Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Catherine Génisson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre de la situation de l’hôpital. Je veux remercier ici nos collègues du groupe CRC d’avoir pris cette initiative, quand bien même mon intervention n’aura pas tout à fait la même tonalité que celle de Mme Laurence Cohen.

L’hôpital public a été l’objet de nombreuses réformes durant ces vingt dernières années.

Sous l’impulsion du Président de la République, notre gouvernement a rétabli, dans la loi de modernisation de notre système de santé, le service public hospitalier devant garantir l’égalité d’accès aux soins pour nos concitoyens. Il a instauré les groupements hospitaliers de territoire, les GHT. Laissons ces structures se mettre en place ; il conviendra ensuite de les évaluer.

Depuis 2012, l’hôpital public s’est renforcé, avec la fin de la convergence tarifaire engagée par la précédente majorité. Près de 30 000 soignants et non-soignants ont été recrutés.

Un hôpital renforcé, c’est un hôpital attractif pour les professionnels.

Ainsi Mme la ministre de la santé a annoncé, en octobre 2016, des mesures concrètes pour favoriser l’engagement des jeunes diplômés dans une carrière médicale hospitalière.

Il faut citer, en particulier, la création d’une prime d’engagement pour inciter les jeunes diplômés à faire le choix d’une carrière médicale hospitalière, l’amélioration des droits sociaux pour que les jeunes contractuels bénéficient de la même couverture sociale que les praticiens hospitaliers ; le maintien à 100 % de la rémunération pendant les congés de maternité ; la création d’une prime d’exercice territorial pour valoriser le temps d’exercice médical quand il est partagé entre plusieurs établissements – c’est un point très important -, et la création d’un deuxième palier de l’indemnité d’engagement de service public exclusif pour valoriser l’engagement durable des praticiens à l’hôpital sans exercice libéral.

Pour ma part, je suis fière et heureuse d’avoir exercé mon activité médicale comme praticien hospitalier à temps plein.

Pour autant, il est aujourd'hui indéniable que les conditions de travail au sein de l’hôpital sont difficiles – agressivité des patients, cadences de travail, sentiment de perte de reconnaissance. Elles provoquent des souffrances au travail, comme en témoigne, malheureusement, la vague de suicides de l’été dernier, ayant tout particulièrement affecté des infirmiers.

Mme la ministre des affaires sociales et de la santé a entendu ce malaise du personnel hospitalier et présenté, en fin d’année 2016, un plan pour « prendre soin de ceux qui soignent » : quelque 30 millions d’euros, sur trois ans, permettront aux services de santé au travail d’intégrer psychologues, conseillers en prévention des risques, professionnels et assistants sociaux dans chaque groupement hospitalier de territoire.

S’y ajoutent la création d’un observatoire de la qualité de vie au travail et des risques psychosociaux, la mise en place d’un médiateur national chargé de traiter les conflits qui n’auraient pas trouvé de solutions au niveau local, la création d’une charte de l’accompagnement des professionnels lors des restructurations adoptée dans chaque établissement.

Des entretiens individuels annuels seront systématisés pour les paramédicaux et instaurés pour les médecins, afin d’aborder leur parcours, leur carrière, leur vécu professionnel. Enfin, une concertation devra avoir lieu avec les organisations syndicales pour adapter le régime indemnitaire et valoriser les astreintes.

Nous souhaitons, madame la secrétaire d’État, être informés de l’état d’avancement de ce plan.

Au-delà de ces différents plans d’action, primordiaux pour renforcer l’attractivité de l’exercice médical à l’hôpital public et répondre au malaise des personnels hospitaliers devant des conditions de travail de plus en plus difficiles – le même constat a été fait sur toutes les travées de cet hémicycle –, nous sommes fiers de l’excellence de notre médecine, de nos hôpitaux et des professionnels qui en sont les acteurs.

Nos professionnels, très compétents, font preuve d’une grande humanité, en dépit de leurs difficultés personnelles. Toutefois, au-delà des revendications catégorielles de carrière, ils revendiquent attention et reconnaissance au regard du travail fourni. Les personnels souhaitent défendre un projet hospitalier pour nos concitoyens.

L’intensification des conditions de travail doit être largement prise en compte. L’hôpital s’est réorganisé en profondeur au cours des dernières années : d’une part, l’hôpital de jour ou de semaine, avec une intensification importante des conditions de travail – je pense par exemple à la coordination des rendez-vous, qui constitue un réel casse-tête – et, en contrepartie, des week-ends libérés ; d’autre part, des services de soins où l’activité est permanente, tels que les urgences, la chirurgie lourde, l’obstétrique, les services de réanimation.

