Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat sur l’avenir de la zone euro porte sur un sujet important, qui mérite réflexion et propositions. Je me suis donc réjoui que notre collègue Pierre-Yves Collombat ait inscrit cette question à l’ordre du jour, et je pensais que nous allions pouvoir confronter nos propositions.

Je suis toutefois quelque peu amertumé, si je puis dire, monsieur Collombat. En effet, vous avez consacré l’essentiel des dix minutes qui vous étaient imparties à une charge contre la zone euro, parfois amusante, parfois un peu désuète, par exemple lorsque vous avez fait allusion à l’étalon-or, que plus personne n’utilise depuis quarante ans.

M. Pierre-Yves Collombat. Vous déformez mon propos !

M. Richard Yung. C’est vous qui l’avez évoqué !

M. Pierre-Yves Collombat. Je l’ai évoqué comme un moyen de faire une monnaie.

M. Richard Yung. L’étalon-or a été abandonné en 1971 !

J’ai donc compris à la fin de votre intervention qu’il n’y avait aucune solution possible et que le système était fermé. Mais alors, pourquoi inscrire cette question à l’ordre du jour ?

M. Pierre-Yves Collombat. Pour que nous en soyons conscients ! Même si c’est dépassé, c’est un moyen de réaliser une telle monnaie !

M. Richard Yung. Toutefois, il n’y a rien à réaliser, puisque, d’après ce que vous nous avez expliqué, il n’y a pas d’avenir possible.

Je ne suis pas souverainiste, et le Brexit constitue à mon avis un problème sérieux pour la zone euro. C’est pourquoi je pense que nous devons avoir ce débat important, afin de faire des propositions pour les années à venir. Le calendrier de 2017 y sera peu propice, avec des élections en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. Il faudra donc sans doute attendre la fin de l’année pour pouvoir vraiment faire des propositions. Le problème étant suffisamment lourd et difficile, il n’est toutefois pas trop tôt pour commencer à y réfléchir.

Réformer l’architecture de la zone euro, c’est aussi essayer de répondre au désamour vis-à-vis de l’Europe et à la montée des populismes que nous voyons illustrés, d’une part, par le Brexit et le vote souverain qui y a conduit, et, d’autre part, de façon un peu plus amusante, par les palinodies de Beppe Grillo au Parlement européen.

Nous devons être fiers de ce qui a été réalisé. Dans l’histoire, il n’y a pas d’autre exemple d’une vingtaine de pays – nous sommes dix-neuf –, qui décident de mettre en commun leur monnaie et une partie de leur souveraineté. N’étant pas souverainiste, cette mise en commun ne me gêne pas, bien au contraire.

Les institutions de la zone euro et de la BCE ont constitué un progrès important. Sans elles, le franc serait sans doute aujourd'hui à 20 % de moins que l’euro.

M. Richard Yung. Faut-il ou non réfléchir dans le cadre des traités et accords existants ? Je formulerai plusieurs remarques à ce sujet. La première est qu’il nous faut déjà faire fonctionner les traités et les textes de la zone euro tels qu’ils existent. J’en donnerai deux exemples.

Premièrement, le pacte de stabilité et de croissance date de 1997 et a donc près de vingt ans. Malheureusement, ce texte a essentiellement été interprété comme un pacte de stabilité, car la politique menée par les majorités de droite et de gauche au Parlement européen et à la Commission européenne a consisté à mettre l’accent sur le fameux déficit de 3 % et sur celui de la balance commerciale, occultant le volet croissance, qui n’a fait l’objet d’aucune proposition.

Permettez-moi d’y insister, les États-Unis ont réagi pour leur part dès 2008 de façon beaucoup plus forte, créant les conditions d’une reprise de leur croissance dont nous voyons les effets aujourd'hui.

