M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Michel Baylet, ministre. Je voudrais simplement remercier les rapporteurs de la qualité de leur travail et de l’état d’esprit dans lequel ils abordent ce débat. Je suis convaincu que nous allons ensemble, main dans la main, faire du bon travail pour la montagne.

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les six massifs que compte le territoire métropolitain ainsi que les trois massifs ultramarins – je ne compte pas les montagnes Noires et les monts d’Arrée – sont un élément incontournable de notre géographie. Ils occupent 30 % du territoire et regroupent 15 % de sa population. Ils sont donc un enjeu de premier plan en matière d'aménagement du territoire, tout en étant plus que d'autres confrontés à l'éloignement des services publics, à l'enclavement ou encore à la désertification médicale. Ils sont aussi une richesse inestimable en matière de biodiversité et de patrimoine naturel. Ils abritent ainsi vingt-quatre des cinquante et un parcs naturels régionaux et six des dix parcs nationaux.

Conscient de ces réalités, le groupe écologiste ne peut que souscrire à l'ambition de ce texte : forger des outils adaptés pour un développement des territoires de montagne, répondant à leurs spécificités et difficultés particulières. À cet égard, le texte est, malgré quelques points sur lesquels je reviendrai, satisfaisant dans son économie générale. Il complète utilement la loi Montagne de 1985. Nous saluons notamment l'effort de précision des politiques qui peuvent faire l'objet d'adaptations en territoire de montagne ou encore les progrès de l'administration consultative, via l’extension des prérogatives confiées au Conseil national de la montagne et aux comités de massif.

Je veux particulièrement insister sur deux points.

Premier point, d’ailleurs évoqué par M. le ministre dans son intervention : le problème dit des « lits froids », c'est-à-dire durablement inoccupés, est enfin abordé. J'avais pour ma part eu l'occasion de soulever ce sujet lors de l’examen d'un précédent texte.

Pour lutter contre ce phénomène, le présent projet de loi vise à assouplir le dispositif des opérations de réhabilitation de l'immobilier de loisir, ou ORIL, afin d'ouvrir le bénéfice des aides des collectivités aux propriétaires qui s'engagent à louer par eux-mêmes leur logement.

Toujours afin d'encourager la réhabilitation, le projet de loi de finances pour 2017 prévoira une réorientation du fameux dispositif fiscal dit « Censi-Bouvard ».

Ces deux dispositions devraient avoir un impact concret pour les propriétaires de résidences en montagne et favoriser ainsi la rénovation de l'existant plutôt que d'encourager sans discernement les constructions neuves. Nous espérons en effet qu’ils suffiront à enrayer ce phénomène qui a pris de l'ampleur dans les dernières années. Je me permets de rappeler quelques chiffres édifiants : en Tarentaise, chaque année, 5 000 lits sont créés, autant sortent du marché, et moins de 50 % des lits touristiques sont ouverts en pleine saison. Cette situation favorise l'artificialisation et l'étalement, la pression sur le foncier, sur la ressource en eau et en énergie, en plus d’accroître les difficultés de logement pour les populations locales.

Deuxième point : la vulnérabilité de la montagne face au changement climatique est inscrite dans la loi, de même que la prise en compte du changement climatique dans le développement économique et touristique en milieu montagnard.

C'est une bonne chose, car le changement climatique est plus rapide et brutal en montagne qu'ailleurs. Il est ainsi deux fois plus rapide dans les Alpes que la moyenne mondiale et quatre fois plus rapide au-dessus de 1 500 mètres d'altitude. Selon un programme de recherche coordonné par Météo-France, dont je ne suis pas certain que nous ayons pris la mesure, « À l'horizon 2080 et avec le scénario le plus pessimiste, les simulations prédisent une baisse de la durée de l'enneigement sur les Alpes de 60 à 85 % selon les massifs […] à basse altitude » – autant dire qu’il n’y aura plus de modèle économique possible pour les stations de moyenne montagne – « et de 40 à 75 % à moyenne altitude ».

Compte tenu de la situation particulière de la montagne face au changement climatique, je me permettrai de rappeler devant vous tout l'intérêt qu'il y aurait à créer une « dotation climat » dont je vous parle, mes chers collègues, depuis quelque temps déjà. Cette dotation serait financée par l'augmentation de la recette de la contribution climat-énergie et reversée aux collectivités territoriales, pour la mise en place de leur plan climat, y compris pour le volet adaptation. Les collectivités montagnardes auront particulièrement besoin d'une telle recette nouvelle pour mener à bien leur plan d’adaptation et anticiper l’avenir.

