M. Alain Gournac. C’est vrai !

M. Philippe Dallier. Couper ce lien fiscal entre le citoyen et sa commune, c’est d’un côté amoindrir la responsabilité des élus, leur ôter tout pouvoir de taux, et de l’autre entamer un peu plus l’autonomie financière de ce qui reste, n’en déplaise à certains, la cellule de base de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Chacun reconnaît que les modes de calcul de la taxe d’habitation comme de la taxe foncière sont obsolètes et profondément inéquitables. Voilà pourquoi il est urgent de mener à bien la réforme des valeurs locatives : si le système est injuste, vous ne pouvez pas le faire perdurer pour 20 % des contribuables, d’autant que la taxe foncière est assise sur les mêmes bases.

M. Henri de Raincourt. Tout à fait !

M. Philippe Dallier. Il nous faut donc cette réforme des valeurs locatives ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe Union Centriste.)

Il faut également engager une véritable réforme de la dotation globale de fonctionnement, que le gouvernement précédent n’a pas pu mener à bien, et de l’ensemble des dotations de péréquation, car il n’est plus possible de toucher à l’une sans toucher aux autres.

Monsieur le Premier ministre, après la baisse de 11 milliards d’euros des dotations que nous avons subie depuis 2014, les élus locaux sont encore prêts à des efforts mesurés, mais ils ne veulent pas se trouver sous perfusion de dotations d’État, dont on sait qu’elles finissent toujours par être la variable d’ajustement de tout le reste, pas plus qu’ils ne veulent d’un nouveau big-bang institutionnel.

Les élections présidentielles et législatives ont une nouvelle fois mis en évidence la double fracture, territoriale et sociale, qui traverse notre pays.

Non, la France ce n’est pas, d’un côté, ceux que l’on croise dans le métro et qui auraient réussi leur vie, et, de l’autre, ceux qui ne seraient « rien », comme l’a maladroitement déclaré le Président de la République.

M. Philippe Dallier. S’il ne le pense pas, il l’a dit !

M. Philippe Dallier. Il y a bien une France qui ne va pas trop mal, qui profite des opportunités de la mondialisation : celle des cadres, des CSP+, des centres-villes, des métropoles, des régions qui voient leur population augmenter.

Puis il y a une France rurale, celle des agriculteurs qui peinent à se payer un salaire, celle des territoires en voie de désertification, mais aussi la France des banlieues en difficulté, celle des ouvriers qui voient la désindustrialisation se poursuivre, La France de tous ceux qui se sentent les perdants de la mondialisation.

L’écart entre ces deux France n’a jamais été aussi grand et continue de se creuser.

À ceux qui ne voient, dans le résultat de la présidentielle et, peut-être plus encore, dans celui des législatives, que le triomphe d’une nouvelle génération d’élus sur l’ancienne, je dis : prenez garde !

Jamais autant de Français – ils ont été 40 % au premier tour de la présidentielle – ne s’étaient tournés vers des candidats proposant de renverser la table.

Jamais autant de Français ne s’étaient abstenus pour des élections législatives.

C’est autant à eux – et peut-être plus à eux qu’aux autres – que vous devez répondre, monsieur le Premier ministre. Votre responsabilité est immense et vous n’avez pas le droit à l’erreur.

Quant à nous, comme la majorité sénatoriale l’a toujours fait, nous assumerons nos responsabilités, dans le calme et la sérénité.

Si vos décisions nous semblent aller dans le bon sens, nous vous accompagnerons ; si c’est l’inverse, bien évidemment nous nous y opposerons.

C’est aussi cela une démocratie : une majorité et une opposition. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. David Rachline, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.

M. David Rachline. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, vous ne serez pas surpris si je vous dis qu’après trois discours nous ne sommes toujours pas convaincus que la politique que vous nous proposez va résoudre les problèmes qui touchent nos compatriotes – insécurité, immigration subie et chômage de masse, pour ne prendre que les trois plus importants – et qu’elle risque également d’aggraver la dissolution progressive de notre pays et de notre civilisation dans un magma mondialisé.

Après un discours présidentiel totalement déconnecté de la réalité vécue par l’immense majorité des Français, nous avons celui d’un gestionnaire, comme si l’action politique se limitait à une simple vision comptable ! Il faut dire que, dans ce domaine, la situation n’est pas brillante, après les deux derniers quinquennats, la dette de notre pays ayant bondi de 600 milliards d’euros sous M. Sarkozy, alors soutenu par votre famille politique d’origine, monsieur le Premier ministre, et de 340 milliards d’euros sous M. Hollande, dont l’actuel Président de la République a été le conseiller puis le ministre.