Deuxièmement, nous avons créé un mécanisme européen dit « de stabilité », qui représente une capacité de 700 milliards d’euros. Dans la réalité, ces fonds qui ont vocation, d’une part, à aider des pays en difficulté budgétaire, et, d’autre part, à recapitaliser indirectement des banques qui en auraient besoin, ne sont pas utilisés.

À ma connaissance, seulement 70 milliards d’euros sur les 700 milliards d’euros disponibles ont été employés. Pourquoi n’utilise-t-on pas complètement ce mécanisme ?

Ma deuxième remarque porte sur la coordination des politiques budgétaires, j’y reviendrai, et la troisième, sur la nécessité de créer un fonds de garantie des dépôts dans le cadre de l’union bancaire. Bien que ce dernier point soit moins central, il revêt tout de même une certaine importance. Nous avons voté une résolution visant à le créer, mais il y a des blocages, en particulier de la part de l’Allemagne.

Nous devons par ailleurs imaginer une capacité budgétaire européenne de la zone euro pour faire face aux chocs économiques. Celle-ci se construirait autour d’une politique de convergence. Le débat a commencé sur la convergence fiscale et de l’impôt sur les sociétés, les problèmes étant ceux de l’assiette et du taux. Une proposition de convergence de l’évolution des salaires est aujourd'hui sur la table.

À ce sujet, on a tort d’accuser l’Allemagne, qui, depuis trois ans, mène une politique relativement forte d’augmentation des salaires. Les salaires allemands ne sont pas au niveau des salaires français, mais ils s’en rapprochent.

Enfin, l’investissement, public comme privé, n’est à la hauteur ni en Allemagne ni en France. Une solution qui me semble centrale consisterait à créer une réserve susceptible d’absorber les chocs économiques, qu’ils soient spécifiques à un pays déterminé ou généraux dans la zone.

La question qui se pose est évidemment celle du financement d’un tel fonds. Je pense que le Mécanisme européen de stabilité devrait être utilisé, sous une forme qui reste à définir, car il est issu d’un traité intergouvernemental. Ces fonds devraient être réintégrés dans l’Union économique et monétaire européenne ou dans la zone euro en tant que telle. Toutefois, dans ce cas, se poserait le problème des États qui n’en sont pas membres, ce qui était, heureusement, le cas du Royaume-Uni. Il apporterait ainsi les bases d’un budget important pour la zone euro, conformément à sa vocation, qui est d’aider les États dont les budgets sont déséquilibrés.

M. Jean Bizet. Il représente en effet 700 milliards d’euros !

M. Richard Yung. Il pourrait aussi financer ces grands investissements dont on discute depuis des années en sautant sur nos chaises – canal Rhin-Rhône, chemin de fer, plan numérique, et j’en passe –, alors que, pour l’heure, rien n’a encore été fait.

Je dois toutefois nuancer mon propos, car le plan Juncker a permis d’avancer sur ces investissements, si bien qu’une proposition est actuellement sur la table, afin de le doubler.

M. Jean Bizet. Très juste !

M. Richard Yung. Il passerait de 350 milliards d'euros à 700 milliards d’euros, ce qui est tout de même considérable.

Comment serait géré ce fonds, qui, sous une forme ou sous une autre, deviendrait le budget de la zone euro ?

Monsieur Gattolin, je pense qu’il faut désigner un responsable de ce fonds, un commissaire ou un ministre européen, qui prendrait ses instructions au conseil des ministres de l’économie et des finances, ou même, quand cela serait nécessaire, au Conseil européen. Un contrôle politique est nécessaire. Cela permettrait d’assurer la cohérence entre l’Eurogroupe, la Commission européenne, le Mécanisme de stabilité européen ou le budget, tout en assurant une représentation extérieure de la zone euro.

Ce responsable devrait donc rapporter au conseil des ministres, mais je pense qu’il devrait également être sous le contrôle d’une structure issue du Parlement européen. Je ne sais pas comment il faudrait appeler cette structure qui reste à inventer, mais elle serait en quelque sorte le parlement de la zone euro – après tout, tous les pays de la zone euro siègent au Parlement européen.