Les députés ont d'ailleurs reconnu la nécessité d'une spécificité montagnarde en matière de dotations, en faisant adopter un article additionnel prévoyant que « la dotation globale de fonctionnement et le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales intègrent les surcoûts spécifiques induits par des conditions climatiques et géophysiques particulières en montagne et les services, notamment écologiques et environnementaux, que la montagne produit au profit de la collectivité nationale ».

Nous avons eu quelques secondes seulement pour en parler à Marrakech, monsieur le ministre. Votre soutien serait le bienvenu pour la réussite de cette entreprise au sein du projet de loi de finances rectificative, que nous commencerons d’examiner en séance dans deux jours. Nous pourrions enfin débloquer ce projet de dotation additionnelle climat, soutenu par tous les réseaux de collectivités territoriales françaises, mais à propos duquel Bercy est beaucoup moins enthousiaste. Ce serait envoyer aux intercommunalités un signal extrêmement positif, qui leur permettrait de s’engager pleinement dans la réalisation des plans climat-énergie, désormais obligatoires.

J’en viens à un autre sujet abordé par le projet de loi.

Le groupe écologiste déplore le travail de sape des opérateurs téléphoniques contre la loi Abeille, auquel, malheureusement, certains parlementaires de l'Assemblée nationale se sont montrés réceptifs.

Le groupe écologiste n’est pas opposé à ce qu'on débatte d'aménagements spécifiques aux zones de montagne sur ces questions. Le débat à ce sujet est légitime. En revanche, il a été pris prétexte du présent projet de loi pour restreindre, sur tout le territoire, et non pas seulement en zone de montagne, l'information des élus locaux en cas de modification substantielle d'une antenne-relais existante, en limitant les possibilités de recours à la médiation par le préfet, ce qui est inacceptable. La méthode consistant à revenir de manière incidente sur ces dispositifs, sur tout le territoire – et donc bien au-delà du champ de ce texte –, est clairement manipulatrice ; elle flirte avec le cavalier législatif.

Le groupe écologiste espère que le Sénat, représentant des collectivités territoriales, saura faire preuve de sagesse et reviendra sur ces dispositions, notamment celles qui diminuent l'information des élus locaux. Nos concitoyens sont demandeurs de transparence au sujet des antennes-relais ; il est donc paradoxal de vouloir réduire l'information des maires et présidents d’EPCI, qui mettent justement ces informations à disposition de leurs administrés. C'est, de plus, probablement contre-productif, et cela fait courir le risque de remobiliser des associations de riverains, dont la principale demande est celle de la transparence.

Le temps qui m’est imparti étant presque écoulé, je n’aborderai que rapidement mes derniers points ; nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles.

Nous sommes par exemple inquiets de la remise en cause du principe de continuité écologique des cours d’eau. Par ailleurs, les zones de tranquillité dans les parcs nationaux ont fait l’objet d’un compromis à l’Assemblée nationale ; revenir dessus n’était pas nécessaire.

Ces réserves apportées, et si des reculs supplémentaires ne sont pas introduits, le groupe écologiste votera pour ce texte, très positif dans les grands principes qu’il pose. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.

M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons appris avec beaucoup de tristesse le décès brutal de notre ami Jean-Claude Frécon, sénateur de la Loire. Élu de montagne, né à Castellane, dans les Alpes-de-Haute-Provence, fin connaisseur de la ruralité, il était un défenseur infatigable des services publics, de l'école, de la présence postale. Son humanité, son goût des gens, sa simplicité manqueront terriblement. J'aurai bien évidemment une pensée toute particulière pour lui et sa famille tout au long de notre discussion parlementaire.

Je souhaite associer à mon intervention les collègues qui n'ont pu être présents cet après-midi, mais qui seront là dès demain.