Après une décennie d’austérité imposée par l’Union européenne, vous nous proposez la même chose ! Il faut dire que, n’ayant pas récupéré une once de souveraineté, vos leviers d’action sont bien limités.

Ainsi, votre objectif est non pas de faire baisser le chômage, qui touche plusieurs millions de nos compatriotes, mais d’abord de respecter la règle maastrichtienne des 3 % pour obéir aux commissaires bruxellois.

Les caisses sont vides ? Qu’à cela ne tienne, vous augmentez les impôts : CSG, cigarettes, diesel ! Certes, vous patinez certaines hausses de bons sentiments, mais en réalité le but est juste de faire rentrer de l’argent sans avoir à changer de modèle.

Et ce sont encore les classes moyennes qui vont subir de plein fouet cette austérité.

Quant aux différentes promesses pour le pouvoir d’achat, aux baisses de charges pour les entreprises, notamment les TPE, à la défiscalisation des heures supplémentaires, on verra plus tard !

La vérité est que vous devez attendre que la Commission européenne donne son feu vert.

En revanche, certains lobbys se frottent les mains, l’industrie pharmaceutique, par exemple, après que vous avez annoncé l’augmentation considérable du nombre de vaccins obligatoires.

Au fait, vous êtes-vous demandé pourquoi des maladies disparues de notre sol depuis longtemps refaisaient surface ? Il faut avoir le courage de dire que l’immigration massive est la meilleure piste de réponse… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Même au niveau européen, vous soumettez les Français à ces lobbys, si j’en crois la position récente de la France sur les perturbateurs endocriniens, première couleuvre pour le ministre d’État Hulot…

D’ailleurs, permettez-moi de relever que l’écologie a été bien vite balayée dans votre discours. Il faut dire que le combat écologique, qui doit être intégral, c’est-à-dire, environnemental, économique et social, se marie mal avec le modèle de développement que vous vous évertuez à défendre.

Pourtant, des mesures simples pourraient être prises : la mise en place du patriotisme économique pour les produits agricoles, le refus des traités de libre-échange ou encore la création d’une véritable filière d’énergies renouvelables, grâce à la priorité donnée aux entreprises nationales du secteur.

Autres grands absents de votre discours, et c’est extrêmement inquiétant : la sécurité et l’immigration.

M. David Rachline. À part le fait de faire entrer un état d’exception, l’état d’urgence, dans le droit commun : rien ! Alors que, pour renforcer la sécurité de nos compatriotes, il y a tant de mesures à mettre en œuvre, notre droit vous donnant déjà pas mal de possibilités – par exemple appliquer l’article 411–4 du code pénal –, ou de mesures à prendre : contrôles systématiques aux frontières, fermeture de la centaine de mosquées radicales, expulsion des étrangers fichés S.

Sur l’immigration, et l’enchaînement n’est évidemment pas fortuit, n’en déplaise aux ténors du politiquement correct : rien non plus !

Enfin, comme tant d’autres avant vous, vous promettez une réforme du droit d’asile. J’étais encore enfant que votre mentor, M. Juppé, disait déjà la même chose.

Alors, c’est beau de parler d’accueil des migrants, mais, concrètement, on fait quoi ? Je crois que, pour leur dignité, il faudrait arrêter de leur mentir et prendre, comme l’Australie, des mesures drastiques…

Mme Éliane Assassi. C’est ça, l’asile ?

M. David Rachline. … afin de décourager ces personnes et les dissuader de risquer leur vie pour un avenir guère reluisant, et lutter beaucoup plus efficacement contre les passeurs, surtout quand ceux-ci sont déguisés en ONG !

Pas un mot non plus sur le communautarisme qui gangrène nos quartiers et qui fait que certains de nos compatriotes ne se sentent plus chez eux, une culture – voire une loi – étrangère ayant remplacé la civilisation française.

Mme Laurence Cohen. C’est une obsession, chez vous !

M. David Rachline. Concrètement, que faites-vous pour que dans les rues de notre capitale, une femme puisse se promener sans avoir à – je cite – « tenir son sac et baisser les yeux » ?