Dans ces services, la majorité des personnels ne dispose que d’un dimanche de repos par mois. Le travail est organisé par poste, se décomposant en poste du matin, d’après-midi, de nuit. Cela permet, certes, une optimisation de la qualité des soins, mais n’offre à une grande partie de ces personnels que 12 dimanches de repos par an ! Nous avons déjà connu ce débat, mais dans le sens de l’extension du travail le dimanche…

Les réformes passant, le principe du service hospitalier a toujours été maintenu. C’est fondamental : le service est l’élément structurant de l’hôpital. Ses activités cliniques, de recherche, d’enseignement doivent être privilégiées, libérées au maximum des tâches administratives.

Le projet de service concerne tous les acteurs qui le servent dans une communauté d’actions. La promotion de carrière doit pouvoir être clinique ; l’infirmière clinicienne doit être fortement soutenue, comme les coopérations interprofessionnelles.

La formation professionnelle continue, à laquelle nous avons montré notre attachement, doit être développée – nous en avons débattu lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Lors de mes études d’anesthésie, j’avais fait un stage dans un hôpital londonien, où j’avais rencontré un médecin anesthésiste qui avait commencé sa carrière hospitalière comme aide-soignante. De tels cas doivent être rares en France !

M. Alain Marc. En effet !

Mme Catherine Génisson. En ces périodes d’épidémie de grippe, je ne puis occulter le sujet de la permanence de soins et l’engorgement des services d’urgence.

Sans conclure sur la mission qu’avec mes collègues Laurence Cohen et René-Paul Savary, nous allons mener sur les services d’urgence, les difficultés de fonctionnement de ces services sont un peu le miroir des difficultés de fonctionnement de notre système de santé : en amont, accès aux soins, permanence des soins dans le secteur libéral ; en aval, difficultés pour les services hospitaliers d’accueillir un patient en urgence.

S’agissant de l’épidémie de grippe, dès la fin du mois d’octobre, Mme la ministre de la santé a donné les instructions nécessaires, tant au secteur libéral qu’à l’hôpital, pour prioriser l’accueil d’urgence, et, ce matin, le Président de la République a organisé une réunion de travail permettant de planifier toutes ces questions.

S’agissant du financement de l’hôpital public, j’indiquerai simplement que la tarification à l’activité, qui a eu son efficacité, n’est pas pour autant l’alpha et l’oméga de ce financement. La mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat a avancé des propositions intéressantes sur le sujet.

Au-delà de ces questions, la courroie de transmission entre secteur hospitalier et médecine libérale doit être confortée et devenir une réalité quotidienne, pour, enfin, un véritable accompagnement du parcours de santé de nos concitoyens. N’oublions pas non plus les complémentarités entre hôpital public et hôpital privé, notamment dans le domaine de l’imagerie médicale, sans méconnaître les spécificités de l’un et de l’autre.

Telles sont les quelques pistes de réflexion que je souhaitais formuler dans le cadre du débat – très utile, je le répète – voulu par nos collègues sénateurs membres du groupe CRC. Je les en remercie encore.

Néanmoins, je ne doute pas que les enjeux de santé seront au cœur des futures échéances électorales. Je me réjouis de ces débats à venir, voire de ces combats politiques qui permettront d’éclairer nos concitoyens. (M. Jean Desessard applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Républicains.

M. Alain Marc. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de ce débat, je voudrais vous dire ma préoccupation au sujet de l’hôpital, en général, et de l’hôpital dans les départements ruraux, en particulier.

Tout d’abord, je serai très clair sur le sujet : la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », ne répond pas à nos attentes. Je précise que j’ai été le seul député de mon groupe à l’Assemblée nationale à avoir voté contre en son temps, et je ne le regrette pas.

Pourquoi cette préoccupation de l’hôpital rural ? Partons d’abord des besoins des personnes éloignées géographiquement des hôpitaux et de la notion de perte de chances, notamment en cas d’urgence. Il est avéré que l’éloignement de certaines personnes augmente, hélas, la perte de chance. Certains pensent avoir trouvé le Graal, la solution, avec l’hélicoptère. Or celui-ci ne vole pas par tous les temps, ni la nuit. La qualité des moyens pour accéder aux urgences ne peut souffrir d’exception, je pense que vous en conviendrez.