Le projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne en discussion aujourd'hui au Sénat s'inscrit dans un long et exigeant processus de concertation, qui mérite d'être relevé. Il prend en effet appui sur le rapport de septembre 2015 des députées Annie Genevard et Bernadette Laclais, consacré à l'acte II de la loi Montagne. Le texte s'est par ailleurs nourri du travail assidu mené avec des associations d'élus de la montagne, notamment depuis juin dernier, travail dont j'ai pu mesurer le grand sérieux. Il est également, et nous devons le noter de la même manière, le fruit d'une volonté affirmée du Gouvernement de concrétiser rapidement les engagements pris par le Premier ministre Manuel Valls lors du Conseil de la montagne du 25 septembre 2015 et lors du conseil des ministres du 30 septembre 2015, par le Président de la République lui-même lors du congrès des maires de mai dernier et, bien sûr, par vous-même, monsieur le ministre, lors de la présentation du présent projet de loi en conseil des ministres le 14 septembre dernier.

La méthode de concertation continue choisie pour sa préparation me paraît particulièrement appropriée, d'autant plus que la procédure accélérée a été engagée pour son examen, entamé tambour battant.

Le groupe d’études Développement économique de la montagne du Sénat, dont j'ai la responsabilité, a bien évidemment pris une part active à ce débat, en organisant trois tables rondes sur des sujets qui lui paraissaient particulièrement centraux : l'avenir du pastoralisme, la couverture numérique, l'école.

Je souhaite que nous puissions continuer, tout au long de la discussion qui nous attend, à œuvrer dans le même esprit, en synergie, au service de l'intérêt commun qui nous anime. Je sais que c'est la volonté de M. le rapporteur, et je tenais à l'en remercier.

Tous ici, nous savons que les enjeux de la montagne dépassent très largement la vie quotidienne des 10 millions d'habitants qui sont installés dans nos neufs massifs, sur 30 % de nos territoires, et qui participent pleinement de notre identité nationale. Celles et ceux qui y vivent côtoient celles et ceux qui y travaillent et, bien sûr, celles et ceux qui y viennent, hiver comme été, petits et grands, élèves en classe de découverte ou touristes, pour profiter de petites structures familiales ou de sites de renommée internationale.

Il apparaît plus que jamais nécessaire de préserver la vivacité, la spécificité et l'attractivité de l'ensemble des territoires de montagne. Cet objectif ambitieux nécessitait à n'en pas douter des cadres d'action profondément renouvelés, pragmatiques et décentralisés. C'est dire si ce texte était attendu.

Il n'est pas, je crois, inutile de préciser qu'il ne s'agit pas d'un projet de loi totalement rebâti. Nous avons bien affaire à une actualisation – une « modernisation », précise l’intitulé du texte – de la loi Montagne, texte éminemment précurseur adopté le 9 janvier 1985. Les connaisseurs y retrouveront sa structure et sa philosophie générale, novatrice pour l'époque : la prise en compte au sein des politiques publiques des spécificités des territoires de montagne.

Par ailleurs, le présent projet de loi ne contient évidemment pas toutes les mesures susceptibles de profiter aux territoires de montagne. D'autres véhicules législatifs ont en effet accueilli des dispositions en faveur de l'accélération du numérique, de la création de maisons de services au public, de la lutte contre les déserts médicaux, de la préservation de la biodiversité, qui, bien que plus générales, contribuent pourtant au développement de nos territoires.

Au total, le projet de loi que nous examinons n'en constitue pas moins un signal politique ambitieux à destination des habitants de la montagne et des touristes, par son aspect pluridisciplinaire et à bien des égards très concret. La première partie du texte prend ainsi en compte beaucoup plus finement les spécificités des territoires de montagne et renforce à ce titre la solidarité nationale en leur faveur.

Le titre Ier renforce la capacité d'intervention des élus, en modernisant considérablement la gouvernance des territoires, ce qui était indispensable.

Les dispositions adoptées relatives au calcul de la dotation globale de fonctionnement me paraissent pour le moins essentielles. Le groupe socialiste et républicain propose d'ailleurs de les élargir à l'ensemble des dispositifs financiers de l'État.

Je me félicite tout particulièrement de l'introduction de l'objectif de l'usage partagé de la ressource en eau, elle aussi tout à fait caractéristique de nos territoires.

Nous sommes également très sensibles à la prise en compte des besoins spécifiques en matière de santé, dans les schémas d'aménagement ou en matière de présence médicale. Je suis en effet très satisfait que ce texte ait pris la mesure de la problématique bien connue des montagnards, mais aussi des ruraux, du temps de transport. Il s'agit bien de limiter ces déplacements subis par une politique globale d'aménagement du territoire privilégiant la proximité et la qualité de vie.

