que vous ne voulez pas aller au bout. À la limite, il faudrait que vous supprimiez l’ISF premier modèle, sans que cela se sache trop. Alors, vous créez l’IFI, laissant entendre à l’opinion publique que c’est un peu différent. Pour ce qui est utile à l’économie, on supprime l’ISF ; le reste, c’est par définition du dormant, des choses qui ne sont pas utiles, donc c’est taxable.

Je le répète, je n’arrive pas à comprendre. Comme l’a dit Philippe Dallier, par définition, le bâtiment, cela représente des centaines de milliers d’emplois, directement ou indirectement, qui ne sont pas délocalisables et qui, par conséquent, créent de la richesse en France ; cela représente des rentrées fiscales considérables. En plus, venir dire à ceux qui acquièrent un logement qu’ils sont dans le dormant et qu’ils ne sont pas utiles…