Il reste le maillage des hôpitaux et ce qu’il recouvre réellement – en fait les services qu’il possède. Toutefois, ce qui m’intéresse surtout, c’est la distance maximale des usagers à l’hôpital et aussi, bien sûr, l’implantation de médecins libéraux en milieu rural. Ceux-ci interviennent souvent en première intention auprès des personnes ayant besoin de recevoir des soins d’urgence et dont l’hôpital est l’établissement pivot.

À titre personnel, je suis pour le refus de conventionnement avec la sécurité sociale lorsque des médecins choisissent de s’installer dans une zone surdense. C’est un point sur lequel, d’ailleurs, je ne suis pas tout à fait d’accord avec certains collègues de mon groupe.

Après tout, madame la secrétaire d’État, les études sont gratuites jusqu’à la sixième année en France. Ce n’est pas le cas aux États-Unis ni au Royaume-Uni. La Nation a donc consenti des efforts particuliers pour ces futurs médecins, qui, par la suite, sont payés durant leur internat. Il apparaît normal que, en retour, ceux-ci doivent quelque chose à la Nation les ayant formés gratuitement.

Doit-on maintenir à tout prix des hôpitaux dans des zones peu densément peuplées et très éloignées de grands centres urbains ? Je répondrai par l’affirmative, mais j’ajouterai aussitôt que cela ne peut probablement pas se faire à n’importe quel prix ou à n’importe quelle condition. En effet, tout citoyen français doit pouvoir avoir les mêmes chances d’accéder à des soins urgents délivrés en hôpital, où qu’il habite. Je pense aussi aux maternités, pour lesquelles on requiert un minimum de 300 accouchements annuels.

Or il est des zones de notre territoire où la densité de population est de moitié celle du Sahel et où l’on se trouve à plus d’une heure d’un centre hospitalier. Je pense à certaines zones de mon département de l’Aveyron, où aujourd’hui, d’ailleurs, la maternité de Decazeville est provisoirement fermée, celles de Millau et de Saint-Affrique sont parfois sur la sellette, alors qu’une réflexion est en cours pour un projet commun.

À côté des professionnels de santé, la notion d’aménagement du territoire ne peut laisser de côté les élus locaux et les parlementaires de ce territoire.

Les parlementaires ne méconnaissent pas l’évolution technique de la médecine et la nécessité d’avoir des hôpitaux performants, mais nous souhaitons, en même temps, une véritable politique de différenciation des territoires, avec des exceptions géographiques pleinement assumées par la Nation et qui permettent d’assurer ce que l’on pourrait appeler le « minimum vital » dans les délais les plus brefs. Pour celles-ci, une fois qu’elles auraient été définies, la notion d’équilibre budgétaire à tout prix ne serait pas la seule finalité et la seule condition de leur existence.

Madame la secrétaire d’État, je vous demande que les parlementaires ne soient pas écartés de toute réflexion et, surtout, que la notion d’exception géographique trouve une validation législative.

Aujourd'hui, on veut bien accepter cette notion, souvent en accord, d’ailleurs, avec le ministère, mais on ne l’a pas validée au travers de la loi. Or cette évolution permettrait d’éviter que les hôpitaux en milieu rural ne soient systématiquement remis en cause, ce qui est, malheureusement, trop souvent le cas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour le groupe CRC.

Mme Annie David. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les membres du groupe communiste républicain et citoyen ont demandé à mettre en débat la situation de l’hôpital public, car celui-ci se trouve dans un état grave, nécessitant une intervention urgente, comme l’a dénoncé Laurence Cohen.

À l’approche d’échéances électorales qui auront une répercussion fondamentale sur les orientations prises en matière de santé publique, ce débat est impératif pour clarifier la vision que nous défendons pour notre système de santé actuel et à venir, pour ses patientes, ses patients et pour son personnel soignant.

Nous avons maintes fois alerté sur le danger des directions prises par les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, que ce soit avec la loi HPST de 2009 ou avec la loi Santé de 2016. Nous sommes aujourd’hui constamment interpellés sur les conséquences néfastes de ces textes sur la qualité des soins, les conditions de travail et de prise en charge ou les méthodes de gouvernance – antidémocratiques.

Dans tous les secteurs médicaux, nous retrouvons les mêmes symptômes. Et ces symptômes sont liés au même virus : la logique libérale et « austéritaire » de l’hôpital-entreprise instituée par ces deux lois. Aujourd’hui, et partout, ce sont nos régions et nos différents services hospitaliers qui paient les pots cassés !