La reconnaissance à l'article 8 ter de la spécificité de l'école en zone de montagne constitue un autre progrès notable du projet de loi. Alors que l'école faisait figure de grande absente de la loi de 1985, le présent texte prévoit que l'élaboration de la carte scolaire est assise sur une identification des écoles ou réseaux d'écoles publiques qui nécessitent une adaptation des « seuils d'ouverture et de fermeture de classe, au regard de leurs caractéristiques montagnardes, de la démographie scolaire, de l'isolement et des conditions d'accès dans des délais raisonnables par les transports scolaires ». Cette disposition est totalement en phase avec les recommandations du rapport sur la mise en œuvre des conventions ruralité remis cette année au Premier ministre par Alain Duran.

Je n’ignore pas que l'article sur les collèges a disparu du présent texte en commission. J’insiste pourtant sur l’importance qu’il y aurait de mener un travail similaire sur les réseaux de collèges, qui ont vocation à être pensés à l'échelle des bassins de vie, en lien direct avec le réseau des écoles du premier degré.

Je m'attarderai plus longuement sur le volet numérique de ce texte, volet qui, il faut le dire, obsède à juste titre les élus de montagne. Ces mesures doivent être appréciées au regard des nombreuses initiatives législatives et réglementaires qui ont été adoptées dans les derniers mois.

Nous le savons tous, le développement économique de la montagne ne pourra pas se réaliser pleinement sans un accès suffisant au numérique et à la téléphonie mobile. Sans numérique et téléphonie mobile, il ne pourra être question de développement économique réel ou de valorisation des atouts des massifs ou des vallées ; nous nous lancerions dans une course sans fin à la réduction d'inégalités à jamais croissantes, au gré de l'acquisition de technologies et d'usages sans cesse plus exigeants.

Nous avons quelque espoir d'y parvenir. Rappelons-nous que, au moment de la loi de 1985, le législateur s'était donné pour objectif la résorption de zones d'ombre en matière de réception télévisuelle. Aujourd'hui, les habitants n'ont plus – ou beaucoup moins – ce type de difficultés, même si l'accès à la totalité des chaînes n'est pas optimal.

Le Gouvernement a pris la mesure de l'urgence à engager ces chantiers, il faut le reconnaître, assez colossaux. Le programme de résorption des zones blanches pour mi-2017, le délai de six mois après mise à disposition des pylônes donné aux opérateurs pour commercialiser, l'appel à projets de raccordement de 1 300 sites d'intérêt économique et touristique : tout cela va indéniablement dans le bon sens. L'impatience des élus de montagne est, il faut le dire, à la mesure des enjeux économiques territoriaux.

Il s'agit en quelques mois du troisième texte par lequel nous proposons de redonner du pouvoir à la puissance publique, aux élus plus précisément, pour accélérer considérablement la couverture numérique, notamment dans les zones blanches ou grises. En zone de montagne, plus qu'ailleurs, nous sommes en effet confrontés à plusieurs défis : le nombre et le morcellement de zones blanches et grises, les difficultés techniques d'installation de raccordement, mais aussi la définition de la qualité de la couverture.

Je me félicite de la mise en activité prochaine du guichet France Mobile adossé à l'Agence du numérique. Ce guichet devrait permettre aux élus de faire remonter de manière beaucoup plus rapide et transparente les difficultés rencontrées.

Pour avoir mené un certain nombre d'auditions en appui de cette discussion parlementaire ou y avoir assisté, je dois vous avouer que je ne me résous toujours pas à entendre des opérateurs identifier encore les zones de montagne comme des zones non rentables et non pas comme des zones à conquérir, des zones de commercialisation. Je forme quelques espoirs sur la mise à disposition du public de la réalité de la couverture numérique pour accompagner un réel changement culturel.

Le renforcement de la taille des RIP devrait aussi produire quelques effets. La possibilité de procéder à des expérimentations, offerte par ce texte, est intéressante. J'attends également de voir dans quelle mesure la Caisse des dépôts et consignations pourra plus encore s'engager, aux côtés des élus, en faveur du raccordement des zones peu denses.

Toutes ces initiatives doivent se concrétiser dans les prochains mois. Elles doivent être recensées et évaluées.

Dans le même temps, je crois utile de ne pas considérer comme totalement exclu le principe d'une contribution de solidarité nationale, ainsi qu'un possible élargissement des missions du FACE au service de la réduction des inégalités territoriales.