Avant de conclure, un mot sur une annonce discrète, mais symbolique.

Nous avons bien senti ici, dans cette chambre représentant les collectivités, que vous comptiez vous attaquer aux communes, symbole de notre pays, en les diluant davantage dans des intercommunalités, lesquelles se verraient d’ailleurs transférer de nouvelles compétences, et en enlevant encore aux maires certaines prérogatives.

Les Français sont attachés à leur commune et à l’image du maire, serviteur public de proximité. Soyez sûr que toute tentative de vous attaquer à ces symboles sera fermement combattue.

Vous marchez, mais vous ne savez pas vers où. La marche vous suffit. Mais le flou de votre discours, dans la lignée du flou de la campagne, risque de ne pas résister longtemps au monde réel. Soyez sûr que nous serons là pour vous rappeler la réalité et pour combattre toute mesure qui n’aura pas pour objectif de protéger nos concitoyens, de défendre les plus fragiles d’entre eux et de réarmer économiquement et moralement la nation française.

M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe La République en marche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche.)

M. François Patriat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, parce qu’il n’y aura pas d’état de grâce, parce que le Gouvernement doit réussir, monsieur le Premier ministre, vous pouvez être assuré du soutien que vous apportera, aujourd’hui et demain, durablement, le nouveau groupe sénatorial La République en marche.

Vous me permettrez de saluer l’initiative du Président de la République pour son adresse solennelle dès le début de la législature à toute la représentation nationale et, à travers nous, à tous nos concitoyens de l’Hexagone et d’outre-mer – les outre-mer sont particulièrement bien représentés au sein de notre groupe, ce dont je me réjouis.

Le soutien actif des sénateurs de La République en marche répond à trois motifs essentiels.

En premier lieu, monsieur le Premier ministre, vous avez parfaitement dissipé l’ambiguïté que certains voyaient ou feignaient de voir dans la succession rapprochée de deux interventions capitales, celle du Président de la République lundi et la vôtre hier. On avait même parlé d’effacement du Premier ministre au profit du Président.

Il y avait dans cette critique un double paradoxe.

Elle était émise par ceux qui se réclament volontiers du général de Gaulle et des institutions qu’il a données à notre pays. Or les deux têtes de l’exécutif ont donné une lecture parfaite de la Constitution, de sa lettre et plus encore de son esprit.

Il appartient au Président de fixer le cap, de proposer un horizon ; et il est de la compétence du Premier ministre de définir la politique à mettre en œuvre par le Gouvernement pour assumer cette ambition. C’est le partage des tâches auquel les Français sont légitimement attachés, et vous l’appliquez très exactement.

L’autre partie du paradoxe, nouveau reproche par anticipation adressé au Président, repose sur une accusation à l’égard d’un discours-programme très détaillé et concret qui entrerait dans votre compétence et non dans la sienne.

Sans trop de souci de cohérence, les mêmes ont adressé au Président, dès lundi soir, un reproche systématiquement inverse : il nous aurait livré une allocution trop vague, trop générale, trop « philosophique » – j’ai découvert, à cette occasion, que l’adjectif « philosophique » serait devenu péjoratif… Le Président Macron nous a en effet livré sa vision de la politique, une vision très élevée, exigeante, qui constitue bien une véritable philosophie du pouvoir.

Je répondrai à ces détracteurs systématiques que, philosophie pour philosophie, ils auraient dû relire, comme le Président l’a fait, Héraclite d’Éphèse, qui disait : « On n’entre jamais deux fois dans le même fleuve. »

Eh bien, mes chers collègues, on n’entend jamais deux fois le même discours.

Le vôtre, monsieur le Premier ministre, était dense, précis, concret et courageux ; c’est notre deuxième motif de soutien.

Je n’entrerai pas dans le détail de votre programme décliné hier : nous y avons retrouvé l’ensemble des promesses qui ont été émises par le Président de la République lors de la campagne pour l’élection présidentielle. Vous vous engagez à les tenir, vous avez montré le cap, exprimé la vérité en vue d’obtenir des résultats concrets et rapides dans les domaines de la sécurité, de l’économie, de la santé, de l’éducation, du logement, de la transition écologique ou encore de l’aide aux plus démunis.

Oui, c’est un fait politique nouveau : le Gouvernement tiendra les engagements qu’il a pris. Nous vous accompagnerons, même quand il faudra rechercher l’adhésion du pays dans la réalisation du programme, courageux et indispensable, de réduction de la dépense publique et du déficit que vous avez annoncé.