La difficulté serait d’y associer les Parlements nationaux, puisque c’est une partie de notre travail de discuter et de voter le budget. Nous pourrions nous inspirer du système du Bundesrat ou d’autres.

D’autres propositions pourraient sans doute être formulées. Nous pouvons faire des listes infinies de tout ce que nous souhaitons. Or le vrai problème n’est pas tellement de savoir ce que nous voulons faire, mais ce qui est susceptible de rencontrer un écho auprès de l’Allemagne, mais aussi de l’Espagne et de l’Italie.

Face à la politique américaine qui se met en place – America first, une politique traditionnelle des républicains –, et qui montre la volonté des États-Unis de défendre leurs intérêts, face au Brexit, la seule solution qui s’offre à nous est de construire une alliance forte entre la France et l’Allemagne.

Nous devons donc faire des propositions, monsieur le secrétaire d'État, et, dans le courant de l’année 2017, sans doute devrons-nous prendre des décisions susceptibles de produire un choc, afin de relancer le dialogue et d’affirmer notre volonté d’alliance avec l’Allemagne. (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bizet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de me féliciter de la tenue de ce débat sur la zone euro, qui intervient au moment où le renforcement de l’Union économique et monétaire semble malheureusement passer au second plan des priorités politiques de l’Union européenne, Brexit et dossier de l’immigration aidant. Monsieur Collombat, je vous remercie de l’avoir inscrit à l’ordre du jour.

À la question qui a été posée, ma réponse sera la même que celle de mon collègue André Gattolin : oui, il faut réformer le fonctionnement de la zone euro. Toutefois, mes chers collègues, bien qu’elle soit trop lente à mon goût, il faut reconnaître que cette réforme est en cours.

Je vous rappelle que la nécessité de conclure, à l’été 2015, un troisième plan d’aide pour la Grèce a en effet démontré que l’Union économique et monétaire demeurait fragile et que ses défauts de conception n’avaient pas été entièrement effacés. Certes, les réformes impulsées entre 2010 et 2012, conjuguées à l’action de la BCE dans les moments décisifs, ont permis de préserver l’intégrité de la zone euro.

Je pense notamment au Mécanisme européen de stabilité et à l’Union bancaire. Je pense également au renforcement du pacte de stabilité et de croissance en matière de surveillance budgétaire et macroéconomique, ou encore à la coordination accrue des politiques dans le cadre du semestre européen et du pacte pour l’euro plus.

Au plus fort de la crise, les Européens ont su apporter des réponses alliant solidarité et responsabilité pour renforcer la cohérence, la crédibilité et la résilience de la zone euro. Mais depuis, rien ou presque n’a été entrepris.

Or, s’en tenir au statu quo actuel serait une faute, car si l’euro a été un acte économique fort et un acte politique fondamental, il demeure inachevé. En effet, les conséquences de la monnaie unique n’ont pas été tirées, ou du moins n’ont-elles pas été assumées. En clair, s’il y a bien une Union monétaire, les politiques budgétaires, économiques, fiscales et sociales sont restées largement indépendantes.

La convergence naturelle naïvement imaginée lors du lancement de l’euro n’a bien évidemment pas eu lieu. Pourtant, l’intégration de la zone euro est d’autant plus nécessaire que nos économies restent convalescentes. Ainsi, l’économie de la zone euro peine encore à retrouver son volume d’avant crise, le taux de chômage y reste particulièrement élevé et le taux d’investissement inférieur à son niveau de 2007. Surtout, le constat économique d’ensemble recouvre de très forts contrastes nationaux.

Sur ce point, je vous renvoie à l’audition réalisée hier par le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne de Jean-Claude Trichet. Ce dernier a souligné les différentiels d’investissement privé et de dépense publique entre les deux rives du Rhin. Alors que les taux d’emprunt remontent, ces différentiels sont extrêmement dangereux.