Dans un autre domaine, le présent texte prévoit une série de mesures utiles pour développer les activités pastorales et forestières, en inscrivant dans la loi le principe d'une compensation des handicaps naturels, qui se traduira par une aide directe au revenu pour tout exploitant agricole, en proportion du handicap subi. Il prévoit également d'accompagner les constructions et installations nécessaires. La préservation de l'activité pastorale pourra se traduire notamment par une adaptation des politiques nationales de l'agriculture aux spécificités montagnardes au regard des préjudices causés par les grands prédateurs.

Sur la question du loup, nous sommes, je le crois, arrivés à un point d'équilibre, qui nous permet de respecter nos engagements internationaux tout en appréhendant la réalité : la prolifération de loups dans certains massifs, quand d'autres territoires vivent une cohabitation plus pacifique.

Je souhaite à titre personnel indiquer que la situation dans certains territoires me paraît d'ores et déjà très tendue. Je suis très attaché à ce que les éleveurs puissent continuer à entretenir et faire vivre la montagne. Je crains pourtant que, dans certaines zones où le loup prolifère, les éleveurs ne mettent fin, par crainte pour leurs troupeaux, à la transhumance, en évitant des territoires et en les condamnant donc, à terme, à l'abandon. Ce n'est pas l'idée que je me fais d'une biodiversité en bonne santé.

Le plan d'action national loup 2013-2017 arrive à son terme l'année prochaine. Son élaboration prochaine supposera, par une évaluation plus fine, de connaître la réalité de la présence de l'animal, massif par massif, et de proposer ainsi des moyens d'action plus appropriés. Je plaide pour ma part pour une approche plus globale, qui prenne en compte les effets à moyen et long terme sur la totalité de la biodiversité présente.

Le tourisme, en particulier la prise en compte très opportune de la situation des travailleurs saisonniers, ainsi que de la réhabilitation de l'immobilier de loisir, occupe à juste titre une place de choix. Le projet de loi permet d'avancer vers une plus grande sécurisation professionnelle du statut des travailleurs saisonniers et mobilise pour eux de façon plus efficace les logements vacants. C'est une avancée notable.

Concernant la nécessaire réhabilitation de l'immobilier de loisir, il me paraît effectivement indispensable de lutter contre les « lits froids » tout en accompagnant la montée en gamme de l'offre. À ce titre, l'assouplissement du dispositif ORIL, pour le rendre plus attractif aux propriétaires, est particulièrement bienvenu. Nous regrettons néanmoins la disparition en commission de l'article 21 bis. L'obligation d'information sur la vente de lots de copropriété doit permettre la rénovation et l'agrandissement des logements attendus par la clientèle touristique. Je saluerai bien évidemment la solution proposée pour déroger au transfert de compétences en matière de promotion de tourisme dans les communes classées et la possibilité de maintien de l'office de tourisme municipal.

Les dispositions relatives aux UTN paraissent, elles aussi, équilibrées. Il n'est en revanche pas possible de soutenir la soudaine réinsertion de mesures issues de la proposition de loi visant à relancer la construction en milieu rural, à laquelle nous nous étions déjà opposés. La modification proposée du critère de continuité urbaine ouvrait la voie à une très forte accélération du mitage du foncier agricole. L'enjeu aujourd'hui est bien la revitalisation des centres-bourgs et de l'occupation du bâti existant. De la même manière, nous nous sommes opposés à une extension inconsidérée de l’autorisation d’annexes de taille limitée en dehors de tout document d’urbanisme.

Au total, le groupe socialiste et républicain présentera une trentaine d’amendements. Parmi ceux-ci, celui sur la prise en compte des surcoûts de la montagne dans l’ensemble des dispositifs financiers de l’État nous paraît important. Nous avons souhaité valoriser la place des communes forestières et de la filière bois. Nous avons voulu que l’ESS, l’économie sociale et solidaire, soit mieux intégrée dans les objectifs des politiques publiques de montagne.

Au cours du débat, nous nous opposerons à toute tentation trop vive de détricoter les lois ALUR et NOTRe.

De la même manière, nous serons très attentifs à ce que le nécessaire équilibre entre le développement et la protection de la montagne soit préservé, notamment en matière d’urbanisme. En termes d’aménagement, les effets de balancier les plus brutaux ne sont jamais bons.

Enfin, nous serons vigilants à ce que ce projet de loi bénéficie à tous les territoires de montagne, sans déséquilibre ostensible entre les spécificités de tel ou tel massif. La montagne est diverse ; pour autant, elle est unique et solidaire.