En troisième lieu, nous avons apprécié dans vos propos le rappel des grands principes de la méritocratie républicaine à propos de l’école, de l’université, de la formation professionnelle, de l’aide à la création d’entreprise.

Vous préférez le principe de justice à celui, théorique, de l’égalité, car ce mot est source de malentendu. Nous voulons l’égalité des droits et des chances quand d’autres rêvent de l’égalité des situations, qui est toujours hélas ! synonyme de nivellement par le bas.

Nous sommes, au sens propre, d’une autre école. Aidés par les meilleurs élèves, nos maîtres tendaient la main aux plus faibles, aux moins favorisés pour les faire aller plus vite et plus haut. Telle est notre vision de l’avenir de ce pays. Nous voulons libérer toutes les initiatives et les projets de ceux, innombrables, dont les entreprises illustrent le génie particulier de ce pays. Et dans le même temps, la responsabilité des pouvoirs publics, de l’État, mais aussi des collectivités territoriales et de l’Europe sera de garantir aux autres l’égalité des chances. Nous voulons une société qui libère et qui protège.

Nous venons de vivre deux de ces grandes journées qui honorent une nation lorsqu’elle décide de ressembler au meilleur d’elle-même. Il est des révolutions – et ce sont les plus admirables – qui s’opèrent sans violence, simplement parce que la volonté des hommes libres s’oppose à la fatalité. D’autres avaient cru entendre un simple slogan, mais nous le voyons aujourd’hui : notre République est véritablement en marche.

L’exigence de nos concitoyens nous oblige, Gouvernement et Parlement, au volontarisme comme à la réussite. Nous, députés et sénateurs de La République en marche, devons être à la hauteur de ce moment.

Il est l’heure, mes chers collègues, de transformer notre République, de la moderniser, de la refonder, de lui donner un horizon, de bâtir une France nouvelle. Les Français doivent retrouver fierté et confiance. Le Président a défini un projet ambitieux pour notre nation. Nous sommes prêts et déterminés.

Déterminés à agir pour le vivre ensemble et l’intégration, la cohésion nationale. L’éducation et la culture sont au cœur de notre projet de société tout comme la laïcité, qui ne saurait plus longtemps être galvaudée pour être tantôt bouc émissaire, tantôt stigmatisation. La laïcité est le ciment de notre démocratie et la protéger est notre dessein.

Déterminés à lutter contre le chômage de masse, à former les plus éloignés de l’emploi, à moderniser et à simplifier le droit, à réformer l’assurance chômage pour en faire un droit universel, à améliorer le pouvoir d’achat de chacun.

Déterminés à moderniser notre économie grâce à une stratégie d’investissement ambitieuse dans tous les territoires urbains, certes, mais également ruraux. J’y tiens tout particulièrement.

Les territoires ultramarins ne devront pas être oubliés – vous les avez d’ailleurs cités, monsieur le Premier ministre. Pour ce faire, la France devra proposer un projet d’émancipation réelle des outre-mer, tout en reconnaissant leur légitimité à avoir des règles adaptées à leurs réalités locales, notamment un taux de chômage nettement supérieur à la moyenne nationale, en particulier chez les jeunes, et un coût de la vie plus élevé. Ils veulent l’équité pour pouvoir réussir là où ils sont dans la République.

Déterminés à mettre en œuvre un modèle de croissance réconciliant transition écologique, industrie du futur et agriculture de demain.

Déterminés à garantir la sécurité de nos concitoyens, à restaurer partout l’autorité de l’État, à affronter le terrorisme.

Déterminés à repenser notre démocratie, à développer la participation citoyenne, à garantir la respectabilité de nos élus.

Déterminés à défendre les intérêts de la France et à relancer le projet européen, celui d’une Europe qui protège et qui investit.

Ces chantiers sont nombreux pour bâtir cette France que nous appelons de nos vœux. Mais nous sommes des millions à vouloir la construire, pour donner des perspectives aux enfants de la France, la France des Lumières et des droits de l’homme.

Si nous soutenons sans réserve, monsieur le Premier ministre, votre gouvernement dans son action, c’est parce que les Français attendent qu’il réussisse et que la France fasse honneur à son histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe CRC.