Pour remédier à cette situation, certains préconisent un budget de la zone euro suffisamment important pour mettre sur pied une union de transferts permanents ou assurer une fonction de stabilisation macroéconomique puissante. Si l’idée ne manque pas de fondement théorique, elle semble toutefois politiquement irréaliste en l’état actuel des choses.

C’est dans un premier temps en nous appuyant sur les réformes récentes telles que le Mécanisme de surveillance unique, le Mécanisme de résolution unique, le Mécanisme européen de stabilité auquel a fait allusion Richard Yung, et en corrigeant les faiblesses de la gouvernance que nous assurerons le rapprochement des économies et que nous relèverons les perspectives de croissance.

En effet, malgré les avancées réalisées ces dernières années, le cadre de gouvernance de l’Union économique et monétaire montre toujours de profondes lacunes. En particulier, le système de surveillance multilatérale, même s’il a été renforcé, n’a pas acquis la capacité décisionnelle suffisante pour inciter véritablement les États membres à suivre ses recommandations et à s’engager sur la voie de la responsabilité budgétaire, des réformes et de la convergence.

Sans procéder à une uniformisation complète des politiques des États membres, cette convergence pourrait s’appuyer sur un rapprochement du fonctionnement global des systèmes nationaux et sur un dispositif de « serpent fiscal » encadrant autour d’une moyenne certains taux d’imposition. Toutefois, les difficultés rencontrées par la taxe sur les transactions financières ou par l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés, dite ACCIS, démontrent s’il en était besoin la sensibilité de ces sujets.

Comme l’a également souligné Richard Yung, une collaboration étroite avec l’Allemagne serait dès lors un excellent point de départ. Un calendrier franco-allemand d’harmonisation fiscale et sociale pourrait ainsi servir de base à une série d’alignements volontaires auxquels les autres États de la zone euro devraient pouvoir s’associer.

Monsieur le secrétaire d'État, nous sommes à quelques semaines du soixantième anniversaire du Traité de Rome. C’est un message que nous pourrions adresser à nos partenaires, notamment allemands, depuis Rome.

Quant au pilotage quotidien de la zone euro, il conviendrait de regrouper les postes de président de l’Eurogroupe et de commissaire en charge de l’euro et des affaires économiques et financières. Il s’agirait d’un véritable poste de ministre des finances européennes. Ce dernier serait notamment en charge de la coordination des politiques économiques et de la surveillance budgétaire, et pourrait mener un dialogue permanent avec la BCE sur les effets de la politique monétaire en matière de croissance et d’emploi.

Par ailleurs, l’exigence démocratique impose que cette nouvelle gouvernance prévoie l’association étroite et systématique des Parlements nationaux pour l’élaboration et le contrôle les politiques mises en œuvre dans le cadre de l’Union économique et monétaire. Corrélativement, la création d’un véritable Trésor européen s’avérerait nécessaire.

Mes chers collègues, je ne suis pas naïf. Je suis conscient que ces évolutions sont délicates à mettre en œuvre pour l’heure. Elles m’apparaissent cependant fondamentales pour l’avenir de la zone euro et, par voie de conséquence, pour celui de l’Europe tout entière.

Je suis raisonnablement optimiste, car, depuis la chute de Lehman Brothers, la zone euro a montré sa maturité et son sérieux à son rythme – nous aurions souhaité qu’il fût beaucoup plus rapide. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

M. David Rachline. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme vous tous, je vais bien évidemment répondre oui à la question posée par le débat de ce jour, car il y a de nombreuses réformes à mener. Toutefois, je vais totalement différer s'agissant des réformes à appliquer.

Pour vous, européistes béats, pas besoin de discuter pendant des heures, elles ont déjà été décidées par vos gourous, ceux qui ont fait de l’euro, et plus globalement de l’Union européenne, un dogme !