Je terminerai par un point qui me semble de nature à susciter un débat plus large.

Depuis quelques années, nous voyons se multiplier, ici comme à l’Assemblée nationale, le recours à des expérimentations dans certains territoires. Certaines sont inspirées de mauvaises raisons : elles visent à contourner les exigences du débat parlementaire. Pour autant, il me paraît intéressant que des territoires comme les nôtres puissent être considérés comme prioritaires pour des expérimentations sociales, institutionnelles, technologiques et financières.

Certaines dispositions d’évaluation sont prévues dans la loi. Je pense que notre institution sénatoriale pourrait utilement s’en saisir. Des expérimentations réussies en territoires de montagne pourraient ainsi essaimer dans l’ensemble de notre pays. De spécifique, la montagne pourrait devenir de manière beaucoup plus systématique une avant-garde et un modèle.

Je souhaite enfin, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’à l’issue de nos trois jours de discussion, laquelle promet d’être exigeante, nous puissions voter, à l’unanimité, un texte à la hauteur des enjeux de la montagne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – M. Alain Bertrand applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux à mon tour m’associer à l’hommage qui a été rendu à Jean-Claude Frécon, sénateur de la Loire, avec qui nous avons partagé de nombreux moments. J’ai encore en mémoire les différents échanges que nous avons eus, notamment pendant la dernière campagne précédant les élections sénatoriales, sur le travail de parlementaire en direction des communes rurales et de nos territoires de montagne, auxquelles il était très attaché.

Nous abordons aujourd’hui un texte attendu et annoncé de longue date, un projet de loi qui concerne beaucoup d’entre nous. Comme cela a été rappelé, la montagne représente 15 % du territoire national et accueille 10 millions de nos concitoyens. La montagne, c’est 6 000 communes au sein de neuf massifs. Or ces territoires subissent des contraintes importantes, liées à l’altitude, à la pente, au climat et à la faible densité de population. Mais ces territoires d’exception sont aussi un atout indéniable en matière de culture, de biodiversité, de savoir-faire… Une attention particulière doit donc leur être portée.

Ces spécificités ont conduit le législateur, en 1985, à produire une loi fondatrice pour ces territoires de montagne. Trente ans plus tard, beaucoup appelaient de leurs vœux une nouvelle loi, un acte II. Répondant favorablement à cette demande légitime, le Gouvernement a suscité beaucoup d’espoirs chez les élus et les habitants. En effet, trente ans après l’adoption de la loi Montagne, il convenait de repenser les politiques nationales liées à la montagne au regard des enjeux présents et à venir. Je pense, par exemple, à l’enjeu climatique, de plus en plus pressant, aux besoins numériques nouveaux, à l’architecture institutionnelle, qui a été bouleversée et qui rend plus difficile aujourd’hui l’action des élus de montagne ; il nous convient donc de l’adapter. Je pense aussi à la nécessité de continuer l’effort d’enrayement du dépeuplement, notamment dans un certain nombre de territoires.

Le CESE, dans son avis, a exhorté le Gouvernement à prendre en compte de manière extrêmement forte les mutations à venir des territoires liées au changement climatique, afin d’adapter l’offre de service touristique, bien sûr, mais également les conditions de vie des habitants. Sur ce point, nous pouvons noter une évolution très favorable à l’Assemblée nationale. Nous regrettons simplement qu’aucun élément du projet de loi ne permette de savoir comment l’investissement public sera adapté, dans ces territoires, pour tenir compte du changement climatique.

Au reste, c’est un peu ce qui caractérise ce projet de loi. Alors que celui-ci était initialement très peu consistant, son passage à l’Assemblée nationale a permis de l’étoffer et de le renforcer dans des dimensions concrètes pour les habitants, telles que l’accès au service public, mais également dans la conception même de ce que doit être une politique pour la montagne. Nous sommes, à ce titre, particulièrement satisfaits que le concept « d’aménité », qui permet de prendre en compte les externalités positives et la richesse de ces territoires pour la collectivité nationale, soit très clairement mentionné dans le texte.

Malheureusement, malgré cet effort indéniable, ce projet de loi ne peut, à nos yeux, être qualifié d’« acte II de la loi Montagne ». Il lui manque du souffle et une vision à long terme. En l’état, l’objet de ce texte est simplement de dépoussiérer et de remettre à niveau la loi de 1985. C’était nécessaire, mais le résultat reste décevant par rapport aux espoirs soulevés.