En complément des propos de ma collègue Laurence Cohen, que je partage complètement, j’observerai que le secteur psychiatrique illustre tristement ces répercussions, et leur conséquence directe : des soins déshumanisés, des patients et des soignants malmenés. La psychiatrie a subi des baisses drastiques de budget : plus de 0,5 % du budget national tronqué en deux ans !

Les représentantes et représentants du personnel du centre hospitalier de Saint-Égrève, dans mon département, m’alertent sur le manque de personnel hospitalier, ainsi que sur la fusion et amputation de postes bien au-delà de ce que prévoyait le virage ambulatoire. Ceux de l’hôpital de Saint-Cyr dénoncent la suppression d’un pôle entier de pédopsychiatrie. L’hôpital du Léman, en Haute-Savoie, voit son service de psychiatrie démantelé et 43 lits disparaître.

Le centre hospitalier Le Vinatier, établissement de référence en psychiatrie et santé mentale dans le Rhône, devra, lui, réaliser 3,5 millions d’euros d’économies. Dans cet établissement, les coupes se traduisent déjà en restrictions de matériel et, bientôt, 80 postes seront supprimés.

Quant au pôle public psychiatrique du centre hospitalier de Vienne, également dans mon département, il a été transféré sur le centre psychothérapique privé du Nord-Dauphiné à Bourgoin-Jallieu. Outre la fermeture d’unités d’accueil et d’hospitalisation, ainsi que la dégradation de la prise en charge, en particulier des enfants, ce nouveau projet médical a précipité le départ de nombreux pédopsychiatres, laissant autant de postes vacants. Ainsi, les équipes soignantes travaillent dans une précarité ne leur permettant pas d’assurer toutes leurs missions.

Toutes ces femmes et ces hommes, garants de la qualité des soins, ne peuvent servir plus longtemps de variables d’ajustement face aux économies imposées par le Gouvernement, madame la secrétaire d’État, par l’intermédiaire des directions de ces établissements.

Cette austérité budgétaire s’accompagne de logiques bureaucratiques et comptables qui ont profondément métamorphosé la conception des soins. Aux origines des nouvelles méthodes de gestion du secteur de la psychiatrie, il y a le rapport de Michel Laforcade relatif à la santé mentale. Ce document consacre une approche scientiste et normalisatrice, dans laquelle la dimension psychique ne trouve pas de place.

Ainsi les protocoles de soin de la Haute Autorité de santé qui en découlent, et que dénonce le Collectif des 39, sont contraires à la démarche de la psychiatrie. Cette tendance à la taylorisation du métier de soignant nous retranche dans des logiques sécuritaires, des pratiques d’isolement et de contrainte. D’ailleurs, le minutage des tâches pratiqué par de nombreux hôpitaux est lui aussi révélateur de cette désastreuse approche : rationaliser le temps ne peut se faire qu’au détriment du relationnel, et ces pratiques manquent grandement d’humanité.

Pourtant, la psychiatrie française avait su abandonner les pratiques courantes d’asile au profit d’une proximité de soins spécifiques au contexte, au patient, à son histoire et ses souffrances. L’hôpital et, en particulier, la psychiatrie ne peuvent plus demeurer des usines à patients.

Dans des conditions de travail aussi extrêmes, il n’est pas étonnant que le pire puisse se produire. Les patients, excédés et usés, peuvent devenir violents, comme le montre l’agression, à Saint-Égrève, d’un agent du service psychiatrique ayant subi un traumatisme crânien.

Parfois, sous la pression, les membres du personnel en viennent à commettre l’irréparable. Comme le rappelait ma collègue Aline Archimbaud, le nombre de burn-out et de suicides, ou tentatives de suicide, est là malheureusement pour l’illustrer.

Comme vous le voyez, mes chers collègues, les alertes sont particulièrement nombreuses. Pourtant, le personnel soignant et ses représentants se heurtent systématiquement au silence des directrices et directeurs des agences régionales de santé – les ARS –, qui considèrent l’hôpital sous le seul prisme financier. De surcroît, la loi HPST les a rendus tout puissants au sein de leurs directoires – ma collègue Laurence Cohen évoquait, voilà un instant, des « préfets sanitaires » –, leur permettant ainsi d’imposer aux professionnels sur le terrain leurs plans d’austérité.

À ce propos, madame Génisson, il ne me semble pas que le plan visant à prendre soin des soignants soit véritablement mis en œuvre…

La logique « austéritaire » a aussi une répercussion sur l’offre de soins. La recherche d’économies a poussé à de gigantesques restructurations et regroupements, évoqués par ma collègue. Ces restructurations ont été menées sans concertation, sans aucune considération de la carte de l’accès aux soins et aux spécialités, ni de la capacité des patients à poursuivre leur traitement, et celle de leurs accompagnants à les y aider.