Le chemin qu’ils veulent imposer aux peuples des nations européennes a été énoncé dans le discret rapport des cinq présidents de l’Union européenne paru en juin 2015. Leur but n’est pas de savoir si l’euro est un bon outil ; non, il est de sauver l’euro à tout prix, ce qui pourrait par exemple passer, nous dit-on, par une surveillance des salaires par une Autorité de la compétitivité ; nos concitoyens les plus modestes vont apprécier !

Depuis lors, le Brexit est passé par là, mais votre dogmatisme demeure malheureusement intact. Plutôt que d’étudier cette réforme qui peut se résumer à davantage d’euro, davantage de convergence, davantage d’Union, ce que vous allez dire pour une large majorité d’entre vous, regardons plutôt quel est le bilan de ces années.

En 1992, Michel Rocard affirmait : « La monnaie unique, ce sera moins de chômeurs et plus de prospérité », tandis que Michel Sapin, déjà ministre de finances, promettait : « Plus de croissance, plus d’emplois, plus de solidarité » ! Je crois qu’on est loin, très loin du compte ! Désormais, un grand nombre d’économistes dont, excusez du peu, cinq prix Nobel, dénoncent les méfaits de l’euro.

Je citerai quelques éléments pour en faire le bilan : la production de l’industrie s’est effondrée en France, alors que, dans le même temps, elle augmentait fortement en Allemagne ; la productivité ayant évolué dans le même sens sur les deux rives du Rhin, c’est l’augmentation de 20 % de plus du coût du travail en France durant cette période du fait d’un euro trop fort pour l’économie française qui en est la cause. Une simple dépréciation de 1,3 % par an de notre monnaie aurait pu compenser cette différence.

Un autre paramètre que l’on peut prendre en compte est la balance commerciale. Avant l’euro, la France, comme l’Allemagne, était en excédent commercial, mais les courbes divergent au moment même de la création de l’euro. L’explication est exactement la même : l’euro empêche l’industrie française de rétablir normalement sa compétitivité et gêne donc nos exportations.

Ce constat est identique en ce qui concerne la croissance ou l’explosion de la dette publique.

Bref, faute de pouvoir utiliser le levier monétaire, la France perd son industrie, sa croissance devient très basse, l’activité économique des entreprises est très faible, le chômage augmente, les recettes fiscales ne rentrent plus, le déficit et la dette publique augmentent, et nous entrons dans le cercle vicieux de l’austérité, ce qui fait peser un risque énorme sur notre modèle social.

Toutefois, je vous connais, que vous soyez endoctrinés ou, ce qui est plus grave encore, dogmatiques, vous allez me dire que si l’euro ne fonctionne pas, c’est parce qu’il n’y a pas assez d’euro ! Certes, pour l’élite financière, l’euro est une bonne chose mais c’est loin d’être le cas pour la majorité de nos concitoyens. Cela s’explique par le fait qu’il est devenu une fin en soi alors que la monnaie ne devrait être qu’un outil. Or l’histoire nous apprend que, lorsque le moyen devient la fin, il y a peu de chance de trouver le bien commun.

En conclusion, il apparaît à la lecture des orientations des technocrates bruxellois que leur projet pour l’euro encourage la financiarisation de l’économie, dont découle une nouvelle forme d’esclavagisme ; d’ici au mois de mai prochain, nous allons nous employer à expliquer à nos compatriotes l’imposture de ce modèle économique que des élites déracinées veulent nous imposer.

De notre côté, nous préconisons que la monnaie redevienne un outil de souveraineté aux mains des chefs politiques et que cette monnaie soit au service de l’économie, elle-même au service de l’homme !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe CRC.

M. Pierre Laurent. Je veux remercier mes collègues du groupe du RDSE d’avoir inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée ce débat, essentiel pour au moins deux raisons.