Par nos amendements, nous tenterons de renforcer concrètement le projet de loi pour répondre aux attentes des habitants de la montagne, qui vivent dans ces territoires quotidiennement.

Ainsi, alors qu’il est question d’adaptabilité des normes nationales aux spécificités de la montagne, la question institutionnelle est très peu évoquée, alors même que les lois NOTRe et MAPTAM apparaissent en décalage total avec les réalités de la montagne. Nous avions eu l’occasion de l’exprimer lors du débat sur ces deux projets de loi. Nous défendrons donc plusieurs amendements pour revenir à une échelle plus humaine, plus mesurée, prenant en compte la faiblesse démographique dans cet espace, notamment en ce qui concerne la gestion de l’eau, tout comme pour la construction des intercommunalités. Par ailleurs, nous notons que rien, dans ce projet de loi, ne renforce la participation des habitants aux politiques nationales de la montagne. Nous le regrettons.

Toutefois, reprenant souvent les préconisations du CESE, le projet de loi a, là aussi, été très largement amélioré à l’Assemblée nationale, ce dont nous nous félicitons. De nombreux articles ont été insérés, qui concernent notamment l’accès au service public scolaire, au service public médical, au service public postal, et ce au sein d’un titre spécifique, malheureusement largement supprimé par notre commission. Nous reviendrons sur ces dispositions par nos amendements, notamment sur la question de la présence postale en zone de montagne, qui est un enjeu de survie pour nos territoires.

Le numérique a fait l’objet de développements importants, qui ont été confortés au Sénat. Il est vrai que les enjeux numériques se trouvent décuplés dans ces territoires, où les enjeux de dématérialisation des échanges sont renforcés par les difficultés de déplacement. Las, nous pensons que, sans dispositif contraignant pour les opérateurs, les collectivités seront toujours sollicitées pour pallier les insuffisances et créer les infrastructures nécessaires, supports d’un service public indispensable.

Si la question des services publics est évoquée, le contexte national nous laisse craindre que ces dispositions ne soient que de faible portée face au désengagement de l’État de toute politique industrielle nationale, notamment pour nos territoires, dans les années à venir. Or la montagne ne peut être cantonnée à de l’emploi de service.

Sur le fond, ce texte est appréhendé de manière ambiguë : comme je l’ai souligné, il est accueilli positivement, mais il donne également le sentiment de ne pas répondre à tous les enjeux. Ainsi, de nombreux élus de montagne ont l’impression qu’il a été façonné sur mesure pour les grandes stations, n’appréhendant la montagne que comme le support d’une industrie du tourisme, et non comme un lieu de vie permanent. Dans ce cadre, si ce texte comporte de véritables avancées, notamment pour les saisonniers – ces avancées étaient attendues –, et pose la question des infrastructures touristiques, il se révèle assez faible sur la question du tourisme social et durable.

En matière agricole, nous nous réjouissons de la reconnaissance du handicap des zones de montagne, de la nécessité de soutiens agricoles spécifiques et de l’importance de préserver les activités agricoles, en particulier l’élevage, mais les mesures concrètes manquent. Ainsi, nous regrettons que l’indemnité compensatoire de handicap naturel soit réservée aux surfaces d’élevage et que rien ne soit prévu pour les autres productions ou les plus petites surfaces. Comme l’a rappelé la Confédération paysanne, les paysans sont des maillons essentiels, qui font vivre et entretiennent les territoires de montagne. Nous devons donc maintenir leur présence et leur activité, nécessaires à toutes et à tous.

Pour terminer, je tiens à dire que nous regrettons que ce texte n’engage finalement aucun financement de l’État pour accompagner ces mesures, dans une prospective nouvelle pour ces territoires.

Dans ce contexte global et au regard des dispositions concrètes du texte, l’acte II de la loi Montagne restera donc à écrire et à inventer avec les habitants et les élus des territoires de montagne.

Avec mes collègues Annie David et Évelyne Didier, nous aborderons ce projet de loi de manière constructive, pour lui donner corps et répondre aux besoins des populations et des élus de montagne. Nous soutiendrons ses avancées, même si nous aurions souhaité un texte plus ambitieux, qui, comme celui de 1985, aurait ouvert la voie pour les trente ans à venir aux territoires de montagne de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Alain Bertrand et Jean Desessard applaudissent également.)