En témoigne l’exemple du GHT Paris Psychiatrie et Neurosciences, qui a dû déménager deux fois en l’espace de deux ans, en laissant vide de spécialistes le XIVe arrondissement, pourtant en grand besoin. À contre-courant de cette logique, il nous faut, pour lier ces besoins de structure collective et de soins de qualité, repenser notre système de santé.

Une médecine généraliste de proximité, organisant dans des centres de santé des équipes pluridisciplinaires de quartier, permet aux soignants de travailler dans des structures à échelle humaine.

Ces cellules ont un ancrage et une visibilité locale. Les soignants ont le temps de coopérer et de répondre au cas par cas aux patients et à leurs parents, à leurs maux et à leurs préoccupations. Ils n’en seront que plus motivés et engagés. Cette véritable politique de lutte contre les déserts médicaux permettra à l’hôpital, ainsi décongestionné, de se dédier pleinement à ses fonctions de spécialité, de prévention, de recherche et d’enseignement.

Aussi, et pour conclure, l’État doit assumer et assurer pleinement ses responsabilités. Il doit réinvestir massivement dans le secteur de la santé publique. Cela passe par un financement à la hauteur des besoins de nos hôpitaux et de nos centres de santé – pourquoi, madame la secrétaire d’État, ne pas ouvrir des lits dans l’urgence pour faire face à l’épidémie de grippe ? Cela passe aussi par un investissement fort dans le personnel, sa formation et ses conditions de travail.

Cette politique est indispensable si nous voulons véritablement conserver la qualité de nos soins et ne pas aboutir à un système de santé à deux vitesses. Cette conception humaniste et citoyenne de la santé publique et de la médecine est essentielle aux patients de nos hôpitaux publics et à l’ensemble de leurs services, psychiatrie comprise ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Amiel, pour le groupe du RDSE.

M. Michel Amiel. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, on dit depuis bien longtemps que l’hôpital est malade et ne peut plus assurer sa fonction de service publique.

Pourtant, avant d’en venir à tout ce qui ne va pas, je voudrais rappeler quelle a été l’évolution de l’hôpital public. Ce dernier est passé, en quelques décennies, d’une logique asilaire à une logique de soins pour les plus démunis ; puis, il est devenu l’hôpital que nous connaissons aujourd’hui depuis la loi Debré des années 1950, qui a permis l’accès à l’excellence en matière médicale, et cela pour tous.

Que s’est-il donc passé ? Si la santé n’a pas de prix, elle a un coût ! « Depuis les années 1980, les soignants sont confrontés à une dégradation de leurs conditions de travail, et la rationalisation des dépenses hospitalières entraîne une limitation de la croissance des effectifs », souligne Valérie Carrara, psychologue du personnel à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l’AP-HP. Autrement dit, le gestionnaire a pris le pas sur le sanitaire, et la mise en place des 35 heures, loin d’engendrer des créations d’emploi, a créé de vives tensions en matière de ressources humaines.

Oui, l’hôpital n’a pas su se réformer. Il souffre d’une maladie que je qualifie d’« hospitalo-centrisme », maladie qu’il subit et qu’il propage, car, si l’hôpital est malade, c’est que l’ensemble du système de santé ne va pas bien. Dès lors, l’hôpital devient, ou redevient parfois, un lieu de premier recours, et non de premier secours.

Il en est ainsi des urgences, engorgées par des malades qui relèvent, non de l’urgence véritable, mais de la consultation non programmée, ou bien de l’hospitalisation en fin de vie, faute d’un manque cruel de soins palliatifs, que ce soit en ambulatoire ou dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD.

De même, en aval, combien de malades se trouvent en difficulté à la sortie de l’hospitalisation, souvent de plus en plus courte – et c’est heureux – grâce au virage ambulatoire ? Trop de lits d’hospitalisation ont été fermés au cours des dernières années, comme le montre l’épidémie de grippe qui sévit en ce moment.

Dans le même temps, il faut parfois un peu de courage politique pour affirmer que certains services d’hospitalisation doivent être fermés, car ils ne répondent plus aux critères d’exigence thérapeutique. Il s’agit bien, plutôt que de les maintenir ouverts à tout prix, d’orienter ces lits en fonction des besoins. Je pense par exemple aux soins de suite et de réadaptation ou aux post-urgences.