La première est que la gestion actuelle de la zone euro par les chefs d’État européens et la BCE est à nos yeux une des principales causes de la crise économique et financière que connaît l’Europe. Des transformations profondes sont urgentes et indispensables. L’orthodoxie monétaire actuelle est mortifère.

La seconde raison est que le Parlement est totalement dessaisi de ce débat, alors même que les orientations imposées par la BCE affectent directement et de manière structurelle nos politiques économiques et budgétaires.

Le déni de souveraineté que constitue cette situation est un problème démocratique majeur, car elle limite considérablement les droits du Parlement, notamment dans ses choix budgétaires, et à travers lui les droits souverains de notre peuple.

La gestion actuelle de l’euro souffre de deux tares originelles, que nous avions contestées et qui nous avaient conduits à refuser la monnaie unique, telle qu’elle nous était proposée à l’époque.

Premièrement, l’objectif initial assigné à la monnaie unique, au lieu de servir le financement d’un développement social et productif partagé en Europe en réduisant les inégalités, a été exclusivement réservé au soutien de politiques de rentabilité des marchés.

Deuxièmement, le statut de la Banque centrale européenne, qui, sous couvert de ce que l’on a appelé l’indépendance de la BCE, en a fait un instrument exclusif au service des marchés hors de tout contrôle politique et démocratique.

En vérité, la BCE ne rend aujourd'hui de comptes qu’aux marchés financiers, au Gouvernement allemand et aux institutions financières internationales au service des mêmes logiques.

Résultat, alors que l’euro et l’énorme pouvoir de création monétaire qu’il constitue pourraient servir l’intérêt des Européens, l’Europe se prive d’un tel pouvoir au nom des dogmes libéraux qui nous ont pourtant conduits dans la crise. Le sort de pays européens entiers est donc livré aux mains de traders qui peuvent les ruiner en quelques secondes.

Rien ne sera possible à terme sans remise en cause profonde des traités, et dans ces traités, du rôle et des missions de l’euro et de la Banque centrale européenne. Est-ce à dire que rien n’est possible pour avancer vers cet objectif ? Nous ne le pensons pas, et tout dépend de la bataille qui est menée, pour l’utilisation ou non que l’on décide de faire de la force de l’euro, et au service de quels objectifs.

Des centaines de milliards d’euros ont été injectées chaque année depuis la crise de 2008 uniquement pour renflouer le système bancaire et financier et maintenir ses exigences de rentabilité, mais aucun changement des critères d’utilisation de cet argent n’a été engagé, sauf pour durcir encore l’accès du crédit aux politiques publiques, aux programmes d’action créateurs d’emplois, à de nombreuses PME, à notre tissu productif.

Les mêmes logiques de gâchis financier sont entretenues, et nous nous dirigeons tout droit vers de nouvelles crises financières plus graves encore que celle de 2008. L’austérité, la réduction des politiques publiques, le dumping fiscal et social, qui tirent vers le bas la rémunération du travail et la qualité de l’action publique, se conjuguent pour augmenter le chômage, la précarité, la pauvreté, les inégalités dans toute l’Europe.

En 2016, la Banque centrale européenne a engagé au moins 500 milliards d’euros pour le refinancement bancaire, auxquels il faut ajouter 960 milliards d’euros pour le rachat de titres publics et privés, soit 80 milliards d’euros par mois, dans le cadre de la politique du quantitative easing. Tout cela pour quel résultat ? Aucune relance sociale ni productive, aucun investissement à la hauteur dans la transition écologique !

En revanche, malgré une pression mortifère contre la dépense publique, tandis que le dumping social et fiscal continue à plein régime, la dette poursuit son envol : les États européens emprunteront 900 milliards d’euros en 2017. Rien n’est donc réglé ; tout continue comme avant.