M. Pierre Laurent. Monsieur le Premier ministre, après l’allocution du Président de la République lundi, votre discours de politique générale et celui que vous venez de prononcer étaient censés nous détailler le grand renouveau que vous avez tant promis aux Français.

Nous avons beau tendre l’oreille, ce n’est pas le souffle du renouveau que nous entendons, mais des refrains usés, et la nouvelle orchestration n’y change rien.

Le macronisme était, paraît-il, une révolution. Versailles a remis les pendules à l’heure. Nous entendons plutôt une nouvelle synthèse, celle du sarko-hollandisme ou celle du hollando-sarkozysme,…

M. Roger Karoutchi. Laissez-nous tranquilles, nous n’avons rien fait ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Laurent. … c’est au choix : l’avenir tranchera.

Pour révolutionner notre politique, il aurait tout d’abord fallu envoyer un signal clair de rupture avec la dérive présidentialiste de notre régime : cet anachronisme qui consiste, au XXIe siècle, à concentrer toujours plus de pouvoirs dans les mains du seul Président de la République.

Il aurait fallu dire aux Français : « Nous allons vous rendre du pouvoir, instaurer de nouveaux droits d’intervention des citoyens dans toutes les décisions et de nouveaux droits des salariés dans les entreprises, pour que ce ne soient plus les seuls intérêts de la finance qui décident. »

Voilà qui aurait été une entrée en matière révolutionnaire !

Il aurait fallu adresser un signal de confiance au Parlement, et non une convocation à Versailles, un discours monarchique où le Président parle et, tel un monarque, se retire, non sans avoir signifié aux parlementaires qu’ils sont trop nombreux et laissé entendre que le Conseil économique, social et environnemental serait inutile.

Pour alimenter son moulin antiparlementaire et, ainsi, justifier la réduction du débat démocratique, le Président de la République a fustigé l’inflation législative. C’est l’hôpital qui se fout de la charité ! Nous avons combattu ici même un monstre législatif de 400 articles,…

M. Pierre Laurent. … tous écrits sous la dictée des intérêts patronaux, la fameuse loi Macron adoptée par 49.3,…

M. Pierre Laurent. … celle qui, aujourd’hui, oblige à travailler le dimanche, qui autorise la privatisation de nos aéroports régionaux, qui facilite les licenciements, qui a affaibli l’inspection du travail, et j’en passe.

Oui, voilà des lois dont les Français ne voulaient pas.

Monsieur le Premier ministre, comptez donc sur nous pour résister à l’inflation législative produite par les lobbys des grands intérêts capitalistes et pour multiplier les propositions qui redonneront du pouvoir aux citoyens. Mais ne comptez pas sur nous pour faire allégeance à une dérive autoritaire de nos institutions.

Vous voulez d’ailleurs, pour commencer, casser le code du travail en nous privant du débat parlementaire qu’appelle un tel chantier. Nous voterons contre l’habilitation à procéder par ordonnances. Nous ne nous dessaisirons pas de notre pouvoir légitime de légiférer en la matière et nous ferons tout pour révéler aux Français le contenu de ces projets.

L’été, symbole des congés payés gagnés de haute lutte, n’est pas fait pour casser le code du travail dans le dos de ceux qui suent au labeur toute l’année et qui prennent alors un repos légitime. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Pierre Laurent. Pour rendre au pays l’espoir auquel il aspire, pour inventer un nouvel avenir social, productif et écologique, il ne faut pas, comme vous l’avez dit hier, désintoxiquer le pays de la dépense publique. Sous le quinquennat précédent, l’investissement public a chuté de 25 %, et pour quel résultat ?

En réalité, il faut désintoxiquer le pays de la finance, de la prédation des richesses communes par les exigences d’une rentabilité financière à courte vue.

Vous ne dites rien de l’évasion fiscale, qui coûte 80 milliards d’euros par an au pays, rien de la résolution votée sur notre initiative par l’Assemblée nationale pour une COP fiscale mondiale, rien de l’explosion des 500 premières fortunes professionnelles françaises, rien du rôle défaillant des banques et de leurs critères de crédit. Et vous parlez de moraliser la vie publique ! Mais l’indécence de l’argent crève les yeux, et c’est à elle qu’il faut s’attaquer.