Par ailleurs, l’hôpital doit se retrouver au cœur d’un territoire de santé, et cette régionalisation, comme le prévoyait déjà la loi HPST de 2009 avec la création des ARS, doit encore être renforcée, afin de créer un maillage plus efficace du territoire, une rationalisation des coûts et une meilleure répartition des activités.

Oui, l’hôpital ne doit pas être un « hôpital d’ivoire ». Il doit s’ouvrir sur la ville, sur la médecine de ville, mais pas seulement. Il faut un décloisonnement entre ville et hôpital, public et privé, sanitaire et médico-social, voire social, car le patient est d’abord un individu, dont la bonne santé n’est pas seulement une absence de maladie, comme le rappelle la définition de l’Organisation mondiale de la santé.

Certes, la médecine hospitalière gardera et doit garder ses spécificités. Je voudrais en particulier évoquer un rôle essentiel de l’hôpital public : son rôle universitaire. J’entends par là sa mission de formation initiale de nos médecins et son statut de pôle d’excellence et d’innovation.

À ce titre, ne décourageons pas nos praticiens hospitaliers ! Je le dis clairement, leurs carrières doivent être revalorisées, sous l’angle financier, mais aussi en leur offrant un accès au meilleur et à l’innovation. Il faut réenchanter la carrière hospitalière et ne pas priver l’hôpital public de ses éléments les plus talentueux.

Les études universitaires médicales, elles aussi, sont trop concentrées sur l’hôpital. Si les étudiants en médecine apprennent leur art en milieu hospitalier, ils n’ont bien souvent aucune idée de ce qu’ils feront et de ce qu’ils verront en ville – une varicelle, une rougeole, une grippe. Là encore, une ouverture sur la médecine de ville via des stages dès le deuxième cycle serait nécessaire, pour leur permettre de mieux apprendre et appréhender leur métier.

Comment croire qu’avec une formation initiale uniquement portée par l’hôpital, sur la décision collective, avec l’utilisation de technologies de pointe et une baisse de l’enseignement de la clinique, le futur médecin, isolé dans son colloque singulier avec son patient, ne soit pas incité à diriger celui-ci vers l’hôpital ? Paradoxalement, la mission universitaire pédagogique de l’hôpital, un des éléments majeurs, est peu prise en compte dans la réflexion habituelle.

Néanmoins, je ne peux aborder la question de l’hôpital sans évoquer l’ensemble du personnel hospitalier, qu’il soit soignant, technique ou administratif. En ces temps où l’on parle beaucoup de souffrance au travail, je veux rendre un véritable hommage à l’ensemble du personnel hospitalier.

Il faut avoir vécu l’activité hospitalière de l’intérieur, et c’est mon cas, pour se rendre compte à quel point les conditions de travail se sont détériorées. Je le dis avec une certaine solennité, il n’est pas question selon moi de revoir à la baisse le nombre de fonctionnaires hospitaliers, en particulier dans la filière de soins.

Je voudrais enfin aborder un sujet qui m’est cher, celui de l’hôpital psychiatrique. Si l’hôpital général est en crise, l’hôpital psychiatrique est, lui, sinistré, alors même que jamais la demande n’a été aussi forte. Mes chers collègues, passez-moi le terme « demande », mais c’est bien là le cœur du problème : il s’agit de savoir si l’on veut une stricte logique de l’offre ou si l’on doit, au contraire, tenir compte des besoins en la matière. Je penche, bien évidemment, pour cette dernière orientation.

Oui, je le dis haut et fort, un pays comme le nôtre n’a pas, sur l’ensemble du territoire, une couverture suffisante en matière de psychiatrie hospitalière, et encore plus en pédopsychiatrie.

Voilà en quelques mots ce que je voulais dire. Sur un plan financier, seule une approche comptable pluriannuelle différente de l’ONDAM s’impose, avec une réforme de la tarification – la fameuse T2A –, qui a créé des activités « nobles », parce qu’elles sont rentables, et des activités méprisées, parce que ne rapportant pas d’argent.

Avec la loi Debré, l’hôpital s’était réformé dans les années cinquante. Aujourd’hui, c’est tout le système de santé qu’il faut revoir, non pas en distinguant le gros risque du petit risque, mais en responsabilisant tout un chacun, y compris le patient, en développant l’innovation, la télémédecine et, oui, peut-être, en faisant participer un peu plus ceux qui ont plus de moyens, comme ce fut le cas pour la récente réforme des allocations familiales, ou en taxant davantage le tabac.