C’est donc d’abord et avant tout une nouvelle politique économique et monétaire dont la zone euro a besoin, une politique qui oriente enfin l’ensemble des financements disponibles et du crédit, création monétaire comprise, vers trois objectifs : l’emploi et la lutte contre le chômage et la grande pauvreté ; la transition écologique ; le développement de services publics promouvant les capacités humaines et le progrès social, notamment l’éducation, la recherche et l’enseignement supérieur, mais aussi la santé, le logement et les transports.

Ces différents programmes d’investissement nécessitent des centaines de milliards d’euros de financements. Ainsi, la Fondation Nicolas Hulot estime l’effort nécessaire à 3 % du PIB européen sur dix ans. En matière de recherche, un effort porté à 2 % serait nécessaire. La Confédération européenne des syndicats avance des évaluations comparables.

À la vérité, un nombre croissant d’économistes s’accordent à considérer qu’un effort pluriannuel de 2 % à 4 % du PIB européen, soit 300 à 600 milliards d’euros par an, doit être accompli. Est-ce inatteignable ? Pas du tout, si l’on compare ces sommes à celles des gâchis financiers dont j’ai parlé précédemment, sans parler des montants énormes qui échappent à l’impôt dans toute l’Europe grâce aux politiques d’optimisation et d’évasion fiscales, des sommes évaluées à 1 000 milliards d’euros !

Le problème n’est donc pas le manque d’argent, mais l’utilisation de celui-ci. De ce point de vue, les communistes proposent d’agir dans quatre directions.

Premièrement, il convient de dégonfler le poids de la dette et des prélèvements. Pour cela, nous proposons la tenue d’une conférence européenne sur la restructuration de la dette publique des États européens. Nous considérons aussi qu’un certain nombre de dépenses d’avenir indispensables doivent, sans attendre, cesser d’être incluses dans le calcul des déficits selon les critères de Maastricht ; c’est le sens de la proposition de résolution européenne que nous avons déposée hier.

Deuxièmement, il faut prendre l’initiative de lancer la préparation d’une « COP fiscale et financière », comme le propose notre collègue Éric Bocquet, en commençant par interdire aux banques et acteurs publics de la zone euro tout recours aux paradis fiscaux, y compris internes à l’Union européenne.

Troisièmement, il est nécessaire de changer les critères de refinancement bancaire de la Banque centrale européenne, ainsi que les critères de crédit de nos banques. Ainsi, les taux seraient abaissés, le cas échéant jusqu’à zéro, pour les crédits protégeant l’emploi et respectant des normes sociales et environnementales. On peut aussi instaurer une modulation des taux de crédit « anti-délocalisations », pour pousser à la relocalisation des productions. Nous pensons que, pour y parvenir, nous devons maîtriser nos outils bancaires et reconstituer un pôle bancaire public national, en nationalisant les deux grandes banques que sont la BNP Paribas et la Société Générale.

Quatrièmement, nous avançons une proposition majeure : créer une nouvelle institution, un fonds européen de développement social et solidaire, en remplacement de l’actuel Fonds européen de stabilité financière, exclusivement tourné vers la finance. Ce fonds procéderait à des rachats de titres publics pour refinancer de nouveaux crédits à très bas taux. C’est impossible, nous dit-on, car les traités l’interdisent. Il faudra, en effet, les changer sur ce point, notamment le 1 de l’article 123 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Reste que les traités actuels permettent de refinancer des établissements publics de crédit. Le fonds que nous proposons de créer pourrait en être un.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, face à l’impasse actuelle, nous ne croyons pas à la sortie de l’euro, qui nous laisserait encore plus fragilisés et renverrait les États européens à la concurrence des dévaluations. Nous pensons que la France doit être à l’offensive, pour, avec d’autres pays, reconquérir le pouvoir sur cette immense force financière que constitue la capacité de crédit de la zone euro.

Aujourd’hui, nous avons l’euro fort pour les marchés et le dumping social contre les populations ; nous proposons un euro différent, utile au financement du développement social et progressivement reconstruit comme une monnaie commune, au service des besoins de convergence sociale des pays européens ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)