Bien au contraire, vous proposez d’en rajouter, toujours prétendument au nom de l’emploi : allégement de l’impôt de solidarité sur la fortune, baisse de l’impôt sur les sociétés, transformation du CICE en baisse de cotisations patronales pérennes. Quant aux salariés et aux retraités, ils devraient, à l’inverse, subir les transferts des cotisations sociales vers une hausse massive de la CSG et le gel du point d’indice des fonctionnaires.

Le Président de la République et vous-même parlez de « ceux qui ne sont rien », de « ceux qui sont installés », de ceux qui ne devraient pas se résoudre à être des assistés. Mais savez-vous vraiment de qui vous parlez ?

Au total, neuf millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté à cause du chômage et de la précarité engendrée par le modèle économique actuel, que vous défendez.

Plutôt que de casser le code du travail, nous vous demandons d’inscrire à l’ordre du jour du Parlement notre proposition de loi pour une sécurité de l’emploi et de la formation.

De plus, nous vous demandons la convocation de deux grandes conférences sociales relatives, l’une, au relèvement des salaires et des qualifications, l’autre, à la lutte contre l’exclusion et la grande pauvreté, demandées par toutes les associations qui se consacrent à ces questions, pour définir des plans d’action cohérents et pluriannuels.

Oui, dans ce pays, on ne doit plus travailler pour un salaire de misère, on ne doit plus être expulsé de son logement parce qu’on ne parvient plus à le payer.

Dans votre discours d’hier, vous avez fustigé les aides au logement. Mais le pays manque cruellement d’aides à la construction de logements sociaux et accessibles à tous. Il manque cruellement de fonds publics dédiés à la rénovation thermique de l’habitat.

Attaquez-vous plutôt au détournement massif des fonds publics vers la promotion immobilière spéculative.

Monsieur le Premier ministre, pour répondre à l’espoir du pays, il faudrait également être audacieux en matière d’égalité.

Le temps est venu de nouveaux droits.

La France rend aujourd’hui hommage à Simone Veil. Soyons à la hauteur de l’audace qui fut la sienne et, quarante ans après la loi qui porte son nom, franchissons une nouvelle étape. Nous proposons qu’à la faveur de la réforme constitutionnelle qui s’annonce le droit à l’interruption volontaire de grossesse soit désormais inscrit dans notre Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

La cause des services publics est un autre pilier de la lutte pour l’égalité.

Vous n’annoncez aucun nouveau moyen pour l’école. En fait, vous encouragez un pragmatisme et une autonomie des établissements qui masquent la mise en cause de l’unicité de notre système éducatif. Ce faisant, vous renoncez à la lutte contre les inégalités.

En matière de santé, derrière vos annonces relatives aux vaccinations ou la promesse de meilleurs remboursements forfaitaires pour les lunettes ou les aides auditives, vous masquez la poursuite de restructurations hospitalières dévastatrices pour la couverture des besoins sanitaires. Comment allez-vous concilier le maintien de cette politique et les mesures que vous annoncez pour lutter contre les déserts médicaux ?

Ce qui aurait été réellement innovant, en rupture véritable avec les quarante dernières années, c’est un grand plan d’investissement pour les services publics, pour le développement industriel et pour la transition écologique.

Vous annoncez un plan de 50 milliards d’euros, une somme qui sonne rond, mais qui est bien dérisoire au regard des enjeux des années à venir. Ce n’est pas avec ce plan que l’on atteindra l’objectif de la neutralité carbone en 2050, d’autant que, dans le même temps, vous n’hésitez pas à prétendre abaisser de l’équivalent de 3 % du PIB les dépenses publiques, soit 65 milliards d’euros en moins et un véritable massacre en perspective…

Dans ces conditions, comment résonnent les mesures que vous nous annoncez pour l’avenir de nos territoires ?

Refusons le fossé qui se creuse, nous dites-vous. Soit, mais comment agir sans une ambition d’égalité sur tout le territoire, sans un moratoire immédiat des réductions de dotations et des fermetures de services publics pour que plus un seul habitant de notre pays, qu’il vive dans un quartier populaire, en zone rurale ou dans la périphérie des villes, ne se sente abandonné, délaissé, méprisé, tel un citoyen de seconde zone ?

Vous annoncez une conférence des territoires : parfait. Mais pour quoi faire ? Pour réduire à deux, sous les régions, les niveaux de collectivités, avez-vous dit. Traduisons : cela signifie ou la mort des départements, ou le regroupement massif de communes qui seraient d’ailleurs privées de leurs compétences d’urbanisme.